Au centre de la rade de Marseille se déploie l’archipel des îles du Frioul. A 1,8 km de la ville à vol d’oiseau, à 30 minutes du Vieux Port par la navette et rattachées administrativement au très huppé 7em Arrondissement, ces îles constituent un repère paysager, identitaire et patrimonial exceptionnel pour cette grande métropole française. Abandonné par les armées dans les années 1970, cet espace rare fut soumis à un développement disparate et désordonné. Emblématique des petits milieux insulaires littoraux, il concentre aujourd’hui des enjeux économiques, environnementaux et sociétaux majeurs renvoyant à la durabilité de nos modèles urbains.
Légende de l’image
Cette image de l’archipel du Frioul, face à Marseille, a été prise par un satellite Pleaides le 15 juin 2023. Il s’agit d’une image en couleur naturelle, de résolution native à 0,70m, ré-échantillonnée à 0,5m. En savoir plus
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Repères géographiques
Présentation de l’image globale
Les îles du Frioul : un territoire insulaire métropolitain à la recherche d’une nouvelle articulation à la ville ?
Le Frioul : un archipel calcaire bien visible au large de Marseille
Comme le montre bien l’image satellite, l’archipel des îles du Frioul est composé de deux îles principales, Pomègues et Ratonneau, et de deux îlots satellites, la fameuse île d’If et le Tiboulen. D’orientation ouest/est, l’île de Ratonneau est longue de 2,5 km, culmine à 86 m. et est la plus urbanisée. Longue de 2,7 km et culminant à 89 m., l’île de Pomègues, d’orientation nord-est/sud-ouest, est beaucoup plus sauvage et est traversée par un sentier de randonnée bien visible qui mène jusqu’à l’ancienne batterie d’artillerie de Cavaux.
Couvrant 193,5 hectares, soit 1,935 km², il se trouve à 2,7 km au large du quartier d’Endoume. L’archipel fait partie administrativement de la ville de Marseille et est rattaché au très huppé 7em Arrondissement sous le nom « Les îles ». Proche du rivage et bien visible de la ville-centre, contrairement aux Calanques plus au sud, il constitue un élément majeur de l’horizon maritime de la métropole.
L’archipel appartient à la Provence calcaire comme en témoigne la blancheur de ses roches écrasées l’été de soleil et balayées par les vents, en particulier le redoutable mistral, vent froid venant du Nord. Le climat s’y avère particulièrement aride. Les îles Ratonneau et Pomègues sont reliées entre elles par la digue Berry, construite en 1822 sous Louis XVIII, qui transforme un ancien mouillage utilisé depuis l’Antiquité en véritable port sécurisé, le port du Frioul du centre de l’archipel.
De fait de sa structure topographique et morphologique, l’archipel présente des paysages remarquables et apparait comme tout à fait unique par rapports aux autres îles du littoral de la région PACA. Son relief marqué et accidenté participe d’un découpage fin du liseré côtier en multiples caps, petites calanques et minuscules plages et criques sablonneuses.
Les contraintes et atouts d’un isolat insulaire
Du fait de son isolement insulaire introduisant une rupture de charge, l’archipel n’est peuplé à l’année traditionnellement que par seulement 140 à 150 habitants, pour l’essentiel des retraités et inactifs assez âgés. L’espace habité, urbanisé pour l’essentiel dans les années 1970 et aujourd’hui assez dégradé, est polarisé autour du Port du Frioul dont le port de plaisance accueille 600 bateaux. Les services offerts à la population y sont donc limités : ni médecin, ni infirmier, ni école, ni commissariat. La seule petite surface commerciale est fermé l’automne et l’hiver.
Au relatif engourdissement hivernal succède à la belle saison une situation de saturation croissante. Les 450 logements disponibles sont alors largement occupés, directement par leurs propriétaires ou loués, et les navettes maritimes déversent leurs flots de visiteurs à la journée. Face à l’explosion de la population, on assiste à l’ouverture de petits commerces et de quelques bars et restaurants alors que trois policiers viennent de Marseille patrouiller en vélo pour assurer la sécurité des biens et des personnes.
Au-delà de sa fonction résidentielle, l'activité insulaire se résume à un port de plaisance, un village de vacances (groupes, les classes de mer, les stages sportifs, les regroupements familiaux) ouvert de mars à novembre, une caserne de pompiers et une ferme aquacole bien visibles sur l’image. L’été, les navettes maritimes augmentent leur amplitude horaire et fonctionnent aussi tard le soir, une visite de l’archipel étant un des incontournables d’un séjour touristique à Marseille.
Un site stratégique militarisé jusqu’en 1970
Du fait de sa position stratégique dans la baie de Marseille dont il défend les approches maritimes, l’archipel est très tôt un site militarisé. Comme le montre bien l’image, il sert de postes de défense avancé et est donc largement couvert de fortifications et de batteries d’artillerie. Occupé par les troupes nazies, l’archipel fut largement bombardé par les forces américaines entre le 24 et le 27 août 1944. Pendant longtemps, la Maison des Pilotes a servi parfois d’accueil aux pilotes du Grand Port Maritime de Marseille (GPMM) qui ont la responsabilité de piloter les navires à grand gabarit jusqu’à quai.
A la fonction militaire répond la fonction carcérale symbolisée par le Château de l’île d’If construit en 1516 par François 1er. La littérature s’en mêle lorsqu’Alexandre Dumas y enferme Edmond Dantès dans le Comte de Monte-Christo. Plus sérieusement, la forteresse y accueille des insurgés de la révolution de 1848 et des communards en 1871, avant de perdre sa vocation carcérale et être ouverte au grand public en 1890.
Les fonctions militaires et carcérales sont enfin sensiblement renforcées par les fonctions de quarantaines médicales si importantes contre les épidémies et les pestes diverses (peste, choléra, typhus, fièvre jaune…) qui ravagèrent Marseille, un grand port tourné vers le Levant et les Empires coloniaux, et la Provence durant des siècles. Les îles du Frioul furent ainsi un des plus grands complexes sanitaires de la Méditerrané (cf. anse des Pomègues désignée comme site de quarantaine des 1627, ancien hôpital Caroline sur l'île de Ratonneau). En 1822, c’est bien les ravages de la fièvre jaune dans le bassin méditerranéen qui décident les autorités à doter l’archipel d’un vrai port de quarantaine avec la construction de la digue de Berry – longue de 215 m. et large de 32 m. - qui isole et protège encore aujourd’hui le port du Frioul actuel.
Démilitarisation, urbanisation et développement touristique
Progressivement, l’archipel va s’ouvrir comme en témoigne au début de la décennie 1890 les premières excursions touristiques du dimanche organisées par la Compagnie de Navigation Côtière. Mais il faut attendre 1970/1971 pour que les armées acceptent de céder une grande partie de l’archipel à la Ville de Marseille sous l’impulsion de son maire de l’époque Gaston Defferre. Dès 1974, un village de 450 petits logements – de 110 m² maximum, alors présenté comme moderniste, un mélange architectural de kasbah et de médina - est réalisé par une équipe d’architectes réunis autour de Josep Lluís Sert, concepteur de la Fondation Maeght.
Dans ce contexte nouveau, la liaison Archipel/ Marseille est sensiblement améliorée par un service de vedettes régulières entre le Vieux-Port et le port de Pomègues-Ratonneau distants de 5,9 km, soit une demi-heure de traversée. Dans les années 2006/2010, la communauté urbaine Marseille Provence Métropole (MPM) met ainsi en place une délégation de service public (DSP) d’une durée de 12 ans faisant obligation à la compagnie sélectionnée d'assurer un minimum de huit à douze rotations quotidiennes selon les saisons avec trois navires d'une capacité de 600 places au total et la construction d'une gare maritime dédiée sur le Vieux-Port. Fixés par convention, les tarifs prévoient des compensations pour les résidents permanents, les scolaires, les salariés et les propriétaires de bateaux basés dans le port de plaisance de l'archipel au nom d’une forme de continuité territoriale intra-métropolitaine qui conçoit l’archipel comme un annexe maritime de l’espace métropolitain.
Les enjeux d’un développement durable face à des pressions croissantes
Comme en témoigne durant l’été 2022 la mise en place d’un système de réservations obligatoires pour accéder à certaines calanques du Parc national des Calanques afin de limiter la surfréquentation d’un espace littoral intramétropolitain rare, et donc exceptionnel, le Grand Marseille est confronté à des défis croissants. Cette surpression touristique, déjà habituelle, a explosé à l’été 2020, lors de la sortie du premier confinement avec en particulier les restrictions de voyage à l’étranger dues à la Covid-19. La fréquentation des 53 000 hectares du Parc national des Calanques était alors passée de deux à plus de trois millions de visiteurs annuels.
De même que les Calanques au sud, l’archipel du Frioul fut lui aussi submergé par un afflux touristique exceptionnel : fêtes électros sauvages, campeurs clandestins venus dormir à la belle étoile malgré des interdictions formelles, risques d'incendie et de dégradation de l'environnement, barbecues sur les plages, tensions entre fêtards, touristes et résidents... En particulier, on doit relever que la surfréquentation touristique provoqua des dégradations de plus en plus visibles sur des milieux fragiles : érosion du sol, piétinement de la flore, dégradation des habitats naturels, réduction voire disparition de certaines espèces. Ce milieu métropolitain insulaire polarise donc sur un petit espace aux fortes contraintes des enjeux économiques, environnementaux, urbains et sociétaux majeurs : conciliation entre espaces naturels et activités humaines, gestion durable des ressources naturelles, autonomie énergétique, accueil des flux touristiques, gestion des déchets…
Les années 2000 se caractérisent par l’introduction d’une stratégie de protection et de gestion des espaces de plus en plus affirmée en rupture sensible avec les décennies précédentes. L'archipel fait désormais partie du Parc national des Calanques, créé en 2012. Cet ensemble couvre à la fois les espaces naturels terrestres des îles de l’archipel, qui sont classés en cœur de Parc national, et tout autant la zone marine périphérique, classée en Aire maritime adjacente.
Cette stratégie a un impact a un impact foncier et immobilier immédiat sur les dynamiques de l’archipel puisqu’elle y gèle toute nouvelle opération immobilière au grand dam de certains promoteurs immobiliers et spéculateurs qui projetaient d’implanter dans l’archipel du Frioul des hôtels de luxe, avec spas et yachts. Pour autant, la rareté immobilière se traduit par une explosion des prix des biens insulaires : selon certaines sources, le prix d’un deux-pièces y passe de 40 000 à 135 000 euros, off market, entre 2000 et aujourd’hui.
Cette stratégie foncière est renforcée dans l’Archipel du Frioul par la cession au Conservatoire du Littoral d’un certain nombre de parcelles (cf. cession gratuite de 136 ha par la Ville de Marseille en févier 2014). Dorénavant, le site est cogéré par trois acteurs : la Ville de Marseille, le Conservatoire du Littoral et le Parc national des Calanques. Avec plus de 400 000 visiteurs par an, l’impératif d’articuler de manière efficiente l’accueil du public et la protection d’un paysage exceptionnel et d’espaces naturels abritant une biodiversité terrestre et marine remarquables est un enjeu d’avenir. En changeant de focale et en prenant en compte l’échelle du bassin méditerranéen, on doit souligner les résultats exceptionnels de ces stratégies publiques françaises comparées aux situations espagnoles, italiennes ou grecques.
Conservatoire du littoral
Images Complémentaires
L'archipel du Frioul dans son cadre régional
Repères géographiques
Ressources et bibliogRaphie
Parc national des Calanques
https://www.calanques-parcnational.fr/fr/iles-frioul-pomegues-ratonneau…
Conservatoire du littoral
https://www.conservatoire-du-littoral.fr/siteLittoral/702/28-iles-du-fr…
Département des Bouches du Rhône/ Atlas des Paysages
https://departement13.atlas-paysages-paca.fr/unites-paysageres/15-le-ba…
Région PACA. Atlas du littoral (2015)
https://www.paca.developpement-durable.gouv.fr/l-atlas-du-littoral-de-p…
Contributeur
Proposition : Laurent Carroué, Inspecteur général de l’Éducation nationale, du sport et de la recherche, directeur de recherche à l’Institut Français de Géopolitique (Université Paris VIII)