Localisée à l’extrême nord du département de la Manche, Cherbourg-en-Cotentin est une ville moyenne située dans un territoire rural à dominante bocagère nommé « Presqu’ile du Cotentin » de par sa position de Finistère. Fruit d’un climat propice, autant que de l’aménagement paysan, le bocage qui caractérise ce territoire offre l’aspect d’une vaste étendue verdoyante. Pourtant, cette apparente uniformité ne doit pas cacher la diversité des formes que peut y prendre le bocage, tout comme les profondes mutations qu’il connaît sous l’influence de la périurbanisation. Cet espace rural multifonctionnel (fonctions productives différenciées, fonctions résidentielles et de loisir...) voit s’affirmer des fonctions non-agricoles de plus en plus prégnantes bouleversant en quelques décennies ces dymamiques.
Légende de l’image
Cette image du bassin de Cherbourg-en-Cotentin, située dans le département de la Manche en région Normandie, a été prise par le satellite Sentinel-2B le 16 mai 2023. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles de résolution native à 10m.
Ci-contre, la même image satelitte présente des repères géographiques de la région.
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Repères géographiques
Présentation de l’image globale
Le nord du Cotentin : un espace rural et agricole en mutation
polarisé par Cherbourg
Une ville portuaire ouverte sur la Manche et le monde
La ville de Cherbourg se distingue sur notre image par l’étendue grise des bâtiments constituant son agglomération. La ville s’est étalée en demi-lune, son étalement au nord étant bloquée par la mer. Cette dernière qui occupe le tiers nord du cliché est la mer de la Manche, bras de mer qui sépare la France et l’Angleterre d’une largeur d’une centaine de kilomètres au niveau de Cherbourg. Cette proximité de la mer et du voisin anglais a donné à Cherbourg une vocation maritime et militaire qui a été et est encore un des principaux moteurs de son économie locale.
La ville est en effet située dans une anse formée par la confluence du Trottebec et de la Divette sur une mince plaine côtière en forme d’amphithéâtre. Cela confère au site une position d’abri maritime idéale, renforcée par les aménagements humains. On distingue en effet deux rades imbriquées l’une dans l’autre : la « petite rade » composée de la jetée du Homet à l’ouest et de la jetée des Flamands à l’ouest. Cette dernière est doublée par la « grande rade » qui relie la pointe de Querqueville à l’ouest et la plage de Collignon à l’est par trois sections de digue, l’ensemble s’étirant sur 7 km et faisant de cette rade la plus grande rade artificielle d’Europe. Il s’agit de projets de fortifications lancés au XVIIIe s. mais concrétisés par Napoléon 1er et mis en œuvre par l’ingénieur Joseph Cachin. Ces deux rades avaient pour rôle de constituer un obstacle défensif face à l’ennemi anglais à proximité.
Cette vocation maritime et militaire imprègne aussi la géographe de l’agglomération. On distingue nettement à l’ouest l’arsenal de Cherbourg sous la forme d’un complexe de bâtiments aux couleurs plus claires et percé de bassins. L’arsenal de Cherbourg est spécialisé dans la construction et le lancement de SNLE (Sous-marins Nucléaires Lanceurs d’Engins) qui constituent l’outil de la dissuasion nucléaire française et participent à sa puissance militaire. L’arsenal est aujourd’hui administré par Naval Group, groupe industriel détenu à 62% par l’Etat et héritier des arsenaux français. L’importance de cette activité industrielle dans l’économique locale est à l’image de son emprise spatiale : le site de Cherbourg emploie 2.500 personnes, faisant de Naval Group le premier employeur de l’agglomération.
Mais la vocation maritime de Cherbourg ne se limite pas à son aspect militaire. On distingue à l’est une avancée sur la mer en forme de trapèze. Il s’agit du terre-plein des Mielles, récemment agrandit de 5 hectares en 2017 au moyen d’un polder, afin d’accueillir deux activités industrielles liées à la mer : l’une de construction d’hydroliennes par Naval Group (projet finalement abandonné en 2019), l’autre de pâles d’éoliennes par LM Wind, une filiale de Général Motors. En effet, le Cotentin représente un milieu adéquat au développement du secteur des Energies Marines Renouvelables (EMR) par le potentiel d’exploitation de ses vents marins (la Manche est le département français disposant du plus long linéaire côtier), la force de ses courants marins (le raz Blanchard tout proche peut avoisiner les 12 nœuds ce qui en fait l’un des plus forts courants européens) et son ouverture maritime (le port de Cherbourg s’affirme comme hub de stockage et pré-assemblage du parc éolien offshore de Fécamp en construction). Autant d’atouts qui valent cette spécialisation industrielle dans le domaine des EMR aujourd’hui à l’œuvre.
Une agglomération née de l’étalement urbain
La ville-centre de l’agglomération de Cherbourg-en-Cotentin est la commune de Cherbourg elle-même, reconnaissable à la densité de son bâti qui forme un noyau de gris plus sombre sur la photographie. L’extension récente de l’agglomération a pris quant à elle une forme caractéristique d’urbanisation « en doigts de gant » qui suit les principaux axes routiers : l’aménité que représente ces axes de circulation favorisant l’urbanisation. Ainsi, on distingue nettement une bande urbaine s’étirant sur un axe nord-sud suivant la N13 (voie routière se prolongeant ensuite avec l’autoroute A13 en direction de Paris) et constituant la commune de La Glacerie. Sur un axe nord-est – sud-ouest on aperçoit aussi la commune d’Octeville dont le bâti suit la D650. Enfin, l’urbanisation des côtés est et ouest s’explique quant à elle par le relief : la ville est encaissée dans une cuvette, ce relief collinaire oriente donc l’urbanisation le long du littoral qui est plus plan, vers les communes d’Equeurdreville à l’ouest et de Tourlaville à l’est.
Comme cela a souvent été le cas pour les villes moyennes françaises, le lancement de cet étalement urbain s’est fait dans les années 1960 avec le mouvement d’exode rural. Cependant, dans le cas de Cherbourg-en-Cotentin cette urbanisation a été dynamisée par la construction non loin de Cherbourg de la centrale nucléaire de La Hague de 1979 à 1986, longtemps plus grand chantier d’Europe et pourvoyeur d’emplois. Situé 20 km à l’ouest de Cherbourg, ce vaste chantier explique le plus grand développement de l’agglomération dans cette direction, en plus de l’agrément que représente la présence de plages sablonneuses (plages d’Equeurdreville et d‘Urville visibles sous forme de bandes blanches).
Enfin, à partir des années 1980, les classes moyennes cherchant l’acquisition de maisons individuelles avec jardin à proximité des centres urbains confirment ce mouvement de périurbanisation, en le généralisant à l’ensemble des communes bordant Cherbourg.
L’agglomération de Cherbourg compte donc aujourd’hui 80 900 habitants. Elle est le fruit de 60 ans d’un étalement urbain qui a amené à la fusion de la ville de Cherbourg avec les villes voisines d’Equeurdrevillle, Octeville, Tourlaville et La Glacerie, comme nous le montre les vues comparatives entre 1950-1965 et aujourd’hui réalisées et mise en ligne sur le site de l’Institut Géographique National. La nécessité de doter cette agglomération d’institutions à son échelle a amené ses élus à être pionniers dans la dynamique d’intercommunalité. Dès 1970 est créée la Communauté Urbaine de Cherbourg (CUC), avant la loi Chevènement de 1999 qui donne un coup d’accélérateur à la dynamique d’intercommunalité en France. En 2015, suite à la loi NoTRE, la CUC est remplacée par la commune de Cherbourg-en-Cotentin : la commune unique a remplacé l’intercommunalité, les institutions sont en corrélation avec la réalité du territoire.
Un environnement bocager formé par l’activité agricole
Entourant Cherbourg-en-Cotentin, un vaste espace agricole aux dominantes vertes s’étale sur tout l’arrière-pays.
Le sous-sol est ici celui du Cotentin armoricain : une extrémité du massif armoricain fait d’un relief bosselé par une succession de bassins et de collines de basse altitude (entre 130 et 170 m). Ces collines sont recouvertes par le bocage : une mise en culture sous forme de parcelles de prairie fermées par des haies vives qui conférent au paysage son aspect très verdoyant et qui participe à l’identité de la presqu’ile du Cotentin. Cette abondante végétation est permise par un climat océanique doux (entre 7 et 19° C) qui bénéficie de pluies abondantes (entre 10 et 20 mm / mois) et dont la faible variation est renforcée par l’influence océanique toute proche.
Une multitude de parcelles de petite taille fragmente le paysage en un patchwork d’enclos de forme géométrique et bordés d’arbres formant des haies. C’est cet encloisonnement qui caractérise le bocage. Il est né de la spécialisation dans l’élevage bovin, courante dans les systèmes agraires du nord-ouest de l’Europe. Ces enclos végétaux permettent en effet tant la mise en pâturage que l’enfermement des bovins. Le tracé de ces parcelles est le fruit de plusieurs siècles d’aménagement paysan : les haies ont été progressivement constituées par la main de l’homme, au moyen d’une butte de terre recouverte d’un alignement d’arbres de nature diverse mais adaptés à leur situation (domine le hêtre adapté aux fortes précipitations). Au total, le département de la Manche est le 1e département bocager de France avec 52 000 km linéaires de haie. Le nord Cotentin en a la plus forte densité avec une moyenne de 200m de haies par hectare.
Pour autant, ce paysage fragmenté ne doit pas faire illusion : les exploitations agricoles sont vastes et représentent chacune plusieurs hectares de parcelles. Ici comme ailleurs le phénomène de concentration agricole est à l’œuvre : la taille moyenne des exploitations dans le Cotentin est de 40-100 hectares, soit plus que par le passé (bien qu’encore en deçà de la moyenne nationale). Par ailleurs, nécessitant un important entretien, les haies sont parfois arrachées par les agriculteurs. C’est aussi un moyen de regrouper les parcelles en des champs plus vastes et ouverts, mieux adaptés aux grandes cultures plus rentables. Les terres dédiées à la céréaliculture représentent 10% des parcelles actuellement, mais cette part augmente d’année en année. Conséquemment, en 10 ans, on compte déjà plus de 4000 km linéaires de haies perdus.
Les enclos de prairie sont principalement dédiés à l‘alimentation des bovins, élevés pour la production de lait, dont la transformation est assurée par les deux principales coopératives locales : celle d’Isigny-sur-Mer et des Maîtres laitiers du Cotentin. L’élevage destiné à la boucherie complète cette première activité. Dans ce but, 50% des terres du Cotentin sont mises en prairie permanente, ce qui explique la dominante de vert vue du ciel. Les prairies ne sont cependant pas les seules sources d’alimentation des bovins : de nombreuses parcelles orangées se distinguent : 24% des terres sont en effet mises en labour afin de fournir du maïs fourrager, signe d’un élevage traditionnel en voie d’intensification.
Malgré son unité de couleur, le paysage de bocage n’est pas uniforme : on peut y distinguer une certaine diversité. Dans le quart nord-ouest on remarque un relief plus aplani, des parcelles orientées ouest-est est mitées d’étendues brunes correspondant à de la bruyère. Il s’agit de l’extrémité du plateau de La Hague, de plus haute altitude et battu par les vents d’ouest, occasionnant des haies moins hautes et des parcelles étalées dans le sens du vent. La moitié est - quant à elle - apparaît moins densement fragmentée d’enclos : de vastes étendues vert foncé tâchent le patchwork bocager. C’est le haut du Val-de-Saire où subsistent d’importants fragments de l’ancienne forêt de Brie qui occupait cet espace avant la mise en bocage, valant un paysage moins ouvert et parsemé de bosquets.
Ce cadre naturel et agricole ne doit pas faire oublier qu’il est à proximité du pôle urbain, de Cherbourg-en-Cotentin. L’autoroute A 13 – cordon ombilicale désenclavant la presqu’ile en la reliant à l’intérieur des terres – est définitivement raccordée à Cherbourg dans les années 1980. Cet achèvement a rendu possible par la suite la réfection du maillage routier du bocage. On distingue donc nettement le réseau de routes départementales qui se déploie en étoile depuis chaque bourg. Cette accessibilité renforcée à proximité d’un centre urbain, associée au cadre verdoyant de cet espace de pâture, ont été les moteurs d’une périurbanisation continue depuis 40 ans, sortant le bocage de sa seule fonction agricole pour y adjoindre une fonction résidentielle prononcée.
Zooms d’étude
Un bocage en mutation au contact de l’ouest de l’agglomération sur Gosselin/Tonneville
On a ici un cliché du hameau Gosselin (au centre de l’image) situé dans la commune de Tonneville, regroupée depuis 2017 avec la commune nouvelle de La Hague. Ce hameau est un exemple de la dynamique de mitage du bocage, aussi qualifiée par certain.e.s géographes de rurbanisation, et qui est l’une des formes que peut prendre la périurbanisation.
Ce hameau est en effet situé à proximité de l’agglomération de Cherbourg : en haut de l’image, on remarque la frange sud-ouest de l’agglomération (commune d’Equeurdreville), composée de lotissements périurbains récents. Ils sont reconnaissables à leur habitat standardisé et aligné, desservi par un réseau viaire en damier. Cet urbanisme périurbain typique est bâti par lots. Chaque lot est en effet identifiable, par la route l’entourant et le délimitant à l’extérieur et par l’orientation spécifique de son quadrillage routier à l’intérieur.
Pour autant, l’environnement immédiat du hameau Gosselin est bien un milieu verdoyant. Il s’agit moins d’un espace naturel (les seuls espaces naturels remarquables sont des bosquets comme celui s’étirant sur une bande nord-sud : c’est une bande d’arbres et arbustes suivant la rivière du Rouland) que d’un bocage à la vocation agricole. Ainsi, l’ensemble du paysage est découpé par les haies des enclos à la forme géométrique de trapèze. Ces enclos sont laissés en prairie pour l’alimentation ovine (enclos de couleur verte) ou mis en culture pour la production de foin ou maïs servant de fourrage pendant la période hivernale (enclos de couleur orange). Certains, de plus faible superficie sont mis en verger, repérables aux rangées d’arbres qui y sont plantés à distance régulière. Il s’agit la plupart du temps de pommiers, caractéristiques du terroir normand.
Des exploitations agricoles isolées ponctuent ce bocage de place en place. On les distingue sous forme de tâches ocre clair, correspondant à la terre battue des exploitations. Les engins agricoles qui ont accompagné la modernisation et l’intensification des activités dans les années 1960 ont en effet transformé l’aspect des fermes qui se sont dès lors dotées de ces aires de circulation et de stationnement des véhicules. Cette même modernisation a aussi entraîné l’extension des installations agricoles, par l’abandon des anciens communs en pierre de taille, exigus et obsolète, au profit de la construction de hangars agricoles, reconnaissables par leur forme géométrique et la couleur grise de leurs toits de tôle. Ils servent d’entrepôts, garages ou étables et représentent désormais le bâti agricole moderne.
Cet environnement bocager n’est pas pour autant un obstacle isolant le hameau Gosselin. Il est désenclavé grâce à la D 901 dont on distingue un tronçon sur un axe sud-ouest – nord-ouest. Elle est dotée au niveau du hameau d’un échangeur qui lui permet une accessibilité rapide. Cette départementale mène vers l’ouest à la commune de La Hague et le centre de recyclage de déchets nucléaires d’Orano qui offre 5000 emplois. Vers l’est, elle mène à l’agglomération cherbourgeoise et ses 37 000 emplois. On distingue ainsi au nord-est la Zone d’Aménagement Concerté (ZAC) de la Bénécère, de forme elliptique où se trouvent des blocs d’entrepôts géométriques typiques de l’urbanisme industriel (on y trouve entre-autres une chaudronnerie, un fabriquant de pièces industrielles de caoutchouc, un fabriquant de pièces de métal…). Autant de sous-traitants industriels liés à l’activité de l’arsenal de Cherbourg et du complexe nucléaire de La Hague.
Ainsi, ce cadre de vie « vert » associé à une importante offre d’emploi à proximité rendue accessible par le réseau routier a conféré une forte attractivité à Tonneville : sa population est passée de 199 habitants en 1962 à 586 en 2019. Ce doublement de la population se lit dans l’aspect du hameau. On distingue en effet l’habitat ancien du hameau formant un noyau urbain plus dense et doté de routes au tracé concave ou convexe. C’est là que se trouvent les maisons les plus anciennes ainsi que l’église Saint-Martin datant du XIIe s. : le bourg médiéval constitue le centre originel du hameau. Ce noyau s’est trouvé enveloppé par les constructions résidentielles récentes.
On y retrouve donc un habitat fait de maisons souvent identiques et en damier, comme dans la périphérie de Cherbourg évoquée plus haut. On remarque cependant que les pavillons sont entourés d’un carré vert clair correspondant à des jardins plus vastes, composant donc un bâti moins dense que dans l’agglomération : le prix du foncier est ici moins élevé et permet aux résidents l’acquisition de terrains plus vastes. Il s’agit donc dans ce hameau d’un habitat pavillonnaire construit dans un cadre verdoyant à proximité d’une agglomération, cadre de vie plébiscité par les classes moyennes depuis les années 1980 et moteur de la rurbanisation en France.
Ni espace entièrement naturel et préservé rêvé par certain.e.s, ni territoire livré à une urbanisation sauvage dénoncé par d’autres, le bocage apparaît ici dans toute sa complexité : il est le cadre d’une agriculture modernisée et d’un tissu industriel local, dynamisé par un désenclavement routier récent accompagnant le phénomène périurbain. C’est un territoire transformé par les mutations sociales et économiques de la France contemporaine.
Cette image de cette partie ont été prises par un satellite Pleaides le 8 août 2022.
Il s’agit d’une image en couleur naturelle, de résolution native à 0,70m, ré-échantillonnée à 0,5m. En savoir plus
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Le bocage
Une variation paysagère : le bocage de La Hague
A droite donc à l’est, l’agglomération cherbourgeoise, avec ses installations portuaires (on distingue la digue de Querqueville, premier tronçon de la grande rade). A gauche donc à l’ouest, un territoire plus rural : c’est la naissance du plateau de La Hague qui s’étale vers l’ouest. Ce plateau s’enfonce plus loin dans la mer de la Manche et forme un finisterre. Il offre un climat légèrement plus doux mais aussi plus venteux et pluvieux.
On retrouve ici le patchwork de parcelles encloses par les haies. Cependant, plus on avance le regard vers la partie gauche de l’image, plus on s’avance vers le plateau de La Hague et moins les haies semblent touffues. En effet, il s‘agit d’un plateau surélevé par rapport au reste du Cotentin (il culmine à 180 m) donc plus exposé aux vents qui sont d’ailleurs plus violents par la proximité directe de la mer. Cela donne naissance à une végétation plus contrainte par le milieu, donc plus rase. Des murets de pierre sèche remplacent même parfois les haies, conférant à La Hague son surnom de « petite Irlande ».
On peut aussi remarquer la transformation du littoral. Les plages de sable du centre de l’image laissent place à l’ouest à un littoral découpé en anses et pointes. Le relief y est en croupe de falaise abruptes et nues, dévalant vers la mer. Ces dernières ne sont donc pas mises en culture mais laissées à l’état sauvage. S’y épanouit une végétation de lande dominée par la bruyère. Cette bande littorale, propriété du Conservatoire du littoral, fait le bonheur des promeneurs qui peuvent la suivre le long du sentier des douaniers (un sentier de douane du XIXe s. mis en place pour lutter contre la contrebande avec les îles anglo-normandes toutes proches) devenu aujourd’hui le GR 223 : le chemin piétonnier dessine un fin tracé blanc le long de la côte.
Quelques vallons boisés creusent le paysage perpendiculairement à la mer sur l’ensemble du cliché. Difficiles d’accès, ils sont laissés en déprise : buissons et petits bois les investissent. Ils forment donc des étendues vertes que l’on voit serpenter jusqu’à la mer, où ils aboutissent entre les anses.
Ce cadre plaisant pour les randonneurs demande cependant un entretien vigilant (réparation des murets, coupe des haies…), tâches paysagères que les agriculteurs ne trouvent plus toujours le temps de réaliser. Ces paysages tombent donc parfois en déprise, quand les haies ne sont pas arasées par facilité. Le conseil départemental de la Manche tente de freiner ce phénomène en replantant des haies (90 km en 4 ans) ou en finançant leur entretiens (30 000 euros en 2021).
Le bocage de la Hague
Des traces du paysage précédant la mise en bocage : le Val de Saire
Le relief collinéen est ici plus prononcé : les différents affluents de la rivière de la Saire toute proche découpent un réseau de légers vallons qu’épouse le tracé des haies.
Ce relief plus accidenté a été un frein à l’aménagement paysan mis en place à partir du XVIIIe s. et explique le développement moins prononcé du bocage : les haies sont moins hautes et moins fournies, de vastes bosquets s’étalent et rompent la fragmentation du paysage. Ces bosquets sont des restes de la forêt de Brix qui recouvrait auparavant le Cotentin, épargnés par la mise en bocage et la déforestation des XVIIIe, XIXe et XXe s.
L’exploitation agricole reste cependant bien présente. On distingue les exploitations ocre clair dotées de hangars agricoles aux formes rectangulaires et de cuves à lisier ou aires de stockage de fourrages de forme circulaire.
Les restes de forêt sont eux aussi exploités car on décèle des traces de sylviculture : certaines parcelles de forêt sont en effet délimitées au cordeau et les arbres y sont alignés à égale distance, signe d’une plantation par la main de l’homme. Par la rentabilité qu’elle représente, la plantation de sapins progresse d’ailleurs de nos jours, marquant un enrésinement de ces forêts.
Ce sont donc les différentes phases d’exploitation agricole du Cotentin que l’on peut lire dans ce cliché, comme autant de strates paysagères qui se succèdent et cohabitent
Le Val de Saire
Désenclaver le bocage et la presqu’île
Bordé par le bras de mer de la Manche, le Cotentin est un espace ouvert à l’Outre-Manche et au monde, comme on l’a vu. Mais sa connexion à l’intérieur des terres est quant à elle bien plus difficile.
Le Cotentin est en effet un finisterre : il est l’aboutissement de l’avancée dans l’océan Atlantique qu’est le département de la Manche, ce qui l’éloigne des réseaux continentaux. En outre, les marais du Cotentin et du Bessin, un milieu marécageux situé à 40 km au sud de Cherbourg font obstacle à l’accessibilité depuis l’arrière-pays, l’isolant d’avantage. A ce titre, le Cotentin est aussi surnommé « Presqu’ile du Cotentin ».
Le désenclavement a donc rapidement été un enjeu. L’axe principal permettant ce désenclavement est l’autoroute A13, déjà évoquée et qui se distingue sur l’image globale par le long cordon formé par cet axe et l’urbanisation qui s’y est accolée, traversant le bocage sur un axe nord-sud.
Sur ce zoom, on distingue un autre axe de transport majeur pour Cherbourg et qui suit la même orientation : la ligne de chemin de fer. Elle forme une large courbe concave, ce mode de transport nécessitant des variations de direction douces. Inaugurée en 1858, la ligne a accompagné le développement de la ville en tant qu’arsenal et port militaire en assurant la connexion au reste du pays. L’enjeu aujourd’hui est autre : c’est celui de son entretien. En effet, face à la dégradation du réseau et des transports, Etat et Région Normandie ont signé l’accord dit « du Mont-Saint-Michel » (son lieu de signature) en 2016 : la Région prend en charge la gestion des lignes en échange du renouvellement du matériel roulant. C’est donc un enjeu d’entretiens du réseau existant, afin de conserver une dynamique de compétitivité du territoire, qui domine et trouve sa réponse dans la décentralisation.
A l’échelle locale, les transports sont assurés par l’automobile, mode de transport privilégié dans les espaces ruraux où la faible densité de services et du bâti nécessitent des trajets de plus longs. La D900 se distingue ici, représentation typique de ce réseau de transport pour les trajets de petite et moyenne distance, rendu pratique par son tracé souvent rectiligne et par l’amélioration de son revêtement après les années 1980. Ils accompagnent le mode de vie périurbain en constituant l’axe principal du transport automobile quotidien, qui se ramifie ensuite en axes secondaires où se greffent les logements.
On note que ces deux réseaux de transport (rail et route départementale) aux tracé continu (courbe ou droit) contraste avec l’aspect fragmenté du parcellaire bocager. Certaines parcelles sont coupées en deux ou brusquement interrompues par ces axes. Le bocage étant cloisonné, constitué d’obstacles que sont les haies et très fragmenté, il est en effet peu adapté au tracé d’axes directes. Ces réseaux construits après la formation des parcelles agricoles, se sont en donc superposés au bocage. Pour autant, on remarque un réseau de routes plus sinueuses, certaines en terre battue, permettant la circulation entre les parcelles. Ce réseau vicinal mis en place avec le bocage pour y permettre la circulation ne doit pas être négligé : il est encore aujourd’hui fortement pratiqué pour les déplacements quotidiens des habitants, l’activité agricole ou encore l’excursion des promeneurs.
L'autoroute A13
D’autres ressources
- P. BRUNET, Inventaire régional des paysages de Basse-Normandie, tomes 1 et 2, éd. Conseil régional de Basse-Normandie, 2001, 871 p.
- P. GUILLEMIN, Q. BROUARD-SALA, S. VALOGNES, P. MADELINE, Atlas de la Manche, des polders au pôle d’air, éd. OREP, 2018, 176 p.
- Conseil départemental de la Manche, Rapport développement durable 2021, manche.fr, 2021, 72 p.
https://www.manche.fr/wp-content/uploads/2022/06/RAPPORT-DEVELOPPEMENT-…
- Une autre notule Géoimage, plus centrée sur l’agglomération de Cherbourg : L. CARROUE, Cherbourg : une ville, un port militaire et un arsenal maritime d’importance géostratégique, géoimage.fr
/france-normandie-cherbourg-une-ville-un-port-militaire-et-un-arsenal-maritime-dimportance
- Une comparaison des photographies aériennes de Cherbourg à travers le temps proposée par l’IGN et permettant de saisir la progression de l’étalement urbain, remonterletemps.ign.fr :
https://remonterletemps.ign.fr/comparer/basic?x=-1.619822&y=49.633559&z…
Contributeur
Jean-Loup BUNEL, professeur agrégé d’histoire et de géographie au lycée Grignard de Cherbourg, Académie de Normandie