Madagascar - Antsiranana et le nord de la Grande Ile : de l’enclave militaire coloniale au port touristique

Sur la pointe nord de Madagascar, la ville d’Antsiranana (Diégo Suarez) est un port historiquement ouvert sur l’océan Indien, mais une capitale régionale enclavée. Ville cosmopolite bénéficiant d’un site de baie exceptionnel, longtemps associé à la présence française sur la Grande Île, c’est aujourd’hui le troisième port malgache à l’économie endormie, tournée vers le tourisme et la pêche.

 

Légende de l’image

 

Cette image de Antsiranana (également connue sous le nom de Diego-Suarez), ville portuaire du nord de Madagascar, a été prise par le satellite Sentinel-2B le 15 mai 2023. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles de résolution native à 10m. 

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Repères géographiques

 

 

 

Présentation de l’image globale

Diégo Suarez et le nord de la Grande Ile :
 de l’enclave militaire coloniale au port touristique

La ville construite sur un site exceptionnel : la baie de Diégo-Suarez

Diégo-Suarez – peuplée de 115.000 habitants - est la plus grande ville du Nord de Madagascar et le troisième port de la Grande île, après Tamatave et Majunga. Son premier nom est « Antomboko », qui signifie « troué ». La ville borde en effet une baie naturelle qui s’étend sur 156 km, au centre de laquelle se trouve un pain de sucre. Cet îlot d’origine volcanique de 4,5 hectares, « Nosy Lonjo », est un lieu sacré qui abrite historiquement les sépulture des défunts souverains de l’ethnie Sakalava.

Comme le montre l’image, c’est l’une des plus grandes baies du monde au carrefour des principales routes maritimes, au Nord du canal du Mozambique. Sa situation est stratégique, à proximité des côtes africaines, de Mayotte, de l'archipel des Comores et de celui des Seychelles.

La baie de Diego-Suarez (156 km de côtes) est composée en fait de quatre baies de petite taille, donc celle baie des Français où se situe la ville promontoire de Diégo-Suarez. La ville se situe au niveau du cap d’Ambre (« Tanjon'i Bobaomby »). La toponymie de la ville est marquée par la présence française. Elle retrouve son nom malgache d’Antsiranana (en malgache : le port) dans les années 1970 dans le cadre de la politique de malgachisation prônée sous la Deuxième République. L’ancien nom demeure néanmoins courant.

Une capitale régionale enclavée à l’échelle nationale

Diégo Suarez est la capitale administrative du nord de Madagascar, et de la région administrative de Diana (Diégo, Ambilobe, Nosy Be, Ambanja).  C’est néanmoins une ville enclavée et isolée à l’échelle nationale. Elle est reliée à la capitale malgache Antananarivo par 1.200km de route en très mauvais état, soit entre 26 et 36h de taxi-brousse en saison sèche. La RN6 qui la relie à Ambanja (230 km, 8 h de route), sur la route de la capitale, est en très mauvais état, malgré des travaux promis et sans cesse repoussés.

De fait, pour le tourisme d’affaires ou de loisirs et les voyageurs aisés, la ville est avant tout relié à la capitale puis au reste du monde par le transport aérien depuis la création de l’aéroport au sud-ouest de la ville. L’aéroport se caractérise cependant par « un déficit infrastructurel qui empêche d’accueillir les avions gros porteurs qui voudraient opérer la destination », selon le site des Aéroports de Madagascar (ADEMA), en raison d’obstacles (Montagne des Français, talweg), mais aussi des déficiences des équipements dédiés à la sécurité et à la navigation aérienne.

Un carrefour maritime historique et un port cosmopolite

Cul-de-sac au niveau national, Diégo a pourtant une histoire cosmopolite, étroitement liée à sa géographie portuaire. C’est la capitale de l’ethnie Antakarana, « ceux des falaises », mais la mais diversité de la population est frappante et marquée d’une forte présence étrangère : Comoriens, Arabes, Indiens, Chinois, Yéménites, Somalis, Français, Italiens…

Jadis comptoir musulman, c’est alors une plaque tournante du commerce des esclaves et du « khat », feuille aux vertus euphorisantes venue du Yémen. Au XVIe siècle, les Portugais découvrent la baie et lui donnent le nom de son explorateur. Puis c’est la présence française qui marque fortement la géographie urbaine. A la fin du XVIIe siècle, la baie de Diégo-Suarez abritait une colonie de pirates français appelée « Libertalia ».

Alors que l’Extrême-Nord de Madagascar était très peu habité, les Français font appel pendant à la colonisation à une main-d’œuvre diverse et de toutes les régions de l’empire pour construire la ville : Kabyles, Indochinois, etc. La ville est en effet peuplée à l’époque d’une population historique mobile : marins, légionnaires, tirailleurs, migrants etc. Selon l’historien Alexandre Audard, la ville est « à la fois symbole du maintien de l’ordre impérial français sur la région et vecteur de désordres par son ouverture maritime au monde et son attractivité migratoire ».

Un siècle de base géostratégique française : enclave coloniale militaire de 1885 à 1975

Avec sa baie protégée par une entrée étroite 2km, la ville est un site militaire de choix. En 1885, la France signe un traité lui accordant d’occuper le territoire de Diégo-Suarez et d’y faire « des installations à sa convenance ». L’année suivante, la ville est créée quasiment ex nihilo, comme le montre le plan en damier visible sur l’image.

La rade offre une situation stratégique idéale pour l’installations de la marine française et ouvre la voie à la colonisation de Madagascar. Joseph Joffre, encore simple colonel, est chargé de sa fortification de la ville et la ville de Diégo connait alors une forte expansion.

Pendant près d’un siècle, Diégo est l’un des hauts lieux de la projection impériale française dans l’océan Indien. L’emplacement du site original permet à la base navale de rivaliser avec la formation progressive d’autres bases navales sur le pourtour de l’océan Indien. De la guerre russo-japonaise aux deux conflits mondiaux, dont elle fut d’ailleurs un des principaux théâtres d’opérations en 1942 lors du débarquement britannique contre les troupes vichystes (opération Ironclad), la ville de Diégo joue un rôle géopolitique majeur pour la France dans l’océan Indien.

En 1972, avec l’arrivée de Didier Ratsiraka comme président malgache et le début de la « révolution socialiste », la Légion étrangère quitte définitivement Diégo. L’image permet de mettre en évidence plusieurs installations militaires, aujourd’hui pour beaucoup en ruines, et de cimetières militaires français.

Une ville qui a perdu de sa superbe, mais toujours tournée vers la mer

Après 1972, la ville, dont le nom reprit sa forme originale, continue à croître au milieu des vestiges de son passé et au ralenti, sans jamais vraiment se détacher de sa vocation initiale. Elle abrite actuellement les forces navales malgaches, et continue d’être un point géopolitique clef dans l’océan Indien.

La fonction militaire de la ville a toujours primé, mais le port assure une grande partie du trafic des marchandises sur le plan régional, national et international. Les marchandises y transitant sont le sucre et le sel (pour l'arrière-pays) et les produits d’exportation provenant de la région d’Ambanja comme le cacao.

Aujourd’hui, la pêche est toujours artisanale, mais des activités industrielles se sont développées. Dans les mangroves visibles en vert foncé le long de la baie, s’est développé de l’aquaculture de crevettes. L’industriel PFOI (Pêche Froid Océan Indien) met du thon en conserve – l’emprise spatiale des entrepôts est visible dans le port. C’est aujourd’hui un des gros employeurs de la ville, avec la Compagnie salinière de Madagascar.

L’espoir du tourisme pour tirer l’économie

L’économie de la ville et de sa région est aujourd’hui en grande partie tournée vers le tourisme. La plage de Ramena, qui borde de sable blanc l’est de la baie, est réputée l’une des plus belles de la Grande Île. De l’autre côté de la pointe, la Baie de Sakalava, qui bénéficie d’un régime d’alizés particulièrement constant et régulier, est un haut lieu du kite surf et des sports de glisse. La mer d’Émeraude, lagon dont la teinte turquoise est visible clairement à l’image, fait partie également des grands sites touristiques du nord de Madagascar. C’est sa faible profondeur en eau conjugué aux fonds sablonneux qui explique sa couleur, alors qu’elle est séparée de l’Océan Indien par une barrière de corail.

Enfin, la région vit également de ses parcs nationaux. À l’est de Diego, la Montagne des Français fut en 1895 dernière poche de résistance à la colonisation. C’est aujourd’hui une aire protégée et lieu de randonnée pour admirer le panorama sur la baie. La réserve spéciale de l’Ankarena met en valeur le relief karstiques de pointes aiguës et dépressions fermées et « tsingy » creusés par l’érosion de l’eau. Au sud de Diego, sur la route d’Ambanja puis de l’île de Nosy Be qui constitue un parcours touristique, le Parc national de Montagne d’Ambre a été établi autour de Joffreville, ville de garnison créée par le général Joffre pour la Légion étrangère, aux allures fantomatiques depuis l’abandon du centre d’entrainement a été abandonné en 1973. On voit bien sur l’image le vert foncé de la forêt tropicale humide, sur le relief volcanique qui domine avec ses 1475m le nord de Madagascar.

Ce tourisme, sur lequel l’Etat malgache compte beaucoup en termes de développement économique, est cependant saisonnier. Alors que la saison des alizés se trouve entre la fin mars et la mi-novembre voit affluer la majorité des touristes, la saison cyclonique entre mi-décembre et mi-avril est un risque important pour les populations.  

 

Zooms d’étude

 

Antsiranana : centre historique et rade

Comme le montre bien les images, le promontoir qui porte la ville s’avance entre la Baie Andovobazaha à l’est et l’accès au Cul de Sac Gallois à l’ouest tout en étant protégé par deux longue presqu’îles. Les installations maritimes s’étendent à l’ouest alors que l’anse Melville est entourée de plages.

De la place Joffre à la place Foch. Comme on peut le voir à la toponymie des rues et des lieux, l'urbanisme de la ville est fortement marqué par la présence française. De la Place Joffre à place Foch, la rue Colbert sert de colonne vertébrale. On y trouve à proximité l’Arsenal, l’hôpital, le quartier militaire, les casernes et les résidences des officiers.

La vieille ville. Le village d’Antomboko ou Antsiranana peut être considéré comme le noyau de la ville ou l’ « hypercentre ». Il était composé d’une vingtaine de paillotes malgaches, mais sous les effets de la croissance urbaine et de l’exode rural, le village fait désormais place à une ville qui s’étend désormais de plus en plus vers le sud.

La nouvelle ville. Avec la colonisation, le village est devenu ville. Celle-ci est orientée vers le Nord-Nord-Est et se divise clairement en deux parties. On trouve d’abord l’ancienne ville coloniale : installée initialement ans la « Ville basse » serrée sur quatre hectares autour du port, elle s'est ensuite étendue sur le plateau (rue Colbert, quartier militaire, Place Kabary) puis, plus tard, vers le quartier de l'Octroi (rue Lafayette). On trouve ensuite les nouveaux quartiers d'extension au Sud et l’Université.

Le port et la rade. La base aéronavale d'Antsiranana fut fondée sur un ancien port militaire français. Le Quartier du port porte la marque indélébile du passé militaire et témoigne de la présence de l’ancienne garnison française. Si les trace des bâtiments et des installations de l’ancien colonisateur demeurent, l’indépendance de Madagascar a débouché sur la reconversion en chantier navale de l’ancien Arsenal. On y trouve aussi les installations des forces navales malgaches.

 


Ville et  baies

 

 


Repères géographiques

 

 


Repères géographiques

 

 

Images complémentaires

Les images ci-dessous, ont été prises par le satellite Sentinel-2B le 14 février 2023. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles de résolution native à 10m.

 

 


Vue régionale

 

La passe du Capricorne et l’ouest de la région

 

 

La passe d’Orangéa, l’entrée dans la baie et la Mer d’Emeraude

 

 

L’est et la région de la Fausse Passe

 

 

Le massif Montagnard et forestier de la montagne d’Ambre

 

 

 

Contributrice

Camille Escudé, agrégée et docteure, Science Po Paris.