Colombie - Carthagène des Indes : Cœur touristique et ville-vitrine de la Colombie émergente

Ancien bastion du royaume d’Espagne en Amérique du Sud fondée en 1533, Carthagène des Indes est aujourd’hui le cœur touristique d’une Colombie qui s’ouvre aux voyageurs internationaux. Cinquième agglomération du pays avec un peu plus d’un million d’habitants, la ville est aussi un port actif et un centre industriel important. Elle est surtout devenue la vitrine d’une Colombie émergente mais toujours inégalitaire. Cette région de la côte caribéenne révèle ainsi les défis qui se posent au pays : insertion dans la mondialisation, développement touristique, développement des espaces ruraux souvent délaissés et gestion des premiers effets du réchauffement climatique sur un littoral fragile.

 

Légende de l’image

 

Cette image de la région de Carthagène des Indes sur la côte caraïbe de la Colombie a été prise par le satellite Sentinel-2A, le 21 janvier 2022.  Il s’agit d’une image en couleurs naturelles de résolution native à 10m.

Ci-contre, l'image satelitte présente des repères géographiques de la région.

Contient des informations © COPERNICUS SENTINEL 2022, tous droits réservés.

 


Repères géographiques

 

 

 

Présentation de l’image globale

Carthagène des Indes : dynamiques et mutations

Un site exceptionnel sur la Mer caraïbe, une région littorale périphérique et marginale

L’image couvre une portion de la côte Nord de la Colombie bordée par la mer Caraïbe avec en son centre la ville portuaire de Carthagène des Indes. Dépassant en 2020 le million d'habitants, elle est le chef-lieu du département Bolivar. C’est la cinquième plus grande agglomération de Colombie, et de la deuxième de la zone Caraïbe derrière Barranquilla.  Au centre de l’image, la baie de Carthagène, un site exceptionnel protégé de la houle par l’île de Tierra Bomba, offre un havre aux navires depuis la fondation de la ville en 1533.

Le reste de la zone se distingue par un relief modéré. Nous sommes dans les plaines de la région du Bas Magdalena, un espace mosaïque juxtaposant collines, bas plateaux et plaines alluviales humides et marécageuses. Sur l’image, on distingue bien quelques collines finissant par se transformer en montagnes d’altitude moyenne au sud où les Montes de Maria culminent à 1 000 m. Le reste de la région est assez plat et traversé par une vaste dépression orientée Nord-Est/Sud-Ouest et marécageuse (Cienaga de Guajaro, Qinttanilla, de Maria La Baja..). Atmosphère particulière des marécages, difficultés d’aménagements et de mise en valeur mais richesse potentielle : c’est ici la Colombie que décrit Gabriel Garcia Marquez dans ses grands romans, comme Cent Ans de Solitude ou L’Amour au temps du choléra.

A l’est (image régionale complémentaire) coule le Magdalena. Ce puissant fleuve constitue l’axe vital de la Colombie, et traverse l’ensemble du pays depuis les hautes terres de la cordillère centrale des Andes jusqu’à son embouchure proche de Barranquilla, à l’est de notre zone. Ce fleuve est visible au sud-ouest de notre image. Empruntant une partie de la dépression, le Canal del Dique relie Carthagène des Indes au Rio Magdalena. Long d’une centaine de kilomètres, il fut plusieurs fois (re)construit (1582, 1681) et à nouveau envasé. En 1821, son blocage explique le basculement d’une partie des fonctions portuaires et logistiques de Carthagène vers le port de Barranquilla.

Un littoral entre plages et mangroves

La frange côtière de notre image est majoritairement constituée de plages et de mangroves. Ainsi, au nord de Carthagène, en direction de Punta Canoas, des kilomètres de plage bordées par une forêt tropicale sèche et basse (arbustes, cactus principalement) contrastent avec les zones de mangrove couvertes de palétuviers comme par exemple dans la réserve de la faune et de la flore du Corchal visible au sud de Carthagène. Au sud de la baie de Carthagène, la presqu’île de Baru offre quelques plages, des mangroves et des récifs coralliens aujourd’hui protégés par la création en 1977 du Parc national des îles coralliennes du Rosaire. L’espace du sanctuaire El Corchal couvre le petit delta amphibie du Rio Magdalena qui s’avance dans la mer.

Une mise en tourisme forte, mais sélective

Au-delà du pôle touristique majeur que constitue la ville de Carthagène et ses alentours (voir zoom 1), le littoral Caraïbe colombien est mis en valeur et touristifié, mais de manière encore très sélective. Ainsi, au large de Carthagène, l’île de Tierra Bomba, située à seulement 15 minutes en bateau de la ville, n’est que peu mise en valeur offrant assez peu de plages correspondant aux critères attendus par le touriste de passage. Au contraire, la presqu’île de Baru concentre les hôtels et excursionnistes venus à la journée depuis Carthagène : le trajet en bateau y est plus rapide qu’en transport terrestre. Cette zone affronte aujourd’hui les problèmes liés à une surfréquentation touristique non contrôlée : plages exiguës et surpeuplées, pollutions diverses...

Le reste du littoral connaît aujourd’hui une mise en valeur contrastée. Au nord de Carthagène, de grands projets d’aménagement sont en cours comme par exemple la ville nouvelle de Serena del mar située à la sortie nord de Carthagène qui devrait accueillir 20.000 logements, des hôtels, un hôpital et une antenne de l’université des Andes. Ce projet urbain est avant tout destinée à attirer les investisseurs et une clientèle aisée.
Au sud de Carthagène, le littoral est, en dehors de la presqu’île de Baru, assez peu mis en valeur : les zones de mangroves et de marécages se prêtent davantage à la pénéiculture et aux structures de faibles dimensions liées à l’écotourisme. Tout au sud de notre image, le village de Rincon del Mar est aujourd’hui une des destinations émergentes du littoral colombien, même si les infrastructures permettant d’y accéder sont encore déficientes.

Des espaces ruraux intérieurs en marge : résistances sociales et conflits fonciers

L’intérieur de la région de Carthagène visible sur l’image correspond aux départements de Bolivar et de Sucre plus au sud. Cette zone peut être divisée en deux espaces géophysiques distincts : au nord de Carthagène et au sud de la zone, les collines sont mises en valeur par une agriculture souvent peu productive : tabac, yucca, maïs et riz dans les plaines.

Historiquement, cette région littorale a été une zone de repli pour qui voulait fuir le pouvoir central, le colon ou le grand propriétaire. Ainsi, le village de San Basilio de Palenque, situé à 60 km de Carthagène et visible au centre sud de notre image est devenu le symbole de la résistance d’anciens esclaves. Ce palenque - village fortifié habité par des esclaves en fuite, les marrons - a été le premier à être fondé en 1603. Longtemps coupé du monde et volontairement autarcique, les palenqueros sont aujourd’hui au cœur de la revendication d’une identité afro-colombienne. En 2005, « L’espace culturel de Palenque de San Basilio » était proclamé « chef-d'œuvre du Patrimoine Oral et Immatériel de l'Humanité » par l'UNESCO.

Plusieurs facteurs expliquent la faible mise en valeur de la zone : sécheresse récurrente et insécurité en premier lieu. La zone n’est pas totalement contrôlée par l’État central et les revendications foncières autour du contrôle et de la mise en valeur des terres y expliquent des affrontements récurrents. Ainsi en l’an 2000, dans les Montes de Maria, le massacre de Macayepo voit l’assassinat de dizaines de paysans par des milices d’extrême-droite commanditées par de grands propriétaires terriens de la zone.

Zones humides, delta du Magdalena

L’autre ensemble régional est constitué d’une succession de zones humides : les Ciénagas (marais en français). Cette région s’inscrit dans une vaste zone qui correspond au delta du Magdalena. En effet, ce puissant fleuve colombien - qui se jette dans la mer Caraïbe - s’ouvre en un delta. De même, à l’ouest de notre image la région de la rivière Sinu a été l’objet d’une mise en valeur original par une population précolombienne.

Comme le montre bien l’image, Carthagène des Indes, site portuaire remarquable, n’est pas située à l’embouchure du fleuve Magdalena, mais 15 à 20 km plus au nord du fait des processus d’accumulation dans cette côte basse et amphibie. Cette situation explique qu’aujourd’hui le plus grand port de la côte Caraïbe soit à Barranquilla, . Conscient de la nécessité de connecter Carthagène à l’axe pénétrant de la Colombie (permettant d’accéder aux villes de l’intérieur, Bogota en tête, même si la fin du parcours vers la ville des Andes est complexe), les conquistadors espagnols ont entrepris la percée d’un canal de 106 km de long pour relier la baie de Carthagène au fleuve Magdalena : le canal del Pique. Il est visible sur le sud de notre image. C’est au final son abandon périodique qui a détourné le commerce vers Barranquilla et Santa Marta plus à l’est.
 
Un littoral, entre dynamiques d’érosion et effets du changement climatique

La région littorale de Carthagène est particulièrement exposée aux effets croissants du changement climatique : augmentation des épisodes cycloniques, inondations plus fréquentes, hausse du niveau de la mer, sécheresse accrue à l’intérieur de la zone. Ainsi, une hausse du niveau de la mer de 15 à 20cm envisagée pour 2040 par certains experts toucherait de nombreux quartiers de la ville (voir zoom 1) et pourrait faire disparaître de nombreuses plages. Dans la presqu’île de Baru, les effets dus à la montée de la mer sont déjà visibles et les installations visant à diminuer l’impact de cette hausse dérisoires.

Ils posent la question de la viabilité de l’activité touristique sur le long terme. On estime en effet que 60 % du littoral de la région de Carthagène présente un risque fort d’érosion côtière et que 25 % de la population pourrait être touchée lors des marées hautes par des inondations récurrentes (cf. zone du Barrio caiman ou Herrera par exemple visibles sur le zoom 1).

 

Zoom d’étude

 

La ville de Carthagène des Indes

La ville-centre historique : mutations, touristification gentrification

La ville de Carthagène est un pôle organisant le territoire colombien pour plusieurs raisons : première destination touristique du pays, la ville est aussi un port actif qui s’appuie sur une zone industrielle en croissance. Fondée en 1533 par le conquistador Pedro de Heredia, l’usage de l'épithète « des Indes » permet de la différencier de son homonyme espagnol. Carthagène se déploie au nord d’une baie protégée de la houle permettant le développement d’un des ports majeurs de l’Empire colonial espagnol. La ville, porte d’entrée de la vice-royauté de Nouvelle Grenade, est un centre de traite majeur, près de 300 000 esclaves débarquent ainsi dans le port jusqu’au XIXe siècle.

La ciudad amurallada (ville fortifiée) visible sur l’image garde les traces de cette époque coloniale, principalement du XVIe au XVIIIe siècle, au sein de son plan hippodamien. Au sud de cette ville entourée de 12 km de remparts, le quartier de San Pedro était celui de l’administration, s’y trouvent la cathédrale et le palais de l’inquisition ; au nord de la ville historique, le quartier de San Diego était celui des marchands. Cette zone a connu, principalement depuis les années 1980, une touristification accélérée chassant en retour les classes populaires de la ville. Ce ne sont aujourd’hui que commerces haut de gamme, hôtels et locations Airbnb. Même l’ancienne arène espagnole (tauromachie) a été transformée en centre commercial. Carthagène des Indes est classée au patrimoine mondial de l’humanité depuis 1984. Mais l’UNESCO dénonce régulièrement certaines modifications de la ville ou quelques constructions récentes proches du centre ancien qui pourraient menacer l’authenticité de l’ensemble.

A proximité de la ville fortifiée, le quartier de Getsemani, ancien quartier populaire et artisanal, connaît aujourd’hui une gentrification et touristification forte qui laisse penser que la présence des familles de classes populaires ne durera pas. S’y développent aujourd’hui une offre de logement plus accessible attirant les nombreux “backpackers”. Au nord de la ville, l’aéroport Rafaël Núñez, enserré dans le tissu urbain et proche de la cienaga (lagune, marais) de la Vierge, accueille plus de 5 millions de passagers en 2021 et se place à la 3ème place des aéroports colombiens derrière celui de Bogota et de Medellin. Cette infrastructure joue un rôle évident dans le succès de la destination et sa connexion au reste du monde.

Une agglomération aux fortes ségrégations socio-spatiales

Au-delà des quartiers historiques, la ville présente une ségrégation socio-spatiale forte : vers la Boquilla mais surtout sur la presqu’île de Bocagrande, l’urbanisme devient vertical donnant à Carthagène des allures de Miami latino. Les promoteurs attirent ici des investisseurs nationaux et internationaux (Etats-Unis, Venezuela) dans une région où l’immobilier est souvent aussi un moyen de blanchir de l’argent à l’origine douteuse. En plus du centre historique, c’est dans cette zone que descendent les 2 à 3 millions de touristes qui visitent Carthagène chaque année. 70 % du PIB de Carthagène serait lié au secteur touristique.

Ailleurs, les quartiers sont parfois occupés par des classes moyennes (Manga) ou autour de la Popa (colline culminant à 160 m où a été construit un monastère au début du XVIIe siècle), mais le plus souvent par les classes populaires (Barrio Galan, Barrio Caiman, Barrio Herrera). Ici, l’urbanisme devient horizontal et souvent informel, la trame urbaine se fait plus confuse, une partie des axes n’est pas asphaltée. La pauvreté monétaire à Carthagène est plus forte qu’ailleurs en Colombie : elle touche 26 % des habitants en 2015, contre 10 % par exemple à Bogota. Carthagène est la 4ème ville la plus inégalitaire du pays.

Un puissant pôle industrialo-portuaire

La baie de Carthagène constitue une des portes d’entrée de la Colombie. Le port n’est pas aujourd’hui le plus important de Colombie : Buenaventura sur la côte pacifique accueille les marchandises venant d’Asie, Barranquilla plus à l’est le dépasse pour les hydrocarbures. Toutefois, Carthagène reste le 1er port de croisière en Colombie et au sud de la ville,une vaste zone industrialo-portuaire se déploie sur la baie. Deux terminaux de conteneurs font du port le second port de conteneurs du pays. Ecopetrol, l’entreprise nationale d’hydrocarbure possède aussi un terminal pétrolier dans la zone. Enfin, ce sont de multiples zones franches qui ont été créées autour de ces installations à partir des années 1990.

L’agglomération et ses alentours

L’image de l’agglomération et ses alentours permet de voir la pluralité des activités visibles dans la région. Les activités portuaires et industrielles se concentrent au sud de la ville dans la baie de Carthagène. Cette image permet de mieux observer l’organisation de la baie de Carthagène : deux passes permettent d’y accéder, celle de Bocagrande (grande passe, grande bouche en français) avait été à l’époque de la colonisation condamnée par un mur sous-marin pour forcer les navires à passer par la passe de bocachica (petite passe, petite bouche en français) plus au sud qui était plus facilement contrôlable. Tout un système de fortification autour de ces passes et à proximité du port a été construit par les Espagnols au XVIe et XVIIe siècle. La forteresse San Felipe de Barajas à proximité de la ville fortifiée en était la pièce maîtresse. L’ensemble des fortifications ainsi que les remparts et la vieille ville sont classés au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1984.

Les activités touristiques, au-delà de la ville historique, se déploient principalement sur la presqu’île de Baru, cette zone constitue une partie d’un parc national créé en 1977 : le parc national des îles coralliennes du rosaire et de San Bernardo. Destiné à freiner la bétonisation de la zone, en particulier sur les îles coralliennes de taille réduites et sur la presqu’île de Baru, le parc accueille en 2020 plus de 1,5 millions de visiteurs et permet aux opérateurs de diversifier l’offre touristique disponible depuis Carthagène : la majorité des touristes venant en bateau depuis la ville historique.

Avec une fréquentation en forte croissance, c’est aujourd’hui le parc naturel le plus fréquenté de Colombie. Certaines zones comme l’île principale d’Isla grande connaissent une fréquentation problématique. Autre zone très fréquentée, la plage de Playa Blanca au début de la presqu’île de Baru, connaît une surfréquentation (tourisme national et international) qui pose aussi la question de la réglementation à ces espaces fragiles.

D’autres activités sont aussi visibles sur ce zoom, par exemple au sud de la presqu’île de Baru, l’élevage de crevettes (pénéiculture) transforme le littoral par la création de fermes aquacoles : cette filière, qui est concurrencée par les pays asiatiques, est cependant toujours porteuse d’un développement local.

 


Repères géographiques

 

 

 

 

Image complémentaire.

 

 

 

Carthagène des Indes dans son cadre régional

 


Repères géographiques

 

 

Références ou compléments

Bibliographie

V.GOUESET et E. MESCLIER Villes et sociétés en mutation, Lectures croisées sur la Colombie, Anthropos/Collection Villes, 2004.

J.M BLANQUER, La Colombie, Que Sais-je, PUF, Paris, 2017.


Sitographie

www.dane.gov.co

http://www.cartagenacomovamos.org

 www.metropol.gov.co

https://www.parquesnacionales.gov.co

https://www.cartagena.gov.co

Contributeur

Alexandre Duchesne, professeur en CPGE, Lycée de Sada, ancien professeur au lycée français de Bogota
Phtographies de C. Dominguez