« Va voir si Douarnenez n’est pas…au centre du monde. Possible que ceux du Guilvinec ou de Saint-Denis pensent autrement, nous avons sur la question des lumières personnelles. » Tempête sur Douarnenez, Henri Queffélec, 1951
Une vaste baie, un port de pêche, une petite ville, une côte qui alterne plages et promontoires rocheux… Dans l’arrière-pays, un bocage profondément transformé par une agriculture intensive basée sur l’élevage… Autant de faits géographiques qui structurent nombre de représentations mentales sur la Bretagne et qui tiennent autant du stéréotype que de phénomènes réels mais incomplets pour saisir la complexité des lieux de ce « finisterre ». Car, une grande diversité de situations spécifiques prévaut. Douarnenez perd des habitants, l’agriculture se diversifie, le tourisme s’impose dans une économie de plus en plus présentielle alors que le pays douarnenézien, à l’extrême ouest de la péninsule bretonne, doit nécessairement s’affirmer pour éviter de se retrouver en position d’entre-deux périphérique, entre deux territoires - Pays Bigouden et Pays Brestois – a priori plus dynamiques.
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Douarnenez, sa baie et son arrière-pays : un espace littoral de confins péninsulaire, pluriel et en mutations
La Baie de Douarnenez est un vaste rentrant maritime largement ouvert sur la Mer d’Iroise et qui se prolonge, dans l’intérieur des terres, par un bassin topographique tapissé de schistes et de grès. L’ensemble est borné au nord et au sud par des lignes collinéennes : la presqu’île de Crozon au nord et une forte armature granitique, visible à travers la permanence de quelques petites forêts (Bois du Névet, Forêt du Duc) qui s’allonge au sud jusqu’au cap Sizun.
Ville de moins de 20.000 habitants, Douarnenez est nichée au fond de sa baie éponyme. Historiquement porté par la pêche à la sardine, le port a vu ses trafics se diversifier mais surtout s’infléchir. L’impact économiquement structurant de la filière halieutique s’atténue dans une ville dont la maritimité transparait aussi à travers les activités nautiques et touristiques.
La mise en tourisme de la région repose d’abord sur un capital géomorphologique majeur : la baie de Douarnenez offre une ressource paysagère remarquable, symptomatique de la diversité du trait de côte breton. Sa richesse en termes de biodiversité rajoute à l’attractivité des lieux.
Ville de services, Douarnenez polarise des campagnes qui, à l’instar des espaces ruraux du Grand Ouest, peuvent être qualifiées de vivantes. Leur dynamisme procède d’abord d’une forte dimension agricole. Quête de productivité maximale et logiques d’intensification caractérisent encore une agriculture d’abord orientée sur un poly-élevage associant des spécialisations sur l’élevage bovin, prioritairement laitier, à des élevages avicoles et porcins en hors-sol.
Toutefois, ce modèle agricole breton ne peut plus être réduit à cette seule stratégie agroindustrielle. Les espaces ruraux sont en phase accélérée de diversification productive : développement de l’agriculture bio, démarche de certification de qualité, essor des formes de poly-fonctionnalité sont autant de dynamiques qui traversent les campagnes de Bretagne – lesquelles illustrent pleinement que l’agriculture doit désormais s’appréhender en une sphère agricole multiforme.
Le rapport de l’agriculture au paysage s’en ressent. Les externalités environnementales négatives de l’élevage intensif demeurent prégnantes jusque sur le trait de côté (prolifération algale) et sont la conséquence de la logique mécaniste et simplificatrice des systèmes agro-industriels. Longtemps considéré comme une entrave à la modernisation de l’agriculture, le bocage est désormais perçu comme un patrimoine riche par sa biodiversité et économiquement porteur.
De fait, le pays douarnenézien est marqué par plusieurs périmètres de protection dont le plus important est sans conteste le Parc naturel marin d’Iroise. Ceux-ci s’inscrivent dans la diversité de l’espace littoral, aussi bien maritime que continental, et procèdent de différentes logiques et de maints acteurs qui assurent leur pilotage.
Toutefois, évoquer Douarnenez revient nécessairement à replacer la ville et ses environs dans un espace breton multidimensionnel. Or, dans cette logique, le territoire de la Cornouaille occupe une position de confins péninsulaire – puisqu’il forme l’un des « finis-terres » côtiers du Grand Ouest français – et de territoire périphérique. Car les villes de la Bretagne occidentale, ce sont d’abord Brest, Quimper, voire Rennes et un dense réseau de villes moyennes La polarisation de la pêche favorise essentiellement les ports du pays Bigouden (Le Guilvinec), de Concarneau et de Lorient. Les ports de commerce bretons les plus dynamiques sont localisés à Lorient et plus encore à Brest – dont la prééminence géostratégique est renforcée par le positionnement in situ de 42 bâtiments et 3.000 marins de la Marine nationale, soit un quart de la flotte de guerre nationale.
Et sur le plan touristique, les côtes de Cornouaille et de la Mer d’Iroise n’ont peut-être pas la notoriété des côtes de Granit Rose, d’Emeraude ou d’Amour. Dès lors, l’enjeu majeur pour Douarnenez et sa région réside dans la nécessité d’adopter des stratégies idoines pour valoriser les avantages comparatifs locaux afin de dépasser la situation d’un espace en position périphérique, plus traversier que central.
Zooms d’étude
La baie de Douarnenez : une mer protégée, un trait de côte partiellement préservé
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Un rentrant maritime fécond et protégé par le Parc naturel marin d’Iroise
La baie de Douarnenez ; dont l’image présente son extrémité sud-est, est un vaste rentrant maritime de 260 km², large d’une quinzaine de kilomètres et d’une longueur n’excédant pas les 20 km. De relativement faible profondeur (30 mètres au maximum), elle ennoie un vaste synclinal essentiellement constitué de sédiments sableux reposant sur des terrains très anciens, des schistes briovériens paléozoïques.
La richesse de la biodiversité locale est grande dans la mesure où plusieurs facteurs la favorisent. Les herbiers de zostères qui tapissent une partie des fonds marins constituent des zones favorables à la reproduction des espèces marines. Les fonds sableux sont des aires où se développent des organismes fouisseurs (vers annélides) et des espèces diverses comme les ophiures. La baie est riche en plancton, base première des chaines trophiques de l’espace maritime.
De fait, ce sont 130 espèces de poissons qui ont été recensées en mer d’Iroise. Bars, maquereaux et dorades y sont présents en été pour s’y reproduire, alors que l’hiver morues, églefins et lieux noirs y sont fréquents. Néanmoins, ce sont d’abord les sardines que l’on trouve dans la baie à partir de l’automne et qui ont fait la richesse, l’activité économique, voire l’identité de Douarnenez (leurs habitants sont d’ailleurs surnommés les « Penn Sardinn »).
Depuis 2007, la baie est intégrée - non sans mal tant les conflits d’usages et d’acteurs ont été grands - dans le Parc naturel marin d’Iroise. Pilotée par un Conseil de gestion associant des représentants de l’Etat et des acteurs locaux, dépendante de l’Agence française pour la biodiversité, cette structure pose un cadre nouveau en termes de gouvernance des pratiques de protection des espaces maritimes. Depuis, huit autres parcs naturels marins ont été créés.
La mission du Parc se décline autour d’une série de dix objectifs principaux appelés « orientations de gestion » et qui peuvent être résumés en quelques grandes logiques : protéger les écosystèmes, réduire les impacts négatifs de l’anthropisation, approfondir les connaissances scientifiques sur le milieu marin et veiller à un développement durable des activités économiques littorales et péri-littorales ainsi qu’à leur meilleure intégration dans des écosystèmes fragiles.
Un fond de baie géomorphologiquement complexe, riche de sa biodiversité et de ses ressources paysagères
Le trait de côte se caractérise, en fond de baie, par une alternance de promontoires rocheux et de petites plages. Taillées dans les schistes, les falaises surplombent la mer de plusieurs dizaines de mètres. Sur les côtes basses, les sables abondent, ponctuellement mêlés à de la vase sur certains secteurs - ces petites vasières se retrouvant dans la toponymie à travers le terme « palud » (Sainte-Anne-la-Palud par ex.), et leur accumulation forme de vastes plages dans les anses de la baie. Sur les estrans sableux, grouillent des vers marins arénicoles, des mollusques bivalves, des palourdes… Bref, tout un ensemble d’êtres vivants qui contribuent à la richesse de l’écosystème côtier.
Bien visibles sur l’image, plusieurs plages sableuses sont alignées depuis Douarnenez (plages du Ris, de Trezmalaouen, de Kervel) jusqu’au promontoire de la Pointe de Tréfeuntec. Chacune est séparée l’une de l’autre par de petits pointements rocheux, les « Beg » (Begar Garreg, Begar Véchen). Sur le zoom 1, cette juxtaposition de segments rocheux et sableux apparaît avec netteté, les deux plages du Ris et de Trezmalaouen étant séparées par les petites falaises de Kastell ar Bardeg.
Sur la plage de Sainte-Anne, l’arrière du trait de côte se singularise par des formes d’accumulation sableuse ayant engendré un petit massif dunaire. Colonisé par des espèces végétales archétypiques halophiles et psammophiles (oyat, chardon bleu, chiendent des sables, immortelle des sables), et fortement dégradé (camping sauvage, moto verte), il est aujourd’hui protégé dans le cadre d’une ZNIEFF (Zone naturelle d’intérêt faunistique et floristique)
En soi, la diversité paysagère suffirait à justifier une attractivité touristique conséquente. Mais la richesse de la biodiversité est aussi régulièrement mise en avant dans les pratiques de marketing territorial. L’avifaune suscite un intérêt ornithologique certain lié à l’observation d’oiseaux venant hiverner dans la baie (macreuses noires, pluviers, bécasseaux sanderling, barges rousses), ou présents pour la reproduction (puffins, guillemots…). L’éventualité d’observer des espèces marines rares (requins, raies, dauphins, marsouins, phoques gris) suscite aussi l’intérêt des touristes et des résidents.
Du reste, plusieurs associations (Bretagne Vivante, Association Grumpy Nature, Association Baie de Douarnenez Environnement…) traduisent la vitalité de la société civile locale et son attention aux questions environnementales. Elles se font fort de protéger ce remarquable patrimoine paysager et vivant et organisent régulièrement des visites de groupe afin de découvrir la diversité de la faune et de la flore.
Ces pratiques entrent en résonnance avec des formes de tourisme alternatif, résolument tournées contre l’esprit du tourisme balnéaire de masse. Le « Seawatching » apparait désormais dans les prestations offertes par certains acteurs de la filière touristique. C’est le cas de plusieurs gîtes qui proposent à leurs hôtes des visites découvertes des écosystèmes côtiers de la baie. Douarnenez et ses environs s’inscrivent alors dans les logiques d’un tourisme scientifique basé sur l’observation et la protection des espèces.
Des paysages constitutifs de l’identité locale marqués par des formes d’anthropisation ponctuelles mais aussi traumatisantes
Une lecture rapide de l’image satellitale peut conclure à une faible anthropisation du littoral. Les modes de mise en tourisme du linéaire côtier sont peu prégnants : ils se résument surtout à la ville de Douarnenez. Le trait de côte, aux multiples plages, est longé par le chemin de grande randonnée GR 34. Ainsi, au sud de la pointe de Tréfeuntec, la plage de Kervel est l’une des plus vastes de la baie. Les estivants disposent de plusieurs parkings clairement visibles sur l’image. Des campings ont été installés à proximité de la plage. Plusieurs lotissements de résidences pavillonnaires (cf. lieu-dit Kervel Vihan) se sont développés, pour des résidents en partie saisonniers.
L’empreinte touristique sur la côte semble donc assez légère. Car la Bretagne a évité certains projets grandioses d’aménagement touristique. En 1969, l’urbaniste Jean Le Couteur - qui avait notamment supervisé l’érection de la station languedocienne du Cap d’Agde - propose un plan de mise en tourisme de la baie reposant sur la construction de marinas. L’objectif affiché était notamment de construire six ports de plaisance ex-nihilo et d’en aménager deux à partir d’infrastructures préexistantes. Selon les projections réalisées, la baie devait accueillir 150.000 estivants en 1985 et plus du double en 2000. L’obstination des populations locales à récuser ce type d’aménagement-déménagement de l’espace côtier a fortement contribué à faire achopper le projet.
Ces lieux, a priori préservés d’agressions majeures, participent pleinement de l’identité locale, de ses traditions et de ses mythes. A Douarnenez, l’île Tristan abriterait, selon la tradition locale, les tombes des deux figures médiévales de Tristan et d’Yseult. Militairement fortifiée en une succession historique d’ouvrages construits depuis les oppidums gaulois jusqu’au fort Napoléon de 1859, l’île s’enrichit grâce à l’industrie sardinière puis devient un lieu de villégiature pour la famille parisienne Richepin, très liée au monde du théâtre et de la mode durant l’Entre-deux-Guerres.
Agriculture intensive, pollutions des eaux et prolifération des ulves (algues vertes)
Or, ce littoral à la forte charge identitaire pour les populations locales est aussi marqué par une pollution majeure. Sur l’image, des écharpes grisâtres/verdâtres sur les plages soulignent la présence en abondance d’algues stagnantes. La prolifération des ulves (algues vertes) est un problème récurrent en fond de baie.
Trois facteurs combinés expliquent la vulnérabilité de cette zone à ce pullulement : une baie au calme avec des eaux relativement confinées ; une température de l’eau clémente avec une clarté suffisante pour le développement des algues et une surcharge en azote de l’eau des petits fleuves côtiers (le Névet, le Ty an Taro, le Lapic) qui entraîne un processus d’eutrophisation.
Cette pollution est liée aux systèmes agricoles de la côte qui sont les pourvoyeurs en azote (via les épandages en plein champ d’engrais et lisiers) des eaux d’écoulement. Il s’ensuit aussi une autre source de nuisance : des pollutions bactériologiques. Les eaux sont parfois contaminées à l’Escherichia Coli ce qui a par exemple conduit les autorités locales à interdire définitivement, en janvier 2019, la baignade sur la plage du Ris.
Selon les experts, cette pollution est liée à la saturation des prairies en déjections bovines lesquelles contaminent bactériologiquement les eaux de pluie qui s’écoulent vers le réseau hydrographique. Car les systèmes d’élevage dans l’arrière-côte restent intensifs et productifs, avec de fortes charges animales à l’hectare.
L’arrière-pays agricole : les transformations de l’agrosystème breton
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Un modèle agro-industriel qui demeure
De prime abord, il convient de rappeler que la Bretagne demeure la première région productrice de produits alimentaires animaux : elle cumule, en 2017, 56 % de l’abattage des porcs en France, 36 % de celui des veaux, 33 % de l’abattage des volailles et 21 % des gros bovins. Et les campagnes de Douarnenez participent pleinement d’une agriculture productiviste centrée sur l’élevage intensif.
Ainsi, comme le démontre le zoom, au nord-ouest du gros village de Plonévez-Porzay (1.769 habitants en 2016), les systèmes agraires bretons associent un paysage de bocage, sur un terroir de plateaux aux sols profonds, à un agrosystème focalisé sur un poly-élevage complexe au cœur de campagnes agricoles assez densément peuplées (61 hab/km2).
Le peuplement est semi-dispersé : de gros bourgs ruraux constituent les chefs-lieux des communes et la dispersion prend la forme de nombreux hameaux (cf. au nord, celui de Lanzent) mais, plus encore, d’un très grand nombre de fermes à l’écart aux toponymes « ker » et « ty » récurrents.
Ces bas-plateaux à 60 à 90 mètres d’altitude offrent des conditions topographiques plutôt favorables : peu de pentes, des sols de décomposition de roches - essentiellement schisteuses et gréseuses – plutôt profonds et fertiles mais aussi sensibles au lessivage. Ces paramètres constituent une base agronomique avec laquelle les agriculteurs composent.
Ceux-ci sont d’abord des éleveurs qui, depuis les années 1960, ont joué la carte du productivisme et de l’intensivité dans leurs logiques productives. Les fermes en témoignent, dans leurs bâtiments et leur organisation interne. Ce sont pour l’essentiel des exploitations agricoles de taille intermédiaire (61,5 ha en moyenne sur la commune de Plonévez-Porzay). De façon récurrente, les fermes disposent de stabulations bovines destinées à l’élevage de vaches laitières de race essentiellement Prim Holstein (à hauteur de plus de 82 % en Bretagne) car leurs rendements laitiers sont très élevés. A l’échelle de la région, les cheptels bovins aux très gros effectifs restent rares : 88 % des exploitations laitières disposent, en 2017, de moins de 100 vaches.
Mises à l’herbe une partie de l’année dans certaines exploitations, les bêtes paissent dans des prairies naturelles qui ne représentent qu’une petite part de la superficie agricole (moins de 3 % sur la commune de Plonévez-Porzay, 8 % dans le canton de Douarnenez). Car, le plus souvent, les bêtes, alignées en stalles (paillées ou sur caillebotis), sont élevées en stabulation (libre ou entravée) et sont nourries avec des céréales fourragères (orge et triticale) au premier rang desquelles figure le maïs d’ensilage.
Plus visibles encore, les élevages hors-sols s’inscrivent dans les paysages au travers de leurs longs bâtiments de forme rectangulaire. Ils sont le marqueur paysager archétypique du productivisme et contribuent, dans la statistique agricole, à faire exploser les seuils d’intensification agricole. Sur la commune de Plonévez-Porzay, le recensement agricole comptabilise 12.140 UGB (Unité gros bétail), soit près de 5 UGB à l’hectare et surtout 190 UGB par hectare de STH (superficie toujours en herbe).
Positionnés en barrettes alignées, ces bâtiments hors-sols contribuent à artificialiser fortement les paysages ruraux par leurs superstructures métalliques (quand certaines stabulations bovines réhabilitent le bois comme matériel de construction). Pour l’essentiel, ce sont des poulaillers industriels pour l’élevage des poulets de chair ou des poules pondeuses. Ce sont aussi des porcheries industrielles dans lesquelles sont élevés des truies-mères et des porcs charcutiers. Le confinement des animaux permet d’augmenter la charge animale : en 2017, à l’échelle de la région Bretagne, 85 % des ateliers disposent d’au moins 100 truies-reproductrices.
Dans cette région, les terres labourables, largement dominantes dans l’espace cultural, sont donc exploitées au service de l’élevage. Elles doivent permettre de produire à la fois des grains pour alimenter les bêtes et de la paille qui peut être intégrée aux rations alimentaires mais qui est également utilisée pour assurer la litière des bovins dans les stabulations.
Quant aux animaux, ils sont sacrifiés dans les gros abattoirs bretons que l’on recense à relativement faible proximité (Bigard à Quimperlé pour les bovins et les porcs, France Poultry à Châteaulin pour les volailles, Socopa Viandes et Jean Hénaff pour les porcs à Châteauneuf-du-Faou et à Pouldreuzic). Et le lait est traité dans les puissantes laiteries qui appartiennent soit à des groupes privés – Lactalis au premier chef – soit à grandes coopératives (Laïta à Ploudaniel).
Des agrosystèmes conventionnels en mutations
Les systèmes agricoles bretons sont aujourd’hui traversés de dynamiques économiques ambivalentes et dont les paysages sont les marqueurs. La première réside dans la poursuite du mouvement productiviste d’intensification des systèmes d’élevage et de culture conventionnels. Le grand nombre d’exploitations dans les campagnes bretonnes ne doit pas celer un long processus de concentration foncière et d’accroissement de la taille des cheptels et qui repose, notamment, sur des modes d’agriculture sociétaire. La constitution de GAEC (Groupements agricoles d’exploitation en commun), d’EARL (Entreprises agricoles à responsabilité limitée) et de SCEA (Société civile d’exploitation agricole) permet de mutualiser les initiatives productives et les stratégies économiques d’exploitations agricoles qui conservent une dimension familiale.
A cet égard, certaines exploitations se caractérisent par une importante emprise au sol, liée à la différenciation fonctionnelle des bâtiments : corps de ferme d’habitation, stabulations bovines, ateliers de traite attenant, silos horizontaux pour le stockage et la fermentation du maïs d’ensilage, hangars pour le stationnement des matériels de cultures, poulaillers industriels et/ou porcheries hors-sols.
Toutefois, il ne faut pas voir les modèles agricoles conventionnels comme strictement figés. Ils évoluent, avec notamment une volonté de mieux s’ajuster aux terroirs de production, non seulement pour éviter les affres de traumatismes écologiques prégnants mais aussi pour mieux en tirer parti dans un sens d’optimisation économique des coûts de production. A cet égard, parmi les enjeux actuels dans le monde de l’élevage, figure la quête d’une plus grande autonomie fourragère des exploitations. Ce qui suppose de dépasser la simple culture du maïs d’ensilage pour entrer dans des systèmes de culture de plantes fourragères aux rotations complexes (légumineuses, graminées) tout en réhabilitant les prairies naturelles où les animaux sont mis à paître.
Sur le zoom, la diversité des couleurs explicite bien la diversité des assolements culturaux. De nombreux champs sont à nus, en attente d’ensemencement ou fraichement ensemencés. D’autres, en vert, portent des cultures à divers stades végétatifs. Pour les bovins, les STH (superficie toujours en herbe) relèvent de prairies naturelles qui forment la base des systèmes herbagers mais aussi de prairies semées (ray grass, fétuques, foin) dont les plantes, qui fournissent l’alimentation du bétail, sont d’abord fauchées, andainées puis mises en balles rondes ou en bottes cubiques – qui sont parfois enrubannées dans des films plastiques afin de faciliter leur conservation.
Ces mutations productives s’inscrivent pleinement dans les évolutions environnementales d’une agriculture française plus soucieuse de respect des écosystèmes. A l’échelle régionale, des opérations de lutte contre les pollutions d’origine sont lancées depuis les années 1990. En 2018, démarre, sous la houlette de la Préfecture de Bretagne, la mise en œuvre du 6ème « Programme d’actions régional en vue de la protection des eaux contre la pollution par les nitrates d’origine agricole ».
Adoptée à l’échelle européenne en 1991, la Directive Nitrates impose aux éleveurs de drastiques normes environnementales (plan d’épandage des lisiers, plantation de bandes enherbées pièges à azote autour des parcelles ...). En outre, le « verdissement » de la PAC en cours depuis 1992, le principe de l’éco-conditionnalité dans le versement des subventions agricoles (droits à paiement de base), la nécessité d’appliquer les MAEC (Mesures agroenvironnementales et climatiques) définies conjointement à Bruxelles et Paris et qui imposent par exemple aux fermes de définir des SIE (Surfaces d’intérêt écologique), le versement des « paiements verts » (lorsque les exploitation maintiennent les prairies permanentes, varient les assolements et entretiennent des SIE) sont autant de catalyseurs dans l’avènement d’une agriculture plus raisonnée, fût-elle conventionnelle.
Systèmes productifs alternatifs et bocage patrimonialisé : un modèle agricole intensif dynamique
La région agricole de Douarnenez, tout comme la Bretagne dans son ensemble, connaît de profondes transformations. A l’heure où le modèle agricole breton est l’objet de critiques environnementales et peine en termes de compétitivité face aux agrosystèmes industriels nord-européens (Pays-Bas, Danemark, Allemagne), les campagnes du Grand Ouest suivent des trajectoires de diversification productive et commerciale en valorisant notamment les ressources du local.
A l’échelle de la ville, des AMAP (Associations pour le maintien de l’agriculture paysanne) se sont constituées, permettant de construire des circuits de vente directe du producteur aux consommateurs. A Douarnenez, « L’AMAP du chant des fées » fut ainsi créée dès 2007 et renforce les logiques de vente directe déjà existantes (notamment la tenue de marchés hebdomadaires en ville). Chez les agriculteurs-paysans, la diversification des productions est de mise. Ces filières courtes valorisent les productions animales mais permettent aussi de diversifier l’une des traditions productives de la Bretagne littorale : la culture des légumes.
En effet, la richesse de certaines terres, la présence d’amendements marins naturels sur le trait de côte (maërl et goémon), la relative proximité du marché urbain parisien ont fait dès la fin du 19ème siècle du littoral breton une « ceinture dorée » agricole spécialisée sur les productions maraichères. Aujourd’hui, cette permanence demeure : le département du Finistère compte 10 % des surfaces légumières françaises (choux-fleurs, tomates, artichauts).
Certes, les logiques de culture restent d’abord conventionnelles, orientées vers les circuits de commercialisation (inter)nationaux ou vers les industries de transformation. D’autant que de grandes unités de traitement sont implantées dans un rayon d’une centaine de kilomètres autour de Douarnenez : Bonduelle à Rosporden (plus grande unité « frais » du groupe en Europe), Peny à Saint-Thurien (conserverie) ou Perlys à Locoal-Mendon.
Mais la « ceinture dorée » connait aussi des formes de réorientation vers des logiques alternatives. Les circuits commerciaux courts se développent et le « bio » fait une percée remarquée en Bretagne : dans la région, plus de 4.000 hectares de légumes sont certifiés AB (Agriculture biologique) sur une superficie légumière totale de 38.000 hectares.
Ces formes d’agriculture réhabilitent une notion agronomique majeure : le terroir. Plusieurs signes de qualité et d’origine ont été délivrés par l’INAO (Institut national de l’origine et de la qualité) en Bretagne. Culture ancestrale, jadis synonyme d’arriération agricole, le sarrasin (blé noir) profite d’une IGP (indication géographique protégée) qui réhabilite une production désormais réintégrée dans les rotations culturales végétales. Dans l’élevage, des races locales sont remises à l’honneur, tel le Coucou de Rennes dans la production de poulets de chair ou la race Bretonne dans l’élevage bovin (que la généralisation de la Holstein dans le secteur laitier avait failli faire totalement disparaître).
Pour les éleveurs, la présence de petites structures agro-alimentaires est un atout majeur : des entreprises ont ciblé la collecte de lait bio (Biolait, Triballat Noyal) et, dans le sud-Cornouaille, les interprofessions agricoles associées aux intercommunalités de la zone s’efforcent de relancer l’abattoir de Pont-Croix – en jouant sur de petits volumes dans un souci de produire une viande locale, de qualité dans le respect de la bientraitance animale. Profitant d’une AOP (Appellation d’origine protégée), le cidre de Cornouailles démontre que le pommier reste toujours un arbre emblématique de l’agriculture et des paysages du Grand Ouest français.
Caractérisé par ses haies, ses chemins creux et ses parcelles irrégulières, le bocage breton est certes un paysage mais aussi un emblème régional et un révélateur des mutations agricoles de ces dernières décennies. Les champs s’inscrivent dans un parcellaire profondément remanié. Visiblement, en de nombreux lieux, de grandes parcelles ont été créées par remembrement de petites pièces et les haies formant le bocage ont été arrachées. La région Bretagne a perdu 60 % de son linéaire de haies entre 1960 et 1980. Il en résulte des petites auréoles d’openfield, laniéré et/ou mosaïque. Certaines parcelles sont de grande taille, ce qui facilite les opérations de culture par l’utilisation de puissants matériels, notamment pour les opérations de récolte (ensileuses, moissonneuses-batteuses).
Toutefois, le zoom permet de constater que le bocage est loin d’avoir disparu. Ce paysage est d’autant plus résilient qu’il s’intègre pleinement dans la promotion des logiques herbagères dans l’élevage en offrant de remarquables pâturages. En outre, il fait l’objet de programme de protection, voire de replantation. Mis à l’honneur dans les PLU (Plans locaux d’urbanisme) de maintes communes, il est l’objet de politiques visant à le reconstruire ponctuellement. Entre 2007 et 2017, ce sont 3 500 km de haies qui ont été plantés en Bretagne.
L’existence de nombreuses haies ne fait pas pour autant de la Cornouaille un pays de bois et de forêt. Les taux de boisement restent toujours faibles (11 % dans le département du Finistère). Demeurent des bois épars qui couronnent le plus souvent des buttes, des lignes de crêtes ou des petits pointements rocheux. Visible sur le zoom, le Bois du Névet (226 hectares) est aujourd’hui propriété du Conseil Départemental du Finistère. Naguère haut-lieu des cultes païens celtiques, siège d’un antique sanctuaire druidique (« nemeton »), il fut choisi par saint Ronan qui y bâtit un ermitage au 6ème siècle. Riche d’une dense biodiversité (feuillus, gibier, zones humides), marqué par la présence des vestiges d’un château médiéval, le bois est protégé et l’objet d’aménagements pour l’accueil des visiteurs.
Douarnenez : l’histoire sardinière et l’actualité désormais présentielle d’une petite ville en quête de redynamisation
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Le Rosmeur : un système portuaire de pêche entre déclin et renouveau ponctuel
La vie économique de Douarnenez est historiquement structurée autour de la filière pêche. Aujourd’hui encore, le port compte un trafic non négligeable : en 2017, ce sont 6 018 tonnes de produits marins qui ont été débarqués et traités à la criée et 6 900 autres tonnes qui ont transité hors criée. Les trafics reposent pour l’essentiel sur deux types d’espèces : les pélagiques (et au premier chef la sardine – qui a pu représenter certaines années plus de 80 % du trafic total –) et le thon germon. D’une année à l’autre, les volumes varient : 2017 fut par exemple une bonne année pour le thon (1.528 tonnes) alors que l’année 2016 fut autrement plus médiocre (339 tonnes). Et 2018 a marqué un nouveau recul dans les tonnages transitant sur la criée : 5.159 tonnes.
Dans la hiérarchie régionale de la filière pêche, Douarnenez apparaît comme un port intermédiaire. Le port s’efface largement derrière ceux du pays Bigouden : Le Guilvinec et Saint-Guénolé-Penmarch débarquent sur leur criée respectivement 17.929 et 12.003 tonnes de produits marins. Il n’en demeure pas moins un organisme économiquement structurant et internationalement reconnu dans la mesure où des navires irlandais ou espagnols y déchargent fréquemment du poisson. Quant à la zone de pêche principale des navires de Douarnenez, elle renvoie est centré sur l’entrée de la Manche, le plateau de la mer Celtique et le golfe de Gascogne.
Dès les 17ème et 18ème siècles, Douarnenez a vu ses activités halieutiques se consolider, surtout après la construction du môle du Rosmeur en 1786. La pêche à la sardine s’impose et fait de Douarnenez le premier port de France pour la traque de cette espèce pélagique. Le port sardinier fixe de nombreuses conserveries à l’emploi d’abord féminin et dans lesquelles les conditions de travail sont difficiles – ce qui donne lieu à des conflits sociaux majeurs comme la longue grève des sardinières de 1924.
Le port moderne du Rosmeur, tel qu’il apparait sur l’image, a été construit sur la pointe rocheuse éponyme à partir de 1937. Il a, depuis, été régulièrement modernisé, avec notamment des travaux majeurs terminés en 2015. Les quais, longs de 40 mètres, sont à l’abri derrière deux digues (môle est-ouest et môle nord-sud isolant le Grand Bassin). Ils portent une criée, une halle d’expédition climatisée vaste de 400 m2. La halle à marée s’étend sur 1.425 m2 et le port dispose de deux chambres froides de respectivement 774 et 254 m2. Une tour à glace d’une capacité de 40 tonnes par jour permet de garantir constamment la chaîne du froid aux opérateurs halieutiques.
Dans son histoire récente, le port a été rudement ébranlé par une série de traumatismes. Le premier réside dans l’échec de son orientation vers la pêche industrielle. La fin des années 1980 se solde notamment par la faillite de l’Armement coopératif finistérien (ACF) qui avait lancé, au début des années 1970, 10 chalutiers semi-industriels. Cela se traduit alors par une chute significative des captures, et notamment des prises sardinières. La traque des langoustes au large des côtes de Mauritanie, créneau sur lequel s’étaient lancés les pêcheurs de la région, s’effondre à la charnière des années 1988-1990. L’accord de pêche passé entre la CEE et la Mauritanie en 1987 fait perdre aux Bretons l’exclusivité sur cette activité : les Douarnenistes se trouvent face à la concurrence de pêcheurs espagnols et portugais dans un contexte de surpêche qui entraîne rapidement une quasi-disparition du stock et, partant, de l’activité.
Ville et industrie : d’abord le traitement des produits de la mer
Un port de pêche doit être appréhendé en termes de système halieutique dans lequel figurent au premier chef les industries de traitement du poisson. A Douarnenez, l’histoire industrielle est d’abord marquée par l’activité de la conserverie. En 1904, la ville en compte 30, traitant alors exclusivement la sardine et employant près de 3.000 personnes. Rapidement, leur nombre s’est effondré : elles ne sont plus que 11 en 1960.
Aujourd’hui, ce sont trois entreprises qui structurent localement cette activité. La conserverie Paulet, absorbée en 2010 par l’immense multinationale thaïlandaise Thaï Union, est dépositaire de la marque Petit Navire depuis 1932. Située à l’extrémité de la ria du Port-Rhu, l’usine traite essentiellement du thon germon directement importé et ne relevant pas forcément de captures issues de pêcheurs de Douarnenez. Car, comme le note Jean-René Coliou, « le schéma traditionnel d’un port de pêche reposait sur un lien de la pêcherie au quai, puis du quai à la table. Ce cheminement des apports s’est modifié du fait de la raréfaction du poisson et de la nécessaire gestion de la ressource ».
La conserverie Chancerelle se distingue par rapport à la précédente sur plusieurs points. Le produit de la mer traité est ici la sardine (et le maquereau dans une moindre mesure) et ce depuis 1853. Elle est aussi la plus ancienne conserverie de France et commercialise ses productions sous la marque Connétable. Pour être une entreprise familiale, elle n’en est pas moins entrée dans une logique d’expansion productive et représente aujourd’hui 40 % du marché national de la conserve sardinière. En 2013, elle rachète au groupe italien Nueva Castelli la firme Cobreco, bien présente à Douarnenez et leader en France de la conserve de coquilles Saint-Jacques grâce à ses marques Arok et Jacq. Implanté en périphérie de la ville, sur la zone d’activité du Lannugat, Cobreco a développé un véritable complexe halieutique industriel et s’étend sur 37.000 m2. En 2002, Chancerelle y construit à proximité une usine de 14.500 m2. Dans le cadre du rachat de Cobreco, Chancerelle ferme son usine historique sise au Rosmeur, à même la rupture de charge portuaire, et rapatrie sur le Lannugat ses capacités de production. Indéniablement, les facteurs de localisation des usines de traitement des produits de la mer évoluent : « le travail du poisson est désormais localisé en fonction des voies rapides et moins sur les zones portuaires » (Jean-René Coliou).
Cette connexion aux réseaux de transport est un indice de l’intégration du pôle halieutique de Douarnenez dans un secteur de la pêche de plus en plus mondialisé. Le groupe Chancerelle s’est internationalisé en positionnant deux unités de production au Maroc (Agadir, Laâyoune) c’est-à-dire à proximité de zones de pêche halieutiquement riches et dans un pays dans lequel les coûts salariaux sont bas. En retour, le tissu économique peut compter sur des investissements étrangers. Implantée sur les quais au Rosmeur, l’entreprise Makfroid (appartenant au groupe de Robbert Kraaijeveld et à l’entreprise néerlandaise Marine Foods) s’est installée dans le port breton en 2002. Elle traite, via son unité de congélation, des poissons (thons, sardines, maquereaux, chinchards) qui sont débarqués dans le port hors criée par des navires qui, pour la plupart, battent pavillon irlandais ou espagnols. Le poisson traité est également acheminé par la route depuis les criées de Douarnenez et du Pays Bigouden sur un site capable de conditionner jusqu’à 10 tonnes/heure de poisson frais et d’utiliser les processus les plus modernes de congélation (ligne de congélation rapide individuelle dite IQF). Une fois transformés et congelés, les produits sont par la suite largement exportés en Europe mais également en Afrique du Nord (Egypte) et en Asie – au Japon au premier chef.
Dans une autre optique productive, la conserverie Kerbriant maintient une logique artisanale, ciblant des produits de qualité, intégrant des produits estampillés bio et travaillant des produits locaux issus d’une pêche durable. D’ailleurs, les acteurs de l’interprofession de la pêche et de la transformation raisonnent de plus en plus en termes de labellisation des productions : il s’agit de démontrer que la capture des espèces marines s’intègre dans des logiques soutenables.
Tel est le cas des bolincheurs (pêcheurs utilisant une senne coulissante) de Bretagne qui se sont rapprochés de MSC (Marine Stewardship Council), une ONG qui délivre en son nom propre des certificats de pêche durable aux professionnels qu’elle juge dignes de l’obtenir. En 2009, les pêcheurs sardiniers bretons se voient octroyer cette écocertification – laquelle néanmoins vient de leur être - temporairement ? - retirée, MSC jugeant les stocks de sardines surexploités dans le golfe de Gascogne.
Douarnenez au risque de la décroissance : un pôle économique de plus en plus dépendant des logiques présentielles
Ville-port qui s’est historiquement développée le long de la ria du Port-Rhu qui traverse aujourd’hui l’agglomération (la construction d’un pont en 1885 a permis la fusion avec la commune de Tréboul), Douarnenez maintient une activité de construction navale. Le Chantier naval Gléhen (CNG) est une entreprise du Guilvinec dont l’activité a démarré en 1911 et qui n’a cessé d’évoluer depuis. Construisant des navires de pêche, la firme passe, en 1974, du bois au métal (acier et aluminium). Mais, surtout, en 1985, elle ouvre son site de Douarnenez pour la construction et l’entretien de navires de plus en plus diversifiés (navires à passagers, bateaux fluviaux, petits bâtiments pour la marine). Sur le port du Rosmeur, CNG dispose de deux halls de construction et d’un slipway.
Plusieurs autres entreprises industrielles sont présentes à Douarnenez. Franpac produit, depuis 1912, des boîtes de conserve et emploie 300 salariés sur la zone industrielle du Lannugat. A proximité, depuis 1988, Lef Industries est spécialisée dans la conception et la fabrication de boîtiers de fin de course dans le domaine de la robinetterie industrielle. Le Guellec fabrique des tubes et des profilés de précision. Néanmoins, la firme a annoncé son départ pour Quimper. En 2013, Aastra, spécialisée dans l'informatique et les télécommunications, avait déjà quitté la ville pour rejoindre Plomelin dans la proche banlieue quimpéroise. D’ailleurs, le passé récent de Douarnenez est marqué par la désindustrialisation. Ainsi, en 2000, Matra cède son site du Lannugat spécialisé dans les moulages plastiques pour la fabrication de cartes électroniques à l’américain Solectron qui le cède à son tour en 2002 à Asteel jusqu’à la cessation définitive de l’activité en 2009.
De fait, l’industrie ne représente plus l’essentiel de l’activité économique de la ville. Celle-ci voit son dynamisme principal reposer sur une économie de plus en plus présentielle. Or, statistiquement, Douarnenez décline. En 2016, la commune comptait 14.063 habitants contre 14.815 en 2011 et 20.089 en 1954). Certains services publics, pourtant essentiels pour le bassin de vie douarnenézien, semblent en suspens : en 2014, l’hôpital public de la ville perd son secteur de chirurgie ambulatoire.
Cette récession s’explique d'abord par le fort vieillissement de la ville. Les ménages retraités représentent 40 % du total des ménages si bien que le solde naturel annuel moyen est négatif : -0,9 %. C’est moins le déficit d'attractivité qui obère l’avenir démographique de la ville que son vieillissement. D’où cet apparent paradoxe d’une ville a priori déclinante mais qui s’étend spatialement sur ces périphéries avec la construction de lotissements offrant des pavillons sur des zones pour certaines à fortes aménités résidentielles. La demande en résidences secondaires, qui représentent près de 16 % des logements sur la commune, contribue à maintenir le rythme de construction à un certain niveau.
D’autant que l’offre touristique est loin d’être négligeable. Mythes et légendes permettent de construire un récit touristiquement évocateur et, partant, attractif. La ville serait née de la cité légendaire d’Ys. Quant à l’île Tristan qui fait face à la ria de Port-Rhu, elle aurait donné son nom à Douarnenez (« Douar an Enez » en breton, « Terre de l’île »). Elle est depuis 1995 propriété du Conservatoire du Littoral afin d’assurer la protection de son patrimoine environnemental et historique. D’autres sites dans l’agglomération ont par ailleurs été protégés, notamment le site naturel classé des Plomarc’h. Ses 16 hectares surplombant la baie comptent une ferme municipale, des jardins biologiques traversés par des sentiers qui rejoignent quelques vestiges historiques (cuves à garum).
Certains lieux ont également été l’objet d’une requalification fonctionnelle. Port-Rhu est un ancien port de pêche et de cabotage niché au fond d’une ria (devenue bassin à flot par la construction d’une porte-écluse) qui porte depuis 1993 un port-musée : la partie « à terre » du musée, installée dans une ancienne conserverie place de l’Enfer, expose une collection de bateaux (pêche, plaisance…) et d’objets liés aux activités maritimes. L’autre partie du musée est un musée à flot, avec cinq bateaux à l’amarre sont ouverts à la visite.
A l’ouest de la ville, le quartier de Tréboul abrite un port de plaisance d’une capacité d’accueil de 275 bateaux. Sur un petit promontoire, le centre de thalassothérapie permet de relancer l’activité touristique balnéaire au-delà de la seule activité baignade en ciblant une clientèle aisée.
Annuellement, l’offre touristique s’élargit avec l’organisation de festivals qui renforcent l’image de marque de la cité et élargissent son attractivité touristique. Tous les deux ans, en juillet, les Fêtes maritimes de Douarnenez attirent de vieux gréments dont le nombre augmente plus encore lorsque, tous les quatre ans, l’évènement suit les Fêtes de Brest (dans la mesure où nombre de navires présents à Brest font ensuite relâche à Douarnenez). Le carnaval de la ville est l’un des plus courus en Bretagne et la ville accueille tous les ans un Festival de cinéma dédié aux films traitant des thèmes liés aux minorités et à toutes les formes de diversité. Mais, parmi tous les événements organisés par la cité bretonne, il convient de citer les régates du Grand Prix Guyader. Une semaine durant, les équipages s’affrontent sur des types de voiliers très spécifiques (Diam24, 60 pieds Imoca, Dragon).
De fait, bon an mal an, Douarnenez comptabilise - via les statistiques de son Office du tourisme – 100.000 visiteurs par an. La fréquentation est le fait très majoritairement de visiteurs français, les touristes étrangers essentiellement européens (Britanniques, Allemands) représentent environ 20 % de la clientèle touristique totale. Toutefois l’attractivité de la zone plafonne. A titre de comparaison, l’Office du tourisme de Quimper recense trois fois plus de visiteurs (345.080 contre 100.996). D’où des initiatives de diversification de l’offre touristique, comme ces escales de paquebots dans la baie (Silver Cloud et Serenissima en 2017).
Mais le potentiel de développement de ce secteur se heurte au sous-dimensionnement des structures locales d’accostage et d’accueil. C’est du reste globalement le cas de toutes les activités économiques de la région : la desserte logistique laisse en effet à désirer. La gare de Douarnenez-Tréboul a été fermée en 1988 et la ville (à 4h45 heures de Paris en train via Quimper, 6 heures en voiture) est restée à l’écart des grands axes du Plan Breton (notamment la route nationale 165-route européenne 60). Et c’est Quimper qui dispose de l’aéroport le plus proche alors que celui de Brest, avec plus d’un million de passagers, est le premier de Bretagne mais à plus d’une heure de route.
Au final, la Cornouaille de Douarnenez est un espace de confins occidental dans la « péninsularité » (Nicolas Bernard) bretonne. Pour ce territoire littoral, le risque principal réside dans l’accélération d’une dynamique de « périphéricité » (Nicolas Bernard) par rapport au reste de la région. Indéniablement les ports de pêche les plus dynamiques sont en Pays Bigouden. Et l’attractivité touristique de la Bretagne repose d’abord sur des sites urbains plus polarisants (Brest, Quimper, Lorient…), sur des côtes plus prisées (côte de Granite Rose, rade de Saint-Brieuc, Saint-Malo, Golfe de Morbihan…) et s’appuie désormais également sur certains hauts-lieux de l’Argoat intérieur (Rennes, Monts d’Arrée, Festival des vieilles charrues de Carhaix…). De fait, entre 2007-2012, le canton de Douarnenez voit sa population décliner de 0,5 % par an quand celui voisin de Plonéour-Lanvern augmentait de 1,4 %. Indubitablement, des formes de décroissance sont là.
Pour autant, Douarnenez et ses campagnes environnantes ne manquent pas d’atouts : culturels, historiques, paysagers, écologiques, agricoles… Aux acteurs locaux de les valoriser en considérant plus que jamais « le territoire de proximité comme levier de mobilisation d’un capital social » (Laurent Simon, Géographie des environnements).
D’autres ressources
Bibliographie indicative
Nicolas Bernard, « Bretagne », in La France des 13 régions, sous la direction de Laurent Carroué, Armand Colin, 2017.
Jean-René Couliou, « Ports de pêche bretons et mondialisation, une adaptation permanente », Géoconfluences, juin 2019
Jean-Michel Le Boulanger, Douarnenez de 1800 à nos jours, Essai de géographie historique sur l’identité d’une ville, Presses Universitaires de Rennes, 2000
Contributeur
Stéphane Dubois, Professeur agrégé de Géographie au lycée Blaise Pascal de Clermont-Ferrand.