Publié le 28 mars 2025

DORIS en Antarctique : journal d’une mission pas comme les autres (3/3)

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Vincent Garcia, ingénieur stations au CNES, s’est rendu fin 2024 en Antarctique pour renouveler les équipements du système de balises DORIS. Une véritable aventure qu’il livre à la première personne.

© Vincent Garcia

Samedi 4 janvier 2025

Week-end en Antarctique.

Qu’est-ce qu’on peut faire le week-end à Dumont d’Urville ?

Comme tous les jours, on travaille ! En tout cas, le samedi, presque tout le monde travaille pendant la campagne d’été car il faut profiter de la lumière du jour. Dans quelques mois, il y aura l’hiver polaire et ça deviendra plus compliqué à cause de l’obscurité et des mauvaises conditions météo.

Maintenant que j’ai fini l’installation matérielle, je documente en étiquetant tous les câbles et tous les équipements installés. Je prends des photos qui vont me servir pour le rapport que je vais écrire et qui sera utilisé par mes collègues, par moi et par mes successeurs pendant de nombreuses années. On ne reviendra pas sur place avant un bon bout de temps !

La plupart des personnes qui travaillent sur DORIS doivent faire fonctionner le système dans son ensemble sans jamais se rendre sur le site d’une balise. Le dossier de configuration et les photos prises lors des missions sont essentielles pour avoir toutes les informations nécessaires.

© Vincent Garcia, Cédric Corre

Hier, j’ai découvert un problème sur le support de l’antenne DORIS, avec le vent probablement, mais aussi avec les températures extrêmes : quelques vis se sont desserrées, et donc le support bouge un peu trop. J’ai envoyé ces informations à Jérôme et Damien, mes collègues DORIS de l’Institut géographique national, l’IGN. C’est eux qui ont conçu cette installation, ils sont plus calés que moi sur le matériel, et j’attends leurs instructions pour corriger ce problème.

Ces géomètres de l’IGN sont en charge de positionner les antennes DORIS au millimètre près sur le globe. Ils sont aussi spécialistes de ce qu’on appelle la monumentation, un pilier béton ou métallique ancré solidement dans la roche qui permet de relier les mouvements du sol avec les mesures faites par les satellites.

Dimanche 5 janvier 2025

Un dimanche à DDU.

Ce matin, on commence la journée avec mon collègue Michel du programme NIVMER : il s’occupe d’un marégraphe à DDU et beaucoup d’autres sont localisés dans les mêmes endroits que les balises DORIS. NIVMER est aussi un partenariat avec l’IGN.

© Vincent Garcia

On commence par démonter le support de l’antenne DORIS pour ensuite le remonter avec une colle spéciale qui permettra que les vis ne se desserrent plus. L’opération se passe sans encombre.

L’après-midi, il n’y a plus de vent et la température est proche de 0°C : nous décidons avec Michel de descendre sur le quai de l’île du Lion pour faire un footing.

La piste fait quasiment un kilomètre de long et la vue est atypique : dans un sens nous avançons vers le continent et le glacier qui se jette dans l’océan, dans l’autre, il y a plein d’icebergs qui flottent à la surface. 

Nous croisons un grand nombre de personnes de la station qui marchent et qui courent. Au final, l’endroit est insolite, mais je n’ai pas plus froid que lorsque je cours au bord du Canal du Midi en plein hiver.

Lundi 6 janvier 2025

Une semaine en Antarctique.

© Vincent Garcia

Ça fait maintenant une semaine que nous sommes arrivés sur la station et nous n’avons toujours pas eu de journée ensoleillée !!! De mon côté, j’ai pu finir mon installation. Il me reste à ranger et à préparer le retour de tous les anciens matériels. Les autres personnes sur place patientent et c’est difficile pour eux, car leurs opérations sont programmées et souvent décalées du jour au lendemain en raison des conditions météo.

C’est notamment le cas des glaciologues Guilhem, Pierre et Charles (guide de haute montagne qui sécurise les sorties sur le glacier). Ils doivent se rendre fréquemment sur le glacier à 5 kilomètres de la base et seul l’hélicoptère peut les emmener. Mais pour cela il faut de bonnes conditions météo, notamment la visibilité, car on confond facilement l’horizon et le glacier certains jours.

Deux personnes de Météo France sont d’ailleurs présentes sur la station et nous avons des bulletins météo tous les jours. Pour les opérations en hélicoptère et en avion, les infos sont plus précises et rafraîchies autant de fois que nécessaire dans la journée.

Mardi 7 Janvier 2025

C’est mon moment préféré : la photo finale à côté de l’antenne DORIS ! La télémesure est reçue à bord des nombreux satellites DORIS depuis trois jours maintenant et tout fonctionne correctement. J’ai encore réussi 😃

© Vincent Garcia

C’est ma vingt-troisième mission depuis que je suis entré au CNES en 2001, mais depuis 6 ans que je suis dans le service Ingénierie Stations, j’en ai fait dix-neuf. Chaque mission est différente, celle-là n’est ni mieux ni moins bien que les autres. Ce qui compte pour moi, c’est que l’installation fonctionne avant de repartir et je suis toujours à 100 % de réussite. Pour certaines missions, il faut plusieurs années de préparation et des centaines de mails. D’autres fois, on arrive à se mettre d’accord avec le site distant en quelques semaines !

Maintenant, mes collègues à Toulouse vont prendre la main à distance par le réseau Internet et aussi par Iridium, une constellation de satellite qui permet d’envoyer comme des SMS à nos balises DORIS dans le monde entier. Ils vont faire des contrôles et terminer la programmation de la balise rénovée dans le réseau opérationnel.

Aujourd’hui, je vais faire les cartons des matériels à retourner et la liste pour le service logistique de l’Institut polaire français.

La météo s’améliore : nous avons eu des éclaircies toute l’après-midi, mais le vent souffle toujours assez fort et il fait quand même plutôt froid : environ -10°C en température ressentie. 

Tous les jours, je suis habillé avec mes vêtements de ski, c’est surtout le vent ici qui est mauvais. J’ai déjà eu plus froid dans les Pyrénées avec -15°C certaines journées. À DDU, c’est l’été en ce moment et les températures baisseront avec l’arrivée de l’hiver et de la nuit polaire.

Nous avons plusieurs cuisiniers et une boulangère de l’Institut polaire sur la station. Ils sont aux petits soins avec nous : pain frais tous les matins au petit déjeuner, spécialités bretonnes, mais aussi des simples plats de pâtes. On mange comme à la maison à plus de 18 000 km de la France. Les anniversaires sont bien entendus fêtés avec gâteaux et bougies, nous avons eu aussi les galettes des rois pour l’Épiphanie.

Mercredi 8 janvier 2025

Retour sur le bateau.

L’Astrolabe est à quai dans l’Anse du Lion et nous allons embarquer pour au moins cinq jours de trajet retour vers Hobart.

© Vincent Garcia

Des vingt-trois personnes du trajet aller, nous sommes encore dix-neuf du groupe initial, les trois glaciologues vont passer un mois au total à DDU, un autre passager est parti pour la station de Concordia. Nous avons des nouveaux passagers dans le groupe, quelques hivernants qui étaient présents ici pendant 14 et 15 mois !!

Le groupe belote coinchée a perdu quelques membres, mais nous sommes encore quatre et dès le départ du bateau les soirées vont reprendre. Dimanche, nous ferons un tournoi. Le bateau est pleinement opérationnel et les conditions météo annoncées sont plutôt favorables. Dans dix jours, je serai de retour à Toulouse et je me souviendrai toute ma vie de cette mission incroyable en Terre Adélie !

Une mission hors du commun

Ce qui a été exceptionnel dans cette mission, c’est la durée du voyage. Je m’étais rendu au Pôle Nord en 2021, mais en prenant trois avions et moins de 16 heures de vol j’étais déjà arrivé ! L’Antarctique, ça se mérite. Ce qui était nouveau pour moi ici, c’est de partir dans le cadre d’une expédition. Elle s’appelle d’ailleurs la TA75, pour « 75e expédition en Terre Adélie ». D’habitude je pars tout seul et je prépare beaucoup de choses de moi-même, mais cette fois j’étais dans un groupe et j’ai bien apprécié l’expérience. De plus, dans cette expédition, le voyage et toute la logistique est assurée par l’Institut polaire français, une préparation essentielle pour ces territoires isolés.

Vincent Garcia

Continuez votre exploration