A l’ouest de l’Ecosse sur un affluent du Firth of Clyde, la base militaire navale de Faslane jouent un rôle majeur dans l’affirmation de la puissance mondiale du Royaume-Uni. Aux cotés de Portsmouth et Plymouth/Devonport, toutes les deux situées dans le sud du pays, c’est en effet la 3em base de la Navy britannique. Sa spécificité réside dans sa spécialisation fonctionnelle : c’est la seule grande base sous-marine du pays. Elle abrite en particulier les quatre sous-marins nucléaires porteurs des missiles balistiques. Créée durant la Seconde Guerre mondiale face au IIIème Reich, elle a été choisie durant la Guerre froide pour accueillir les SNLE pour des raisons géostratégiques : la proximité de la région avec l’Atlantique Nord face à la flotte russe basée à Mourmansk-Polyarny. Son existence et sa localisation soulignent l’importance de ces systèmes d’armes nucléaires dans les rapports de force géostratégiques mondiaux.
Légende de l’image
Située en Ecosse, la base navale de Faslane a été capturée par un satellite Sentinel-2A le 27 juin 2019. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles de résolution native à 10m.
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L'image générale ci-contre présentent quelques repères géographiques.
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Repères géographiques
Présentation de l’image globale
Faslane ou la Her Majesty‘s Naval Base Clyde :
une puissante base militaire sous-marine nucléaire dans l’ouest de l’Ecosse
Faslane : une situation de fond de fjord branché sur le Firth of Clyde et l’Atlantique
Comme le montre l’image, nous sommes ici dans une région littorale très particulière. C’est une côte à fjords, un terme qui définit ces grandes, profondes et anciennes vallées glaciaires envahies par la mer lors de la fonte des grands inlandsis à la fin du quaternaire. On retrouve ce type de côte de par le monde dans les hautes latitudes des hémisphères Nord - Norvège, Russie du Nord dont Mourmansk, Groenland, Labrador, Alaska - ou Sud - Chili, Nouvelle-Zélande.
Nous sommes ici dans le sud-ouest de l’Ecosse, dans l’Argyll and Bute. Cet espace appartient à la zone d’influence du Grand Glasgow, la capitale économique et industrielle de la région qui se trouve au sud-est à seulement 40 km. En rive droite de la Clyde, Dunbarton, bien visible sur l’image, fait partie de cette vase conurbation. En rive gauche, Port Glasgow fait fonction d’avant-port. Alors que Greenock - à 35 km de Glasgow - a joué un rôle important dans le développement régional des hautes technologies écossaises. La ville accueillit dès les années 1950 un très grand établissement informatique de la firme étasunienne IBM, qui participa ainsi des efforts de reconversion de la région face à la crise du charbon et de la sidérurgie.
La vallée de la Clyde joue un rôle majeur dans le branchement maritime de cette métropole de fond d’estuaire et dans son développement historique. On en repère sur l’image le chenal d’accès et, de chaque coté, les vases et les dépôts découverts à marée basse dans la zone du fond d’estuaire. A partir de Dumbarton, la vallée s’élargit progressivement vers l’aval pour rejoindre le Firth of Clyde qui présente une orientation nord/sud.
Long d’une soixantaine de kilomètres, le Firth of Clyde constitue une très belle pièce d’eau et une belle artère maritime dans cette partie occidentale de l’Ecosse. De l’estuaire de la Clyde à la ligne Mull of Kintyre / Corsewall Point qui en marque l’entrée, il couvre 3.600 km2 et représente un volume d’au de 180 km3. Il est ainsi de plus en plus large, pour atteindre au sud (hors image) 25 km entre l’Isle d’Aran et Ayr. Le Firth of Clyde se jette alors dans le North Channel, qui sépare l’île de Grande Bretagne de l’île d’Irlande, les deux principales îles constituant les Iles britanniques.
Partant de Faslane, les sous-marins doivent donc réaliser un assez long périple avant d’accéder enfin à la haute mer, c’est-à-dire à l’Atlantique Nord. Non sans avoir salué parfois les rivages des iles Islay et Jura, bien connue des amateurs de whisky écossais (Ardbeg, Lagavulin, Laphroaig, Caol Ila). C’est une différence assez sensible par rapport aux bases de Mourmansk-Polyarny de laquelle on accède vite à la Baie de Kola, de Petropavlovsk- Vilioutchinsk où la sortie de la rade et l’accès à la grande baie de l’Avatcha ne sont pas trop faciles mais assez courts côté russe ou de Brest où le trajet l’Ile longue-goulet-haute mer est assez simple.
A ce trajet relativement long se superposent comme l’indiquent les données bathymétriques disponibles des profondeurs assez moyennes (22 m), en particulier sur l’image. Il faut attendre l’Arran Basin pour atteindre des profondeurs plus sensibles (-114 m) offrant aux sous-marins une plus grande protection lors de leur dissolution.
Faslane : un site en position d’abri dans une région des Lochs sous-peuplée
En retrait par rapport à la Clyde, la base navale de Faslane appartient déjà à un autre milieu, presque un autre monde ; même si elle n’est qu’à environ 40 km de Glasgow. Comme l’indique l’image, nous sommes ici au contact entre deux ensembles régionaux bien différents. Au sud et sud-est se déploient les Lowlands, qui correspondent à la grande dépression centrale qui accueille Glasgow et Édimbourg. Au nord et à l’ouest se déploient les Highlands, ou hautes terres d’Ecosse. Sur l’image, la commune d’Helensburgh à l’entrée du Gare Loch, est à cheval sur les deux milieux.
Par contre, le site de Faslane s’inscrit dans celui des hautes terres, des landes et des Loch. Le contraste d’altitude est marqué entre le Creuch Hill à 441 m. au sud et le Beinn Mhor ou le Ben Lomond au nord, respectivement à 741 m et 974 m. Dans ces hautes terres atlantiques, altitude, froid, vent et humidité conjuguent alors leurs contraintes. Le couvert végétal, la mise en valeur agricole et les densités du peuplement rural comme du réseau routier témoignent de ces forts contrastes locaux et régionaux. La commune d’Hellensburgh porte ainsi une densité moyenne de seulement 3 hab./ km2
Ce pays des Lochs est organisé sur l’image par trois ensembles : le Loch Fyne au nord-ouest qui constitue le cœur de la région de l’Argyll, le Loch Lomond à l’est dominé par le Ben Lomond qui annonce déjà les hauts sommets voisins (Beinn Ime à 1.001 m, Ben More) 1.076 m.) et enfin au centre le Long Loch d’environ 28 km de long.
Faslane : un site créé durant la Seconde Guerre mondiale dans une « safe area »
Lors de la déclaration de guerre en 1939, le gouvernement britannique constate que tout le Grand Bassin Londonien et une large partie de l’appareil productif des Midlands sont potentiellement dans l’aire des rayons d’action des avions de la Luftwaffe nazie, qu’ils décollent de France ou du Bénélux. Il va donc initier un vaste processus de transfert géographique de population, en particulier les enfants, d’activités productives et de fonctions stratégiques dans des zones alors encore inaccessibles aux bombardiers.
La création de ces « Safe Areas », ou « aires de sauvegarde » dans la profondeur stratégique du pays va essentiellement profiter au Nord et à l’Ouest de l’Angleterre et à l’Ecosse. Loin d’être typiquement britanniques, on retrouve les mêmes processus de transferts géographiques loin des frontières de grandes fonctions stratégiques dans de nombreux pays comme la France, l’Allemagne, la Chine maoïste ou la Russie/URSS, du XVIIIème au XXème siècle. C’est bien l’apparition de nouveaux types d’armes à très longue distance et particulièrement destructeurs (cf. missiles nucléaires) à partir des années 1950/1960 qui, en bouleversant les paradigmes géostratégiques, vont rendre cette géographie obsolète.
Sur les côtes orientales de l’Ecosse et aux marges de Glasgow, la région va devenir en 1940 une zone fortement spécialisée dans la fonction militaire. Ainsi, le Garelochhead Training Camp – situé juste au nord-est de la base de Faslane - devient un camp d’accueil et d’entrainement des troupes anglaises, étatsuniennes ou polonaises couvrant 33 km2 dans les hautes terres froides dominant le Gare Loch. C’est toujours aujourd’hui un camp avec zones de parachutage, d’exercices commandos, d’exercices avec tirs à balles réelles, grenades et mortiers.
Cette fonction d’accueil et de stockage va perdurer durant la Guerre froide avec la construction entre 1962 et 1966 dans le Glan Douglass d’un vaste dépôt de munitions couvrant 260 ha. Situé au nord du Garelochhead Training Camp et à 1,5 km du Loch Long, vers le village d’Arrochar, il assure le stockage de 40 000 tonnes de munitions pré-positionnées dans le cadre de l’OTAN pour répondre à une éventuelle attaque de l’URSS sur l’Europe occidentale. S’il a perdu beaucoup de son importance, il demeure encore utilisé par les armées britanniques. On notera aussi sur l’image la présence d’un port ett d’un dépôt pétrolier chargé de répondre aux besoins des armées.
Faslane : l‘accès d’un Royaume-Uni en difficulté à l’arme nucléaire stratégique étasunienne
Mais surtout, le gouvernement va procéder en Ecosse à la création de deux ports militaires, dont le Port militaire N°1 ouvert à Faslane dans le fond du Gare Loch à 8 km du village d’Helensburgh. Un chantier naval conjoint y sera aussi développé dans le cadre de l’effort de guerre. A la fin de la Seconde Guerre mondiale, la Navy décide non seulement de garder Faslane, mais d’en renforcer sensiblement les fonctions. En 1957, la base sous-marine de Rothesay Bay, située dans l’ile de Bute à l’entrée du Firth of Clyde, est transférée sur Faslane.
Mais le tournant majeur à lieu en 1962/1963. Alors que l’Empire britannique achève de s’effondrer, le Royaume-Uni cherche à refonder les bases de son hégémonie mondiale en se dotant de l’arme nucléaire stratégique. Lors des Accords secrets de Nassau entre le Président J. F. Kennedy et le 1er Ministre H. MacMillan de décembre 1962, Londres troque l’ile de Diego Garcia et l’archipel des Chagos, qui intéresse fortement Washington pour sa position géostratégique dans l’océan Indien, contre l’arme nucléaire stratégique.
La base navale de Faslane est choisie comme site en 1963 lors du lancement de la construction du premier sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE) selon la terminologie française, les travaux lancés en 1964 et devient opérationnelle en 1968, date des premières patrouilles. Sur les cinq sous-marins prévus portant le système, seulement quatre furent construit – le Resolution, le Repulse, le Renown et le Revenge - pour des raisons financières. Ce nombre, encore actuel, permet d’assurer la permanence de la dissuasion nucléaire avec une unité à la mer en patrouille, deux unités à la base en maintenance mais rapidement opérationnelles et une quatrième unité en refonte.
Enfin, dans la péninsule de Cowall, la British Royal Navy installa une base sous-marine dans l’Holy Loch qui fut ensuite utilisée par les Etats-Unis entre 1961 et 1992 comme base de stationnement et d’entretien de quatre sous-marins nucléaires stratégiques et d’un navire - ravitailleur et comme base d’accueil d’un escadron de sous-marins d’attaque classiques à propulsion nucléaire ou classique.
Avec la réduction des tensions géopolitiques en Europe et pour des raisons d’économies budgétaires, l’ensemble de la flotte des sous-marins britanniques - y compris donc conventionnels et d’attaque - est regroupé depuis le début des années 2010 sur la seule base navale de Faslane.
Le Royaume-Uni, une puissance nucléaire stratégique sous contrôle étatsunien
Par rapports aux autres puissances dotées de sous-marins nucléaires stratégiques, le Royaume-Uni est une exception dans la mesure où ses équipements et systèmes sont – in fine – très largement dépendants des Etats-Unis.
En particulier, les missiles sont fournis par les Etats-Unis en piochant dans le dépôt de la base navale de Kings Bay en Géorgie qui sert aussi à la Navy étasunienne. De même, si ses sous-marins sont fabriqués dans des chantiers navals britanniques et si les têtes nucléaires sont conçues et fabriquées dans l’Atomic Weapons Establishment - AWE d’Aldermaston, dans le sud du pays, les équipements et technologies utilisés et embarqués sont très largement fournis par les firmes du complexe militaro-industriel étatsunien.
Opérationnels entre 1968 et 1996, les missiles Polaris sont remplacés à partir de 1993 par les missiles Trident II. Ce missile balistique est construit par la firme étasunienne Lockheed Marin Space Systems - dont le siège est à Sunnyvale dans la Silicon Valley en Californie - dans les années 1980. Le Trident II est un missile de 13 m de haut, pèse 58,5 tonnes, d’une portée de 11.300 km et peut atteindre une vitesse de 21.600 km/h.
Pour le mettre en œuvre, un nouveau programme de sous-marins - de la classe dite Vanguard - est développé. Les quatre nouveaux sous-marins – le Vanguard, le Victorious, le Vigilant et le Vengeance - entrent en service à Faslane entre 1993 et 1999. Selon la Stratégic Defence Review, le sous-marin Vanguard mesure 150 m de long, 13 m de diamètre, pèse 16.000 tonnes, emporte un équipage de 135 marins et dispose d’une force de frappe potentielle de 16 missiles et 48 ogives nucléaires, soit trois ogives par missiles.
Selon le Ministère britannique de la défense - MOD, le Royaume-Uni aurait entre 2010 et 2015 réduit son stock de têtes nucléaires opérationnelles de 160 à 120, les têtes déployées sur chaque sous-marin passant de 48 à 40 unités, le nombre de missile opérationnel sur chaque sous-marin tombant à moins de 8 unités. Londres estime posséder seulement 1 % du stock mondial d’armes nucléaires, un chiffre cependant estimé suffisant au maintien de la crédibilité de la dissuasion nucléaire stratégique britannique.
Entre 2007 et 2016, le Parlement britannique décide du lancement du programme de renouvellement des sous-marins de la classe Vanguard par la classe Dreadnought. Du nom des nouveaux et fameux cuirassés lancés en 1906 dans le cadre de l’exacerbation des tensions avec le IIem Reich allemand et qui devait surclasser toutes les flottes mondiales. Ce programme de quatre nouveaux sous-marins stratégiques devrait aboutir vers 2030 pour un coût financier estimé en juillet 2016 à 49 milliards d’euros.
Zoom d'étude
La base navale sous-marine de Faslane et son complexe militaire : un levier exceptionnel de la puissance britannique dans le monde
Pour bien comprendre l’importance de la base navale sous-marine de Faslane, il faut changer d’échelle d’analyse. Ce système exceptionnel participe directement du statut de puissance mondiale que confère à un Etat la possession des sous-marins nucléaires stratégiques.
Un véritable système technique spécifique
La base navale de Farlane se loge au fond du Gare Loch, dans le petit abri constitué par la Faslane Bay. Le Gare Loch est un affluent de rive droite de la Clyde aux portes du Firth of Clyde. Il est long de 12 à 13 kilomètres, mais étroit avec une largeur moyenne de 1,5 k. Surtout, il est bien fermé à l’entrée par des avancées entre Rhu et Rosneath qui construisent un goulet de quelques centaines de mètres. Il est enfin entouré de hautes terres froides et vides. Au total, il est donc assez facile à contrôler et à sécuriser.
La base elle même s’étale le long du fjord sur plusieurs kilomètres en ayant largement débordé vers le sud le site de baie initial. Elle est constituée de nombreuses installations techniques et est bordée vers les hauteurs sur toute son enveloppe par une route et surtout un système de clôtures de sécurité interdisant toute intrusion extérieure.
A 4 km à l’ouest en face de la base navale de Faslane le dépôt nucléaire de Coulport est bien visible sur le flanc de la colline dominant le Loch. Il joue un rôle essentiel puisque c’est le lieu de stockage et de chargement des têtes nucléaires qui arment les missiles et des combustibles fissiles nécessaires au déplacement des sous-marins à la propulsion nucléaire, un équipement qui permet de longs séjours en mer en grande profondeur.
Très bien relié par une large route à la base de Faslane, le site dispose aussi de deux quais au pied de la colline qui permettent aux sous-marins d’accoster pour charger leurs missiles avant de partir en patrouille. Bien visible, une immense calée sèche flottante couverte a été créé pour l’accueil des SNLE en 1993.
Un fort impact local, des enjeux géopolitiques majeurs
1er employeur local, la base navale de Faslane et son vaste complexe militaire ont un important effet d’entrainement démographique, social et économique sur le territoire. Helensburgh est ainsi une petite ville de 15.000 habitants dopée par le développement de la base : croissance démographique et urbaine, population jeune et éduquée, salaires élevés, forte demande de services (éducation, santé, sports…), prix fonciers et immobiliers sensiblement supérieurs aux prix régionaux…
Si la base semble donc encore avoir de beaux jours devant elle, la montée des courants indépendantistes écossais et l’arrivée aux affaires régionales du Parti National Ecossais - Scottish National Party - posent la question de l’éventuel accès dans le futur de l’Ecosse à l’indépendance.
Dans ce cadre, quel serait le devenir de cette base navale britannique, devenue soudain anglaise ? Les enjeux posés et les incertitudes – géopolitiques et géostratégiques - sont considérables (avenir avec le Brexit…).
Zoom d'étude
Repères géogrraphiques
Documents complémentaires
Sur le site Géoimage : d’autres bases sous-marines nucléaires
Mourmansk – Poliarny : la base russe équivalente à Faslane sur la baie de Kola et l’Atlantique Nord
Pétropavlosvsk- Vilioutchinsk : la base russe du Kamtchatka sur l’océan Nord-Pacifique face aux Etats-Unis et à l’Asie
Brest et l’Ile-Longue : la base de la France à la pointe du Finistère
Cartes de la région
Carte de l’estuaire de la Clyde sur le site officiel du gouvernement régional écossais dans lequel la base navale n’est pas mentionnée.
Carte du Loch Lomond National Scenic Area : la patrimonialisation de la région du Loch Lomond dans les Highlands de l’image.
Contributeur
Laurent Caroué, Inspecteur général de l’Education nationale