Plus haut sommet de l’Afrique et un des plus grands volcans du monde, le Kilimandjaro (5.895 m) est un des hauts lieux emblématiques des hautes terres d’Afrique de l’Est. Dans cet espace transfrontalier partagé par la Tanzanie et le Kenya, les gradients montagnes-plateaux jouent un rôle majeur dans l’organisation et la mise en valeur des territoires. Alors que les îlots montagnards humides dispersés dans un espace aride dessinent un peuplement en archipels, les bas plateaux, aux précipitations aléatoires, portent les savanes et steppes pastorales des Masaï et les grands parcs animaliers qui y expliquent un important tourisme international. Les différentes aires protégées, de statuts variés, y ont en effet été établies, dans une double logique de développement touristique et de conservation de la biodiversité. Alors qu’à l’étage sommital on constate un recul de 90 % de la couverture des glaciers en 120 ans, la mobilisation des eaux a permis sur le piémont le développement de quelques périmètres irrigués.
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L'image du Kilimanjaro, situé dans le Nord-Est de la Tanzanie, a été pris le 3 février 2019 par le satellite Sentinel 2B. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles de résolution à 10m.
Ci-contre, l'image satelitte présente quelques repères géographiques de la région.
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Présentation de l'image globale
Kilimandjaro : le plus haut sommet d’Afrique
dans les hautes terres d’Afrique de l’Est
Les hautes terres d’Afrique de l’Est : un espace transfrontalier entre Kenya et Tanzanie parsemé de hauts sommets
Cette image couvre la partie la plus célèbre des hautes terres d’Afrique orientale, à cheval sur le Kenya au nord et la Tanzanie au sud : les paysages s’organisent autour de montagnes emblématiques, dont l’aura brille bien au-delà de la région, à l’échelle du monde.
On repère aisément, sur le tiers méridional, en Tanzanie donc, d’ouest en est, le modeste massif de Monduli (2659 m), puis, beaucoup plus marquant, le cône du mont Meru (4566 m), qui domine directement la principale ville de la région, Arusha, en Tanzanie. Puis, beaucoup plus impressionnante par ses dimensions (environ 60 km NO-SE et 40 km N-S), et par son altitude (sommet d’Uhuru Peak, 5895 m), la plus célèbre, la montagne qui est aussi la plus élevée du continent africain, le mont Kilimandjaro. Sa notoriété est liée tout particulièrement à ses glaces, beaucoup plus qu’à ses neiges, à quelque deux cents kilomètres de l’équateur. C’est l’un des plus vastes édifices volcaniques du monde ; il domine d’environ 5000 m les plaines méridionales, produisant un gradient altitudinal exceptionnel, fortement valorisé par l’imagerie.
Plus au nord, par delà, au Kenya, la cuvette du lac Amboseli, dont la couleur très claire souligne l’aridité et la médiocrité de la couverture végétale, au centre de l’image, on aperçoit, isolés, au sud - en Tanzanie donc, la montagne de Longido (2637 m), et, un peu plus au nord, juste au-delà de la frontière, le massif d’Oldonyo Orok (2524 m). Tous deux constituent de petites taches forestières, isolées au-dessus des plateaux précambriens, à proximité de la route asphaltée Dar es Salaam-Arusha, Nairobi. Elles sont connues pour avoir accueilli, à la fin des années 1920, l’aventurière Vivienne de Watteville, qui décrivit cette forêt de montagne et les animaux qu’elle y a chassé, dans son roman "Un thé chez les éléphants". Plus à l’est, au Kenya encore, l’alignement des Chyulu Range (ou Chyulu Hills), qui culmine à 2174 mètres, est aussi bien visible.
La vigueur des gradients physiques et humains
Si les plateaux du socle précambrien, dont l’altitude est le plus souvent comprise entre 800 et 1300 mètres, présentent une relative homogénéité, voire une certaine monotonie, ils sont néanmoins jalonnés de quelques inselbergs et intrusions volcaniques anciennes qui constituent de véritables balises paysagères : dans les parcs nationaux, ces kopje, qui sont fréquemment de petits chaos rocheux, peuvent être des postes d’observation ou de refuge pour la faune sauvage.
Néanmoins, le fait géographique fondamental est le contraste, qui saute aux yeux dès qu’on aborde cette image, entre ces plateaux et les montagnes volcaniques qui les dominent. La plateforme précambrienne de gneiss et de granulite, faillée et érodée au tertiaire, avec la formation d’une vaste surface d’érosion, est, dans cette Afrique du Rift, traversée par des fractures transformantes. Celles-ci ont façonné dans la région deux compartiments effondrés : l’un nord-sud - Natron Rift Valley - à peine visible sur la limite occidentale de l’image, l’autre ouest-est - Meru-Kilimandjaro - qui en constitue le cœur.
Les gradients physiques montagne-plateau sont d’autant plus forts que cette partie du continent africain est marquée par une « anomalie » pluviométrique significative : à la latitude de l’équateur, les plateaux ne reçoivent que des précipitations médiocres.
Des îlots montagnards humides dispersés dans un espace aride : un peuplement en archipels
De cette contrainte physique, qui se manifeste par l’existence d’îlots montagnards humides dispersés dans un espace aride, découlent de nombreux contrastes. Parmi eux, une très forte différenciation entre des massifs montagnards abritant, en particulier à l’étage 1000-2000 mètres, des densités parfois très fortes.
En Tanzanie septentrionale, le district de basse altitude de Longido compte seulement 15 hab./km2, au dernier recensement de 2012, quand celui, contigu, d’Arusha rural (hors ville d’Arusha) en compte 260. On voit la même opposition autour du Kilimandjaro : 358 hab./km2 dans le district de Moshi rural, sur les pentes de la montagne, contre 9 dans celui de Simanjiro, dans la plaine au sud de Moshi. Côté kenyan, 19 hab./km2 au recensement de 2009 dans celui de Taita-Taveta, pourtant tout proche du Kilimandjaro.
De part et d’autre de la frontière, c’est donc un peuplement en archipels qui prévaut avec des bastions montagnards très peuplés, séparés par des plateaux et plaines faiblement occupés.
Ces bastions montagnards bénéficient en effet d’un véritable privilège climatique, fondé d’abord sur une pluviométrie favorable. A l’instar de la plus grande partie des plateaux centraux, l’aéroport KIA (Kilimanjaro International Airport) ne reçoit qu’environ 500 mm, et 463 mm seulement en moyenne pendant les cinq années 2012-2016. A l’opposé, sur le versant méridional du mont Kilimandjaro, on observe une augmentation sensible des précipitations annuelles moyennes au-dessus de 1.000 mètres d’altitude : 800 mm à Moshi sur le piémont vers 800-900 mètres d’altitude, 1000 mm à 2000 mètres, 1600 mm à 3000 mètres etc.
En particulier, un véritable optimum pluviométrique marque l’étage 1.800-3.000 mètres. Il correspond aussi à ce que l’on pourrait qualifier d’optimum thermique, surtout entre 1.500 et 2.000 mètres d’altitude, au contact de températures tropicales en bas et de températures froides plus haut. Cela correspond à un étage agricole particulièrement fécond, riche à la fois de cultures tropicales (banane, café…) et de cultures du domaine tempéré.
Ce privilège climatique, favorable à un riche couvert forestier, est aussi renforcé par la fertilité des sols volcaniques. Ces taches verdoyantes qui parsèment l’image satellite sont celles de véritables oasis montagnardes, de longue date investies par des populations paysannes impliquées dans des systèmes agro-forestiers intensifs : les Chagga au Kilimandjaro, les Wameru du mont Meru, les Kamba de Chyulu Hills…
Les bas plateaux : précipitations aléatoires, savanes et steppes pastorales des Masaï et grands parcs animaliers
A l’opposé, les plateaux, très largement développés sur l’image, sont ponctués, entre ou au pied des montagnes, de vastes zones d’épandage, de colluvions et alluvions. En particulier au sud-est (lac Jipe) et au sud (vallée du Pangani) du Kilimandjaro, et au nord de l’alignement Meru-Kilimandjaro, entre le piémont arqué du volcan Ketumbeine (Tanzanie), tout juste visible sur la frange ouest de l’image, et le parc d’Amboseli au Kenya.
Ces espaces aux précipitations aléatoires et aux sols souvent médiocres, domaine de la poussière des longues saisons sèches, où s’enfoncent quelques torrents intermittents venus des montagnes, a une toute autre signature sociale : c’est le domaine, dans les deux pays, des Masaï, qui y pratiquent aussi un peu d’agriculture et surtout de l’élevage (bovins, caprins…) dans une logique extensive.
Une partie de cet espace de tradition pastorale a été affectée soit à de grandes exploitations d’élevage (ranchs), soit à des grandes fermes (estates) vouées à de l’agriculture industrielle (blé, orge, maraîchage, fleurs…).
Et différentes aires protégées, de statuts variés, y ont été établies, dans une double logique de développement touristique et de conservation de la biodiversité. La plus célèbre de cette région est le parc national d’Amboseli, côté kenyan, au nord du Kilimandjaro. Il constitue un célébrissime décor permettant à tous les touristes du monde d’intégrer dans le même cliché les neiges du Kilimandjaro, chères à Hemingway, et à bien d’autres, et l’un des Big Five (éléphant, lion, léopard, rhinocéros et buffle) ou une girafe. Cette image à dimension mondialisée est la meilleure représentation de la vigueur des gradients qui caractérisent cette région.
Le tracé frontalier : un héritage des rivalités impériales entre l’Empire britannique et le IIem Reich allemand en Afrique orientale
La frontière entre le Kenya et la Tanzanie est composée de deux parties rigoureusement droites, jointes par un segment curviligne qui entoure le Kilimandjaro ; elle aurait dû passer au sud de la montagne, si le trait de frontière entre Lac Victoria et océan Indien séparant les empires britannique et allemand avait été rectiligne. Cette particularité est l’expression d’une volonté politique.
Une légende tenace, mais qui ne repose sur aucune preuve, raconte que cette configuration, dans le contexte d’une vive concurrence ente les empires britannique (côté Kenya) et allemand (côté Tanganyika) est due à la Reine Victoria qui voulut offrir le Kilimandjaro à son petit-fils (le futur Guillaume II), à l’occasion de son anniversaire. En fait, c’est un traité complexe qui, en 1890, permet d’inclure définitivement la totalité de la montagne dans la Deutsch Ost-Afrika, devenue Tanganyika puis Tanzanie, en laissant l’Angleterre mettre la main sur les pays situés au nord de Dar es Salaam, en particulier le sultanat de Zanzibar.
Zoom d'étude
Le Kilimandjaro : une organisation spatiale en auréoles concentriques liées à l’étagement
L’exemple emblématique du Kilimandjaro
Le Mont Kilimandjaro est, incontestablement, la « vedette » de cette image. Sa forme très pure, valorisée par son isolement, le contraste entre ses neiges et glaces sommitales et les icones de la grande faune africaine 5.000 mètres plus bas ont forgé sa célébrité, au moins depuis Hemingway et ses "Neiges du Kilimandjaro", publié en 1936 aux États-Unis. Depuis, chanson, films et surtout un énorme marketing touristique ont alimenté cette dynamique.
La montagne montre un exemple parfait d’une organisation spatiale en auréoles concentriques liées à l’étagement, avec 5.000 mètres de dénivellation entre le haut et le bas, et à la forme du volcan. Du haut vers le bas, on voit clairement plusieurs étages successifs.
L’étage sommital : un recul de 90 % de la couverture des glaciers en 120 ans
Premièrement, un étage sommital, de couleur claire, chapeauté par quelques cumulus, plus nombreux du côté au vent (de l’alizé de l’océan Indien), qui dissimule ce qui reste des glaciers. En effet, d’après les premiers relevés effectués à la fin des années 1880, le glacier mesurait 20 km2 en 1880 et seulement 12,1 km2 en 1912. En 1953, l’étendue de glace mesurait 6,7 km2 et en 2003 il ne restait plus que 2,5 km2, soit une perte de presque 90 % en 120 ans selon les travaux de C. Dumas.
Cet étage (afro)alpin, au-dessus de 4.000 mètres environ, peut se couvrir de neige pendant la saison des pluies, en particulier de mars à mai, et ne possède qu’une végétation rare et clairsemée, dispersée dans des pierriers.
Les formes volcaniques sommitales (cratère, dôme) de cette montagne constituée de trois édifices volcaniques, alignés sur un axe ONO-ESE, ne sont pas non plus visibles : volcan-bouclier du plateau de Shira (3.943 m) à l’ouest, dôme et caldeira du Kibo (Uhuru Peak 5.895 m) au centre, Mawenzi (5 .121 m) à l’est.
Les étages de transition entre 1.000 et 3.000 m
Entre le gris clair de l’étage nival et le vert foncé de la forêt de montagne, on peut identifier, surtout dans la partie ouest, en gris foncé, un étage de transition, de type subalpin, marqué par une végétation basse d’Erica arborea, au-dessus de la limite supérieure actuelle de la forêt, vers 2600-3000 mètres.
La totalité de cet étage alpin, supra-forestier, est limitée vers le bas, entre 2800 et 2000 mètres environ, par un étage de forêt tropicale de montagne (en vert foncé), où se succèdent, en fonction de l’altitude, et de l’orientation, forêts pluviales, de brouillard, de nuages qui jouent un rôle écologique d’éponge fondamental pour le fonctionnement du réseau hydrographique : on en perçoit bien les innombrables entailles, sortes de barrancos, où sont captées les sources et torrents qui alimentent l’étage d’en dessous, la ceinture café-banane.
Celle-ci, en vert clair, est le cœur agroforestier et démographique de la montagne entre 1.000 et 2.000 mètres d’altitude. Les densités - avec habitat rural dispersé - y sont de plusieurs centaines d’habitants au km2. Les petites exploitations familiales y cultivent, sous un dense couvert arboré, bananiers, caféiers, maïs, haricot, avocatiers, légumes etc. La limite inférieure de ce riche étage agricole correspond à peu près à l’isohypse 1.000 mètres, en dessous de laquelle la pluviométrie devient insuffisante.
On remarque surtout que ce paysage est totalement absent du versant occidental, sous le vent, donc nettement plus sec. Là, entre Sanya Juu et Ol Molog, la forêt est en contact direct avec l’espace de savanes et de steppes masaï (couleur bistre). Mais un examen attentif du piémont ouest révèle l’existence ponctuelle d’un parcellaire plus géométrique, celui des grandes fermes vouées au blé, à l’orge, aux légumes et parfois aux fleurs, structure héritée de la période coloniale, qui a érigé un obstacle majeur à la transhumance des Masaï, entre basses terres et montagne, en saison sèche.
Les piémonts : mobilisation des eaux et quelques périmètres irrigués
L’image révèle d’autres points spécifiques : au sud-est, en contrebas de la ceinture café-banane, on voit très nettement, partagé par la frontière Kenya-Tanzanie, le lac Chala, lac de maar, très profond, enchâssé dans un cratère secondaire aux pentes très raides, à la limite des vastes plaines sèches (en orange) de la région de Taveta au Kenya.
Au sud du Kilimandjaro, côté tanzanien, le piémont présente un aspect particulier, lié à l’exploitation de sources bien alimentées d’eaux venues de la montagne. Deux périmètres d’irrigation, spectacle insolite dans cette zone, ont pu être installés, l’un pour la riziculture, suite aux travaux effectués par un projet japonais, au contact même de la ville de Moshi, l’autre pour une grande plantation de canne à sucre, TPC, dont l’usine et les champs (8000 ha de canne) appartiennent depuis 2000 à une grande société sucrière mauricienne.
À l’extrémité sud de l’image, le lac Pangani, créé par le barrage de Nyumba Ya Mungu, fait partie d’un vaste projet d’aménagements (Pangani River Basin Management Project, PRBMP) destiné à valoriser les eaux de ce petit fleuve alimenté par le Kilimandjaro.
Enfin, sur le piémont nord du Kilimandjaro, le lac Amboseli, le plus souvent à sec, apparaît dans un environnement particulièrement déboisé alors que, plus près de la montagne, la multiplication des tâches vertes montre l’impact de l’utilisation de l’eau du Kilimandjaro pour l’agriculture de la région de Oloitokitok, au Kenya.
Quelques références bibliographiques
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https://www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/le-kilimandjaro-ic…, consulté le 23 janvier 2020).
KPAO SARE C. : « Carl Peters et l'Afrique orientale allemande. Entre mythe, littérature coloniale et prussianisme », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, vol. no 94, no. 2, 2007, pp. 149-165.
Contributeur
François Bart, Professeur des Universités honoraire, Université de Bordeaux Montaigne, membre de l’Académie d’Outre-mer.