Au nord-est de la Bretagne, la région de Saint-Malo, Dinard et de l’estuaire de la Rance est emblématique d’un littoral à la fois maritime, touristique et agricole dynamique et attractif. Fortement urbanisé, il connaît de réelles tensions et contraintes qui y posent d’importants enjeux d’aménagement durable de ses territoires.
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La Côte d’Emeraude : un littoral spécifique sous contraintes aux forts enjeux d’aménagement.
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Au nord-est de la Bretagne, cette portion de la Côte d’Emeraude, dont le nom renvoie directement à la couleur des eaux bien visible sur le document, présente trois grandes caractéristiques.
Au centre de la vue, la Rance se jette dans la mer par un large et profond ria, terme qui définit un estuaire d’origine fluviale envahi par la mer. De chaque côté, il est encadré par deux agglomérations : à l’est Saint-Malo, vieux et fameux port largement tourné vers le large ; à l’ouest Dinard, station touristique aristocratique développée à la fin du XIXème siècle. Saint-Malo est une commune de 46 000 habitants (1 257 hab/km²) organisant une agglomération de 82 000 habitants. Dinard est une commune de 10 500 habitants, organisant une communauté de communes de 31 500 habitants.
Croissance urbaine et pression littorale
Le document témoigne de la forte croissance démographique, urbaine et périurbaine qui touche ce littoral qui porte de fortes densités humaines (290 hab. /km2). Son dynamisme et son attractivité reposent sur trois piliers : une large ouverture maritime (pêche, plaisance et croisière), un potentiel productif diversifié et une activité touristique de premier plan. Ces deux pôles urbains polarisent ainsi un potentiel industriel productif conséquent dans la pêche, les produits de la mer et l’agro-alimentaire, la cosmétique, la plasturgie, l’automobile ou la maintenance aéronautique.
Ces établissements se trouvent soit dans la grande périphérie de Dinard (Sabena Technics sur l’aérodrome, groupe Roulier), soit surtout dans la zone portuaire ou les zones d’activités de la périphérie de Saint-Malo, bien lisibles sur le document. A l’est et au sud-est de l’agglomération de Saint-Malo se déploient sur les principaux axes routiers et le boulevard circulaire trois grandes zones d’activités industrielles et artisanales ou commerciales (cf. grande zone commerciale de Saint-Malo/ Saint-Jouen des Guérêt au sud de l’agglomération).
L’importance des fonctions touristiques
Enfin, la fonction touristique est aussi considérable et omniprésente sur le document (port de plaisance, plages, hôtels, résidences secondaires…). Elle est portée par de grandes initiatives locales devenues emblématiques du fait de leur fort impact sur l’image de marque de la région comme le Festival international des « Etonnants voyageurs » au mois de mai et la Route du Rhum, qui attire entre un et deux millions de personnes, à Saint-Malo ou le Festival du film britannique de Dinard (fin septembre / début octobre).
Elle se traduit par un important parc hôtelier (Saint-Malo : 6 hôtels, potentiel de 2 500 chambres) et tout autant par le poids considérable des résidences secondaires. Elles représentent 25 % du parc logement de la commune de Saint-Malo, globalement 30 % du parc dans l’espace couvert par le document et jusqu’à 50 % dans les communes de Lancieux, Saint-Briac et Saint-Lunaire à l’ouest.
Comme le souligne la présence du golf de Dinard situé tout à l’ouest du document au bord de la mer entre la pointe de la Garde Guérin et la Pointe de la Haye face à la petite île Agot, une large partie du potentiel touristique est orientée vers le haut de gamme et s’adresse à une clientèle aisée, d’origine parisienne ou bretonne (Rennes…). Cet espace de villégiature accueille enfin de nombreux retraités qui viennent s’y installer à la fin de leur vie active : ils représentent 35 % de la population, jusqu’à 40 % dans certaines communes littorales à l’ouest de Dinard.
Le littoral : des marées exceptionnelles dégageant un large estran
Le littoral pour sa part apparaît particulièrement découpé et indenté par une succession de pointes rocheuses et d’anses selon la nature des roches, plus dures ou plus tendres, et la tectonique (jeux de failles). Il est ourlé au large par de très nombreuses îles et ilots avec d’est en ouest les îlots au large de la pointe de la Varde ; au centre l’ensemble dominé par la fameuse île de Cezembre, dont la plage sud est bien visible sur le document ; tout à l’ouest enfin l’île Agot de forme triangulaire et portant une petite pelouse. Prise à marée basse, la vue témoigne de l’importance du jeu des marées, dont le mouvement régulier couvre et découvre un vaste estran.
Un des atouts majeurs de la Côte d’Emeraude repose sur l’importance des plages de sable blanc qui occupent environ 60 % à 70 % du liseré littoral. Sur ce littoral, l’amplitude des marées est exceptionnelle, une des plus élevées d’Europe et du monde (Fundy dans les Provinces maritimes du Canada : 16 m., le maximum mondial). Le marnage moyen, qui mesure le différentiel entre pleine et basse mer, y est en effet de 8,2 mètres, mais peut atteindre 13,5 mètres lors des grandes marées d’équinoxe.
Un arrière-pays littoral très agricole sous pression, un "rétro-littoral" plus accessible
L’arrière-pays enfin est constitué d’un plateau vallonné de faible altitude aux fonctions agricoles encore bien présentes malgré la croissance urbaine des dernières décennies. Le paysage rural y est marqué soit par un bocage dense et à maille fine comme dans le sud-ouest du document, soit par un parcellaire plus ouvert et plus large. Ce dernier porte des activités plus spéculatives valorisant des sols sablonneux (agriculture légumière de plein champs).
Si les centres des agglomérations de Saint-Malo et Dinard perdent des habitants et sont en voie de vieillissement, on assiste par contre à une forte croissance périurbaine ou rurbaine qui exerce une pression foncière considérable sur les activités et espaces agricoles. Cette dynamique témoigne à l’échelle régionale d’importants processus de spécialisation et de ségrégation spatiale. Les secteurs littoraux les plus attractifs demeurent en effet inaccessibles à une partie importante de la population puisqu’ils accueillent une population active ou retraitée disposant des revenus les plus élevés induisant en retour des prix immobiliers tout aussi élevés. En conséquence, les catégories les moins solvables vont se loger dans le « rétro-littoral », sensiblement moins cher et donc plus accessible.
Zooms d'étude
L’île de Cézembre
Située à 1,8 km du littoral au large de l’estuaire et culminant à 38 m., l’île de Cézembre s’étend sur 18 hectares et est dissymétrique : son versant nord est une falaise tombant dans la mer, son versant sud une large plage de sable. Elle est entourée de nombreux rochers et îlots émergés qui y rendent la navigation parfois périlleuse.
Du fait de son emplacement stratégique sur le principal chenal maritime, elle sert dès le XVIIem siècle de poste militaire avancé pour le contrôle et la défense de l’accès maritime au port de Saint-Malo. Puissamment fortifiée durant la Seconde Guerre mondiale par les forces d’occupation allemandes, elle subit en août 1944 une série de bombardements particulièrement intensifs qui vont y raser toute installation.
Comme l’illustre le document, c’est aujourd’hui un lieu attractif pour la plaisance comme en témoignent les bateaux en mouvement ou à l’ancre. Pendant la saison touristique, elle est desservie par des navettes à partir de Saint-Malo ou de Dinard. Elle est classé site Natura 2000.
Saint-Malo : un pôle maritime, industriel et touristique
A l’est de l’entrée de l’estuaire de la Rance, Saint-Malo est une ville très largement tournée vers la mer. S’appuyant en position d’abri sur une pointe rocheuse à 30 m. d’altitude, son accès à la mer est défendu au nord et au sud (fort de la cité et mémorial 1938/1945) par une série de forts et d’enceintes fortifiées (fort du Petit et du Grand Bé sur la pointe avant, Fort national, château au nord-est de la vieille ville). La vieille ville très dense et entourée de ses puissantes murailles a été détruite à 80 % pendant les combats de la libération en 1944 et est donc aujourd’hui largement reconstruite.
Création très ancienne, la ville prend réellement son envol aux XVIème et XVIIème siècles dans le contexte de la construction des premiers empires coloniaux (expéditions de Jacques Cartier) et des fortes rivalités avec l’Espagne et l’Angleterre. Ville corsaire par excellence, de grands marins comme Dugay-Trouin puis Surcouf symbolisent encore aujourd’hui cette faste période qui voit les riches armateurs réinvestir leurs capitaux dans l’arrière-pays malouin (cf. Malouinières du XVIIIem siècle). La vieille ville corsaire est aujourd’hui un des principaux pôles touristiques de la Bretagne.
Le document fait bien apparaître l’importance et la diversité des fonctions et emprises maritimes et portuaires de la ville. Trois ports structurent en effet les activités dans un complexe urbain et technique bien visible. L’avant-port assure le trafic passager et accueille la gare maritime (ferry vers Irlande et R. Uni). Il est complété au sud par le port des Bas-Sablons dans le quartier de Saint Servan qui est un important port de plaisance (1.200 places sur 12 appontements) dominé par l’ancien fort qui défendait l’entrée. Le tout est séparé du grand port par une puissante écluse bien visible permettant de garder les bassins à flots à marée basse.
Le port principal est lui-même organisé autour de quatre bassins spécialisés : les bassins Vauban (plaisance, trafic de bois scié) en entrant, puis Jacques Cartier (chimie, réparation navale) au centre ; les bassin Dugay Trouin (pêche industrielle et logistique céréalière) au nord et Bouvet (pêche, nitrates, navale et criée aux poissons) au sud. Ces installations polarisent d’importantes fonctions commerciales et industrielles (groupe Roulier de 1.000 sal., Compagnie des Pêches avec 380 sal., Comaboko pour la fabrique de surimi avec 210 sal. ….).
Au nord enfin se déploie la grande plage du Sillon qui est un lieu touristique et de villégiature de première importance. Elle accueille ainsi, par exemple, dans le quartier de Paramé plus à l’est les Thermes marins de Saint-Malo, un établissement de thalassothérapie ouvert en 1963 dans un ancien hôtel de 1880 qui emploie 350 salariés.
Dinard : une station Touristique sous influence britannique
Station-phare de la Côte d’Emeraude, Dinard n’est au départ d’un petit village rural et agricole sur le versant occidental de l’estuaire de la Rance comme en témoignent sur le document les vieux noyaux villageois de Saint-Enogat au centre et Saint-Alexande au nord (église, école, commerces…). L’essor de la ville est directement associé à la création de Dinard comme station aristocratique à la fin du XIXème siècle puis huppée à la « Belle Epoque » grâce à l’arrivée du chemin de fer. Un riche homme d’affaires d’origine libanaise, J. R. Dahdah y lance dès 1873 une vaste opération immobilière (cadastrage, voirie, construction de villas, gare) portée par le succès du chemin de fer. Lancé par les touristes anglais, dont certains arrivent dès 1836, elle est rapidement fréquentée par l’aristocratie puis la grande bourgeoisie.
Le site choisi est en effet exceptionnel. Tourné vers le nord-est, donc bien ensoleillé et en position d’abri, il est constitué de l’alternance de pointes rocheuses, à la topographie assez élevée, qui tombent en falaise : la Pointe de la Vicomté à l’est mais hors du cadre du document, la Pointe du Moulinet étroite et qui s’avance dans la mer, et enfin la Pointe de la Malouine, au centre du document qui est plus massive. Ces pointes encadrent des anses, plus ou moins larges et profondes, dont l’estran sableux offre de belles plages.
Dans ce cadre, la création de la ville balnéaire est centrée sur la Plage de l’Ecluse, qui se développe entre la Pointe du Moulinet et la Pointe de la Malouine, dont l’accès polarise de nombreux services et activités de prestiges : grands hôtels, casino, établissements de bain, digue, bars, boutiques… Edouard VII d’Angleterre, l’écrivaine Agatha Christie, les frères Lumières ou la famille Hennessy du champagne furent des habitués des lieux.
Se concentrant initialement sur les pointes afin de survaloriser le panorama littoral, le lotissement des parcelles va progressivement s’élargir de la grève vers l’intérieur. Au plan urbanistique et architectural, le joyau de la station est constitué par la Pointe de la Malouine dominant la plage du même nom. Ce lotissement de grand luxe, avec ses « châteaux de bord de mer », lancé entre 1865 et 1880 garde encore aujourd’hui un patrimoine exceptionnel classé.
Instaurée en 2000, une ZPPAUP (Zone de Protection du Patrimoine Architectural, Urbain et Paysager) couvre 40 % de la surface de la commune. Elle protège ce patrimoine architectural et paysager en réglementant les nouvelles constructions dans le tissu urbain alors que Dinard est classée « ville d’art et d’histoire » en 2003. La ZPPAUP distingue le « bord de mer », un espace qui ourle tout le contact littoral, les secteurs centraux, qui recouvrent tout l’espace urbain intermédiaire au nord et à l’est de la zone verte bien visible sur le document, et les deux grands sites des monuments historiques.
Le barrage et l’usine marémotrice de la Rance
Long de 20 km et représentant un réservoir potentiel de 184 millions de m3 d’eau, l’estuaire de la Rance a été choisi dans les années 1960 pour l’implantation d’une usine marémotrice inaugurée en 1967. Valorisant l’énergie produite par les flux liquides produits très régulièrement par l’alternance du jeu des marées (vidage et remplissage), le barrage qui accueille l’usine hydroélectrique comporte d’ouest en est une écluse, les turbines électriques, la salle des commandes, une digue morte et un barrage mobile de six vannes. Avec une production annuelle de 513 GWh, l’usine réalise 6 % de l’énergie produite en Bretagne, région qui importe 94 % de son électricité.
Si l’usine a parfois été dénoncée par ses détracteurs pour les profondes transformations introduites dans le fonctionnement écologique de l’estuaire, ses retombées sont considérables pour l’économie régionale (cf. revenus fiscaux aux communes : 2,2 millions € par an, 72 000 visiteurs par an). Le barrage a créé à l’amont un plan d’eau très calme de 22 km2 valorisé par la plaisance (cf. nombreux bateaux à l’ancre) alors que la création d’une route facilite les liaisons entre Saint-Malo et Dinard (15 km, contre 50 km de détour avant sa construction).
Ce désenclavement de la rive gauche de la Rance a permis un rééquilibrage du développement entre les deux rives. Il s’est traduit ces dernières décennies par une forte urbanisation des terrains anciennement agricoles qui bordent les deux rives du fleuve et de l’estuaire comme en témoigne bien le document.
Campagnes, agriculture et bocage en mutation
Ce document couvrant au sud-ouest la commune de Briac témoigne de l’importance des fonctions agricoles dans l’espace rural de l’arrière-pays. Très dense (+ 90 mètres de haies par hectare de SAU), le paysage bocager, qui y demeure encore important, est organisé par un parcellaire lanièré souvent très étroit dans lesquels les bosquets sont nombreux. Mais le document témoigne aussi des profondes recompositions parfois réalisées par le remembrement des parcelles et l’arasement des talus et des haies vives afin de créer des emprises de taille beaucoup plus vastes bien mieux adaptées à la mécanisation des exploitations.
Ces exploitations agricoles présentent deux orientations bien différenciées. Certaines demeurent spécialisées dans l’élevage laitier et livrent leurs productions à la Laiterie de Saint-Malo (125 sal.) qui produit yaourts, petits suisses, crème fraiche, fromages et lait ribot. D’autres se spécialisent dans l’agriculture légumière de plein champ. La région de la Côte d’Emeraude et de Saint-Malo, du fait de ses sols sableux et légers faciles à travailler, est en effet une des grandes zones de production légumière de Bretagne (70 % dans les crucifères ; chou-fleur, chou vert, romanesco, brocoli, poireau, céleris raves, carottes …). Ces productions sont collectées, transformées et commercialisées par la coopérative « Terres de St Malo » sous la marque « Prince de Bretagne ». Sa principale usine est à La Gouesniere (35), bien au sud de Saint-Malo, hors du cadre du document.
La production agricole régionale est donc fortement intégrée à un puissant complexe agro-industriel travaillant pour le marché national et l’exportation. Pour autant, cette agriculture très intensive est parfois responsable d’une forte pollution des eaux de surfaces (nitrates, phytosanitaires) qui s’est traduite ces dernières années par le développement d’algues vertes dans la vallée de la Rance ou sur les plages littorales. Si la situation est moins critique que dans certaines portions du littoral des Côtes d’Armor, des opérations de ramassage ont dû être opérées dans l’estuaire de la Rance, entrainant parfois de vives polémiques. Si quelques exploitations s’orientent aujourd’hui vers l’agriculture bio, la question de l’avenir d’un modèle très intensif est de plus en plus posée, surtout lorsqu’il entre en conflit avec les fonctions touristiques littorales.
Contributeur
Laurent Carroué, Inspecteur Général de l'Education Nationale