Nous sommes dans le Grand Nord arctique sur la Mer de Barentz entre les péninsules de Varanger à l’ouest et de Kola à l’est. Dans cet espace désertique occupé traditionnellement par les Sames, les cités minières forment depuis le début du XXe siècle trois isolats. Cette marge est au carrefour de trois frontières entre la Russie, la Finlande, membre de l’Union européenne, et la Norvège, membre de l’OTAN. Dans cette région historiquement disputée, certains tracés frontaliers datent de 1944. Pour comprendre le caractère sensible de cet espace, il faut changer d’échelles géographiques d’analyse : à l’échelle régionale, le complexe naval russe de Mourmansk/Poliarny et ses sous-marins nucléaires dotés de missiles balistiques n’est qu’à 100 km à l’est ; à l’échelle continentale, la mer de Barents libre de glace toute l’année est le principal débouché maritime septentrional de l’immense Russie continentale.
Légende de l’image
Cette image de la région de Kirkenes, une localité du nord de la Norvège a été prise par un satellite Sentinel-2 le 2 juillet 2021. Il s'agit d'une image en couleur naturelle et la résolution est de 10m
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Repères géographiques
Présentation de l’image globale
Kirkenes/Petchenga : des confins arctiques entre valorisation minière, systèmes frontaliers et tensions géopolitiques
Un espace arctique désertique aux fortes contraintes
Les fortes contraintes bioclimatiques arctiques
A 69°43 de latitude Nord, nous sommes ici dans le Grand Nord arctique ; Kirkenes se trouve ainsi à 350 km au nord du cercle polaire. La région est dominée par un climat de toundra, arctique ou subarctique. Sur les hauteurs au nord du Varangerfjord règne un climat polaire. Lorsqu’elle est visible en vert sur l’image face à l’importance des roches nues, la végétation est pour l’essentiel composée de landes subpolaires de lichens, de mousses et de saules nains. La période du « soleil de minuit » s’étend du 17 mai au 28 juillet ; la période de nuit polaire durant laquelle le soleil ne sort pas de l’horizon du 26 novembre au 17 janvier. A Kirkenes, la température moyenne est de 0,1°C, et tombe à - 10°C malgré sa situation littorale en janvier et février, avec des records à -42°C, alors que juillet/aout montent à 11°/12°C.
Comme le montre bien l’image, cette région correspond globalement à une succession de plateaux uniformes, s’étageant de 300 à 500 m. d’altitude. Nous sommes géologiquement parmi les roches - grès, quartzites et gneiss... - les plus anciennes d’Europe. Ce très vieux socle présente une tectonique cassante dans laquelle les failles jouent un rôle important comme le montrent certains tracés rectilignes des vallées ou des côtes.
C’est dans cette région de socle, à l’ouest des mines de Zapoliarny (zoom 3), que fut réalisée de mai 1970 à 1989 du temps de l’URSS une expérience scientifique exceptionnelle de géophysique : le forage Sg3. Stoppé à 12.262 m. de profondeur, ce forage ultra-profond avait pour objectif de traverser la croûte terrestre afin d’accéder au Moho et ainsi de mieux comprendre les dynamiques internes du globe terrestre. Malgré de grandes difficultés - pression, températures de 180°C, torsions mécaniques ...- on estime que ce forage pénétra d’un tiers dans les 35 km d’épaisseur du bouclier scandinaves pour en extraire des roches datant de 2,7 milliards d’années.
Dominée au quaternaire, durant le riss et le würm, par un énorme inlandsis du modèle de celui du Groenland actuel, la région présente une morphologie et une topographie de types glaciaires ou périglaciaires. On est frappé en particulier par l’importance des étangs et des lacs liés au surcreusement glaciaire et aux dépôts morainiques qui désorganisent partiellement l’écoulement des eaux sur des roches largement imperméables.
Le rôle des vallées dans les tracés frontaliers
On repère aussi fort bien les basses vallées marécageuses dans lesquelles les petits fleuves côtiers ou les rivières divaguent avant de se jeter dans la mer. Dans ce paysage monotone et assez uniforme, ces vallées servent parfois de point de repère pour servir à fixer les tracés frontaliers des États. C’est le cas pour une partie des cours de la Pasvikelva et de la Jacobselva qui servent à borner les deux tiers des 196 km de frontière entre le Norvège et la Russie. Plus à l’ouest, hors image, le fleuve Tana joue le même rôle sur une partie de la frontière entre la Finlande et la Norvège.
En particulier, la Pasvikelva - Paatsjoki en finlandais - est un petit fleuve côtier qui prend sa source à seulement 118 m. d’altitude bien au sud en Finlande dans le grand Lac Inari. Il coule ensuite plein nord sur 145 km pour se jeter sur l’image dans le Bøkfjorden, qui est une des branches de rive droite du puissant Varangerfjord. La Pasvikelva sert à fixer partiellement la frontière entre l’Empire russe et le Royaume de Norvège en 1826, la frontière entre la Norvège et la Finlande entre 1920 et 1944 puis à nouveau la frontière entre la Norvège et l’URSS/ Russie depuis 1944.
Un espace désertique aux très faibles densités
Dans ce contexte général fort contraint, la région est un désert sous-peuplé, en particulier dès que l’on quitte les zones littorales ou minières. Côté norvégien, le Comté du Finnmark - qui s’étend sur 48.600 km2, soit une taille supérieure au Danemark - n’est peuplé que de 75.300 habitants, soit 1,5 hab./km2.
La commune à laquelle appartient Kirkenes - Sør-Varanger - n’est peuplée que de 10.100 habitants pour 3.971 km2, soit une densité moyenne de 2,9 hab./km2. Côté russe, le Raïon de Petchenga avec 38.000 habitants pour 7.700 km2 présente une densité de 4,4 hab./km2. Comme on peut le constater, les fortes contraintes naturelles pèsent ici de tout leur poids.
Deux atouts majeurs : un littoral libre de glace, des gisements miniers
Pour autant, ce milieu aux contraintes marquées dispose de deux atouts de nature et de qualité différentes et fonctionnant dans des échelles spatiales contrastées mais qui structurent durablement l’histoire et la mise en valeur actuelle de ces territoires.
Un littoral arctique libre de glace : un véritable privilège
Premièrement, par rapport aux autres espaces arctiques, la région bénéficie d’un privilège exceptionnel. Bien que située sur le 70°N, soit à la même latitude que le centre du Groenland ou le sud de la Mer de Beaufort, cet espace littoral et maritime demeure libre de glace toute l’année grâce à la dérive Nord Atlantique, ou Gulf Stream. Les eaux chaudes de ce puissant courant marin quittent le bassin des Caraïbes en passant entre Cuba et la Floride, remontent au nord-est à travers l’océan Atlantique pour venir baigner les côtes de Norvège puis cette région de la mer de Barents.
C’est ce privilège exceptionnel qui permet l’installation des deux grands ports russes de Mourmansk, dans la péninsule de Kola sur la mer de Barents, et d’Arkhangelsk sur la mer Blanche. Rappelons qu’en Scandinavie, dans l’« intérieur » donc, le Golfe de Botnie et le Golfe de Finlande, les deux annexes de l’espace baltique, sont pris eux par les glaces hivernales. De même alors que la mer Baltique sur laquelle donnent St Petersburg ou Kaliningrad est une mer quasi-fermée dont l’accès à la mer du Nord est verrouillé par les Détroits danois, la puissance russe dispose dans la région d’un accès franc et direct - même s’il est contraint par sa situation arctique - à la haute mer libre de glace.
D’importants gisements miniers : un facteur d’urbanisation et d’emplois
A l’échelle locale, comme le montre bien l’image, ce vieux socle très ancien recèle d’importants filons métalliques facilement accessibles. Leur découverte puis leur valorisation interviennent à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Elles vont bouleverser la région comme en témoigne l’importance des paysages miniers autour de trois pôles. La mine joue en effet un rôle déterminant dans le peuplement, l’équipement et l’urbanisation de cet espace marginal et pionnier.
On y assiste en particulier à l’essor de petites villes minières - comme Kirkenes/ Bjørnevatn côté norvégien ou Nikel et Zapoliarny côté russe - qui fonctionnent comme des enclaves fonctionnellement spécialisées. Mais leurs activités productives (nickel, cuivre...) s’inscrivent dans un marché mondial des matières premières dont les prix sont instables, car fixés sur les grands marchés boursiers comme ceux de New-York ou de Londres dans le cadre de la mondialisation financière. Ainsi, la mine de Bjørnevatn est ouverte en 1906 et reliée en 1910 par ce qui est alors la plus septentrionale voie ferrée du monde au port de Kirkenes pour exporter les minerais. L’épuisement progressif du gisement conduit à la fermeture de la mine en 1996, puis à sa réouverture en 2009 du fait de la hausse des cours mondiaux qui en rend l’exploitation à nouveau rentable.
Si l’ouest du Finnmark norvégien est aujourd’hui dopé par l’essor de l’exploitation off-shore des hydrocarbures de la Mer de Barents, la région orientale dans laquelle nous sommes demeure largement sous perfusion des transferts publics afin d’y attirer les entreprises et d’y maintenir la population résidente permanente : aides fiscales, réduction des taxes, impôts sur le revenu réduits, allocations familiales plus élevées, taux d’emprunts bonifiés...
Une région disputée aux frontières récentes
Aux marges des Empires
Cette région septentrionale glacée demeure longtemps marginale avant d’intéresser progressivement les trois États qui se partagent aujourd’hui la région et dont le centre de gravité démographique, économique, géopolitique est cependant très loin au sud. Ils sont eux-mêmes au XIXe siècle pour deux d’entre eux le fruit de multiples marchandages qui les dépassent pour partie. Ainsi, appartenant au Royaume de Suède, la Finlande est cédée en 1809 à l’issue de la guerre de Finlande à l’Empire russe, qui l’annexe et la transforme en Grande Duché. Pour sa part, la Norvège passe du Royaume danois au Royaume de Suède en 1814 à la suite de la défaite napoléonienne, pour n’obtenir son indépendance qu’en 1905.
Alors que la frontière russo-norvégienne actuelle est fixée et tracée dès le début du XIXe siècle, la péninsule de Rybatchi au nord-est de l’image étant rattachée à la Russie, les principales transformations portent en définitive sur la question russo-finlandaise, avec en toile de fond la question de Mourmansk. Fondé en 1915 à l’est de la presqu’île de Kola (hors image), ce port de fond de fjord libre de glace toute l’année permet durant la 1er Guerre mondiale d’approvisionner en matériels militaires la Russie impériale face aux blocus navals allemand et turc des mers Baltique et Noire. Puis entre mars 1918 et février 1920 de faire débarquer des troupes occidentales venant en appui des armées blanches tsaristes afin d’écraser la révolution bolchevique de 1917.
Puisque cette dernière sort épuisée mais victorieuse de l’affrontement, les Alliés vont créer un vaste « cordon sanitaire » constitué de nouveaux États antisoviétiques sur sa partie occidentale : Finlande, Estonie, Lettonie, Lituanie, Pologne. Au Traité de Tartu du 14 octobre 1920, la Finlande obtient sur l’image la région de Petsamo/Petchenga, qui va de la frontière norvégienne à l’ouest à une ligne nord-est/sud-ouest partant de la péninsule de Rybatchi. Ce découpage lui permet de disposer d’un étroit débouché sur la mer de Barents et d’un petit site portuaire d’abri.
De la Seconde Guerre mondiale à la Guerre froide
Dans le cadre de la montée des tensions en Europe, la Guerre d’hiver de 1939 entre les deux pays aboutit au traité de Moscou. La Finlande cède la Carélie au sud, la région de Salla au centre et les parties occidentales des péninsules de Sredni et Rybatchi sur l’image à l’URSS. Moscou cherche à tout prix à acquérir une profondeur stratégique pour mieux protéger Leningrad au sud, Mourmansk au nord et l’axe logistique entre ces deux pôles au centre.
Le 9 avril 1940, la Norvège est en effet envahie par l’Allemagne nazie dont la Finlande est un allié. Celle-ci participe directement avec ses armées à l’invasion de l’URSS lors de l’opération Barbarossa qui débute le 22 juin 1941 et dont l’objectif est l’anéantissement pur et simple du pays. Dans l’arctique, l’objectif des troupes de montagne et divisions SS et des troupes finlandaises est double : les mines, dont Berlin a un besoin impératif pour sa machine de guerre, et surtout Mourmansk - à 90 km à vol d’oiseau - où arrivent deux convois alliés mensuel de 30 à 40 navires chargés de blindés, d’artillerie et d’avions. Dans son combat, l’URSS bénéficie dans la région de l’aide des réseaux de la résistance norvégienne et des sames et d’opérations navales d’appui de la Royal Navy. De l’été 1941 à l’automne 1944, la région est l’objet de féroces combats faisant des dizaines de milliers de morts. Le 25 octobre 1944, Kirkenes est la première ville norvégienne libérée, par l’armée rouge, mais quasi-totalement détruite, toutes les infrastructures industrielles et logistiques étant gravement endommagées.
Entre l’armistice de septembre 1944 et le traité de paix de 1947, la Finlande est contrainte dans l’arctique de céder le district de Petsamo et perd son débouché sur la mer. A l’inverse, Moscou y renforce l’épaisseur du glacis protecteur de Mourmansk. Durant la Guerre froide, la Finlande est « neutralisée » tout comme les 1.320 km de sa dyade frontalière avec l’URSS alors que la Norvège intègre l’OTAN et devient un fidèle allié des États-Unis dans l’arctique.
Les 196 km de frontière terrestre avec la Norvège sont - avec l'Estonie et la Léttonie - un des deux seuls contacts terrestres directs avec l’OTAN. Mais surtout, ce contact - terrestre et maritime - acquiert une dimension géostratégique majeure - pour Washington comme pour Moscou - avec la présence dans la région de Mourmansk des grandes bases navales de la Flotte russe et d’un puissant complexe militaro-industriel, centré en particulier sur les sous-marins nucléaires stratégiques de Poliarny. La région est donc interdite aux étrangers, fermée par un système frontalier étoffé et militarisée avec la présence de nombreuses unités. Les systèmes d’écoute et d’espionnage y sont sans doute à la hauteur des enjeux.
Frontières et dynamiques frontalières
Une difficile normalisation face au poids des héritages
Au total, par trois fois au XXe siècle ces régions arctiques autour de Mourmansk ont été l’objet d’enjeux géostratégiques majeurs, c’est-à-dire que de leur contrôle dépendait directement ou pour partie l’avenir du centre moscovite et plus largement de l’URSS/Russie : 1914/1917 durant la 1er Guerre mondiale, 1917/1920 durant la Révolution bolchevique, 1940/1944 durant la Seconde Guerre mondiale. Avec à chaque fois des conflits aboutissant à des dizaines de millions de morts. Cette trajectoire territoriale est un cas unique dans le monde arctique et souligne, à chaque fois, l’importance d’un accès à un port libre de glace. Dans ce contexte, on comprend mieux la conception géopolitique russe de cette frontière et son caractère éminemment sensible.
Le poids de ces héritages rend donc une véritable normalisation difficile. Aujourd’hui, cette région frontalière aux structures très dissymétriques, du fait du dépeuplement et de la marginalité du Finnmark norvégien, demeure sous tension. Malgré les tentatives de normalisation, qui dépendent beaucoup d’une conjoncture mondiale ou continentale qui dépasse largement les acteurs locaux et régionaux. En 1992, la réserve naturelle internationale transfrontalière de Pasvik est ainsi ouverte sur 166,5 km2. En mai 2012, un accord bilatéral assouplit le régime des visas pour les salariés frontaliers du Raïon de Petchenga et de la commune de Sør-Varanger. mais tout ceci demeure finalement marginale et fragile.
Russie/ Otan /Union européenne/ Espace Schengen :
Côté russe, l’approche frontalière demeure marquée par sa forte conception zonale qui fait de l’enveloppe frontalière un large no man’s land patrouillé par les garde-frontières armés. Pour autant, de nombreuses installations militaires ont été fermées ou sont à l’abandon tel l’aérodrome à l’est de Zapoliarny, bien visible sur l’image. Le poste douanier double de Storskog/ Borisoglebsky sur le grand axe routier est cependant le seul point de passage officiellement ouvert dans la région entre les deux États.
Côté norvégien et finlandais, la situation s’intègre dans des emboitements d’échelles assez nouveaux puisque cette région de Finlande est la frontière la plus septentrionale de l’Union européenne. De même, la Finlande comme la Norvège, non membre de l’U.E, sont membres depuis 1995 de l’Espace Schengen, un espace de 426 millions d’habitants et 4,2 millions de km2 dans lequel les contrôles frontaliers internes sont supprimés au profit du renforcement des contrôles sur l’enveloppe extérieure. C’est ainsi qu’en septembre 2016 la Norvège a du sensiblement renforcer ses installations frontalières, via la construction d’un « mur » de grillages et de barbelés, autour de son poste de Storskog afin d’interdire l’entrée de migrants clandestins syriens venant de Russie.
Dans un autre registre, au printemps 2017, la chronique locale de la petite ville portuaire de Vardø - située à 80 km au nord de Kirkenes - a été défrayée par la pose d’un câble électrique entre le continent et l’île. Afin d’alimenter la modernisation d’un système radar étatsunien installé en 1998 prenant en charge le suivi des débris spatiaux, mais dont les fonctionnalités - pour un site placé si proche de la Russie -pourraient être beaucoup plus larges.
Zooms d’étude
Zoom 1. Le Fjord, la péninsule de Varanger et le port de Vadsø
L’image couvre le Varangerfjord d’orientation est/ouest qui entre largement sur environ 100 km dans les terres à partir de la Mer de Barents. Il sépare deux systèmes topographiques, tectoniques et morphologiques bien différents. Au nord se déploie la péninsule de Varanger(halvøya) qui est constituée de montagnes bien blanches, aux formes arrondies mais assez élevées. En ce début juillet, elles portent encore un peu de neige ; la péninsule appartient en effet aux milieux et climats arctiques. Nous sommes là dans la continuité des vieilles chaînes rajeunies par la tectonique du Finnmark norvégien. Au sud du fjord se déploie un autre monde : c’est un vaste plateau, de faible altitude, presque uniformément plat et entaillé par une multitude de stries, d’anciennes dépressions glaciaires, envahies par les lacs. Nous sommes là sur un très vieux socle érodé par les glaciers quaternaires.
Dans cet ensemble régional largement inhospitalier, le Varangerfjord fait figure de havre en accueillant l’essentiel du peuplement, pour partie issu de migrations de travail suédoises et finlandaises au XIXe siècle. Ses rives sont drainées par deux routes, la E75 et la E6, qui desservent un chapelet de petits villages et gros bourgs. Ainsi au fond du Fjord, Varangerbotn est le centre administratif et de service de la vaste municipalité de Nesseby. En dehors de ce petit chapelet littoral, la région est désertique. Ainsi, la commune de Nesseby qui encadre le fond du fjord compte seulement 350 habitants pour 1.437 km2, soit une densité moyenne de 0,7 hab./km2. Au nord-ouest, le Parc national de Varangerhalvøya créé en 2006 couvre 1.804 km2 et est désert.
Ancien comptoir commercial fondé en 1789 et desservi par une ligne maritime vers le sud de la Norvège dès 1853, Vadsø est avec 2.000 habitants la capitale administrative et le principal pôle urbain du Finnmark oriental. Sur l’île de Vadsøya se trouve encore le grand mat d’attache utilisé en 1926 puis en 1928 par les deux grands dirigeables North Pole et Norge d’U. Nobile et R. Amundsen utilisés pour leurs découvertes du Pôle Nord. Comme de nombreuses petites cités littorales norvégiennes, Vadsø vit en grande partie de la pêche et du traitement des produits halieutiques et de leurs cycles économiques, la ville perd ainsi 50 % de sa population de 1995 à 2017, alors que le tourisme est une activité grandissante, à l’échelle de la commune bien sûr, mais saisonnière.
Le Fjord
Repères géographiques
Zoom 2. Les plateaux intérieurs du Finnmark finlandais et la civilisation Sami
Les hauts plateaux intérieurs aux fortes contraintes
L’image couvre les vastes espaces du bouclier scandinave qui constitue ici les plateaux intérieurs - ou fjelds - du Finnmark finlandais. Les roches anciennes sont striées de vallées ou d’alignements de lacs d’orientation soit sud-ouest /nord-est, soit nord-sud qui sont dus aux mouvements des glaces de l’inlandsis scandinave qui couvraient, un peu sur le modèle du Groenland, toute la région lors des grandes glaciations quaternaires. La région est en particulier marquée par la présence d’une immense moraine - la Sevetti Moraine - qui s’étend sur 50 km de long et 3 km de large entre Sevettijärvi et Partakko, un village situé au sud-ouest de l’image.
Le sous-sol présente aucun atout, contrairement aux sites miniers plus au nord, les sols sont absents ou squelettiques, la végétation de toundra est limitée et la roche souvent apparente... La frontière entre la Norvège et la Finlande est tracée au cordeau en prenant appui sur quelques points de repère plus élevés. Seule la route 971 qui va vers le sud, vers Inari et Ivalo, polarise quelques villages. Côté norvégien, celui de Neiden - situé sur la rivière du même nom - est peuplé de 250 habitants. Nous sommes là dans une des régions les plus désertiques de l’Europe occidentale et de l’Union européenne.
La commune d’Inari, la région Same et le same Skolt en voie d’extinction
Nous sommes ici géographiquement en Laponie, au plan de la civilisation au pays des Samis ou des Sapmes qui s’étend sur environ 400 000 km² entre la Suède, la Norvège, la Finlande et la Russie. Arrivés vers 6 000 à 7 000 ans, les Samis sont un peuple autochtone dont les bases reposaient, et reposent encore pour partie, sur la domestication du renne et une pratique du nomadisme entre grands pâturages d’été et d’hiver, complétées par la pêche, la cueillette et la chasse. Sur environ deux millions d’habitants, 900 000 vivent en Russie dans la région de Mourmansk (à l’est, hors image), 850 000 en Norvège et 700 000 en Suède.
Le territoire finlandais sur l’image zoom est intégré au « Sámi homeland », le Sámiid ruovttuguovllu en terme autochtone, qui couvre la partie la plus septentrionale de la région de Laponie finlandaise. La constitution du pays leurs reconnait une large autonomie linguistique et culturelle. L’espace de l’image est rattaché à la commune finlandaise d’Inari qui couvre 17 333 km2, mais n’est peuplée que de 7000 habitants, soit une densité de 0,46 habitant/km². La ville d’Inari, sur les bords du lac du même nom (hors image), est considérée comme la « capitale de la culture Same ».
Situé à 120 km au nord d’Inari, le village de Sevettijärvi est peuplé de 350 habitants, à 90 % des Skolts. Dans la langue same, dans laquelle on distingue neuf sous-groupes, le same skolt n’est plus parlé en Russie dans la presqu’ile de Kola et en Finlande que par 1 000 locuteurs ; il fait donc partie des langues rares aujourd’hui considérées en danger d’extinction. Ce village est créé en 1949 par 50 familles contraintes d’évacuer Petsamo qui revient à l’URSS lors du redécoupage des frontières après le Seconde Guerre mondiale. La route carrossable qui traverse le village et dessert la région est construite à la fin de la décennie 1960.
Plateau du Finnmark
Repères géographiques
Zoom 3. Les villes et les mines russes : Nikel et Zapoliarny
A l’est de la rivière qui sert de frontière entre la Norvège et la Russie, l’axe E105 dessert deux grands complexes miniers russes, celui de Nikel à l’ouest et, surtout, celui de Zapoliarny à l’est. Nous sommes ici entre 100 et 130 km à l’ouest de Mourmansk. Les deux mines et les deux complexes sont la propriété du géant russe Norilsk Nickel, un ancien gigantesque combinat soviétique privatisé en 1994 et regroupant les grands sites de Norilsk, de Petchenganickel, qui regroupe Zapoliarny et Nickel, et Severonickel/ Montchegorsk. Entre Zapoliarny et Nikel se trouve le site du forage Sg3, aujourd’hui à l’abandon.
Nikel : la ville et la mine
Ville de 11 300 habitants, Nikel est à la fois la capitale administrative du Raïon de Petchanga qui couvre toute la région frontalière avec la Norvège et une importante ville minière. Au sud se trouve la ville et ses zones d’habitat, de commerce et de gestion ; au nord se déploie le vaste complexe minier et industriel avec ses usines, ses crassiers, ses bassins de décantation... L’activité minière et l’urbanisation débutent en 1935, lorsque la région est sous contrôle finlandais (1920/1944).
Après les destructions de la Seconde Guerre mondiale, l’URSS accélère la remise en état du site. Aujourd’hui, la mine est exploitée par une filiale du grand groupe russe Norilsk Nickel qui y emploie plus de 2 000 salariés. Mais comme dans beaucoup de régions de l’arctique russe, l’effondrement de l’URSS a conduit à une entrée en crise, à un fort dépeuplement et à une large déprise urbaine : la ville tombe en effet de 21 800 à 11 200 habitants entre 1898 et 2019, soit une perte de 50 % de la population.
Zapoliarny : un grand gisement de nickel-cuivre
Posée à 150 m. d’altitude à seulement 11 km de la frontière norvégienne, la ville minière de Zapoliarny est composée de deux ensembles bien repérables sur l’image. Au nord, le long de la route E105 se trouve la ville peuplée de 15 000 habitants. Au sud-est apparait un immense bassin de décantation de couleur verte. Au sud et au sud-est enfin se trouvent les mines à ciel ouvert dont on distingue bien les gradins et les immenses crassiers, ou terrils, sur lesquels sont stockés les terrains-morts.
Contrairement à sa voisine Nikel, l’essor de la mine est dû à l’industrialisation de la période soviétique. La ville est créée en même temps que la mine qui va y exploiter un important gisement de nickel-cuivre, les deux minerais étant géologiquement très souvent associés. A proximité immédiate, un vaste combinat industriel assure la transformation des minerais en produits semi-finis pour l’industrie russe ou l’exportation. Comme Nikel, Zapoliarny connait une sensible baisse de population en passant de 23 500 à 15 000 habitants entre 1989 et 2019, soit un recul de - 36 %.
Bien visible sur l’image se trouve à l’est de Zapoliarny un ancien important aérodrome militaire chargé de sécuriser et de défendre la zone frontalière durant la Guerre froide. Désaffecté en aout 2019, il est aujourd’hui à l’abandon.
Mines russes
Repères géographiques
Zoom 4. Kirkenes, la ville frontalière des marges norvégiennes
En position d’abri sur un promontoire en fond de fjord, Kirkenes est une petite ville de 5.000 habitants. Cet ancien village connait une forte croissance puis devient une petite ville à partir de 1906 en lien avec le développement des mines de fer que l’on voit clairement se développer au sud de la ville et de Bjørnevatn. Le long sillon géologique des minerais est bien visible, accompagné des mines et des terrils.
Dans les représentations norvégiennes, nous sommes là très loin dans les marges nordiques arctiques dans l’extrême nord-est aux portes de la Russie, dont le poste frontière n’est qu’à 7 kilomètres au sud-est. Kirkenes est d’ailleurs le terminal de l'Hurtigruten, le service naval côtier créé en 1893 qui assure le service régulier de 35 escales sur 2.700 km à partir de Bergen.
L’image illustre bien la topographie plane et en creux liée à la morphologie glaciaire des hauts plateaux. En particulier, la moindre cuvette est occupée par un étang ou un lac (cf. Bjørnevatnet, Langfjordnatnet...) ou des tourbières ; nous sommes au printemps et durant l’été au royaume des moustiques et des insectes divers (mouches...).
Fort isolée, la ville est desservie par la route E105, mais surtout l’aérodrome d’Høybuktmoen. Construit par la Luftwaffe nazie durant la Seconde Guerre mondiale, c’est à la fois un équipement civil et militaire. La garnison norvégienne de Høybuktmoen, située au sud-est des pistes, accueille d’ailleurs la principale base des garde-frontières de la région et un bataillon d’infanterie légère.
Kirkenes
Repères géographiques
Zoom 5. Petchenga et l’est : des marges frontalières intégrées en 1945
L’image couvre toute la zone frontalière de la Russie avec la Norvège, avec à l’est les débuts de la presqu’île de Kola. A la masse continentale se rattachent au nord-est deux péninsules : la péninsule Sredni, ou la « péninsule du milieu » en position intermédiaire, et la grande Péninsule de Rybatchi, la « péninsule des pêcheurs » dont on ne voit qu’une petite partie.
Peu peuplée, la région est traversée par l’axe de la E105. Nous sommes là dans une région frontalière étroitement contrôlée du fait de son rôle stratégique dans la défense de Mourmansk. Les routes secondaires et les pistes sont nombreuses, comme par exemple dans la presqu’île de Poselok, afin de faciliter la circulation des patrouilles ; la frontière avec la Norvège est équipée d’un axe parallèle ; les postes de contrôles nombreux.
L’image couvre le raïon municipal de Petchenga, dont le centre administratif est la ville de Nikel. Couvrant 8 700 km², il est peuplé d’environ 38 000 habitants, soit une densité moyenne de 4,4 hab./km² en intégrant les villes minières dans le calcul. Sur l’image située tout au fond du fjord, la petite ville de Petchenga, peuplée de 3 300 habitants, est une ville de garnison militaire.
Petchenga
Repères géographiques
Images complémentaires
Vue générale de la région
Repères géographiques
D’autres ressources
Sur le site CNES Géoimage : quelques dossiers sur le Grand Nord Arctique
Cara Loizzo : Russie - Yamal : le front pionnier énergétique russe dans un espace extrême de l’Arctique sibérien
/geoimage/russie-yamal-le-front-pionnier-energetique-russe-dans-un-espace-extreme-de-larctique
Stéphane Dubois : Russie - Sibérie. Le delta de la Léna : un laboratoire des changements multiformes du Grand Nord Arctique
/geoimage/russie-siberie-le-delta-de-la-lena-un-laboratoire-des-changements-multiformes-du-grand-nord
Aude Monnet : Russie - Norilsk : la ville du nickel, un pilier arctique et sibérien de la puissance russe
/geoimage/russie-norilsk-la-ville-du-nickel-un-pilier-arctique-et-siberien-de-la-puissance-russe
Pauline PIC : Norvège - Tromso, capitale de l'Arctique
/geoimage/norvege-tromso-capitale-de-larctique
Laurent Carroué : Suède - Kiruna : mine de fer et ville minière des marges suédoises, entre contraintes naturelles et dynamiques des marchés mondiaux
/kiruna-mine-de-fer-et-ville-miniere-des-marges-suedoises-entre-contraintes-naturelles-et-dynamiques
Sites
Nord Regio :
https://nordregio.org/
Bibliographie de l’auteur
Laurent Carroué : Atlas de la mondialisation. Une seule terre, des mondes, collection Atlas, Autrement, Paris, 2020.
Laurent Carroué : Géographie de la mondialisation. Crises et basculements du monde, collection U., Armand Colin, Paris, 2019.
Contributeur
Proposition : Laurent Carroué, Inspecteur général de l’Éducation nationale, du sport et de la recherche, directeur de recherche à l’Institut Français de Géopolitique (Université Paris VIII)