Royaume-Uni - L’ouest de l’Ecosse et l’île d’Arran : la production d’un territoire par le whisky

Produit emblématique de la culture écossaise, le whisky a façonné un géosystème com-plexe issu d’un dialogue spécifique entre les hommes et leur environnement. Combi-naison de savoir-faire, de traditions et de ressources propres, l’eau de vie de malt a façonné des territoires où se mélangent les influences de l’histoire et de la géographie. L’île d’Arran et l’ouest de l’Ecosse témoignent de la plasticité des terroirs, des fron-tières et de la notion même de région dans un espace où en créant du whisky on a produit des territoires, du fait d’une dialectique singulière entre les lieux et les hommes. Cet entremêlement est particulièrement visible sur cette image satellite.

 

Légende de l’image

 

Cette image de l''île d'Arran, en Écosse, a été prise par le satellite Sentinel-2A le 25 août 2021. Il s'agit d'une image en couleur naturelle et la résolution est de 10m  

Contient des informations © COPERNICUS SENTINEL 2021, tous droits réservés.

 


Repères géographiques

 

 

 

Présentation de l’image globale

L’île d’Arran et l’Ouest de l’Ecosse, aux confins des terroirs

L’impossibilité d’une île

Nous sommes ici au sud-ouest de l’Ecosse et cette image dévoile une des particularités principales de l’île d’Arran : son extrême inclusion dans le Firth of Clyde, un espace maritime abrité de l’Atlantique qui forme un littoral intérieur entre l’estuaire de la Clyde au nord, la péninsule du Kintyre à l’ouest et les Lowlands à l’est.

L’île d’Arran se trouve ainsi à la confluence des grandes divisions géographiques de la production de whisky : les Highlands au nord, Campbeltown à l’ouest, les Lowlands à l’est. Si bien que certains spécialistes vont jusqu’à affirmer que le malt d’Arran n’est pas un whisky insulaire, car tout simplement Arran n’est pas une île. A l’extrême sud de la péninsule, le Mull of Kyntire, et son phare emblématique de la culture locale, veille sur les eaux sombres qui séparent l’Ecosse de l’Irlande du Nord et rappelle l’omniprésence atlantique dans ces confins continentaux.

Relativement peu peuplée avec moins de 5 000 habitants pour une surface de 432 km2 - soit 11,5 hab./km2 - ce qui la place en septième position dans la hiérarchie des île écossaises, Arran est un territoire complexe. Le nord est situé sur la faille des Highlands. Comme on peut l’observer sur l’image, le Goat Fell à l’est, point culminant qui domine de ses 874 mètres cette partie de l’île est le sommet d’un territoire escarpé et montagneux.

Au pied de ces montagnes, Brodick, principale localité de l’île, avec ses presque 700 habitants, et repérable sur l’image par son urbanisation littorale le long de la baie du même nom, offre un paysage mixte avec un mitage plus serré que voisinent des champs délimités. Le port, au sud-est de la baie, permet un lien de proximité avec l’Ecosse, la traversée, ne dure qu’une heure. Le sud contraste avec ce paysage, qui ap-parait plus directement dédié aux pâturages. C’est aussi une des raisons de la situation de la distillerie. Eviter que des moutons ne viennent perturber l’équilibre de l’eau qui sert à la distillation. Il faut aussi mentionner les infrastructures et les déplacements. « Le monde c’est les hommes plus la planète » écrit Romain Bertrand dans Qui a fait le tour de quoi  ? (Verdier, 2020), il n’en va pas différemment de ce territoire, Arran, c’est les hommes plus une île.

La route côtière relie donc Brodik à Lochranza puis Lochranza à Blackwaterfoot avant le longer le littoral sud et est.  La seule alternative passe au sud des collines et relie di-rectement les côtes est et ouest, elle est visible sur l’image entre Brodick et Blackwater. Rien de surprenant à voir les hommes vivre le long du littoral, trait d’union avec l’Ecosse mais on le voit, la dialectique est profonde qui conduit à la production de whisky. Dans cette opération mystérieuse qu’est la distillation, les influences multiples génèrent un produit systémique.

Une production résiliente, une idée du terroir

L’île d’Arran n’est pas précisément un des hauts-lieux de la production de whisky en Ecosse. Mais c’est un malt largement identifié et absolument associé à un territoire, ce qui est de plus en plus rare aujourd’hui. L’île d’Arran a son whisky et c’est d’autant plus notable qu’il porte son nom. Une première idée du terroir se dessine.

Il faut dire qu’il n’y a sur l’île qu’une seule distillerie. Elle est installée au nord, à Lo-chranza et se situe administrativement dans les Highlands. Sa production serait donc plus continentale qu’insulaire. Un sentiment renforcé par un profil aromatique qui rappelle les productions rondes et boisées du Speyside, alors que les malts insulaires sont plutôt connus pour leurs notes marines et les embruns.

L’actuelle distillerie d’Arran fonctionne depuis 1995, elle se situe à l'extrême nord de l’île. Le choix du site relève de la volonté du propriétaire et fondateur d’utiliser l’eau du Loch na Davie pour son volume et son pH, favorable à la fermentation. Avant cette re-naissance, on ne produisait plus de whisky sur l’île qui avait été auparavant un haut lieu de la distillation clandestine. Là encore, l’insularité et la difficulté d’accès avait pro-duit une dialectique territoriale.

Le fondateur de Arran Malt et nouveau démiurge du whisky local, Gordon Mitchell, a étudié de nombreux sites avant de décider que Lochranza – visible dans la partie nord de l’île, près du loch qui forme un petit bras de mer – serait le lieu idéal pour produire un malt singulier dans lequel toute la personnalité de l’île pourrait s’exprimer. Solitaire et peu peuplé, ce village de 200 habitants est le plus septentrional d’Arran, il ancre la production dans son paysage maritime et tourmenté.

Les choix esthétiques répondent cependant aux enjeux du marché et la production s’est donc orientée vers des whiskies capables d’exprimer une personnalité avec un vieillissement court, mais aussi de murir plus longtemps dans des fûts de sherry. Cette ligne a donné une identité propre à Arran dont le single malt n’est pas clivant mais peut s’avérer plus complexe quand la maturation est plus longue ou qu’un peu de tourbe s’invite dans le séchage de l’orge. C’est la volonté du fondateur mais aussi la géogra-phie qui s’exprime ; cette sédimentation particulière des usages et des hommes qui gé-nère des identités territoriales.

Une production articulée à d’autres centres

Arran Malt a une capacité de production de 750 000 litres par an. En comparaison, plus au nord, Isle of Jura - le whisky favori de George Orwell - produit à Craighouse plus de deux millions de litres par an. C’est donc un volume notable, mais qui place la distillerie – encore indépendante – en deçà des grandes marques insulaires.

La distillerie a d’abord vécu de son malt en le vendant pour la production de blend et en embouteillant des NAS - Non Age Statement, un whisky au vieillissement minimal de trois ans qui permet d’assurer la viabilité économique de l’entreprise et de patienter le temps d’un vieillissement plus noble. Aujourd’hui, plusieurs expressions sont dispo-nibles, dont un dix ans – ce qui a longtemps constitué un standard du marché – et quelques millésimes qui ancrent la distillerie dans l’histoire locale.

L’orge n’est pourtant pas produite sur l’île – et en partie seulement maltée – et une partie du vieillissement a aussi été délocalisée par manque de place. Face à l’impossibilité d’agrandir les warehouse, ces entrepôts dans lesquels patientent les eaux de vie, une partie de la production est aujourd’hui entreposée à Springbank (Campbel-town), dans la péninsule du Kyntire où la place ne manque pas car il s’agit d’un des haut-lieux de l’histoire de la production de whisky.

Aucune dynamique n’échappe à sa géographie, Arran est bien une île et son territoire contraint la distillerie à un développement raisonné. De nouveaux alambics sont venus étoffer l’équipement et une deuxième distillerie serait à l’étude. Mais, les lieux et les hommes n’ont pas encore trouvé le point de rencontre qui transforme une activité en terroir. Gilles Deleuze et Félix Guattari avaient saisi dans Rhizome (Minuit, 1976) l’expression de ce rapport complexe à l’environnement : « dans toute chose il y a des lignes d’articulation ou de segmentation, des strates, des territorialités ; mais aussi des lignes de fuite, des mouvements de déterritorialisation et de destratification ».

C’est en effet au prix d’une attention particulière à toutes les sédimentations, à tous les indices d’un ancrage ou d’une fuite, à tout ce que les hommes ont pris ou ont laissé de leur environnement que l’on peut comprendre la dialectique singulière de la produc-tion de whisky en Ecosse.

 

Zooms d’étude

 

Zoom 1. Ile d’Arran : Lochranza – un produit issu de sa géographie

Littéralement « discordance », le terme fondé au XVIII° siècle par le géologue James Hutton reflète la forte personnalité géographique d’Arran. Observée pour la première fois à Siccar Point, dans l’est de l’Ecosse, la discordance géologique désigne des lieux dans lesquels des roches de différentes périodes cohabitent, produisant un paysage et un environnement singuliers, où se mélangent des phases d’érosions différentes.

Hutton a beaucoup travaillé à Arran et a relevé à Lochranza des cohabitations simi-laires. L’île est aujourd’hui un lieu privilégié pour l’observation de ces discordances de Hutton qui ont profondément modifié la géologie moderne. Le single malt d’Arran con-tient lui aussi toute la sédimentation historique et géographique de l’île, Unconformity malt ou whisky de la discordance il exprime ses particularités et sa singulière insulari-té.

 


Ile d’Arran : Lochranza

 

 


Repères géographiques

 

 

 

Zoom 2 Campbeltown – un hyper-lieu du whisky





Située au sud de la péninsule du Kyntire, Campbeltown est, selon l’expression du géo-graphe Michel Lussault, un « hyper-lieu » du whisky. Cité emblématique de la produc-tion au XIX° siècle, elle compta jusqu’à 34 distilleries sur son territoire, avant de voir une partie de ces entreprises balayées par la crise de 1850. L’histoire du whisky est marquée par les crises et Campbeltown, plus qu’une autre ville, en est le témoignage. En 1920, il ne restait plus qu’une distillerie sur place.

Si aujourd’hui le malt de Campbeltown demeure l’un des plus recherché, il ne faut donc pas oublier que la production a failli connaître une éclipse définitive. Crise de surpro-duction, dégradation de la qualité, concurrence et changements de mode mais aussi épuisement de la mine de charbon de Machrihanish... Les raisons sont nombreuses que les spécialistes avancent pour expliquer cette crise structurelle. Cela étant, les avis di-vergent et personne ne peut expliquer concrètement ce qui a produit ce crash indus-triel.

Ce qui ressort de tout cela est bien le caractère systémique de la production et donc le fait que le whisky, même s’il n’entretient pas de rapport direct avec le sol et le climat, est bien le fruit d’un terroir. Le terroir est une affaire complexe et Campbletown l’exprime totalement. Springbank, la grande distillerie de la renaissance de la ville, qui a fait du maltage local un argument d’ancrage en témoigne, c’est aujourd’hui une des marques les plus plébiscitées par les spécialistes et son whisky exprime le caractère disparu des productions légendaires de Campbeltown. Si l’esprit d’un lieu survit grâce à une production locale, c’est bien le signe d’une interaction forte entre les hommes et leur milieu. De l’existence d’un terroir.

 


Campbeltown

 

 


Repères géographiques

 

 

Image complémentaire

L’île d’Arran dans son cadre régional écossais

 

 


Repères géographiques

 

 

D’autres ressources

Sur le site CNES GeoImage :

Laurent Carroué : Royaume-Uni - Faslane : la base navale sous-marine écossaise au rôle géostratégique
/geoimage/royaume-uni-faslane-la-base-navale-sous-marine-ecossaise-au-role-geostrategique-0

Contributeur

David Neuman, professeur agrégé d’histoire et géographie, lycée Saint Sernin, Toulouse