Royaume-Uni - Aberdeen ; un cluster pétrolier à vocation mondiale en transition vers l’éolien offshore et les énergies marines

Située au Nord-Est de l'Ecosse, Aberdeen, petite ville périphérique portuaire, est devenue, à partir des années 1970 avec la découverte de gisements de pétrole en mer du Nord, la capitale britannique et européenne des hydrocarbures offshore. Ceux-ci y emploient encore 40 % des 300 000 actifs. Loin de vouloir sortir du « tout pétrole » tout en prenant en compte les nouvelles attentes environnementale, Aberdeen s'oriente aujourd'hui vers une voie médiane entre diversification de ses ressources et transition énergétiques. Ses territoires de l'énergie se recomposent, son système d'acteurs s'élargit à d'autres échelles et accompagne ces nouvelles dynamiques. La stratégie d'Aberdeen est de devenir d'ici quelques années un véritable cluster énergétique mondial intégré et polyvalent en se développant sur l’éolien offshore et les énergies marines.

 

Légende de l’image

 


Cette image d'Aberdeen, ville portuaire du nord-est de l'Écosse, a été prise par le satellite Sentinel-2B le 23 juin 2022. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles de résolution native à 10m.

L'image ci-contre présente des repères géographiques de la région.

Contient des informations © COPERNICUS SENTINEL 2022, tous droits réservés.

 


Repères géographiques

 

 

 

Présentation de l’image globale

Aberdeen : capitale européenne des hydrocarbures offshore

Aberdeen, une ville périphérique située entre un océan de pâturages et la mer du Nord

Sur le littoral nord-est de l’Écosse, au Royaume-Uni, la ville d’Aberdeen est une ville portuaire ouverte sur la mer du Nord. L'image satellite couvre deux régions administratives écossaises parmi les trente-deux council areas : l'Aberdeenshire qui occupe la quasi-totalité de l'image et Aberdeen. Petite curiosité administrative : le conseil de l'Aberdeenshire est situé hors de son council area et se localise dans celui d'Aberdeen, à Woodhill House.

Installée initialement dans l'estuaire du Don, au XIe siècle, la ville prend le nom d'Aberdeen, deux siècles plus tard, lorsque le village primitif rejoint un second bourg établi à l'embouchure de la Dee. Son activité portuaire est ancienne et surtout orientée sur la pêche. La ville connaît un climat océanique où les températures annuelles avoisinent les 11°C, avec des hivers doux (températures autour de 6°C la journée) et des étés frais (températures autour de 19°C la journée). Les précipitations annuelles sont moyennes avec 750 mm par an, mais dans le mois le plus pluvieux (octobre), elles s'élèvent à 100 mm. Plusieurs surnoms caractérisent Aberdeen comme The Granite City (« la ville de granite ») ou The Grey City (« la ville grise ») car la majorité des bâtiments sont en granite, comme on peut l'observer sur l'image satellite.

Sur un relief de plaine littorale, l'Aberdeenshire est une région agricole mixte. Les couleurs de l'image satellite permettent de distinguer des espaces agricoles divers avec des champs de pâturages entrecoupés de prairies de fauche, de cultures arables, et des espaces boisés, dans les bassins versants de la Dee et du Don. Le littoral présente un bel éventail de formes morphologiques. L’image satellite permet de distinguer des falaises abruptes entre Aberdeen et Stonehaven au sud, mais aussi des dunes de sable entre les embouchures des rivières Don et Ythan, plus au nord avec le « Sahara miniature » des Sables de Forvie

Aberdeen, une métropole dynamique et attractive portée par les énergies

Aberdeen est la troisième ville la plus peuplée d’Écosse avec 213 000 habitants (en 2022) après Édimbourg (548 000 habitants) et Glasgow (1,688 millions d'habitants). C'est l'une des villes d'Écosse qui connaît la croissance la plus rapide. Au cours des quatre dernières années, Aberdeen a connu une augmentation de ses habitants de près de + 12 %. Néanmoins, la population de la ville est légèrement plus âgée que celle de l'ensemble de l'Écosse, avec 16,4 % de la population de moins de 16 ans, contre une moyenne nationale de 19 %. 

Un habitant d'Aberdeen sur quatre est né en dehors de l'Écosse. La ville accueille en effet de nombreux travailleurs étrangers venus travailler dans les secteurs de l’énergie, de l'industrie et du bâtiment. Pour l'année 2016, 10 % des travailleurs étrangers arrivant en Ecosse se sont installés à Aberdeen soit 4 900 migrants. La majorité sont des jeunes actifs âgés entre 18 et 34 ans, répartis à peu près équitablement entre hommes et femmes. Avant le Brexit, trois nationalités se démarquaient : les Polonais (20 % des migrants), les Roumains (10 %) et les Nigérians (6,6 %).

Aberdeen est une métropole concentrant la majorité des habitants des deux council areas, Aberdeen et Aberdeenshire. En dehors d'Aberdeen, la population vit dans de petites villes (environ 10 000 habitants) et villages de la plaine de l’Aberdeenshire, comme Inverurie, Bankory, Ellon, par lesquels passent les principales voies de transport, comme la A90 qui relie Aberdeen à Inverurie.

Malgré son éloignement des autres grandes villes écossaises (200 km d’Édimbourg, 230 km de Glasgow) et des principales villes du Royaume-Uni (650 km de Manchester, 870 km de Londres), Aberdeen est très bien desservie et dispose d’un réseau de transport étendu. Situé dans l’agglomération voisine de Dyce, la ville dispose d’un aéroport desservant principalement des destinations britanniques et européennes pour les vols de passagers et de fret. L’aéroport d’Aberdeen gère plus de 37 000 mouvements d’ailes tournantes, la moitié étant représentés par les hélicoptères.

En effet, l’héliport d’Aberdeen est l’un des plus fréquenté au monde. Il relie les nombreuses installations pétrolières offshore de la mer du Nord. Ce sont près de 500 000 passagers par an qui se déplacent par hélicoptère depuis Aberdeen vers les champs pétrolifères de la mer du Nord. L’aéroport d’Aberdeen propose également des vols charters de compagnies pétrolières vers l’Amérique du Sud, la Corée du Sud, les Etats-Unis. Deux gares ferroviaires complètent ce réseau de transport ainsi que de nombreuses lignes d’autobus longue distance et interurbains.

Aberdeen, une ville portuaire qui s’est enrichie grâce au boom des hydrocarbures de la Mer du Nord

Aberdeen est parmi les villes portuaires les plus importantes du Royaume-Uni situées sur la mer du Nord. Son port permet le ravitaillement des plates-formes pétrolières offshore de la Mer du Nord qui le borde. Aberdeen est devenue riche grâce à cette manne pétrolière provenant des profondeurs maritimes.

Au début des années 1960, les compagnies pétrolières commencent à quadriller l'ensemble de la mer du Nord. Mais c’est avec la Convention de Genève, signée en 1958, et entrée en vigueur en 1964, que les délimitations des frontières maritimes du plateau continental entre la Norvège, le Danemark et le Royaume-Uni permettent d’accorder les premières licences de prospection et de forage (Esso, Shell, Total…) en mer du Nord. La sécurisation juridique des tracés frontaliers maritimes permet en effet le lancement des grands investissements des majors du pétrole.  

Les premiers gisements repérés au large d’Aberdeen datent de 1970. Cette activité pétrolière a suscité une industrialisation rapide et dispersée de la région d'Aberdeen. Dès 1972, la ville est encadrée par plusieurs terminaux et devient une base logistique importante. Des travaux d’aménagements de grande envergure sont entrepris pour transformer le port. La ville s’industrialise, accueille de plus en plus de population, des sociétés nouvelles attirées par cette manne pétrolière. Par exemple, en 1975, plus de 6 000 emplois sont créés et les espaces vides sont aménagés.

Très rapidement, Aberdeen devient la capitale européenne du pétrole offshore, avec pour pendant en mer du Nord la ville de Stavanger côté norvégien. Les paysages urbains se sont transformés. Les clochers gothiques de granite de la fin du XIXe siècle cohabitent avec d'immenses immeubles et succursales des grands groupes pétroliers. Des centaines de PME locales se sont créées. Certaines sont devenues à leur tour des groupes parapétroliers internationaux, comme Dana Petroleum, rachetée dans les années 2010 par un groupe sud-coréen.

Aberdeen est progressivement devenue de plus en plus dépendante de l'industrie gazière et pétrolière. Un quart de sa population vit de ces activités. La ville connaît une polarisation croissante lié à un fort dualisme socio-économique entre d’un côté une population hautement qualifiée et très bien rémunérée et de l’autre une population confrontée à 15 % par une forme pauvreté́ relative. 30 % des ménages de la ville sont touchés par la précarité́ énergétique, situation paradoxale pour une capitale énergétique.

Une transition énergétique à deux vitesses : la question de la sécurité énergétique et le maintien de l’exploitation des hydrocarbures en mer du Nord

La question de la sécurité énergétique est aujourd’hui une problématique centrale dans les politiques énergétiques des États, en particulier au Royaume-Uni. L’offensive russe en Ukraine, du début de l’année 2022, a soulevé les problèmes d’approvisionnement avec les interruptions de livraison de gaz, l’envolée des prix de l’énergie et l’inflation. Pour le Royaume-Uni, il s'agit de maintenir l'exploitation des hydrocarbures et se préserver d'une pénurie énergétique et d'importantes conséquences économiques.

En effet, les hydrocarbures en mer du Nord britannique restent stratégiques pour le Royaume-Uni, l’Ecosse et en particulier Aberdeen, puisqu'ils sont sources de rentrées fiscales importantes, contribuent à répondre à des besoins énergétiques et sont un gros pourvoyeur d'emplois. L’industrie pétrolière représente aujourd’hui 15 % de la richesse produite par l’Ecosse ; mais à Aberdeen plus de la moitié de l’activité économique dépend directement ou indirectement du pétrole et du gaz. 40 % des 300 000 actifs d’Aberdeen et de sa région travaillent dans l’industrie pétrolière ou chez des sous-traitants qui sont liés à cette dernière.

L'exploitation des hydrocarbures en mer du Nord est maintenue et les campagnes de forage en Mer du Nord continuent malgré l’épuisement des gisements les plus anciens. On assiste progressivement comme dans la Norvège voisine au glissement de l’exploitation vers le Nord. Ces dernières décennies, de nouveaux gisements pétroliers ont en effet été trouvés dans la mer du Nord. En 2001, le gisement Buzzard a été trouvé au large d'Aberdeen, avec une production de 1 milliard de barils de pétrole. En 2010, un autre gisement a été découvert par la compagnie pétrolière britannique EnCore Oil, le gisement de Catcher sur la côte Est de l'Écosse. Selon EnCore Oil, il pourrait contenir jusqu'à 300 millions de barils de pétrole.

Plus récemment, en 2021, quelques mois avant la COP26, réunie à Glasgow, le gouvernement britannique annonçait vouloir autoriser de nouveaux forages pétroliers et gaziers en mer du Nord. Ainsi, la compagnie écossaise Siccar Point Energy attend actuellement l’approbation du gouvernement britannique pour exploiter un gisement découvert en 2002 au large des îles Shetland. Ce projet, baptisé Cambo, pourrait fournir jusqu’à 170 millions de barils de pétrole et de gaz naturel, exploitables sur 25 ans.

Les élus britanniques, écossais et de la municipalité d’Aberdeen excluent un phasing out, une sortie complète du pétrole. L’objectif stratégique actuel est de « décarboner » la politique énergétique en réduisant de 50 % les émissions produites par le secteur des hydrocarbures. Pour atteindre cette baisse de pollution, les plates-formes pétrolières et gazières seront alimentées grâce à des énergies renouvelables, par des projets de captage et stockage du CO2 ou encore par la production d'hydrogène. Cette orientation aboutit à une sorte de paradoxe : le développement des énergies renouvelables, tout en investissant dans les hydrocarbures en mer du Nord.

Vers une transition énergétique avec le développement de nouvelles énergies

Depuis le début des années 2000, la production d’hydrocarbures a chuté de 8 % à 9 % par an. Le pic de production a été franchi dans les années 1990. Des estimations pronostiquent que les gisements seront taris d'ici 40 à 50 ans. Dans ce contexte, l'objectif aujourd'hui pour Aberdeen est de s'établir comme un cluster énergétique mondial intégré dont les activités de transition - éolien offshore, hydrogène et captage et stockage du carbone - croissent et se développent parallèlement au pétrole et au gaz.

Diversité et lutte contre la précarité énergétique. Depuis le début des années 1990, Aberdeen réfléchit à une diversification de ses ressources énergétiques. Elle a été la première collectivité́ locale écossaise à faire installer des panneaux solaires sur les bâtiments publics. Elle s’est également engagée, très tôt, dans la lutte contre la précarité́ énergétique, en mettant en place des mesures d’efficacité́ pour les logements sociaux des quartiers défavorises. En 2002, la municipalité a créé une entreprise sociale de chauffage urbain, Aberdeen Heat and Power. Celle-ci a ainsi équipé vingt-six blocs d’immeubles de logements sociaux d’une centrale de cogénération dans les quartiers modestes de la ville.

Outre cette orientation liée à une politique d'autonomie énergétique locale associée à une lutte contre la précarité́ en matière d'énergie, Aberdeen développe un second objectif. La mairie s'est engagée en faveur du soutien à l’innovation dans le secteur énergétique et développe l'éolien offshore. Cette ressource ne représente, pour l'instant, qu’une toute petite fraction de l’électricité produite dans le monde mais pourrait représenter dans les vingt prochaines années un marché́ de plus de 1 000 milliards de dollars - soit 842 milliards d’euros, selon l’Agence internationale de l’Energie (AIE). En effet, une éolienne offshore produit aujourd'hui deux fois plus d'électricité qu'une éolienne terrestre.

Les nouveaux enjeux de l'éolien offshore et de de l'éolien farshore. Consciente de ces avantages financiers et des potentialités de son territoire, Aberdeen s'est engagée dans le développement de l'éolien offshore. Planifié dès 2003, par le groupe d'énergie renouvelable d'Aberdeen (AREG), le permis de construire du premier parc éolien offshore d’Aberdeen Bay est accordé par le gouvernement écossais dix ans plus tard. La construction ne commence finalement qu’en 2017 et sa mise en service débute l'année suivante. Aujourd'hui, les onze éoliennes d'Aberdeen Bay produisent 93.2 MW.

Cette électricité produite par les éoliennes en mer est toutefois onéreuse. En fonctionnement, le prix oscille entre 150 et 200 euros le MWh. C'est pour réduire ce coût et palier à d'autres difficultés que représente l'éolien offshore comme l'installation, et le raccordement par des câbles sous-marins, qu'Aberdeen développe aujourd'hui une nouvelle technologie, celle de l'éolien farshore, c'est-à-dire en haute-mer à plus de 30 kilomètres des côtes. A cet enjeu technique, s'ajoute un enjeu économique, la filière espère abaisser le coût de production à 100-125 euros, pour se rapprocher du prix de l’éolien terrestre (82 euros / MWh).

L’énergie hydrogène. Outre le développement de l'éolien offshore, Aberdeen cherche à s’afficher comme une pionnière dans la technologie de l’énergie hydrogène. Elle s’est dotée depuis 2015 d’une dizaine de bus à hydrogène et vient de compléter sa flotte par quinze « double deckers » (bus à impériale à deux étages). D'un prix unitaire de 500.000 livres sterling (554.000 euros), ils ont été financés par la municipalité, le gouvernement écossais et l’Union Européenne.

Doté d’un nouveau procédé, celui de l’électrolyse qui consiste à faire passer un courant électrique dans de l’eau afin de générer du dihydrogène et du dioxygène, cette nouvelle flotte ne rejette que de la vapeur d’eau. Ces nouveaux bus sont aussi efficaces que leurs équivalents électriques, leur ravitaillement se faisant en moins de dix minutes. Le principal inconvénient reste pour l'instant leur coût : un bus à hydrogène coute presque trois fois plus cher qu’un bus diesel. Le premier ferry au monde propulsé à l'hydrogène est également en phase de test en Ecosse, sur l'île d'Orkney.

Aberdeen entend également développer une industrie de l'hydrogène dans la région, face à une demande croissante pour ce gaz dans le monde. Actuellement, Aberdeen produit 500 kilogrammes d'hydrogène vert par jour. D’ici trois ans, la ville espère en produire trois tonnes et demi.


 

Zoom d’étude

 

Territoires et acteurs du système productif énergétique d’Aberdeen : transitions, mutations et recompositions

Des territoires de l’énergie en recomposition

Le port d’Aberdeen : un port de pêche bouleversé et dopé par les hydrocarbures

Le port d’Aberdeen se compose du port d’origine Aberdeen North Harbour et depuis 2017 d’un second port Aberdeen South Harbour, établi à Nigg Bay, au sud du port existant. En 2022, le port est renommé Port of Aberdeen, englobant ces deux installations.

Le port d’Aberdeen a été construit au XIIe siècle. Successivement aménagé, au fil des siècles, il accueille des industries liées à l’activité piscicole et aux constructions navales. C’est dans le courant des années 1970 que le port, après la découverte de gisements pétrolifères et gaziers en mer du Nord, commence à se spécialiser dans le secteur de l’énergie. 1973 constitue une daté clé pour le port. En effet, la firme transnationale Shell conclut un partenariat avec le port pour créer une base d'approvisionnement en pétrole et en gaz à Maitlands Quay sur la rivière Dee. D'autres bases d'approvisionnement offshore sont rapidement aménagées dans les décennies suivantes.

Le port est totalement réaménagé et devient le principal port d'Europe à desservir l'industrie pétrolière et gazière offshore. L’industrie de la pêche décline dans les années 1990 et le port se diversifie vers le transport de vrac, de produits forestiers, de céréales et de cargaisons minérales. Il compte six quais, et gère plusieurs gammes de navires tels que les navires de ravitaillement de plate-forme, les navires de soutien à la plongée, les remorqueurs de manutention d'ancres, les navires d'enquête et les navires d'intervention d'urgence. En 2015, ces navires représentaient entre 65 % et 75 % du trafic maritime au port. Aujourd’hui, plus de 4 millions de tonnes de cargo et 170 000 passagers transitent par son port. Il dessert 36 destinations dans le monde.

Face au port, se localise Aberdeen Anch, une zone d'ancrage (en vert sur l'image satellite) pour les navires qui ne peuvent pas mouiller dans la zone portuaire car trop longs ou au tirant d’eau trop profond. Ce sont principalement les navires de ravitaillement offshore (38 %), les navires de sécurité en attente (11 %), les marchandises générales (9 %), les navires de ravitaillement (8 %), les navires de recherche/enquête (5 %).

La zone d’extension du port : l’Aberdeen South Harbour porté par le boom de l’éolien offshore.

Le port d’Aberdeen est apparu, au début des années 2010, comme sous dimensionné face à des navires de plus en plus gigantesques. Aussi, en 2017, un nouveau port est construit, l’Aberdeen South Harbour. Avec un coût de 400 millions de livres sterling, il est le plus grand projet d'infrastructure maritime au Royaume-Uni. Il a pour vocation d’accueillir des navires plus grands, plus larges, nécessitant un arrimage en eaux plus profondes et capables de transporter des pales ou des câbles d'éoliennes offshore géantes (représentés en violet sur l’image satellite) 

Ouvert depuis octobre 2022, ce sont aussi des navires poseurs de canalisations, des navires de construction des plates-formes autoélévatrices et des FPSO (navires flottants de production, de stockage et de déchargement) qui s’arriment désormais dans l’Aberdeen South Harbour. Cette extension portuaire offre aussi  une vaste zone de dépôt et des capacités de levage lourd. Elle comprend quatre quais : le quai Dunnottar de 400 mètres de long (quai est), le quai Crathes de 175 mètres de long (quai sud), le Castlegate Quay, le quai nord, d’une longueur de 540 mètres et le Balmoral Quay, le quai ouest, long de 300 mètres dont la construction devrait s’achever en mai-juin 2023. L’Aberdeen South Harbour développe une seconde vocation, celle de devenir un éco-port avec la zone de transition énergétique attenante qui devrait accueillir des entreprises et laboratoires technologiques spécialisés.

Les territoires de la recherche orientés vers l'innovation énergétique.

Ces territoires consacrés au secteur de la Recherche et Développement à Aberdeen reposent sur les centres de recherche des deux universités de la ville. L'Université d'Aberdeen s'intéresse particulièrement aux activités liées à l'éolien offshore, la biomasse, l'énergie marine et l'énergie solaire. L'Université Robert Gordon avec le Centre for Research in Energy and Environment développent de nombreux projets dans l’énergie marine. A ces institutions s'ajoute la recherche en entreprise en particulier dans le secteur éolien, solaire, bioénergie, énergie marine, systèmes de transmission. Ces entreprises se localisent parmi les trente-quatre zones industrielles que compte la ville et qui  regroupent plus de 1 450 entreprises.

Les nouveaux territoires de l’énergie

Le parc éolien d’Aberdeen bay et les projets d’hydrogène

Le parc éolien d’Aberdeen bay (en jaune sur l’image satellite) est installé à trois kilomètres de la côte est de l’Aberdeenshire. Il compte onze éoliennes dites fixes d'une capacité installée de 93,2 mégawatts. Il a été mis en service en 2018. Il y a plus de six km de câbles sous-marins qui relient le parc au littoral (en violet sur l'image satellite).

Ce parc éolien d’Aberdeen Bay est également très célèbre en raison de sa médiatisation. Donald Trump, qui n’était pas encore président des États-Unis, avait eu recours à la justice car le parc éolien se localise au large d’un terrain où le milliardaire voulait construire tout un complexe touristique avec un parcours de golf, un hôtel, des maisons et villages de vacances. Donald Trump a engagé toute une action en justice  qui s’est terminée en 2015 par le rejet  à l’unanimité de son appel par la Cour suprême.

Dans sa dynamique de développer de nouvelles énergies, un projet pilote offshore éolien -hydrogène vient d'être conclu entre Aberdeen et la compagnie suédoise Vattenfall. Il s’agit d’utiliser l’électricité issue d'une des éoliennes offshore existantes de l’Aberdeen bay (turbine située au nord-est de la deuxième rangée d'éoliennes, sur l'image satellite) pour produire de l'hydrogène sur la plate-forme elle-même. L’hydrogène sera acheminé vers une zone de stockage proche de la ville, située dans la zone d’extension du port, grâce à une pipeline (représentée en rouge sur l’image satellite). Le gouvernement britannique a financé le projet à hauteur de 9 millions de livres. Ce projet pilote offshore éolien-hydrogène, appelé Hydrogen Turbine 1 (HT1) est révolutionnaire et place Aberdeen comme pionnière dans ce nouveau secteur des énergies renouvelables.

Kincardine : la ferme éolienne flottante la plus importante du monde.

Ce projet offshore de Kincardine, achevé en 2021, comprend six éoliennes installées dans la baie d’Aberdeen, à quinze kilomètres des côtes. Avec une puissance cumulée de 50 MW, Kincardine est la plus grande ferme éolienne flottante du monde. Elle devrait générer annuellement environ 218 GWh (gigawattheures) d’électricité verte, ce qui correspond à la consommation moyenne de 55.000 ménages écossais.

Ces éoliennes ne sont pas posées sur le fond marin mais elles sont fixées  sur d’énormes structures métalliques flottantes, ancrées par des câbles, comme certaines plateformes pétrolières. Ce système d’ancrage permet d’installer les éoliennes par des fonds plus profonds donc plus loin des côtes, là où les vents sont plus puissants.


Un système d’acteurs complexe

Une gouvernance plurielle et multiscalaire du secteur énergétique à Aberdeen.

Le secteur de l’énergie en Écosse, mais particulièrement dans la ville d’Aberdeen, est soumis à différents niveaux de gouvernance évoluant au gré des rapports entre les gouvernements britannique et écossais. Les différents événements comme le référendum sur l’indépendance de l’Écosse (2014), le Brexit (2016) et aujourd’hui le conflit en Ukraine, ont replacé la question de l’énergie, en particulier la sécurité énergétique, au cœur des débats.

Le Parlement britannique est responsable de toute la législation concernant le secteur de l’énergie. Le Parlement écossais, quant lui, décide des orientations qu’il souhaite donner en matière de politique énergétique, pour cela, il s’appuie sur les collectivités territoriales et les acteurs locaux. La participation des acteurs locaux urbains comme acteurs du secteur énergétique est relativement récente. En adoptant en 2009 la loi climatique, Climate Change Act Scotland, et en engageant l’Écosse à réduire de 80 % ses émissions de carbone d’ici à 2050 par rapport au niveau de 1990, le Parlement écossais a mobilisé les autorités locales en les engageant à participer à cet effort de réduction des gaz à effet de serre.

Malgré des compétences décisionnelles, budgétaires qui restent du ressort du Parlement écossais et de Londres, Aberdeen dispose de prérogatives lui permettant d’investir de plus en plus dans le secteur énergétique. La municipalité s’est lancée dans le développement des énergies renouvelables, avec pour objectif la réduction de sa dépendance énergétique à l’égard des hydrocarbures, la diminution de ses émissions de carbone. Pour remplir ces orientations, la ville s’est équipée d’un service « développement durable ». Dans son plan « Aberdeen en transition, un voyage vers 2050 », la municipalité envisage de s'alimenter à 100 % avec des sources d’énergie renouvelable, avec un centre-ville piétonnier et cyclable, un accès des transports en commun dans tous les quartiers, de nouveaux bâtiments zéro émission, des espaces verts. Elle envisage également de convertir la Centrale municipale de production d’électricité et de chaleur en la faisant fonctionner au bois et non plus au gaz. Celle-ci alimenterait plus de 2000 logements sociaux et permettrait de réduire de 40 % les émissions en CO2.

Un partenariat public/privé ancien mais de nouvelles dynamiques d'acteurs

La municipalité d’Aberdeen coopère depuis les années 1980 avec des acteurs privés nationaux comme BP ou Scottish Oil mais aussi internationaux comme les multinationales TotalEnergies, Geodis, Shell, Ithaca Energy. Ces firmes sont très impliquées dans les choix stratégiques pris par les élus locaux en matière énergétique, mais aussi dans l’aménagement des territoires de l’énergie. En 2016, par exemple, Geodis installe une nouvelle plate-forme gazière et pétrolière à Aberdeen. Cet entrepôt de 1 850 m² moderne, dispose d’un accès direct au port d’Aberdeen et est très proche de l’aéroport de la ville. Toutefois, ces majors des hydrocarbures veulent aujourd’hui prendre le train de la transition énergétique pour réduire leur impact carbone mais aussi améliorer leur image. Ainsi, fin 2021, TotalEnergies, a inauguré un pôle éolien en mer, à Aberdeen. Ce pôle a vocation à faciliter la transition du personnel des activités pétrolières et gazières vers l’éolien marin. Il a également pour objectif de devenir un hub éolien offshore pour la compagnie qui vient d’investir à hauteur de 140 millions de livres dans un projet, baptisé West of Orkney Windfarm, qui sera situé à 30 kilomètres au large de l’archipel écossais des Orcades, et débutera sa production d’ici 2030.

Outre ces grands noms du pétrole et gaz, une majorité d’entreprises locales sont des PME sous-traitantes et très dépendantes de la fluctuation du secteur des hydrocarbures. Elles cherchent elles aussi à se diversifier et à valoriser le potentiel du territoire en misant sur le développement de quelques secteurs clés : l’éolien offshore, l’énergie marine, l’hydrogène, le solaire, la biomasse et la cogénération. Ainsi, dès 2001, les pouvoirs locaux ont initié un regroupement d’entreprises locales s’associant pour travailler dans le secteur des énergies renouvelables, l’AREG (Aberdeen Renewable Energy Group). En 2015, plus de 170 entreprises s’étaient associés dans cette organisation. Un des exemples les plus significatifs de cette coopération public-privé est la réalisation du projet éolien offshore The European Offshore Wind Deployment Centre, ou Aberdeen bay, associant le groupe suédois Vattenfall (75%) et l’AREG (25%). Cofinancé par des fonds privés et des fonds publics écossais et européen, 350 millions d’euros ont été investi dans ce projet. Il a aussi reçu 500 000 euros de l’Union européenne pour effectuer des études sur la faune marine autour des éoliennes.

De nouveaux acteurs

Les habitants d’Aberdeen sont aujourd’hui de nouveaux acteurs du secteur de l’énergie. Même si elle n’est qu’à ses balbutiements, la participation citoyenne à la politique énergétique de la ville se développe. Pour cela, la municipalité a mis en place le projet MUSIC (Mitigation in Urban Areas : Solutions for Innovative Cities), en partie financé par les fonds Interreg entre 2011 et 2015. Il s’agit de sensibiliser les habitants aux énergies renouvelables en partie dans le secteur des transports.

Par ailleurs, les habitants interviennent également dans les orientations de la ville en matière énergétique en s’opposant à des projets d’aménagements. La création de la future « zone de transition énergétique » dans le quartier populaire de Torry est contestée par les habitants et constitue un conflit d’acteurs entre les nouveaux acteurs des énergies renouvelables et les habitants. Destiné à accueillir des entreprises du secteur des énergies vertes, ce projet serait aménagé sur l’actuel parc St Fittick, un espace vert coincé entre le golf et l’extension du port. Des zones humides prévues contre les inondations, un parc de jeux, des jardins partagés sont installés sur ces 12 hectares de verdure.

Aussi, regroupés en association les « amis de St Fittick’s », les résidents s’opposent à ce projet craignant de voir disparaître cet espace vert riche en biodiversité et important pour ce quartier défavorisé. L’association défend un autre projet pour le parc : la création d’un centre de formation pour les gens du quartier, d’un café coopératif, des jardins partagés étendus. Les habitants ont été rejoints par des députés Verts ainsi que l’ONG Friends of the Earth Scotland qui portent leur opposition devant le gouvernement écossais.

Aberdeen est une ville pétrolière innovante. Elle arrive en troisième position derrière Oxford et Cambridge dans les chiffres de dépôts de brevet pour des projets techniques liés à l’exploitation offshore comme le forage horizontal. L’université est un pôle d’excellence mondial sur ces sujets et les entreprises exportent leur savoir-faire dans le monde entier. Aberdeen fait ainsi figure de leader mondial et de modèle pour les pays pétroliers qui souhaitent développer l'exploitation offshore.

Aussi, l’Ecosse noue des contrats de coopération avec ces nouveaux pays. Par exemple, en 2018, le Guyana et l’Ecosse sont devenus des partenaires commerciaux. Le Guyana est le prochain grand producteur d’énergie offshore de l’Amérique du Sud. La première compagnie pétrolière mondiale, Exxon Mobil, a découvert, en 2016, le grand gisement "Liza" au large des côtes du pays. La poche maritime contiendrait plus de 4 milliards de barils de pétrole. Son exploitation a commencé en 2019. Une coopération pétrolière s’est établie entre le Guyana et l’Ecosse et en particulier avec Aberdeen. Des entreprises installées à Aberdeen, comme Stena Drilling, spécialisée dans le forage travaillant déjà avec Exxon Mobil, font le lien avec les acteurs du Guyana. Outre la signature de contrats pétroliers, le jumelage d’Aberdeen avec Georgetown, cette coopération s’étend aussi au domaine universitaire où des étudiants du Guyana viennent se former à l'Université Aberdeen spécialisée dans les métiers liés aux énergies fossiles.


 


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Repères géographiques

 

 


Le port d’Aberdeen

 

 


Le parc éolien d’Aberdeen bay

 

 

Image complémentaire

 

 

 

La région d’Aberdeen et du Nord-Est de l’Ecosse prise par un satellite Sentinel-2, en hiver.

 


Repères géographiques

 

 

D’autres ressources

Sur le site Géoimage du CNES :



Johan Walger : Norvège – Stavanger. De la « ville du pétrole » à la ville de l’énergie »
/geoimage/norvege-stavanger-de-la-ville-du-petrole-la-ville-de-lenergie

Sources et bibliographie

Sites et documentation :

Revue du port d’Aberdeen : https://www.portofaberdeen.co.uk/images/uploads/annual-review_(1).pdf

Revue de la municipalité d'Aberdeen :
https://www.aberdeencity.gov.uk/sites/default/files/2020-04/ETZ%20Feasi…

https://www-offshore--energy-biz.translate.goog/vattenfall-brings-fugro…


Bibliographie :

BARRÉ, Bertrand, (2011) MÉRENNE-SCHOUMAKER, Bernadette. Atlas des énergies mondiales. Vers un monde plus vert ?; Paris, 2d. Autrement.

BAFOIL, François (2016). Décentralisation énergétique et innovations territoriales. Une comparaison européenne dans les secteurs de l'éolien, de la biomasse et du photovoltaïque. [en ligne]. Paris : Sciencespo, Centre de recherches internationales. Disponible sur Internet :
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GUYET, Rachel. (2018) « Entre centralisation de l’énergie et émergence de nouveaux modèles énergétiques locaux. Le cas d’Aberdeen » in : Energies nouvelles, territoires autonomes ? [en ligne]. Paris : Presses de l’Inalco. (généré le 14 septembre 2022). Disponible sur Internet :
 <http://books.openedition.org/pressesinalco/17508&gt;. ISBN : 9782858312788. DOI : https://doi.org/10.4000/books.pressesinalco.17508.

Contributeur

Emilie DEFOLIE, professeure agrégée d'Histoire Géographie, Lycée Louise Michel, Narbonne - Académie de Montpellier.