La Réunion - Saint-Denis : entre mer et montagne, les défis d’une urbanisation contrainte

Saint-Denis est le chef-lieu de l’île de la Réunion, département et région ultra-marine française située à 700 km à l’est de Madagascar et 170 km au sud-ouest des côtes mauriciennes. L’image couvre une partie de l’aire urbaine dionysienne composée des communes de Saint-Denis, Sainte-Marie et Sainte-Suzanne (hors champ), ainsi qu’une partie de la commune de la Possession à partir de laquelle débute le grand chantier de la Nouvelle Route du Littoral censée résoudre les problèmes de circulation entre la « capitale », le port autonome de la Réunion et la côte Ouest. Avec ses 150.500 habitants, la seule commune de Saint-Denis polarise le Nord de l’île et plus globalement la vie insulaire en accueillant près de 18 % de la population et 3 0% des emplois. Le triplement de sa population en 50 ans est lié à une forte natalité, l’afflux de populations rurales mais aussi métropolitaines depuis la départementalisation en 1946. Cette croissance urbaine s’effectue à la fois le long des côtes de l’océan Indien et sur les pentes externes du volcan du Piton des Neiges. Elle se traduit par une forte consommation d’espace, alimentée par une demande en logements qui pose la question de l’artificialisation des sols et d’une forte pression foncière sur un territoire soumis à de fortes contraintes.

 

Légende de l’image

 

Dans l'océan indien, l'ile de la Réunion : l'image ci-dessus a été prise par le satellite Sentinel-2A le 11 mai 2021. Il s'agit d'une image en couleur naturelle et la résolution est de 10m.

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Les images de ce dossier ont été prises par un satellite Pleiades le 30 janvier 2018. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles, de résolution native à 0,70m, ré-échantillonnée à 0,5m. En savoir plus
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Repères géographiques

 

 

 

Présentation de l’image globale

Les dynamiques de l’agglomération de Saint-Denis de la Réunion : contraintes, aménagement et gestion des risques

Un « pachyderme » à l’assaut d’une montagne (G. A. Baronce)

Une expansion urbaine dissymétrique, épousant des pentes volcaniques... L’image globale atteste d’une croissance et d’un étalement urbain sur une topographie contraignante, étagée de 0 à plus de 2.000 m d’altitude. Georges André Baronce en donne une description imagée en 2009 : « L’extension de Saint-Denis a contribué à produire une tâche urbaine dont les contours dessinent la silhouette d’un éléphant en marche. Le pachyderme regarde vers l’ouest, en direction de La Montagne, là où a commencé le processus. Il tente d’avancer mais, bloqué par la montagne et n’ayant pas beaucoup de marge de manœuvre, il est obligé de reculer. Ce faisant, il enjambe la Rivière des Pluies, empiétant sur le territoire de Sainte-Marie, rappelant ainsi que son évolution n’est pas terminée et qu’elle est en train de s’opérer au détriment de la commune voisine. L’éléphant dionysien s’est ainsi échappé de la cage du damier originel ».

Plusieurs étapes et processus de croissance. Les différentes composantes de cet « éléphant » urbain permettent de retracer plusieurs étapes et processus de croissance, de la fondation par Etienne Régnault (premier gouverneur de l’île), de 1669 à nos jours.

La tête, située sur le promontoire rocheux de la pointe des Jardins et culminant à 35 m d’altitude, correspond au centre historique ; le Jardin botanique de l’État, créé en 1767 en constituant l’œil. Le corps, développé sur l’étroite plaine littorale allant de la Ravine du Butor à la Rivière des Pluies, s’étalant ensuite sur les premières pentes volcaniques en direction du Sud, présente un bâti diversifié continu aux allures de banlieue. Composé de zones résidentielles où domine l’habitat collectif, intercalé avec des zones d’activités, il témoigne d’une importante phase d’expansion urbaine datant des années 1960.

Ces tissus se prolongent en direction des « Hauts », où à partir d’une centaine de mètres et jusqu’à 800-900 m d’altitude se déploie la « marée » pavillonnaire, en doigts de gants le long des routes départementales et chemins. Elle dessine la trompe, les pattes et la queue de l’éléphant sur les pentes du Brûlé, de Saint-François, Bois de Nèfles, La Bretagne ou La Grande Montée. Cette dynamique spatiale à majorité résidentielle peut être qualifiée de « périurbaine », tout en tenant compte des spécificités du contexte insulaire réunionnais.

En effet, la très vaste superficie communale, conjuguée à de forts dénivelés sur des versants courts et raides - près de 1.000 m de dénivelé pour les seuls 10 km qui séparent le boulevard Sud des Hauts du quartier de Saint-François par exemple - fait que l’essentiel de la « périurbanisation » s’exerce sur un seul et même territoire communal, celui de Saint-Denis, même si elle gagne progressivement la commune de Sainte-Marie à l’Est. Les formes plus diffuses, plus discontinues et de plus faible densité sur ces hauteurs, justifient néanmoins l’emploi du mot « périurbain » et la comparaison avec la situation métropolitaine.

Le maintien d’importantes superficies forestières. L’image permet de se rendre compte de l’immensité du territoire communal principal, étendu selon l’expression consacrée « du battant des lames aux sommets des montagnes » : 142,8 km², un chiffre proche de la moyenne réunionnaise (104,3 km²), mais plus de dix fois supérieur à celui de la moyenne hexagonale (14,87 km²). La « tâche urbaine » n’en couvre qu’une partie.

La forêt tropicale humide et ses formes dégradées, en partie protégée dans le cadre du Parc National reste omniprésente sur le fond et les versants des ravines, tout comme en altitude dès 300-400 m. Au-delà de 1.000 m, émergent à peine quelques rares et légers aménagements récréatifs (tables de pique-nique, parcours sportifs), notamment à Mamode Camp, sur les hauteurs du Brûlé. Les quelques sentiers de randonnée à peine visibles mènent jusqu’au sommet de la Roche Ecrite (2.276 m), limite du territoire dionysien au Sud avec les cirques de Mafate et Salazie.

L’expression d’une urbanisation fortement contrainte : des difficultés de circulation non résolues

La vaste superficie communale dionysienne ne doit donc pas faire illusion : de larges portions en demeurent inconstructibles en raison de fortes contraintes physiques, mais aussi, on le verra, réglementaires, qui cantonnent l’agglomération à un territoire restreint.

La contrainte de la pente et des ravines : des difficultés de circulation non résolues. De multiples ravines incisent les flancs du Massif de la Roche Ecrite. Les plus importantes d’entre elles - Rivière Saint-Denis, Ravine du Butor, des Patates à Durand et du Chaudron, Rivière des Pluies - forment des versants abrupts qui compartimentent l’agglomération et créent des ruptures d’urbanisation, expliquant la silhouette dissymétrique décrite précédemment. Elles délimitent des planèzes volcaniques, vastes plateaux inclinés sur lesquels l’urbanisation et la périurbanisation semblent a priori s’établir aisément malgré la forte déclivité (les pentes peuvent être supérieures à 20 %).

Réseau viaire et blocages. La contrainte réside principalement dans la difficulté de circulation induite par la quotidienne et longue ascension ou descente des routes à lacets appelés « rampes » par les habitants des Hauts. D’orientation Nord/Sud, ces routes départementales se terminent en cul-de-sac dans les Hauts, en raison des « remparts » difficilement franchissables que constituent les ravines. Elles débouchent toutes dans les Bas au niveau de l’unique boulevard Sud traversant d’Ouest en Est l’agglomération, en dehors de la RN2 toujours saturée qui longe le littoral. La rencontre des deux types de flux ne manque pas d’occasionner quotidiennement une congestion automobile monstre, d’autant plus problématique lorsque la Route du Littoral est basculée ou fermée (voir zoom 7).

L’importance de la voiture personnelle. Le dispositif de lignes de bus en site propre, qui couvre pourtant la quasi-totalité du territoire communal habité séduit peu les Dionysiens en raison de sa lenteur, de son manque de régularité et de la fréquence trop peu soutenue de ses passages dans les Hauts. La première ligne de téléphérique urbain mise en service en mars 2022 et reliant le quartier de Bois de Nèfles au Chaudron, pourra peut-être constituer un palliatif partiel… Les transports en commun ont en réalité bien du mal à concurrencer la voiture qui représente 85 % des déplacements, dont on sait qu’elle fait l’objet d’un quasi culte à La Réunion ! Ainsi que l’expliquent Jean-Christophe Gay ou Marie-Annick Lamy Giner, posséder ce signe extérieur de richesse est synonyme, à défaut d’ascension sociale, de valorisation. Malgré le taux de pauvreté qui s’élève à 37 % de la population dionysienne, les transferts publics et les crédits alimentent une forte consommation faisant gonfler le parc automobile, rendant toujours plus aiguë la question des transports urbains.

Une forte exposition aux risques

Pour tous ces quartiers en expansion dans les Hauts, l’implantation en pente représente de surcroît, une exposition non négligeable aux risques d’éboulements, chutes de blocs et glissements de terrain, sans compter les inondations liées aux ravines, notamment en période de fortes pluies et souvent à l’origine d’importants dégâts matériels sur le réseau routier.

 

Les limites infranchissables du Parc National de La Réunion. Les hiatus urbains introduits par les ravines, dressant leurs parois parfois quasi verticales, correspondent aussi très souvent à des espaces naturels protégés réglementés, à l’image de la Forêt départemento-domaniale de la Providence qui occupe la Ravine du Butor. De même, l’étonnante superficie non urbanisée que représente la Rivière Saint-Denis, isolant le quartier de La Montagne à l’Ouest, est la marque d’une position avancée du Parc National qui s’immisce ici jusqu’au cœur de l’agglomération. On peut rappeler en effet, que les ravines de la Réunion constituent des milieux à biodiversité reconnue, indispensables à la reproduction et nidification d’oiseaux endémiques telles que le Pétrel de Barau ou le Paille-en-queue.

Doc 3. Carte. Le Parc National de La Réunion sur la commune de Saint-Denis

D’importants aménagements pour pallier la rareté du foncier. Le foncier à bâtir étant donc rare à Saint-Denis, il a fallu le créer. C’est ainsi que l’on doit comprendre l’artificialisation poussée des cours d’eau que l’on distingue à peine dans leur partie aval.  Lits d’inondation et cônes de déjection ont été méthodiquement canalisés, endigués ou au besoin recouverts, comme c’est le cas pour la Ravine des Patates à Durand qui semble disparaître au niveau du quartier Mongaillard. Le chercheur David Lorion indique pourtant que les « débordements des ravines des quartiers Est de Saint-Denis ont fait preuve d’une belle régularité depuis le début du XIXe siècle », dénonçant l’« utopie sécuritaire » qui consiste, à multiplier, renforcer et surélever les digues à chaque épisode catastrophique. Comme on le verra dans le zoom 1, l’avancée sur l’océan est risquée, les terre-pleins visibles à l’image au niveau de la Grande Chaloupe, du Cap Bernard ou de l’aéroport restent dévolus aux infrastructures de transports.

Doc 3.  Le Parc National de La Réunion sur la commune de Saint-Denis

 

 

 

La première capitale ultra-marine : polarisation et fonctions urbaines                                                                                         

L’étalement mais aussi la densification de l’agglomération dionysienne ne sauraient être compris sans mobiliser les phénomènes de polarisation ayant conduit à la concentration de populations et activités dans cette partie de l’île.

Une polarisation démographique à relativiser. En rassemblant près de 18% de la  populationréunionnaise qui s’élève à 150.500 habitants, 21% si on lui adjoint la commune de Sainte-Marie qui tend à former avec elle une conurbation, Saint-Denis domine sans conteste l’armature urbaine insulaire. Il faut toutefois relativiser, du moins sur le plan démographique, l’idée de macrocéphalie urbaine. Comparé aux autres territoires ultramarins, le réseau urbain réunionnais apparaît plus équilibré : si Fort-de-France, Mamoudzou-Dzaoudzi ou encore Cayenne écrasent leurs réseaux respectifs en concentrant 40 % à 50 % de leur population départementale, à la Réunion, Saint-Paul, avec 103.000 habitants, et Saint-Pierre, avec 85.000 habitants, font concurrence au chef-lieu.

Une macrocéphalie fonctionnelle plus avérée. L’étendue des pôles d’activités périphériques qui ressortent de l’image (Champ Fleuri/, Moufia, Le Chaudron, Duparc…) témoignent d’une domination dionysienne plus nette sur le plan fonctionnel : 38 des 100 plus grands établissements économiques de l’île s’y trouvent rassemblés, 30 % des emplois dont 52 % de l’emploi stratégique (services aux entreprises, banques, assurances, recherche, enseignement supérieur). On notera toutefois, autre caractéristique ultramarine, la relative faiblesse des fonctions industrielles et commerciales, comparée à l’hypertrophie des services publics.

Celle-ci résulte de l’empilement de fonctions administratives qui font de Saint-Denis le réceptacle de tous les services représentant les échelons de pouvoir issus de la départementalisation (1946) et de la décentralisation (1982). Le quartier de Sainte Clotilde qui regroupe les sous-quartiers de Champ Fleuri, du Chaudron, du Moufia et de la Bretagne est à cet égard tout à fait représentatif en accueillant les locaux de l'Université de La Réunion, le Rectorat, l’Hôtel de Région, les Archives Départementales ou encore le siège de la CINOR ; l’intercommunalité que Saint-Denis forme avec Sainte-Marie et Sainte-Suzanne).

Une métropolisation en cours. L’on ne saurait toutefois réduire Saint-Denis à sa fonction publique étatique et territoriale, celle-ci étant complétée par des services financiers, marchands, des activités commerciales et logistiques qui confirment l’hyper-tertiarisation du tissu économique. Le parc technologique (TechNor) implanté sur 36 hectares au nord du quartier de La Bretagne et qui regroupe 90 entreprises, 19 laboratoires de recherche opérant dans les secteurs du numérique, de l’environnement, l’énergie, l’agroalimentaire, la santé et des biotechnologies, contribue fortement au rayonnement du chef-lieu. La présence des sièges sociaux de Canal+ Réunion, des chaînes télévisées locales (Antenne Réunion, Réunion La Première) y permet en outre le développement d’un pôle culturel, audio et télévisuel (entreprises, Université).

L’ensemble de ces activités fonde donc l’attractivité de Saint-Denis sur tout le territoire réunionnais, et notamment dans sa partie Nord, permettant d’identifier un processus de métropolisation insulaire. Selon la nouvelle nomenclature adoptée en 2020, l’INSEE définit une « aire d’attractivité » dionysienne étendue sur 6 communes allant de La Possession à l’Ouest à Bras-Panon à l’Est, Saint-Denis polarisant 60 % des emplois de cet ensemble.

 

Zooms d’étude

 

Zoom 1 – Une ex-ville coloniale côtière en mutation : le centre-ville de Saint-Denis

Le développement d’une ville côtière, le dos tourné à la mer

La décision du gouverneur Mahé de La Bourdonnais de transférer le chef-lieu de l’île Bourbon de Saint-Paul à Saint-Denis en 1738, marque le début du développement du quartier du Barachois (petit port en vieux français). Le déplacement des bureaux et entrepôts de la Compagnie maritime des Indes orientales consacre Saint-Denis comme principale place portuaire réunionnaise, spécialisée dans l’exportation du café puis du sucre.

Au vu de ce riche passé commercial, le littoral apparaît étonnamment peu investi. La mince bande de terre qui sert de rivage laisse principalement apparaître des marges non bâties, d’où se détache une vaste friche, nommée « Espace Océan », dont les projets d’aménagement n’ont jamais pu aboutir. L’actuelle Préfecture implantée dans un ancien entrepôt de café fait bien face à la mer, de même que l’ancienne caserne d’artillerie, désormais siège de la DEAL (Direction de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement). Cette reconversion fonctionnelle d’infrastructures à vocation maritime atteste toutefois de la déconnexion ville/océan.

C’est qu’en réalité, Saint-Denis n’a jamais été tout au plus qu’un débarcadère. Sa côte particulièrement inhospitalière, n’autorise pas l’aménagement d’un véritable port : sur l’image, l’étroite grève que l’on distingue à peine, témoigne de la force de la houle et des dynamiques marines érosives en l’absence de récif corallien frangeant protecteur. Au XIXème siècle, c’est donc un « pont-volant » métallique qui est utilisé pour acheminer passagers et marchandises, débarqués en chaloupes depuis des navires contraints de mouiller au large. Il faudra donc se résoudre à construire un véritable port, plus à l’Ouest, sur la côte-sous-le-vent, à la Pointe des Galets. Sa mise en service dans les années 1880 ainsi que celle de la ligne ferroviaire qui le relie, porte un coup d’arrêt à la fonction portuaire dionysienne. L’actuelle « crise requins » qui conduit les pouvoirs publics à interdire toute baignade et activités nautiques sur le rivage confirme la vocation maritime ratée de la ville.

Le littoral n’en demeure pas moins attractif pour les habitants

Il fonctionne dans les usages au niveau du Barachois comme un espace public, l’océan y servant de simple decorum urbain. La municipalité ne ménage pas sa peine pour l’intégrer au reste de l’agglomération. On relèvera notamment l’aménagement d’un square complété d’une promenade de type « paseo », se prolongeant par un sentier littoral. L’obstacle majeur demeure pour l’heure, l’imposant et bruyant boulevard 2X2 voies (RN2) qui coupe restaurants, commerces et casino situés de l’autre côté, de l’accès à ce qui pourrait constituer un « front de mer ». Dès l’époque coloniale, c’est sans conteste l’intérieur des terres qui polarise l’aménagement urbain.

Le plan ordonné de la ville historique

Ordonnées selon un plan typique des fondations coloniales, l’affirmation de fonctions administratives, culturelles, commerciales et religieuses au cœur de la ville historique. L’image fait nettement apparaître le plan hippodamien qui organise l’urbanisation dionysienne à partir de 1742. Sa trame régulière composée de 8 axes verticaux, coupés par 12 axes horizontaux, dessine des îlots de 12 000 m² enserrés chacun par 4 rues, d’où l’expression créole « allons bat’carré », synonyme de « faire un tour » !

Elle reflète encore en partie la hiérarchie fonctionnelle et sociale héritée de la période coloniale contribuant à faire de cette partie de la ville un lieu d’accumulation des fonctions de prestige et des élites. L’axe majeur de la rue de Paris aligne d’imposants édifices de style créole néo-classique et pondichérien dans lesquels s’inscrivent l’Hôtel de Ville, divers services administratifs et culturels de l’Etat, du Département et de la Région. La plupart relèvent de la cinquantaine d’édifices classés aux Monuments historiques à Saint-Denis. La rue Maréchal Leclerc, qui coupe celle de Paris en son centre est la principale artère commerciale, née à la fin du XIXème siècle avec l’arrivée des commerçants Indo-Musulmans et Chinois.

S’incarnant à l’origine dans le « magasin z’arabe » et la « boutik chinois », les petites structures marchandes spécialisées dans la vente de textile, biens de consommation et distribution alimentaire de détail, sont progressivement remplacées par des franchises standardisées. Le nombre et la variété des édifices cultuels et religieux présents sur cet espace central méritent d’être soulignés, tout comme la multiplication des établissements éducatifs confessionnels, dont la Medersa - seule école primaire française musulmane sous contrat avec l’Etat, fondée en 1947. Cathédrale, églises, temples hindous, pagodes bouddhistes et mosquée attestent de la forte religiosité ambiante et de l’emblématique « vivre ensemble » réunionnais. Des communautés religieuses et - de fait - ethniques originaires de trois continents, se juxtaposent ici dans une harmonie souvent érigée en exemple.

Organisation et architecture, reflets d’un système centre-périphérie hérité
 
L’organisation et l’architecture de l’habitat reflètent encore en partie le système centre-périphérie hérité de la plantation. La hiérarchie sociale de l’époque coloniale s’incarne dans le tissu des cases créoles édifiées à partir du XVIIIème siècle.  Les plus somptueuses d’entre elles, construites par les grandes familles bourgeoises ou de propriétaires fonciers blancs dominant l’économie sucrière, s’affichent encore de part et d’autre de la rue de Paris. La plupart relevant désormais de la propriété des collectivités territoriales, constituent un support de mise en tourisme et d’affirmation des fonctions culturelles sous forme de musées. L’intérêt réside dans leur architecture typique, combinant imposante « maison de maître » et jardin privatif ornemental et fruitier.

Au fur et à mesure que l’on s’éloigne du « carré d’or » dionysien, la maison de maître se décline en versions plus modestes, des « cases bourgeoises » jusqu’aux « ti cases » typiques du quartier populaire de Saint-Jacques à l’Est. Mais quelque soit le standing de l’habitat, les géographes comme Jean-Michel Jauze y relèvent les fondements d’un « mode d’habiter créole », caractérisé par la faible densité, l’importance de l’habitat pavillonnaire et du jardin privatif que l’on retrouve aujourd’hui sur les pentes volcaniques. Une transposition à la parcelle urbaine du mode d’occupation de la parcelle agricole en somme. Rappelons qu’à l’origine, les îlots urbains d’1,2 hectare concédés par la colonie, n’étaient affectés qu’à un seul propriétaire.

Un patrimoine menacé

La trame en damier a perduré, mais l’image actuelle ne rend plus compte de l’allure originelle de « ville-jardin », l’espace s’étant fortement densifié. Beaucoup des cases créoles ont disparu, les plus centrales d’entre elles, désormais soumises à des normes patrimoniales contraignantes sont coûteuses à entretenir et constituent souvent des objets de litiges dans les successions. Exposées aux dégradations et incendies, elles tendent à être remplacées par des programmes immobiliers plus standardisés et à même de rentabiliser un foncier rare.

Les premiers de ce type sont les cases dites SATEC, du nom de la Société d'Aide Technique et de Coopération qui les développe, à partir de 1963, sous forme de maisons jumelées ou non, à un étage. Composées de béton, et notamment d’une toiture plate en dalle paracyclonique, elles sont à destination des classes moyennes et constituent un premier habitat individuel verticalisé. Elles attestent donc d’un changement de paradigme de l’habiter marquant le passage de la « kaz atèr » à la « kaz anlèr » qui accompagne également le développement de l’habitat collectif, notamment dans les périphéries.

Des périphéries reléguées en cours de transformation.

La limite des quartiers qui bordent le centre historique reste soulignée par des éléments topographiques ou des infrastructures mettant en évidence une hiérarchisation centre-périphérie qui a perduré sur le plan social et fonctionnel. Le Quartier Prioritaire (QPV) du Bas de La Rivière, situé entre les digues du cours d’eau, est occupé par un assemblage hétéroclite d’immeubles de logements sociaux, d’équipements collectifs et activités industrielles dont les Brasseries Bourbon qui fabriquent la bière locale nommée « Dodo ».

Les quartiers situés au sud du boulevard du même nom se partagent entre habitat social lui aussi dominant pour La Source et résidence aisée développée en amont du CHU Félix de Bellepierre. Le quartier de Petite Ile, à l’Ouest, est quant à lui représentatif d’une dynamique de sortie de marge à partir du XIXème siècle. Avant que la Rivière Saint-Denis qui l’isole ne soit canalisée, endiguée et franchie par plusieurs ponts routiers c’est un territoire de relégation, occupé par des cimetières et un camp d’esclaves affectés à l’entretien des routes et des bâtiments publics jusqu’à la première moitié du XIXème siècle.

L’implantation d’une caserne d’infanterie en 1846, dont on remarquera la forte emprise au sol actuelle, amorce des changements qui seront décisifs à partir du XXème siècle. Rebaptisée caserne Lambert, elle accueille désormais le poste de commandement des Forces Armées de la Zone Sud de l'océan Indien (FAZSOI). Son rôle est de piloter des missions de surveillance et lutte contre la pêche illégale dans l’immense ZEE située aux abords des Iles Eparses françaises entourant Madagascar. Sa présence et la réaffirmation de son caractère stratégique induit aujourd’hui un renouvellement de la composition sociale du quartier, davantage constitué de classes moyennes et supérieures.

 


Saint-Denis : centre viile

 

 


Repères géographiques

 

 

 

Zoom 2 – La première cité d’habitat social de Saint-Denis : la cité « Michel Debré » dans le quartier du Chaudron

Une opération d’aménagement du territoire à caractère social en apparence réussie

C’est sur les vestiges de l’ancien domaine sucrier du Chaudron, visible au centre de l’image, qu’a été érigée la première cité d’habitat social de Saint-Denis. La « Cité Michel Debré » est emblématique des vastes opérations de résorption de l’habitat insalubre entreprises par la Société Immobilière de la Réunion (SIDR) sur toute l’île, en application de la loi Debré du 15 décembre 1964. Tout comme son homonyme métropolitaine, mais dans un contexte historique et géographique différent, la ville est à l’époque cernée de bidonvilles établis dans le contexte de forte croissance démographique de l’après-départementalisation.

La cité est destinée à accueillir les populations expulsées de bidonvilles qui s’étaient développés à l’emplacement des anciens camps d’esclaves et engagés « volontaires » situés autour du centre historique. Elle est édifiée sur des terrains gagnés sur les atterrissements fluviaux de la Ravine du Chaudron dont on peut apercevoir le cours endigué et canalisé à droite de l’image. A l’opposé de beaucoup de « cités » métropolitaines, les formes architecturales utilisées sont peu imposantes : barres d’immeubles plutôt courtes en longueur, dépassent rarement les 5/6 étages, place non négligeable accordée à l’habitat individuel avec jardinet. On trouve à proximité immédiate des équipements sportifs, une piscine, une église et même à l’époque un zoo, aujourd’hui transformé en jardins familiaux offrant une centaine de parcelles cultivées en fruits et légumes par les habitants. Le marché « forain » qui s’y tient de façon bi-hebdomadaire représente une attraction touristique également fréquentée par toute la population communale, et comme le souligne avec humour l’édition du 19 juin 2016 du journal Témoignages, « C’est souvent le lieu choisi par des responsables politiques parisiens pour venir prendre un traditionnel bain de foule durant les campagnes électorales ». Loin de l’effet de marge socio-spatiale habituellement observé pour ce type d’aménagement, la cité semble donc bien intégrée à l’agglomération. Elle a été complétée dans sa partie sud, d’une deuxième tranche construite par la SHLMR (Société d’Habitations à Loyer Modéré de la Réunion) en 1973, à destination de classes moyennes de fonctionnaires  

Une dynamique sociale néanmoins emblématique des « maux » des grands ensembles des années 1960

Représentant à l’origine une nette amélioration des conditions de l’habitat mais composé quasi exclusivement de logements sociaux à 86 %, le quartier du Chaudron qui abrite aujourd’hui environ 12 .000 habitants connaît quelque peu la trajectoire des très décriés grands ensembles métropolitains. Il est régulièrement le théâtre de troubles, volontiers qualifiés d’« émeutes » ou « guérillas » urbaines par les commentateurs, contribuant à la stigmatisation des lieux. Les faits se produisent généralement en marge d’événements ne concernant pas directement le quartier. Mais le mal-être social trouve ici son point d’orgue, s’exprimant par des scènes de casse, pillages de magasins, voitures incendiées, affrontements avec les forces de l’ordre comme ce fut le cas en 2017 (mouvement des gilets jaunes). Comme en métropole, les médias ne se privent pas pour l’occasion de mettre en scène, associée au quartier, la figure du jeune délinquant, appelé « kanyar » à La Réunion.

Le Chaudron est en effet un condensé des maux de la société réunionnaise. L’imposante zone d’activités qui jouxte l’habitat ne doit pas faire illusion : au Chaudron, le taux d’emploi n’est que de 35 %, alors que le taux communal, déjà faible est à 49 % ; le taux de chômage des jeunes de 15 à 24 ans avoisine les 60 %. La proportion élevée d’habitants vivant en-dessous du seuil de pauvreté (51,2 %) et un revenu médian établi à 690 euros mensuels justifie son appartenance aux 11 QPV (Quartiers Prioritaires de la Ville) que compte Saint-Denis.


 


Saint-Denis (Chaudron)

 

 


Repères géographiques

 

 

 

Zoom 3 – Un aperçu de la banlieue Est dionysienne : les quartiers de Champ Fleuri, Vauban, Camélias et La Trinité

Un urbanisme fonctionnel

Les tissus urbains développés en périphérie Est du centre historique résultent à la fois d’une exurbanisation des activités à partir des années 1960, de la réalisation de programmes immobiliers à caractère social et d’une volonté plus récente de « rebâtir la ville sur la ville » afin de limiter l’étalement pavillonnaire vers les Hauts. Il en résulte la poursuite du mouvement de verticalisation de la silhouette urbaine, qui contraste à l’image avec des zones de faible densité correspondant à des espaces sportifs et récréatifs. On reconnaît ici les pratiques de zoning héritées des années 1960-1970, consistant à séparer les fonctions économiques, résidentielles et ludiques dans l’espace urbain.

Champ Fleuri : l’un des pôles d’activités périphériques de Saint-Denis

On aperçoit tout d’abord au centre de l’image une concentration d’équipements éducatifs (cité scolaire du Butor), sportifs, cernés d’infrastructures culturelles (théâtre, Cité des Arts, médiathèque) et de services administratifs tels les Archives Départementales et le Palais de justice.

Les tissus résidentiels qui les entourent : quartier de Vauban et Camélias

Ils témoignent d’une généralisation de la nouvelle forme d’habiter initiée en 1965 avec la cité Debré, associant logements collectifs verticaux et loyers à caractère social. La commune de Saint-Denis concentre aujourd’hui à elle seule 1/3 du parc social réunionnais. Datant des années 1990, l’opération de la ZAC de La Trinité, repérable à sa forme triangulaire au Sud, constitue quant à elle un aménagement caractéristique des nouvelles recommandations du SAR (Schéma d’Aménagement Régional). Elaboré en 1995 et révisé en 2011, il préconise une densification des espaces existants avec des densités minimales à respecter pour toute nouvelle opération immobilière. Ces objectifs s’incarnent ici dans l’adoption d’un urbanisme en îlots, fractionnant l’espace en groupe d’immeubles de 50 à 90 logements, entourant des espaces verts et dont les rez-de-chaussée sont à vocation résidentielle et commerciale.

Alors qu’une urbanisation résidentielle à dominante pavillonnaire s’étend sur les pentes instables du quartier de Montgaillard au Sud, les vastes surfaces vastes encore vierges d’urbanisation, visibles entre la médiathèque et le quartier Vauban, montrent qu’a priori un tel rééquilibrage de l’urbanisation vers le centre de l’agglomération est possible. L’ensemble de l’aire urbanisée porte désormais l’empreinte d’un urbanisme adoptant le béton et l’immeuble collectif, y compris désormais sur les pentes, la production d’appartements étant encouragée par les lois de défiscalisation initiées par l’Etat en 1986. 6 ménages dionysiens sur 10 vivent désormais en appartement, une part 2 fois plus élevée que sur l’ensemble de l’île. Pour leurs détracteurs, ces programmes immobiliers s’immisçant dans les moindres interstices, contribuent ce faisant à la standardisation, banalisation voire dégradation des paysages.

L’opération « Cœur Vert familial » : d’imposants espaces sportifs et récréatifs en cœur d’agglomération

Contredisant l’image d’une ville désormais compacte et densifiée, l’image laisse aussi apparaître de vastes surfaces faiblement occupées. Elles correspondent à l’opération d’aménagement baptisée « Cœur vert familial », visant à répondre à une demande de pratique récréative et sportive dans un environnement « naturel ». C’est toutefois de nature domestiquée dont il est question, l’opération s’appuyant sur 35 hectares de surfaces engazonnées et arborées, associées à des équipements sportifs et ludiques étendus à partir de ceux du quartier Champ Fleuri. Le parc de la Trinité a longtemps constitué une marge spatiale enclavée de l’agglomération : après le passage du cyclone Hyacinthe, en 1980, c’est l’endroit qui avait été choisi pour y entasser les déchets verts, contribuant très vite à transformer le site en véritable décharge.

Cela explique d’ailleurs son aspect « vallonné », une butte d’une cinquantaine de mètres de déchets recouverts, offrant désormais une vue panoramique sur Saint-Denis ! Grâce à d’importants travaux de remblaiement et de bétonnage, d’autres espaces ont pu être gagnés sur la Ravine des Patates à Durand afin de le prolonger jusqu’à l’océan. Cette portion plus artificialisée présente une variété d’équipements particulièrement remarquable, témoignant des efforts de la municipalité pour s’adresser à tous les âges : skate park de 2600 m², vélodrome, parc aquatique, beach stadium, boulodrome.

 


Saint-Denis (Butor)

 

 


Repères géographiques

 

 

 

Zoom 4 – La périurbanisation des Bas : une « annexion » en cours de la commune de Sainte-Marie

La commune de Sainte-Marie connaît depuis les années 1990 d’importantes mutations paysagères en lien avec la progression de l’urbanisation dionysienne sur ce qui constituait autrefois la vaste plaine fertile du « Beau Pays ».   

La Rivière des Pluies, un cours d’eau récemment dompté

On ne peut que remarquer la très forte emprise du seul aéroport international multi-destinations de La Réunion, fréquenté par plus de 2,4 millions de passagers par an. L’infrastructure, développée à la faveur d’une topographie basse et plane alimentée par les alluvions de la Rivière des Pluies, empiète largement dans sa partie ouest sur le cône alluvial de cette dernière. La piste la plus récente est construite sur un remblai ayant permis de gagner 900 m sur l’océan et de creuser un petit port de pêche et de plaisance, sécurisé par de gigantesques acropodes.

L’impétueuse Rivière des Pluies, qui charrie une grande quantité de sédiments visibles à l’image, a longtemps constitué un obstacle aux communications entre les communes de Saint-Denis et Sainte-Marie, alimentant des récits de traversée périlleuse et de crues spectaculaires. Elle est désormais endiguée ainsi que franchie par plusieurs ponts routiers assurant désormais une continuité de circulation. La Rivière des Pluies demeure néanmoins le cours d’eau le moins artificialisé de Saint-Denis, ainsi que le montre son chenal encore anastomosé. Le classement en ZNIEFF de type 1 et 2 et son intégration à l’aire d’adhésion du Parc National, y est pour beaucoup, empêchant une complète anthropisation, tout en assurant le maintien de formations végétales d’intérêt écologique sur des berges déjà fortement dégradées.   

Mitage et résistance du foncier agricole du « Beau pays »

La dénomination héritée des écrits d’Etienne Regnault, premier gouverneur de l’île Bourbon (1665-1671), souligne la fertilité des terres de cette partie orientale de l’île, sans doute les meilleures de la Réunion. Pris en enclave dans des tissus périurbains, ces espaces restent en partie dévolus à l’économie sucrière. Leur configuration atteste à la fois d’une tendance à la régression de la sole cannière, « grignotée » par l’urbanisation et d’une certaine résistance du foncier agricole, protégé par le SAR (Schéma d’Aménagement Régional).

On peut toujours y lire l’organisation typique de la mise en valeur de la côte-au-vent au XIXème siècle : cheminée de l’ancienne usine sucrière, champs de canne et temples hindous rappellent l’importance de l’économie de plantation et des travailleurs engagés Tamouls dans cette partie de l’île. Les cultures vivrières qui y étaient associées, implantées sur de plus petites parcelles, apparaissent au bas de l’image sous formes de zones maraîchères et de vergers en partie mités par l’habitat pavillonnaire.

Une progression de la périurbanisation résidentielle, soutenue par la création de polarités périphériques

 La présence d’un centre équestre, le Club Hippique de Bourbon, à quelques centaines de mètres des bruyantes pistes d’atterrissage, l’enfrichement des parcelles situées au sein de l’enceinte aéroportuaire attestent de la rapide progression du front d’urbanisation dionysien sur les espaces anciennement ruraux du Beau Pays. Le processus de périurbanisation y présente les caractéristiques habituellement observées en périphérie des aires urbaines françaises, alignant pôles d’activités, zones résidentielles et emprises routières.

Ces dernières contribuent au compartimentage de l’espace que l’on peut diviser en plusieurs ensembles distincts et discontinus de part et d’autre de la RN2. Se déploie tout d’abord contre l’aérogare, une amorce d’« aéroville » partagée entre bâtiments militaires (base aérienne) et infrastructures en lien direct avec le fonctionnement de l’aéroport (bâtiments techniques, dépôts pétroliers, entrepôts de fret de la zone d’activité Pierre Lagourgue, espaces de stationnement).

De part et d’autre de la RN2, plus à l’Est, se font face deux importantes zones d’activités développées à la faveur d’un échangeur de type autoroutier.  Au Sud, la zone commerciale Duparc, l’une des plus importantes de Saint-Denis, marque le rôle de la grande distribution et des grandes surfaces dans l’étalement urbain. Elle est accolée à des équipements sportifs et lotissements pavillonnaires. Au Nord, le complexe de La Mare, abrite le seul pôle de compétitivité ultramarin. Créé en 2005 autour de la thématique « bioéconomie tropicale », le pôle Qualitropic se décline autour de l’agroalimentaire, la chimie « verte » (cosmétique, pharmaceutique, produits phytosanitaires…) et les matériaux biosourcés (emballages, produits du bâtiment…). L’ancienne distillerie sucrière, réhabilitée et transformée en bureaux accueillant des sièges sociaux d’entreprises réunionnaises, participe quant à elle de cette tendance à la création de centralités périphériques éloignées du centre-ville.

 


Saint-Denis (Ste-Marie)

 

 


Repères géographiques

 

 

 

Zoom 5 – Les spécificités de la périurbanisation des Hauts

Une périurbanisation épousant les planèzes du massif de la Roche Ecrite

L’image représente les extrémités septentrionales de quartiers typiques des Hauts de l’aire urbaine dionysienne, établis entre 300 et 800 m d’altitude, à la lisière du massif forestier qui couvre une bonne part du parc National de La Réunion. La périurbanisation qui affecte les planèzes découpées par la Ravine des Patates à Durand, du Chaudron et la Rivière des Pluies réunit ici les communes de Saint-Denis et Sainte-Marie par l’uniformisation de paysages à nette dominante résidentielle et pavillonnaire et l’expansion de mobilités pendulaires à destination du chef-lieu.

Elle s’incarne dans la densification d’anciens « écarts » agricoles, gagnés par une dynamique de peuplement à dominante sociale aisée. Ce faisant, elle dessine une ville en pente, étendue le long des ravines et routes départementales, au gré de l’opportunisme foncier. Le caractère résiduel et le mitage de la sole cannière située aux abords du centre pénitentiaire de Domenjod dans le quartier de La Bretagne laisse deviner que la concurrence entre usages du sol est forte, les tissus urbains disputant l’espace à une agriculture encore très présente.

Des paysages représentatifs du maintien de la polyculture des Hauts, malgré la périurbanisation

A l’Est, l’immense domaine de Moka lié historiquement comme son nom l’indique à des plantations de caféiers domine une partie du paysage. Les caféiers ont disparu, remplacés un temps par la canne à sucre et le géranium et désormais par une association originale d’élevage bovin et de cerfs, les terres étant reconverties en pâturages. Même aujourd’hui scindé en deux exploitations (Moka de Palmas et Moka Fontaine), l’ensemble témoigne d’une certaine résistance de la grande propriété foncière. Son démantèlement apparaît toutefois amorcé par la conversion d’une partie du domaine en terrains à bâtir au niveau de l’interfluve situé entre les ravines Sèche et du Bachelier à l’Est, ou encore en surplomb de la Rivière des Pluies.

Cette progression de l’urbanisation s’appuie sur l’organisation spatiale héritée de l’ancienne Habitation. Elle consiste en effet en une densification de ce qui constituait autrefois les petites parcelles d’un hectare concédées aux travailleurs engagés et esclaves affranchis, situées en périphérie du domaine. Il était possible d’y cultiver des produits de subsistance et bâtir une case. La multiplication des pavillons s’y effectue aujourd’hui sur des pentes instables, s’approchant pour certains dangereusement du lit des ravines. La situation est tout particulièrement observable à l’Ilet Quinquina, courte et étroite bande de terre, adossée au versant Ouest de la Rivière des Pluies.

Partie prenante d’un autre vaste domaine sucrier, il fut un temps dévolu à la culture du quinquina, alors que le paludisme faisait des ravages dans l’île. La constitution d’un hameau de 200 habitants, composé de petites cases créoles traditionnelles entourées de bananiers, est la résultante de migrations d’habitants venus d’ilets situés plus en amont de la Rivière des pluies.

La persistance de dynamiques à caractère rural

A l’Ouest, le parcellaire agricole plus morcelé des Hauts de La Bretagne et du quartier de Bois de Nèfles est à mettre en relation avec d’ancestrales mobilités entre l’intérieur de l’île et les planèzes littorales. Les historiens attestent de migrations rurales depuis le cirque de Salazie au XXème siècle, consistant à franchir le rempart Nord, en passant par la plaine des Fougères pour s’établir dans les Hauts de Saint-Denis suite à la perte de rentabilité de l’activité artisanale du tressage de « paille chouchou ».

Leur installation explique la constitution « d’écarts » au hasard des plateaux et sources disponibles afin de cultiver le géranium destiné à l’exportation, comme à Belle Vue ou l’ananas à Bois de Nèfles. L’habitude d’y associer des cultures vivrières et un petit élevage (avicole, porcin) a perduré contribuant à faire de La Bretagne le « potager de Saint-Denis » depuis que ces denrées sont commercialisées. La constitution d’un réseau d’adduction d’eau par la municipalité atteste de sa volonté de préserver l’activité. L’apparition de serres, évoque quant à elle une intensification de la production visant à répondre à une demande urbaine en expansion.

 


Saint-Denis (Hauts)

 

 


Repères géographiques

 

 

 

Zoom 6 – Un quartier enclavé mais attractif : le quartier de La Montagne

Un quartier enclavé de Saint-Denis

Le quartier de La Montagne est situé à l'extrême ouest de la commune de Saint-Denis, isolé par l’imposant rempart de plus de 300 m de dénivelé que constitue le versant ouest de la Rivière Saint-Denis. Les 6 km de « rampes » de l’étroite et sinueuse « route de la Montagne », qui le séparent du reste de l’agglomération, constituent le seul et unique accès. 90% des déplacements s’y effectuent en voiture particulière (même si le quartier est desservi par plusieurs lignes de bus), occasionnant une congestion automobile spectaculaire lorsque ce trafic rencontre celui lié au délestage de la Route du Littoral (voir zoom suivant). Un tracé de téléphérique urbain est à l’étude. L’ouverture prévue en 2023 par la CINOR (nom de l’intercommunalité) devrait permettre prochainement de joindre le quartier Bellepierre situé en contrebas, en moins de 5 minutes.

Un village de changement d’air rejoint par l’urbanisation

Le quartier s’inscrit dans le Massif de La Montagne correspondant au flanc nord-ouest du Piton des Neiges. De petites ravines le découpent en planèzes, contribuant au compartimentage du territoire en sous-unités inégalement urbanisées. Cet écart de l’agglomération, établi entre 300 et 450 m d’altitude a pu fonctionner autrefois comme espace-refuge de « changement d’air » permettant aux riches habitants de Saint-Denis d’échapper aux chaleurs et moustiques véhiculant le paludisme durant l’été austral. Les petits hameaux qui s’étaient ainsi constitués autour d’habitations agricoles, connaissent d’importantes mutations paysagères et fonctionnelles depuis les années 1960.

L’espace peut être qualifié de périurbain : le petit centre de services et de commerces, même bien équipé, ne peut justifier à lui seul l’étalement résidentiel visible à l’image et développé autour de la RD41. Sur un mode à faible densité, l’habitat à dominante individuelle (à plus de 85%), « colonise » les Hauts du massif jusqu’à plus de 800 m d’altitude, de même que les parties basses en direction de la falaise du Cap Bernard. Comme souvent dans les quartiers des Hauts de la commune, on y remarque la présence d’un habitat très aisé combinant grande villa, jardin et piscine, dans un cadre privilégié encore très boisé et dont les pentes offrent une vue panoramique sur l’océan. C’est en effet l’un des quartiers les plus aisés de la commune, voire de La Réunion, le revenu médian (2.300 euros par mois) y étant 3 fois supérieur à celui du Chaudron, 2 fois celui de la moyenne communale.
 
Une forte pression foncière, liée à la demande croissante en logements

Elle s’exerce sur les milieux forestiers alentours et les limites du Parc National de la Réunion. Comme le montre l’image, la forêt présente un stade d’anthropisation déjà avancé, réduite à des formations végétales secondaires. En l’état actuel du PLU de la commune et du SCOT de l’intercommunalité, ces formations semi-naturelles sont amenées à disparaître. L’’espace compris entre la Ravine Bananiers et le lieu-dit Moulin Cader est identifié dans ces documents comme réserve foncière (l’une des plus vastes de la commune de Saint-Denis), destinée à la construction de logements, notamment à caractère social.

Cette forêt est pourtant reconnue comme réservoir de biodiversité, servant de zone de chasse à des espèces d’oiseaux marins protégés nichant sur la falaise : Papangue, Salangane ou Hirondelle de Bourbon. Malgré son état avéré de dégradation, elle comporte selon le Conservatoire du Littoral, les dernières reliques de forêt semi-sèche primitive de basse pente de La Réunion. Les limites du Parc National établies en 2007 constituent donc des freins attendus à la progression du front urbain, expliquant d’ailleurs la permanence d’espaces encore vierges aux abords des ravines et empêchant la formation d’un continuum urbain avec Saint-Denis à l’Est ou La Possession à l’Ouest.

 


Saint-Denis (La Montagne)

 

 


Repères géographiques

 

 

 

Zoom 7 – Entre passé et futur de La Réunion : le village de La Grande Chaloupe

Une marge spatiale de très faible densité, à l’ouest du quartier de La Montagne

L’image qui s’offre à la vue permet de découvrir l’une des portions les moins urbanisées du territoire dionysien : le village de La Grande Chaloupe, constitué de quelques cases, dont les premières sont apparues à la fin des années 1970, paraissent comme enchâssées dans l’écrin forestier. La Ravine de la Grande Chaloupe dont la partie aval apparaît à gauche de l’image forme la limite communale entre Saint-Denis et La Possession.

Un lieu hautement patrimonial et touristique

Les rares infrastructures visibles sur l’image permettent à elles seules de retracer une bonne partie de l’histoire du chef-lieu. Isolés par un versant quasi vertical, plusieurs bâtiments implantés au-dessus du lit de la Ravine de La Grande Chaloupe correspondent à des « lazarets ». Ces lieux de mise en quarantaine ont pu fonctionner de 1860 et 1936, pour des milliers de travailleurs engagés ou voyageurs venus d’Inde, de Madagascar, des Comores, du Mozambique, de Chine et d’Europe avant que les progrès de la médecine et la création d’un passeport sanitaire (!) ne mettent fin au système. Devenu propriété du Conseil général, le complexe bénéficie depuis 1998 d’une inscription au titre de Monument historique, permettant d’en assurer la restauration et la conservation, support de tourisme mémoriel.

Non loin de l’embouchure de la même ravine, demeure une gare ferroviaire, l’un des tout derniers vestiges du chemin de fer qui pendant près de 80 ans (1878-1976), a permis de transporter la canne à sucre de toute l’île jusqu’au port de la Pointe des Galets, ainsi que les voyageurs entre Saint-Pierre et Saint-Benoît en passant par Saint-Denis. Grâce à quelques passionnés, un temps soutenus par les pouvoirs publics, une ligne touristique effectuant les 4 km qui séparent Saint-Denis de la gare de la Grande Chaloupe, a même pu fonctionner jusque récemment.

Son abandon témoigne du caractère sélectif des actions de sauvegarde du patrimoine, préférant se porter en ce qui concerne le Département sur l’entretien du pavage du chemin Crémont dit Chemin des Anglais. Aménagé par l’administration française dans la seconde moitié du XVIIIème siècle, afin d’assurer une liaison « rapide » entre les deux « quartiers » de Saint-Paul et Saint-Denis, ce sont les Anglais qui en firent le meilleur usage. Débarquant leurs fantassins à La Grande Chaloupe le 7 juillet 1810, ils remontèrent le chemin pour s’emparer quelques heures plus tard de Saint-Denis, prenant à revers les Français qui pensaient les voir arriver par la rade du Barachois, protégée à l’époque par la batterie de canons de Petite Ile !

Le chantier de la Nouvelle Route du Littoral et les enjeux liés aux mobilités contemporaines à La Réunion

Les hauteurs de la falaise offrent un formidable point de vue sur l’avancée des travaux de la très polémique Nouvelle Route du Littoral, dont se détachent les piles de pont du viaduc en mer, en cours d’achèvement. Ce chantier s’inscrit au cœur des enjeux de mobilité à destination de Saint-Denis et de la côte Ouest. Pour la Région Réunion en charge des transports depuis la décentralisation, l’accès au chef-lieu demeure un casse-tête non encore résolu à l’heure actuelle. Alors que plus d’un tiers des actifs de Saint-Denis résident en dehors de la commune, que s’y concentrent les services rares, l’emploi et l’aéroport international, la topographie et les aléas, particulièrement contraignants, n’y facilitent pas l’aménagement d’une infrastructure fonctionnelle.

La très sinueuse route passant par le quartier de La Montagne (voir zoom 6), ouverte en 1852 et qui débouche 4 km plus à l’Ouest à l’entrée de La Possession, a longtemps constitué la seule voie de communication routière directe entre Saint-Denis et la côte-sous-le-vent. L’accès à cette dernière reste fondamental pour atteindre le Grand Port Maritime de la Réunion, les stations balnéaires et autres villes principales. Jusqu’en 1963, date de la mise en service de la première « Route du Littoral », il fallait compter plusieurs heures de trajet pour couvrir les 31 km de lacets séparant Saint-Denis de La Possession (encore 1h aujourd’hui quand le réseau n’est pas saturé). L’élargissement de cette route à 2x2 voies en 1976 a permis le triplement du trafic, établi aujourd’hui à plus de 60 000 véhicules par jour, sans totalement gommer la contrainte physique.

Un aménagement de voies de circulation sur le littoral sous fortes contraintes

Les pentes du Massif de la Montagne s’achèvent comme on peut le voir, en une haute falaise verticale de 200 m de commandement, qui coure sur une douzaine de kilomètres, entre Saint-Denis et La Possession. Coincé entre celle-ci et l’océan, l’actuel axe établi à son pied reste soumis aux aléas marins malgré la digue de protection. A chaque gros épisode pluvieux des blocs de pierre de plus de 1000 tonnes, parfois meurtriers (une vingtaine de morts en 40 ans), chutent du haut de la falaise malgré les filets et potences de protection. Alors que de périodiques inspections héliportées sont menées par les cordistes de la DDE, que de fréquents travaux de purge visent à faire volontairement chuter les blocs instables en contrebas, l’axe n’a jamais pu être totalement sécurisé.

Les autorités se voient donc régulièrement contraintes de neutraliser les deux voies côté montagne et « basculer » la circulation côté mer, reportant le trafic sur 2 voies au lieu de 4. Ces « basculements » et fermetures à répétition pour travaux (57 jours par an en moyenne entre 1996 et 2009), même annoncés à l’avance, entraînent irrémédiablement la paralysie de la circulation à l’entrée/sortie ouest de Saint-Denis ainsi que le report du trafic sur la difficile route de La Montagne. Confrontée à une situation devenue intenable, la Région Réunion s’est donc engagée, soutenue par les financements de l’État et de l’Union européenne, dans la construction d’une « Nouvelle Route du Littoral ».

Démarré en 2014, l’ouvrage composé d’une route-digue débutant à La Possession, puis d’un viaduc en mer débouchant sur Saint-Denis, n’est toujours pas livré en 2022. Faisant l’objet de très vives polémiques quant à son impact environnemental et son coût (plus de 2 milliards d’euros pour 13 km soit plus de 150 millions d’euros le kilomètre !), son achèvement butte actuellement, sur la difficulté à se procurer les millions de tonnes d’enrochements nécessaires à la construction de la route-digue, alors que le viaduc en mer est quasi achevé. 

 


Saint-Denis (Chaloupe)

 

 


Repères géographiques

 

 

Image complémentaire

 

 

 

L’ile de La Réunion dans son ensemble

 

D’autres ressources

Sur le site CNES Géoimage :


Mylène Courtial : Le Cirque de Cilaos : l’autre face de l’insularité réunionnaise
/geoimage/la-reunion-le-cirque-de-cilaos-lautre-face-de-linsularite-reunionnaise-0

Jean-Paul Benteux : Le nord-est de La Réunion : un espace cannier en phase de périurbanisation
/le-nord-est-de-la-reunion-un-espace-cannier-en-phase-de-periurbanisation

Nicolas Brunel : La Réunion - Le Port : une agglomération, un système portuaire et un territoire en mutations
/geoimage/la-reunion-le-port-une-agglomeration-un-systeme-portuaire-et-un-territoire-en-mutations

Carole Ognard : Le Piton de la Fournaise, un volcan très actif haut lieu du patrimoine réunionnais
/geoimage/le-piton-de-la-fournaise-un-volcan-tres-actif-haut-lieu-du-patrimoine-reunionnais

Bibliographie et sitographie

Ouvrages

GAY Jean-Christophe, La France d'Outre-mer : Terres éparses, sociétés vivantes, Armand Colin, collection U, Paris, 2021.

JAUZE Jean-Michel, Villes et patrimoine à La Réunion, L’Harmattan, 2000.

Articles

BARONCE Georges, « Saint-Denis de la Réunion, l’éléphant urbain », Les Cahiers d’Outre-Mer, 245 | 2009, 123-127. https://journals.openedition.org/com/5543

JAUZE Jean-Michel, NINON Joël. Dynamiques et expressions de la périurbanisation à la Réunion. In: Cahiers d'outre-mer. N° 206 - 52e année, Avril-juin 1999. pp. 143-168.

JAUZE Jean-Michel, Urbanisation et océan à La Réunion, l’histoire d’une difficile idylle, Travaux & documents, Université de La Réunion, Faculté des lettres et des sciences humaines, 2007, pp.9–34. https://hal.univ-reunion.fr/hal-01531404

LAMY-GINER, Marie-Annick. Les transports à la Réunion, « sur la voie » du développement durable ? In : Insularité et développement durable [en ligne]. Marseille, IRD Éditions, 2011 (généré le 07 mai 2022). http://books.openedition.org/irdeditions/5764

LORION David, « Endiguements et risques d’inondation en milieu tropical. L’exemple de l’île de la Réunion », Norois, 201 | 2006, 45-66.

 Sitographie

A propos de la notion de densité urbaine et des recommandations du SAR (Schéma d’Aménagement Régional)
https://www.reunion.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/densite_livre…
 
Saint-Denis dans l’Atlas des paysages de La Réunion
http://www.atlasdespaysages-lareunion.re/page1.php?id_chapitre=316

Contributeur

Mylène Courtial, agrégée de géographie, classes préparatoires aux grandes écoles, section littéraire, lycée Leconte de Lisle, Saint-Denis (Réunion)