Oulan-Bator : mutations économiques et urbaines et sédentarisation des éleveurs nomades des steppes

Située en Mongolie, au cœur de l’Asie centrale ou de la Haute Asie, Oulan-Bator est la capitale la plus froide du monde. Peuplée de 1,1 million d’habitants, soit 40 % de la population du pays, la ville a connu en quelques décennies de profondes métamorphoses : géopolitiques, sociales, économiques et urbaines. Dans un pays rentier minier, marqué par la pauvreté et l’explosion des inégalités depuis la transition postcommuniste, l’afflux des nomades de la steppe poussée par l’exode rural et qui viennent se sédentariser dans d’immenses quartiers de yourtes est un des traits majeurs des mutations urbaines contemporaines.




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La capitale la plus froide du monde en mutation et en plein boom urbain.
Cette image a été prise par un satellite Pléiades le 31 mai 2014. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles, de résolution native à 0,70m, ré-échantillonnée à 0,5m.

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Repères géographiques

 

 

Présentation de l'image globale

Comme en témoigne le document, Oulan-Bator se déploie à 1 350 m. d’altitude sur un site de fond de vallée sur 30 km de long et 15 km de large. Il est dominé au nord par de vastes pentes portant au coin nord-ouest une pelouse herbeuse d’origine steppique. A l’échelle régionale, la ville est en effet située en position d’abri dans une profonde cuvette drainée par la vallée de la Tuul, coulant ici d’est en ouest. Elle est entourée au nord par les hautes terres de la chaine des Khentii. Elle est au contact entre deux grands milieux naturels bien différenciés : taïga ou forêts de montagne au nord, steppe herbeuse au sud.

La capitale la plus froide du monde : les effets d’un climat hyper-continental

Dans ce pays continental situé à plus de 1 000 km de la mer, les contraintes climatiques y sont considérables. La température annuelle moyenne est en effet négative : - 1,3 °C. Oulan-Bator est l’une des villes les plus froides de Mongolie et la ville-capitale la plus froide au monde.

L’hiver s’y caractérise par des températures moyennes glaciales (décembre : - 23,8°C, janvier : -26,5 °C, février : - 20,6°C) et un climat très sec (7 mm de précipitation/ trois mois) alors que la moyenne de juillet atteint les 16,9 °C. Les variations journalières (diurnes/ nocturnes) et saisonnières y sont de grande ampleur.

De même, les précipitations annuelles y sont limitées (216 mm/an), dont 82 % tombent entre les mois de juin et septembre.  Dans ce contexte, il arrive souvent que le sol y soit gelé sur 3 à 6 mètres de profondeur et prenne la forme d’un permafrost discontinu et sporadique.

En Etat-tampon très sensible aux rapports de forces géopolitiques continentaux

Au sud de l’image coule la Tuul. Longue de 700 km, cette rivière draine un bassin hydrographique de 50 000 km2. Plus à l’ouest, la Tuul rejoint la Selenge, qui se jette en Russie dans le Lac Baïkal, puis dans l’Angara pour rejoindre finalement le Ienisseï, un des plus grands fleuves sibériens. Les eaux qui coulent ici sur le document vont donc au final se jeter dans… l’Océan glacial arctique.

Cette configuration topographique et hydrologique explique qu’Oulan-Bator se situe à l’échelle continentale sur un vieil axe de communication millénaire, routier (ancienne « route du thé ») puis ferroviaire (grande voie ferrée Irkoutsk – Transibérien/ Pékin), qui relie la Chine à la Russie.

Cette géographie explique le statut géopolitique très spécifique du pays. Etat étendu (1,5 million de km2) mais sous-peuplé (1,76 hab./km2), il est coincé entre deux puissances impériales, la Russie et la Chine. La Mongolie est donc un Etat-tampon basculant alternativement - selon les rapports de forces géohistoriques - entre les sphères d’influence russe ou chinoise. Ces processus impriment profondément leurs marques à l’histoire et à l’organisation urbaine d’Oulan-Bator.

Le document oppose nettement premièrement une ville-centre ancienne, bien repérable par son dessin géométrique, à ses importantes périphéries ; deuxièmement une partie centrale et méridionale aux structures denses bien visibles à une marée d’habitats minuscules de couleurs multicolores partant à l’assaut des collines septentrionales. Pour en comprendre l’agencement et les dynamiques, plusieurs facteurs d’analyse doivent être mobilisés.

Le jeu des héritages géohistoriques dans la structure urbaine

Au nord de la colline de Bogd Uul (« la montagne sacrée », non visible sur le document), le vieux noyau, assez étroit, correspond historiquement à la ville Urga (Örgöö », le « palais ») qui au XIXem siècle est une petite ville concentrant les fonctions administratives et religieuses. Le tissu urbain est alors marqué par la présence des grands temples, des monastères et les résidences des lamas, car nous sommes ici dans le monde bouddhique. Encore aujourd’hui, les temples (« süm ») et les monastères (« khiid »), dont certains sont aujourd’hui en plein essor, servent parfois de point d’appui à l’urbanisation. A l’ouest du centre historique, le monastère de Gandam, fondé en 1840, demeure ainsi le siège d’une importante université. Au sud du centre-ville, près de l’actuel stade national, l’ancien Palais d’hiver, construit entre 1893 et 1903, est devenu le musée de Bogd Khaan. Pour autant, les héritages de l’ancienne Urga sont rares du fait de deux grandes phases successives d’urbanisation.

La révolution chinoise de 1911 et l’effondrement de l’Empire mandchou d’un côté, les révolutions russes de 1915 et 1917 de l’autre permettent à la Mongolie d’accéder à la souveraineté dans un contexte révolutionnaire (cf. abolition de la théocratie). Basculant dans l’ère d’influence de l’U.R.S.S, la République Populaire de Mongolie est instaurée en 1924 ; l’ancienne Ourga devenant alors Oulan-Bator (Ulaanbaatar, « héros rouge ») en l’honneur du dirigeant Damdin Sükhbaatar mort en 1923. Bien identifiable par la présence de la grande place bordée par la principale avenue est/ouest, le ville-centre est alors profondément remodelée, et surtout étendue, sur le modèle soviétique des années 1930 (grande place centrale, grands bâtiments en pierre élevés et massifs à colonnades…). La ville passe de 118 000 à 660 000 habitants entre 1956 et 1998.

Puis en 1991/1992, l’effondrement de l’URSS se traduit par la disparition du système socialiste et une transition vers une économie de marché et un nouveau régime politique. La ville connaît alors une véritable explosion démographique, économique et urbaine (245 hab./ km2 sur 4 700 km2). Elle passe de 850 000 habitants en 2002 à 1,3 million aujourd’hui, concentrant ainsi 40 % de la population du pays (20 % en 1990). Alors que le taux d’urbanisation de la Mongolie atteint 68 % de la population, Oulan-Bator renforce donc son poids dans la hiérarchie urbaine nationale qui présente ainsi une structure macrocéphalique évidente. Au plan géoéconomique et géopolitique, la Mongolie rebascule dans l’aire d’influence chinoise et devient de plus en plus dépendante du grand marché voisin qui absorbe 90 % de ses exportations.

Un boom urbain porté par une économie rentière fondée sur les minerais

Valorisant ses importantes ressources naturelles (charbon, cuivre, or, pétrole), la Mongolie est en effet devenue en un laps de temps assez court un Etat non plus agricole mais rentier et minier (cf. par ex. sites miniers d’Oyu Tolgoï dans le cuivre et de Tavan Tolgoj dans le charbon ouverts début 2013, plus au sud à 500 ou 600 km).

Son dynamisme est depuis très étroitement corrélé aux cours mondiaux et asiatiques des matières premières. La manne financière dégagée par le boom minier explique les très vastes programmes d’urbanisation, de travaux publics et d’aménagement qui sont lancés dans les décennies 2000 et 2010. Ils sont bien visibles sur le document à la fois vers l’est et vers l’ouest de la ville-centre historique.

De plus, les grandes fêtes organisées en 2006 pour fêter les 800 ans de la création d’un Etat mongol par Gengis Khan sont l’occasion d’imprimer dans l’espace urbain une nouvelle identité nationale revendiquée.

 Zooms d'étude



La vieille ville politique et administrative d’Oulan-Bator

Le document montre le centre de la ville. Il organisé par la grande place centrale bien visible car de couleur grise, bordée au nord par le musée d’histoire. Ce quartier est bien identifiable par sa forme géométrique avec l’avenue Baga qui en fait tout le tour. Il est traversé au nord par l’avenue de Pékin, d’orientation est/ouest et bordé au sud par l’avenue de la paix, Est/Ouest elle aussi, reconnaissable par la forte densité de son trafic automobile. Dans ce quadrilatère ou dans sa proximité immédiate au sud se trouvent de nombreuses institutions politiques (ministères des mines, de l’éducation…) et administratives (palais de justice…), culturelles et universitaires (université de Mongolie, opéra…), économiques (Banque de Mongolie, bourse…) ou ambassades (Chine reconnaissable par la tache brillante, Allemagne…). Au sud de l’avenue de la Paix se trouvent le Palais présidentiel et l’ambassade de Russie, qui sont à droite du document et reconnaissables par la présence d’arbres, les Ministères des affaires étrangères ou de la santé et des centres commerciaux.

Dans le cadre de la transition politique postcommuniste, la ville connaît de profondes transformations. Symboliques : la grande place, qui portait le nom de Sükhbaatar, est débaptisée en 2005 pour devenir la place Gengis Khan alors que l’ancien mausolée de Sükhbaatar, construit en 1925, est déplacé à l’extérieur de la ville et remplacé par une immense statue de Gengis Kahn. Economiques : le démantèlement des structures collectives et les privatisations d’un côté, l’ouverture aux capitaux étrangers de l’autre font émerger de nouvelles fonctions et de nouveaux services (commerce, hôtel, restaurations, services privés à la personne ou aux entreprises…) proposés par de nouveaux acteurs (grands groupes internationaux, firmes privées, poids du secteur informel). La ville en est profondément transformée comme en témoigne par exemple la construction de la tour et de l’hôtel Blue Sky en forme de demi-lune de couleur bleue.  

 



Les quartiers industriels et la centrale à charbon

Au sud-ouest de l’agglomération se trouvent en rive droite de la Tuul les principaux quartiers industriels. La lit de la Tuul présente plusieurs spécificités : une sensible opposition entre le lit majeur et le lit mineur, une structure anastomosée avec de nombreux bras, îles ou bancs de sables. Cette structure s’explique par le régime de la rivière (faibles étiages, crues importantes) et ses dynamiques morphologiques (forte érosion du bassin-versant et importants transports de charge en milieux steppiques). Dans ces conditions, les zones inondables de la rivière ou de ses petits affluents peuvent être soumises à des crues parfois dévastatrices (cf. 2009). Le pont sur la Tuul permet de desservir le nouvel aéroport international Gengis Khan situé à 52 km au sud-ouest de l’agglomération dans la vallée de Khoshigt et ouvert en 2015.

Au-delà des zones industrielles, qui rappellent qu’Oulan-Bator est le principal pôle productif du pays, le document est dominé par l’importance de la centrale thermique. Elle fonctionne au charbon et alimente plus ou moins bien l’agglomération en énergie électrique. On distingue les deux tours de refroidissement, la centrale elle-même et l’immense zone de stockage du charbon, venant des mines méridionales par voie ferrée. Pour autant, de très nombreux foyers se chauffent encore au bois (1,5 t./an) et au charbon (5 t./an). Le recours exclusif au charbon et au bois, un site de cuvette, un climat hivernal anticyclonique très froid et stable et l’explosion du parc automobile expliquent qu’Oulan-Bator soit une des villes les plus polluées au monde.   

 

 



Les nouveaux quartiers de l’est de l’agglomération

A l’est du centre-ville se déploie un des nouveaux quartiers urbains denses apparus ces dernières décennies. On y remarque à la fois la densité du bâti, l’importance des immeubles en hauteur et la juxtaposition de formes urbaines bien différenciées. Il est bordé à l’ouest par la rivière, bien visible sur le document, et à l’est par la grande avenue Nam Yan Ju, d’orientation nord/sud. D’ouest en est, il est organisé par trois grandes avenues : l’avenue de la Paix au nord, l’avenue Manlaibaatar Damdinsuren au centre, l’avenue Narnii au sud.

Au nord, la forme ronde orangée du Wrestling Palace (infrastructure sportive) est bien identifiable. Au centre-est, on reconnaît deux importants complexes hospitaliers modernes, aux formes géométriques, au croisement des avenues Nam Yan Ju et Manlaibaatar Damdinsuren, avec de chaque côté d’importants complexes commerciaux (toits de couleurs vives). Les fonctions de cet espace sont à la fois résidentielles, commerciales, éducatives et hospitalières.   

Dans l’angle sud-est et au nord de l’avenue Narnii se déploie le grand complexe de Narantuul. C’est le plus grand ensemble commercial traditionnel du pays qui attire une foule très nombreuse, en particulier de province. Il est bordé par une très vaste aire de parking saturée par l’importance des camions, camionnettes et voitures.    

 

 



L’urbanisation informelle périphérique : sédentarisation des nomades et nappes urbaines des yourtes

Mais la grande spécificité du document se trouve dans l’immense étendue des « quartiers de yourtes » qui encerclent la ville, en particulier au nord de l’agglomération où les pentes sont plus favorables car orientées au sud.

Il est nécessaire à ce propos de clarifier le vocabulaire. Le terme de « ger » définit la tente traditionnelle - assez vaste, de forme circulaire, à la structure légère et couverte de peaux -  qui est facilement démontable et donc bien adaptée à la mobilité des éleveurs nomades. Le terme de « yourte » désigne pour sa part un groupe d’abris formant un même campement. Pour des raisons de facilité et dans le cadre d’une étude plus centrée sur les enjeux urbains, on peut utiliser le terme de yourte pour désigner alors à la fois la parcelle foncière occupée, le bâti principal (composé d’un ger ou autre) et les bâtis secondaires qui l’accompagnent parfois (cabanes…) et enfin l’enclos, souvent en palissades de bois (« kashaas »), qui en marque les limites au sol et dans le paysage.

Loin d’être marginale, la zone des yourtes joue un rôle social et urbain considérable : elle accueille 60 % de la population de l’agglomération, soit environ 770 000 personnes, et représente 60 % du bâti, soit environ 200 000 habitations. L’explosion de ces immenses zones est alimentée par l’exode rural des dernières décennies, en particulier par la sédentarisation définitive ou la semi-sédentarisation (séjours temporaires) des éleveurs mongols nomades traditionnels (« arats »).
L’arrivée de ces migrants de l’intérieur s’explique par plusieurs facteurs. Dans les années 1990, la décollectivisation du système agricole a profondément perturbé les structures d’encadrement de la paysannerie et des éleveurs. Dans le même temps, la transition politique lève les interdictions administratives à la mobilité géographique et au choix résidentiel qui existaient sous le régime socialiste, comme en URSS ou en Chine. De plus, entre les années 1999 et 2002 puis à nouveau en 2010, le pays a connu de grands hivers très froids et très enneigés (« zud ») qui conduisent à une hécatombe des troupeaux qui ruine des milliers de pasteurs nomades traditionnels. Enfin, face à des conditions de travail ou de vie médiocres ou difficiles dans l’agriculture, l’attrait de la grande ville est un autre paramètre.   

Le document, qui se situe au nord-ouest de l’agglomération, est représentatif de ce nouveau type d’urbanisation périphérique d’un pays pauvre en transition. Partant de plus en plus loin à l’assaut des pentes au fur et à mesure de l’occupation de l’espace tel un front pionnier, il est organisé par un réseau de chemins ou de pistes en terre qui est bien hiérarchisé. L’occupation de l’espace est extensive car portant de faibles densités, une yourte occupant en moyenne une aire de 500 à 600 m2 d’emprise foncière. Les structures de l’habitat apparaissent très composites : elles juxtaposent aussi bien des gers, bien reconnaissables par leurs points blancs, que des bâtiments en dur qui sont parfois de véritables pavillons (toits oranges). Ces différences sensibles s’expliquent par la plus ou moins grande ancienneté de l’établissement, le degrés d’aisance financière de la famille et son statut foncier (propriétaire reconnu ou occupation illégale). En effet, si toute la population résidente n’est pas pauvre et parfois même économiquement bien intégrée au marché du travail urbain, la majorité des résidents y demeure dans une situation précaire.
 
Cette explosion urbaine ou périurbaine, légalisée ou encore illégale, n’est pas planifiée par les autorités publiques. L’espace des yourtes se caractérise donc généralement par de profondes carences en terme d’équipement de base (adduction d’eau, sanitaires, tout-à-l’égout, bains publics, électricité, routes pavées, services et transports publics…). Le prix de l’eau y est par exemple trois fois supérieur à la ville-centre. Dans ces conditions, un certain nombre d’organismes internationaux et d’Etats, dans le cadre de leurs programmes d’aide au développement, cherchent à promouvoir un certain nombre d’équipement de base (cf. campagne actuelle pour la création de sanitaires individuels) afin de lutter contre un certain nombre de carences qui expliquent, en particulier par exemple, une surmortalité infantile.  



 

Contributeur

Laurent Carroué, Inspecteur Général de l'Education Nationale