Martinique - La baie de Fort-de-France, polarisation et fragmentation socio-spatiale

Fort-de-France et la communauté d’agglomération du Centre de la Martinique (CACEM) occupent une position centrale en Martinique, non seulement du fait de sa situation à mi-distance entre le nord et le sud de l’île, mais aussi et surtout par son poids démographique et son rôle économique et politique : la moitié de la population et des emplois martiniquais sont situés sur ce territoire qui ne représente pourtant que 20 % de la superficie de l’île. Sa centralité est donc fondamentale : il polarise l’espace insulaire et organise les transports et l’économie de toute la Collectivité territoriale. Seule porte d’entrée de l’île par son port et son aéroport, ce territoire a donc un rôle logistique majeur. Il est au cœur de l’organisation spatiale de la Martinique. À une autre échelle, la croissance de l’agglomération de Fort-de-France est révélatrice de nombreux problèmes urbains : étalement urbain dans un cadre très contraint par le relief, congestion des transports, fragmentation socio-spatiale.

 

Légende de l’image

 

Cette image de Fort-de-France, chef-lieu de la Martinique, a été prise par un satellite Pleaides le 1er janvier 2021.
Il s’agit d’une image en couleur naturelle, de résolution native à 0,70m, ré-échantillonnée à 0,5m. En savoir plus


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Repères géographiques

 

 

 

Présentation de l’image globale

La baie de Fort-de-France : le cœur géographique et
fonctionnel de l’île de la Martinique

Quatre ensembles distincts

La baie de Fort-de-France est de dimension relativement modeste puisque, du nord au sud, moins de 4 km séparent la Pointe-du-Bout de Fort-de-France. L’image, qui est plus large que la seule baie, fait apparaître quatre ensembles distincts d’un point de vue topographique, qui ont en partie guidé l’occupation de l’espace.

La baie proprement dite, vaste rentrant de la mer des Caraïbes, occupe la majeure partie de l’image. La profondeur y est très faible puisqu’elle ne dépasse guère les 50 m qu’à son extrémité occidentale, et fait souvent moins de 10 m au droit de Fort-de-France, ce qui constitue une contrainte dans l’optique du développement du port de commerce. Géologiquement, elle est liée à un système de failles sud-ouest-nord-est. Au centre et à droite de l’image, le fond de baie est le domaine de la mangrove.

La plaine littorale, qui prolonge la baie vers l’est, correspond à un remblaiement quaternaire, sur lequel se sont développées plusieurs communes (Le Lamentin, Ducos, Rivière-Salée). Toutes sont à l’est de la RN5 actuelle. L’occupation humaine a en effet longtemps déserté le littoral proprement dit, autrefois trop insalubre et encore aujourd’hui soumis aux inondations : un des quartiers de Ducos, se nomme « Pays noyé ». C’est, vers l’est, dans cette plaine fertile que se concentrent aujourd’hui les activités agricoles, encore très présentes (champs de canne à sucre).

Au nord-ouest, la partie volcanique de l’île, d’origine récente (du Pliocène à l’actuel) apparaît déjà : l’altitude dépasse rapidement les 300 voire 500 m sur les hauteurs de Didier, au Morne Bois d’Inde. Cet espace est très peu peuplé si ce n’est le long du littoral et dans des vallées (Haut-Didier…). Comme on peut le voir sur l’image, la forêt tropicale domine ; une grande partie de cette zone est désormais intégrée au Parc Naturel Régional de la Martinique. C’est sur l’étroite bande littorale située au pied du massif que Fort-de-France a pris naissance.

Au sud, sur la commune de Trois Îlets, commence le domaine des mornes, des zones collinaires moins élevées (92 m au Fort d’Alet) et moins densément peuplées. Toutefois le mitage est visible, notamment autour de l’Anse à l’âne, et sur les hauteurs au sud du bourg.

Concentration des populations, étalement urbain et littoralisation  

La moitié de la population. On observe une très forte concentration de la population, à l’échelle de l’espace couvert par l’image mais aussi de la Martinique : la moitié de la population martiniquaise y est en effet située, alors même que l’image couvre moins de 20 % de la superficie de l’île. Cet espace est plus vaste que la seule communauté d’agglomération du Centre de la Martinique (CACEM) qui, composée des quatre communes de Fort-de-France, Le Lamentin, Schoelcher et Saint-Joseph, représente déjà plus de 40 % des 380 000 habitants de l’île.

Macrocéphalie et étalement. L’agglomération de Fort-de-France témoigne d’une nette macrocéphalie urbaine et d’un étalement urbain conséquent. Avec plus de 75 000 habitants, la ville-centre accueille à elle seule près d’un quart des Martiniquais. Les autres communes les plus peuplées de l’île - Le Lamentin, Ducos, Schoelcher…- sont toutes visibles sur l’image, à l’exception du Robert, seule commune importante située sur la côte atlantique. La ville même de Fort-de-France se situe sur une très étroite zone plane en position d’abri. Elle est accolée au versant et son expansion est partiellement guidée par le relief : l’étalement urbain s’est effectué non seulement vers l’est en direction du Lamentin, mais aussi vers le nord-ouest sur le littoral, notamment pour les catégories sociales les plus favorisées (Schoelcher, mais aussi, plus au Nord, Case-Pilote), et, enfin, sur ses versants septentrionaux, souvent pour des catégories sociales les plus modestes.

La littoralisation de la population est nette, notamment au nord de la baie. Les hauteurs (Haut-Didier, hauts de Balata, Fort d’Alet) sont beaucoup moins peuplées. Ce contraste littoral/hauts se retrouve à l’échelle du territoire martiniquais, ainsi que sur de nombreuses îles comme sur Basse-Terre en Guadeloupe et, de façon encore plus accentuée, à La Réunion. À une échelle plus fine, elle doit cependant être nuancée : certaines zones littorales restent à l’écart de l’urbanisation, en particulier le fond de baie occupé par la mangrove, alors que l’étalement urbain gagne certains versants, notamment au nord de Schoelcher et de Fort-de-France, ainsi qu’autour de Saint-Joseph.

Concentration des activités et polarisation du territoire martiniquais

50 % des emplois insulaires. Plus de la moitié des emplois en Martinique se situe dans l’ensemble couvert par l’image. La plaine littorale qui va de Fort-de-France à Ducos concentre la plupart des zones d’activité, notamment à Californie sur la commune du Lamentin. Ces activités sont de très fortes consommatrices d’espace comme en atteste par exemple la raffinerie située dans la zone d’activité de Jambette, ou encore, plus loin, la zone aéroportuaire. À l’ouest, Schœlcher regroupe le CHU, l’Université et de nombreux services administratifs.

Non visible sur l’image et située plus au nord sur le littoral, la ville de Saint-Pierre, autrefois capitale économique, joue un rôle marginal, tant du point de vue démographique qu’économique. Cet ancien « Petit Paris des Antilles », dévasté par une nuée ardente émise par la Montagne Pelée en 1902, a vu tout au long du XXe siècle son influence décliner, tandis que Fort-de-France prenait une importance majeure : c’est bien l’agglomération foyalaise qui est le cœur de l’économie martiniquaise.

Transports et mobilités. La question des transports, principalement vers Le Lamentin et Fort-de-France, est devenue cruciale. Comme à La Réunion, en Guadeloupe et sur beaucoup d’îles montagneuses, le réseau de transport martiniquais est dominé par la présence d’une grande route littorale qui constitue l’axe vital des transports.

Celle-ci, de nature et de nom différents selon les tronçons (N2, Rocade D41, Autoroute A1, N5), est donc, selon l’expression de la géographe Colette Ranély Vergé-Dépré (2019), « l’épine dorsale » à partir de laquelle s’organise l’économie insulaire. Des axes perpendiculaires reliant le Nord Atlantique par l’intérieur de l’île soulignent la configuration radiale d’un réseau de transport dont le centre est tout autant Le Lamentin que Fort-de-France.

On observe donc une polarisation non seulement des emplois mais aussi des mobilités : la plupart des Martiniquais sont en effet des navetteurs travaillant dans des communes différentes de leur lieu de résidence, et se déplaçant très majoritairement en voiture. On dénombre ainsi plus de 120 000 véhicules par jour sur l’autoroute A 1 entre Le Lamentin et Fort-de-France. Les conséquences de cette circulation intense sont multiples (embouteillages, accidents, pollution…).

Le TCSP. Pour lutter contre ces nuisances, un TCSP (un système de bus dans le cadre d’un Transport en commun en site propre), initié dès les années 1990, a finalement été mis en service en 2018. Il a été financé dans le cadre d’un partenariat privé-public, avec une forte participation de la Région mais aussi de l’Union européenne (FEDER). Il s’agit d’une première aux Antilles, le projet de tramway guadeloupéen ayant été repoussé aux calendes grecques.

Le TCSP relie désormais l’aéroport au centre-ville de Fort-de-France. Il dessert donc les grandes zones commerciales et d’activités de l’agglomération (zoom 4). Si le bilan semble encourageant, le TCSP reste encore largement insuffisant pour résorber les embouteillages. Des projets d’extension vers Schoelcher, Rivière-Salée et Le Robert sont à l’étude.

 

Zooms d’étude

 

Zoom 1- Une structure urbaine classique de la France d’outre-mer, en pleine mutation

Le cœur de ville de Fort-de-France

Le zoom permet de visualiser le cœur de ville de Fort-de-France, qui témoigne du passé colonial de la ville mais aussi des mutations urbanistiques récentes. On distingue sur l’image sur l’image cinq éléments spécifiques.

Le Fort Saint-Louis qui a donné son nom à la ville. Cette installation militaire, témoin de l’ancienneté de la colonisation, a été construite à partir de 1638, soit à peine 3 ans après la prise de possession de l’île par la France. Son but était de protéger le « Cul-de-sac-royal de la Martinique », ancien nom de la baie de Fort-de-France. À ses pieds, la place de la Savane, construite au XVIIIe siècle pour servir de champ de manœuvre du fort, est désormais un vaste espace récréatif, de promenades et un des lieux symboliques de la ville. C’est là que fut érigée en 1859 la statue de l’impératrice Joséphine de Beauharnais, native des Trois-Îlets, statue qui fut décapitée en 1991 puis complètement détruite en 2020, dans le cadre d’une « lutte anticoloniale ».

La Ville basse, tracée au XVIIe siècle en contrebas du fort. Elle possède un plan à damier, typique des villes coloniales, comparable par exemple à celui de Pointe-à-Pitre. « Chef-lieu de la colonie » à partir de 1807, la ville correspond donc à un site initial de défense, dans une zone marécageuse, autrefois infestée de moustiques porteurs du paludisme.

Le quartier de la Pointe Simon. Il s’agit d’un ancien quartier industriel, entièrement réaménagé dans le cadre d’une ZAC de 12 hectares à partir de 1990. Le but était à la fois d’intégrer ce quartier à la ville par la construction d’un parc immobilier moderne et d’en faire un symbole de la centralité de Fort-de-France en la dotant d’une tour de bureaux. Lancée en 2007, la Tour Lumina, d’une centaine de mètres de haut, comprend, entre autres, un hôtel et un centre de conférences, mais aussi les locaux de Martinique La Première, chaîne de télévision du service public. Au pied de la tour, la présence du TCSP témoigne lui aussi de la modernité du lieu.

Un appontement pour navires de croisières construit en 1992. Pouvant accueillir simultanément deux megaships, il est situé à proximité immédiate de ce « nouveau centre ». En 2004, le Queen Mary II y fit escale lors de son voyage inaugural dans les Caraïbes ; de nos jours, les croisiéristes sont, bon an mal an, plus de 250 000 à découvrir la ville et les différentes excursions de la Baie de Fort-de-France.

La promenade du Malecon. Cette partie du front de mer donne accès aux embarcadères pour les navettes reliant Fort-de-France à l’autre rive de la baie (zoom 5) et se prolonge par une promenade plus récemment aménagée : des quais piétonnisés mènent à la plage de La Française, une plage familiale intra-urbaine qui se termine au pied du fort.

La réhabilitation et la requalification du quartier de la Pointe Simon

La réhabilitation et la requalification du quartier de la Pointe Simon s’insère, depuis le début des années 2000 dans un projet de redynamisation de l’ensemble de la ville de Fort-de-France qui connaissait alors, comme Pointe-à-Pitre en Guadeloupe, un dépeuplement et un certain dépérissement. Il s’agit là d’une des plus grosses opérations de rénovation urbaine de la France d’outre-mer. Elle s’est insérée dès 2000 dans le cadre d’un « Grand projet de ville » puis d’un « Programme de développement et de rénovation urbaine ». Par ailleurs, tout le littoral qui va de la Pointe Simon à la zone portuaire est désormais intégré dans une Zone franche urbaine, créée en 1997 (document 5).

La réhabilitation vise à intégrer aussi davantage l’ouest de la ville, en rive droite du canal Levassor. Il s’agit du quartier Bô Kannal, situé à proximité immédiate de la Pointe Simon, mais aussi encore plus à l’ouest de l’ensemble du quartier Texaco Pointe-La-Vierge. Cet ancien bidonville, décrit par Patrick Chamoiseau dans son roman Texaco de 1992, fut créé sur un ancien dépôt de carburant par des arrivants issus de l’exode rural, dans les années 1950. Il a bénéficié d’un programme déjà ancien de lutte contre l’habitat insalubre et est désormais mieux relié au système de transports et à l’ensemble de la ville.

Comme une quinzaine d’autres quartiers de Fort-de-France, dont une grande partie de la Ville-basse, un des secteurs de Texaco Pointe-La-Vierge est un quartier d’intérêt national du NPNRU, le « Nouveau programme national de renouvellement urbain » qui prévoit, pour l’ensemble de la France, la transformation prioritaire de 450 quartiers du fait de leurs « dysfonctionnement », tant au niveau de l’urbanisme que, souvent, dans le domaine social.

 


Repères géographiques

 

Politique de la ville

 

 

 

 

Zoom 2- Des quartiers populaires relégués sur les versants nord en cours de réhabilitation.

Exode rural et croissance des quartiers informels. Fort-de-France a débordé de son plan en damier beaucoup plus précocement que d’autres villes coloniales, et notamment que Pointe-à-Pitre. La catastrophe de la Montagne Pelée en 1902 a eu pour conséquence l’arrivée de personnes en provenance de Saint-Pierre et du Prêcheur qui ont emménagé soit à Fond-Lahaye sur la commune de Schoelcher, soit ici dans le quartier de Terres-Sainville à proximité immédiate de la Ville-basse, dans une zone plane mais insalubre car marécageuse. La zone ne fut assainie qu’à partir de 1920, et surtout 1945 lors des mandatures municipales d’Aimé Césaire. Par ailleurs, la crise de la canne à sucre, entre 1929 et 1945, a entraîné un très fort exode rural qui ne s’est tari que dans les années 1980.

Ce premier étalement urbain s’est traduit par la création de plusieurs quartiers informels sur le versant Nord de la ville. Ces bidonvilles, accolés à la montagne, se sont peu à peu consolidés. Les contraintes liées au relief sont ici très fortes, ce que l’image révèle par le tracé sinueux de la D41. Le Fort Desaix, visible sur l’image, culmine à 136 m d’altitude, alors qu’il est à moins d’1,5 km de la mer à vol d’oiseau.

Quartiers Trénelle et Citron. Le zoom situe le quartier Trénelle construit sur les pentes très raides du Mont Desaix, et qui se prolonge vers le Nord par le quartier Citron. Ces deux ensembles présentent, plus que d’autres, de forts risques gravitaires et sismiques, mais aussi des risques d’affaissement, un phénomène amplifié, non seulement par les fortes pluies durant l’hivernage, mais aussi par la persistance d’un certain nombre de bâtiments dépourvus de véritables fondations. À l’intérieur du quartier Trénelle, et du fait de ses origines informelles, on dénombre peu de rues, mais beaucoup d’escaliers affrontant directement le versant (le « quartier au 1000 z'escaliers »). Par ailleurs, alors même qu’il domine la D1, il s’agit d’un quartier enclavé, mal relié au reste du réseau.

Comme une quinzaine d’autres quartiers de Fort-de-France, Trénelle-Citron est un quartier d’intérêt national du NPNRU, le « Nouveau programme national de renouvellement urbain » (document 5). Il bénéficie donc de nombreux projets de réhabilitation depuis le début des années 2000, certains déjà réalisés, d’autres en cours, pour lutter contre l’habitat insalubre, résoudre les problèmes de décharges sauvages d’ordures et les rejets d’eau usée, et désenclaver ce quartier.

 


Repères géographiques

 

 

 

Zoom 3. Schoelcher : une organisation spatiale étagée

L’image-zoom révèle l’organisation spatiale du peuplement sur la commune de Schoelcher et illustre les contraintes du milieu dans cette zone montagneuse et forestière. La route littorale est l’axe essentiel à partir duquel s’est réalisé ce peuplement. L’étalement vers les hauts s’est propagé à partir des « fonds » (débouchés des vallées qui entaillent le versant), comme Fond-Lahaye. Dans sa partie aval, plus plane, la vallée de la rivière Case navire concentre des installations publiques (déchetterie, école, piscine publique) et privées (entrepôts). Le peuplement s’est aussi déployé sur certains plateaux ou zones moins pentues comme à Grand-Village et à Terreville. Ce quartier, situé à 250 m d’altitude, n’est pourtant qu’à 2 km à vol d’oiseau de la mer. Les versants sont donc très raides, ce qui n’exclue pas un fort peuplement, comme à l’Enclos. Cette densification se poursuit comme en témoignent les nombreux projets immobiliers.

Une telle évolution est porteuse de conséquences environnementales : à l’amplification possible des risques gravitaires (coulées de boue, éboulements notamment en période cyclonique) s’ajoutent les atteintes à la forêt tropicale du fait des défrichements (visibles sur l’image par exemple à La Démarche). Par ailleurs, l’intensité du trafic routier génère des nuisances : plus de 7 000 véhicules font chaque jour le trajet entre Terreville, Grand-Village et l’Enclos vers ou depuis la route littorale.

L’image fait également apparaître le campus universitaire de Schoelcher, le plus important des trois campus du pôle martiniquais de l’Université des Antilles (plus de 5 000 étudiants au total). Les deux autres campus se situent à proximité immédiate, à Fort-de-France (Inspe, CHU), et révèlent la polarisation qu’exerce l’agglomération foyalaise sur toute l’île. Le campus de Schoelcher, lui aussi situé sur un replat dominant la route littorale, est desservi par la D44, axe qui relie, plus à l’est à Cluny, le siège de la Collectivité territoriale de Martinique, mais aussi la direction des douanes, ou encore le principal centre des finances publiques de Martinique… Toutes ces installations témoignent donc de la très forte centralité de cette zone.

 


Repères géographiques

 

 

 

Zoom 4. Le Grand port autonome de Martinique, porte d’entrée de l’économie martiniquaise

L’image zoom sur le port confirme l’importance et la centralité de la baie dans l’organisation spatiale de la Martinique. Le « Grand Port Maritime de la Martinique », un statut obtenu en 2013, est en effet le seul port de commerce de l’île. C’est par cet établissement public que s’opère la quasi-totalité des échanges de marchandises avec le reste du monde, et principalement avec la métropole. Son trafic est révélateur des économies de la France ultramarine : les marchandises importées, pour la plupart des biens de consommation, représentent le double en tonnage … mais neuf fois plus en valeur que celles qui sont exportées, principalement des produits agricoles, bananes en tête. Plus de la moitié des importations provient de métropole, le reste venant de Guadeloupe, de l’Union européenne, et finalement assez peu de l’espace caraïbe, hors Guadeloupe : la Martinique entretient en effet de faibles relations commerciales avec son espace régional. La Chine, quant à elle, ne représente que très peu du total des importations, les produits made in China, nombreux aux Antilles, ayant transité par la métropole.

Le port occupe un site de fond de baie qui le protège de la houle. Le mouillage de la Dillon, au droit du fort Saint-Louis, vaste zone plus profonde, constitue le port historique. Sa position d’abri a été favorable au développement portuaire du début du XXe siècle après le déclin de Saint-Pierre. Mais vu le glissement du port légèrement vers l’est, la faible profondeur moyenne est désormais une lourde contrainte pour l’accueil des navires à fort tirant d’eau.

La diversité fonctionnelle du port est facilement repérable sur le zoom. On distingue au sud-est le terminal à conteneurs de la Pointe des Grives, inauguré en 2004, et agrandi dès 2017 du fait de sa saturation. Sur l’image, on repère aussi les nombreux conteneurs stockés sur les 16 hectares de terre-pleins. Une zone logistique, située sur la terre ferme, prolonge le terre-plein. Ce terminal domine un haut-fond de moins de 5 mètres de profondeur par endroits, le plateau de la Pointe des Grives. Ceci a nécessité un dragage avant la mise en service du terminal à conteneurs pour atteindre une hauteur d’eau de 14 m.

Plus à l’ouest, le terminal pétro-minéralier de la Baie des Tourelles occupe l’emplacement d’une ancienne base pour hydravions (« l’hydrobase »). Des infrastructures de stockage (réservoirs, entrepôts) sont situés en arrière des quais. La Baie des Tourelles peut également accueillir des navires de croisière, mais c’est désormais le quai de la Pointe Simon (zoom 1), directement raccordé au centre-ville, qui est privilégié. Enfin, à l’ouest, la baie du carénage est située à proximité immédiate du fort Saint-Louis. Un navire en cale sèche est visible sur l’image.

L’image révèle enfin une véritable concurrence pour l’espace. Elle permet de situer le plus grand stade de Martinique et ses parkings, des zones logistiques, une station d’épuration, des voies d’accès qui rejoignent la RN9 et l’autoroute… mais aussi des habitations. En effet, le faubourg populaire de Volga-plage est enchâssé dans cet ensemble.  L’habitat y est très dense, et le quartier regroupe près de 4 000 habitants.

Comme Trénelle, Volga-Plage est un ancien bidonville, créé en 1958 en zone marécageuse correspondant à une mangrove et à l’estuaire de la Rivière Monsieur. Comportant encore aujourd’hui un certain nombre de constructions spontanées et insalubres, dépourvues d’assainissement, il est désormais également classé en quartier d’intérêt national (document 5) et des projets de requalification sont en cours.


 


Repères géographiques

 

 

 

Zoom 5- La plaine du Lamentin, autre cœur logistique de l’ile

L’aéroport Aimé Césaire. L’image du zoom est centrée sur l’aéroport Aimé Césaire, gateway aérien unique de la Martinique. L’immense majorité des liaisons aériennes s’effectue avec la métropole et, à un degré moindre avec la Guadeloupe et la Guyane. Cet aéroport, construit en 1949, a vu sa piste unique agrandie à deux reprises en 1964 puis en 1971, dans le cadre de l’essor des charters et du tourisme lors des « Trente Glorieuses », et ce, au détriment de la mangrove, ce que montre bien l’image. Bien connecté à la RN5 qui, là encore joue un rôle structurant, l’aéroport est un des attributs de la centralité de la baie de Fort-de-France.

L’accueil d’activités périphériques. L’emprise spatiale de la zone aéroportuaire est croissante (hangars, fret, loueurs de voiture…) mais le zoom témoigne aussi, comme à proximité du port, de la présence d’installations reléguées ici par la ville car trop consommatrices d’espaces (l’Hippodrome) ou nécessitant un isolement relatif (centre pénitentiaire de Ducos à la limite de la mangrove). Les zones d’activité sont présentes, même si elles sont moins prégnantes que dans le secteur de Californie. En Martinique, les emplois ne sont donc pas seulement à Fort-de-France, mais aussi au Lamentin, notamment dans les domaines de la logistique, de la distribution, du commerce. Situées, elles aussi, à proximité de l’axe routier principal, ces zones grignotent peu à peu l’espace agricole, voire la mangrove (ZI de la Lézarde), entraînant des conséquences environnementales néfastes.  

Front de périurbanisation sur les espaces agricoles. Depuis Ducos (près de 20 000 habitants), le front de périurbanisation avance au détriment des zones agricoles. L’empreinte de l’agriculture reste cependant très visible sur l’image : c’est ici que débute la zone de la canne à sucre qui couvre toute la partie nord-est du zoom. Si la quasi-totalité de l’image centrale est couverte par l’AOC « rhum de la Martinique », l’espace réellement cultivé est en nette rétraction et l’ensemble de la baie de Fort-de-France ne compte plus qu’une seule des 8 « distilleries fumantes », c’est-à-dire réceptionnant encore de la canne, de l’île. Il s’agit de celle de La Favorite, située un peu plus au nord, également sur la commune du Lamentin. Néanmoins, le cœur de la culture de la canne se trouve désormais plus à l’est (Sainte-Marie, La Trinité, le François) et plus au sud (Rivière-Pilote…).

La mangrove : un système fragile et menacé. Visible sur la partie gauche du zoom, la mangrove est menacée par la croissance de l’aéroport, mais aussi par le réseau routier qui la longe, par l’emprise spatiale croissante de l’urbanisation, par les « déjections de la ville » (décharges sauvages…) et par l’agriculture : étant donné l’orientation du réseau hydrographique, la mangrove est en partie contaminée par le chlordécone, conséquence de la culture intensive de la banane. Étant donné que Le Lamentin et Ducos possèdent la plus grande superficie en mangrove de l’île, les enjeux liés à la protection de la mangrove en Martinique concernent avant tout l’espace couvert par le zoom. Les démarches entreprises sont variées : sur la commune de Ducos, demande de classement de la baie de Génipa en réserve naturelle située un peu plus au sud de l’image ; écotourisme au canal Cocotte ; opérations ponctuelles de restauration de la mangrove de la rivière Lézarde au Lamentin ; développement de sentiers de découverte au Morne Cabri … Elles s’avèrent encore partielles et l’artificialisation paraît parfois quasi irrémédiable, de même que la diminution de la biodiversité.

 


Repères géographiques

 

La plaine agricole du Lamentin

 

 

 

 

Zoom 6- La plaine agricole, domaine de la canne à sucre

Cette image zoom montre l’importance de la canne à sucre dans l’économie et dans l’histoire de la Martinique. Dans le système colonial esclavagiste, la Martinique fut une des principales « îles à sucre » de la France, au même titre que la Guadeloupe et surtout Saint-Domingue (Haïti actuel). C’est cette culture qui, à partir de 1670, est à la base de la déportation de populations africaines et du peuplement de l’île en grandes « habitations », c’est-à-dire en grandes exploitations sucrières, mais aussi à l’origine caféières. Elles sont issues d’un partage des terres de l’île (le « terrier » de 1671) entre les populations blanches. La seconde abolition de l’esclavage mit en partie fin à ce système : l’originalité martiniquaise est que l’abolition (décret Schoelcher du 27 avril 1848, applicable en juillet) fut précédée (23 mai 1848) par une révolte d’esclaves. Les colons et certains descendants des grands propriétaires ont continué et intensifié l’exploitation de la canne tout au long du XXe siècle. C’est à Petit-Bourg que grandit l’écrivain Joseph Zobel, auteur de « La rue case nègres » qui narre le quotidien d’enfants noirs dans ces champs de canne à sucre au début du XX° siècle.

Sur cette image, on constate que la culture de la canne a déserté les versants, occupés par une forêt sèche, et est cantonnée aux espaces plans mieux adaptés à la mécanisation, comme ici entre Rivière-Salée et Petit-Bourg. Sur une île où la plupart des exploitations agricoles sont des micro-exploitations, la canne est majoritairement cultivée en grandes exploitations, ce que révèle bien le parcellaire (parcelles géométriques de grande taille). Le peuplement s’est concentré hors de l’espace utilisable pour la canne : la ville de Rivière-Salée est située à proximité immédiate de la mangrove, Petit-Bourg est sur une butte, tout comme le bien-nommé hameau de Là-Haut localisé sur les flancs du Morne Laurent.

La canne à sucre est désormais la seconde production agricole de l’île derrière la banane : ces deux productions représentent près de la moitié de la surface agricole utilisée (sau) martiniquaise. Le secteur emploie encore environ 3500 salariés, dont 200 planteurs. Aboutissement d’un processus amorcé à partir de 1996 (AOC pour le rhum agricole martiniquais), environ 90 % de la production de canne est aujourd’hui destinée à produire du rhum, et non du sucre.

 


Repères géographiques

 

 

 

Zoom 7- Les Trois-Îlets, première commune touristique de Martinique

La Pointe-du-Bout, située à proximité du bourg des Trois-Îlets, est une enclave touristique ancienne et pionnière pour la Martinique. C’est la première zone de l’île qui a été consacrée au tourisme à partir des années 1970 dans le double contexte du développement des vols charters et d’une relative proximité de l’aéroport. Le lieu présentait pourtant une contrainte majeure : l’absence de plages, à l’exception de la très étroite bande sableuse de l’Anse Mitan. Dans une démarche volontariste représentative de l’époque, le littoral nord-ouest de la Pointe-du-Bout a donc été modifié par la création de la Plage de la Pointe-du-Bout, en fait, un ensemble de trois petites anses artificielles et séparées par des épis. Dans la même logique, une marina était créée ex nihilo à l’extrémité nord. Parallèlement, un golf était installé un peu plus au sud, complétant cette offre touristique.

L’image montre la permanence de ces grands complexes touristiques au nord de la Pointe : immeubles de grande taille s’enroulant autour d’une piscine centrale. Plus au sud, au niveau de l’Anse Mitan, des bungalows côtoient des immeubles souvent plus récents et de taille plus restreinte. D’autres constructions (lotissements à vocation touristique…) colonisent peu à peu le versant. Le même phénomène s’observe un peu plus à l’ouest à l’Anse-à-l’Âne, située également sur la commune des Trois-Îlets. Dans ces deux anses comme au bourg des Trois-Îlets, l’existence d’une navette maritime vers Fort-de-France contribue aussi à ce que, outre les touristes, de nombreux Martiniquais travaillant au nord de la baie s’y installent.

Le tourisme en Martinique a certes évolué au profit de structures plus petites et des communes du Sud-Caraïbe : Sainte-Luce, Le Marin, Anses d’Arlet. Cependant les Trois-Îlets restent la commune la plus touristique de l’île avec plus de 8 000 lits. C’est donc l’ensemble des Trois-Îlets qui a profité du tourisme : sa population a doublé entre les années 1960 et les années 1980. Si l’agriculture est résiduelle, les services et plus spécifiquement le secteur du tourisme jouent un rôle majeur dans l’économie locale, reflétant ainsi la structure économique de la Martinique.

 


Repères géographiques

 

 

 

 

Images complémentaires

 

 

 

Les hauts de Fort-de-France (Balata, Didier)

 

D’autres ressources

Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement de la Martinique. Petite histoire de la Pointe Simon à Fort-de-France. 20 mai 2019 https://www.caue-martinique.com/la-petite-histoire-de-la-pointe-simon-a…

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Contributeurs

Serge Bourgeat et Catherine Bras, agrégés de géographie