Maroc - Contraintes, défis et potentialités d'un espace désertique marocain en bordure du Sahara : Ouarzazate

Située sur le versant sud du haut atlas central, sur les rives du fleuve Drâa, Ouarzazate est sans doute, si l'on en croit les brochures touristiques, l'une des "portes du désert" les plus célèbres et les plus fréquentées. Longtemps simple étape sur la route des caravanes, cette petite ville s'est vue dotée, depuis l'époque coloniale, d'un rôle stratégique dans la maîtrise et le développement d'une vaste région entre montagnes et désert. Si le pays de Ouarzazate frappe par son aspect minéral et désolé, l'image satellite nous donne aussi à voir la mise en valeur de ses ressources et de ses potentialités. Ouarzazate, à bien des égards, porte en effet en elle les promesses et les défis d'un développement endogène des espaces désertiques du Royaume du Maroc soumis à l’aridité et aux changements climatiques.

 

Légende de l’image

 

Au sud de l'Atlas marocain, cette image la ville de Ouarzazate  a été réalisée par le satelitte Sentinel-2B le 20 juin 2020. Cette image en couleurs naturelles a une résolution native à 10m.


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Repères géographiques

 

 

 

Présentation de l’image globale


Ouarzazate, porte du désert confrontée à de nombreux défis

Le Maroc du vide marqué par l’aridité et les enjeux du changement climatique

Vu de l'espace, le pays de Ouarzazate frappe par son aspect désertique. Nous sommes ici dans le domaine des faibles densités, dues à une aridité marquée et à des contraintes très fortes. Situé à plus de 400 km du littoral et du "Maroc utile", Ouarzazate est surtout coupé du reste du pays par la puissante chaîne de montagne du Haut Atlas central, dont les sommets atteignent les 4.000 m et qui joue donc aussi comme une barrière pour les masses d'air humides provenant de l'Atlantique. La région se caractérise donc par la faiblesse et l'irrégularité des précipitations.  

Ces dernières décennies la question des impacts environnementaux, économiques et sociaux se pose avec acuité. A Ouarzazate, le réchauffement est évalué à +0,3°C par décennies sur la période 1960/2008. Et la décennie 2000 a été marquée par un déficit hydrique croissant. Selon certaines estimations les cumuls pluviométriques de la période 2030/2050 pourraient reculer de - 35 % par rapport à la période 1971/2010.      

Véritable carte géologique à ciel ouvert, l'image satellite aborde, à la manière d'une œuvre d'art abstrait, différentes teintes grises, ocres et brunes. L'image se divise en deux parties à peu près égales. Au nord, les pentes de l'Atlas descendent de manière régulière depuis 2.500 m jusqu'à une cuvette située au centre de l'image, à environ 1.000m d'altitude. La moitié sud, au relief plus tourmenté, correspond au Djebel Saghro, qui appartient à la chaîne de l'Anti-Atlas.

Ce massif est profondément entaillé par le tracé de certains oueds. Le principal d'entre eux, le Drâa, brille ici d'un éclat argenté par les hasards des reflets du soleil. Ce fleuve prend son origine à l'emplacement d'un vaste lac de barrage, le lac El Mansour Eddahbi, qui apparait lui aussi clairement, à la confluence des Oueds Ouarzazate, venant de l'Ouest, et Dadès, venant de l'est.

Ressources et potentialités du pays de Ouarzazate

La ville de Ouarzazate se trouve à l'ouest de cette retenue d'eau : cette agglomération s’étire sur les deux rives du fleuve, de part et d'autre d'une vaste palmeraie. Malgré son toponyme Berbère, la ville est une création coloniale : si la Kasbah de Taourirt date du XVIIème siècle, la tâche urbaine qui l’entoure est issue de la décision française de créer un poste militaire entre Atlas et Anti-Atlas à la fin des années 1920.

La région est en effet dotée d'une importance stratégique majeure. A Ouarzazate passe tout d'abord la route venant de Marrakech qui, franchissant l'Atlas au col du Tichka (2.200m), continue ensuite vers le Sud et les palmeraies de la vallée du Drâa, (Agdz, Zagora), puis, au-delà, vers l'espace saharien.

Cette route Nord-Sud croise, toujours à Ouarzazate, un axe Ouest-Est qui longe l'Atlas par le Sud. Cette route relie la région du Tafilalet, les gorges touristiques du Dadès et du Todgha à l'est, à la vallée du Souss et aux villes de Taroudant et d'Agadir, la ville littorale atlantique, à l'ouest.

L'image en fausse couleur fournie par les satellites Sentinel fait apparaitre les cultures irriguées des différentes oasis et palmeraies. Situées principalement dans le lit des oueds, à l'exception notable de la grande palmeraie de Skoura, ces oasis nous rappellent que le pays de Ouarzazate est en réalité peuplé, aménagé et exploité depuis des siècles. La zone présaharienne n'est en effet pas dépourvue de ressources : en eau, tout d'abord, mais aussi en minerais ou en sources d'énergie. L'aménagement le plus spectaculaire de l'image, le complexe solaire de Noor, en est la preuve la plus récente.

 

Zooms d'étude

 

Les ressources agricoles : cultures d’oasis et palmeraies


Trois types d'espaces agricoles se distinguent sur le zoom d'étude. Des espaces cultivés apparaissent tout d'abord par des tâches de vert foncé sur les rives du fleuve Dadès, dont la largeur du lit rappelle la potentielle violence des crues. Les cultures profitent ici des dépôts alluviaux, et nécessitent la mise en place d'un dense réseau de canaux, les séguias, et de terrasses afin de repartir l'eau d'irrigation sur les différentes parcelles. Ce système d'irrigation domine dans les palmeraies présahariennes et permet la culture du palmier dattier, mais aussi de céréales, de légumes et d'arbres fruitiers.

La palmeraie de Skoura, ensuite, apparaît à droite de l'image. Celle-ci est remarquable par sa situation, dans une vaste plaine, et par sa taille de 25 km carrés. Elle présente aussi deux particularités : le recours à une irrigation par canaux sous-terrains, les Khettaras, et la rareté paradoxale des palmiers dattiers, décimés ici par une maladie, le Bayoud, et remplacés par des oliviers. De nombreuses jachères, repérables à leur couleur sable, révèlent en outre l'ampleur de la crise traversée par l’agriculture : aujourd'hui, 70 des 90 Khettaras de Skoura sont hors d'usage, faute de pluies et d'entretien.

Enfin, les espaces agricoles d'Idelsane occupent la gauche de l'image. Cette commune accueille les populations déplacées suite à la création du barrage (zoom 2). L'agriculture repose ici sur des techniques d'irrigation plus modernes : une nappe souterraine est exploitée grâce au recours à des motopompes privées.

Peu étendus malgré tous les efforts réalisés par les hommes, tous ces espaces agricoles sont aujourd'hui en crise, menacés par la raréfaction de l'eau et par la concurrence de l'agriculture intensive du reste du pays, dont les productions inondent les souks locaux. Ces difficultés agricoles se transforment en difficultés sociales : les villages se désertifient à leur tour avec le départ des jeunes vers les grandes villes du pays, ou vers l’étranger.

 


Oasis et palmeraies

 

 


Repères géographiques

 

 

 

La ressource en eau, à la base de l'organisation du territoire : le lac El Mansour Eddhabi

Deux lacs artificiels apparaissent sur l'image générale, de part et d'autre de la ville de Ouarzazate. Le plus vaste d'entre eux, le lac El Mansour Eddhabi, a été mis en eau en 1972 et joue aujourd'hui un rôle fondamental dans l'irrigation des cultures des palmeraies qui ponctuent à l’aval la vallée du Drâa (Agdz, Zagora, Tamegrout, M'hamid, toutes situées hors de l'image globale). La faiblesse des pluies, leur irrégularité saisonnières et interannuelle et l'importance des prélèvements dus à l’évaporation lient en effet la potentialité agricole à la maîtrise technique et juridique de systèmes d'irrigation complexes, tant à l'échelle des villages que de celle de l’ensemble du bassin versant fluvial.

Le fleuve, alimenté de manière saisonnière par les précipitations et par la fonte des neiges du massif de l'Atlas, connaissait de fortes variations de débit. La construction du barrage a eu comme objectif de mieux contrôler ses crues afin de permettre le développement de l'agriculture dans les palmeraies. Le débit, rendu régulier par le barrage, permet d'éviter les ruptures d'approvisionnement. La disparition des crues violentes rend possible l'extension de la surface cultivée sur des terres autrefois menacées par la montée brutale des eaux. Le barrage permet, en théorie, une demi-douzaine de lâchers d'eau chaque année. Chaque palmeraie peut ensuite capter, sur un nombre de jours définis, les eaux du fleuve pour irriguer ses cultures. Les eaux du Drâa se perdent ensuite dans l'espace saharien.

Les rives du lac de barrage sont occupées, sur l'image, par des villas et des hôtels. Néanmoins, les sécheresses récurrentes depuis les années 1980, et particulièrement marquées cette année 2020, ne permettent plus un remplissage optimal du lac, plaçant les villas initialement "pieds dans l'eau" face à une étendue sableuse.

 


Lac El Mansour Eddhabi

 

 

 

La dynamique de métropolisation, source de développement pour les espaces désertiques : la ville de Ouarzazate

La ville de Ouarzazate doit sa création administrative et son essor à sa position stratégique de porte de l'espace saharien et de carrefour routier. Dès la fin des années 1920 la ville est dotée d'un aéroport et d'une vaste caserne, bien visibles, puis d'un ensemble de services administratifs qui en font un pôle de développement pour la région.

Le développement de Ouarzazate est aussi lié à la présence de l'industrie cinématographique depuis les années 1960. Des studios de cinéma, à l'entrée ouest de la ville, mais aussi une école supérieure d'audiovisuel, font de la ville un lieu de tournage pour des productions nationales et internationales. Ils permettent aussi une forme de tourisme spécifiquement lié à cette activité (musée du cinéma, visite des studios, excursion sur les lieux de tournage…).

La croissance de la ville est rapide, celle-ci accueillant principalement les populations quittant les douars ruraux et l'activité agricole traditionnelle pour les lumières de la ville moderne. Cette croissance est toujours marquée, comme en témoigne la vaste opération urbaine visible au sud de la palmeraie. Ici, une ville nouvelle pourrait accueillir dans un plan déjà matérialisé par des routes plusieurs dizaines de milliers d'habitants. Au total, rive Nord et Sud regroupent aujourd'hui plus de 100.000 habitants.

Néanmoins, l'image satellite révèle un urbanisme éclaté, marqué par de nombreuses surfaces non bâties, et sans centralité clairement marquée. Ouarzazate n'est donc pas encore, à proprement parler, une métropole, même si des schémas d'aménagements ambitieux sont en cours d'élaboration.


 


Ouarzazate

 

 


Repères géographiques

 

 

 

Grands espaces et patrimoine, le paysage comme ressource touristique : les routes de Marrakech

Les palmeraies, en crise au niveau agricole, se voient dotées depuis plusieurs années d'une nouvelle valeur suite au développement du tourisme, national et surtout international. Le pays de Ouarzazate est en effet devenu une destination touristique s'appuyant sur ses ressources paysagères - les palmeraies - et patrimoniales – les Ksar et Kasbah. Longtemps cantonné à une fonction d'arrière-pays pour Marrakech et Agadir, les deux capitales touristiques du pays, voire simple étape sur la route du désert, le pays de Ouarzazate possède aujourd'hui une dynamique touristique propre. Certes, la région profite toujours d'un tourisme d'excursion, mais elle propose aussi un tourisme vert à destination d'une clientèle diversifiée.

Le zoom d'étude proposé couvre l'ancienne route de Marrakech, qui relie Ouarzazate à la ville ocre via le village de Telouet. Cette route, rendue secondaire par la modernisation de la route du Tizi n'Tichka, traverse l'une des attractions phares de la région, le village des Aït Ben Haddou, inscrit au patrimoine mondial de l'UNESCO. Ici, des bus déversent chaque jour des centaines de touristes venus admirer le patrimoine historique et retrouver certains décors du film « Lawrence d'Arabie » ou encore de la série « Game of Thrones ». Magie du tourisme mondialisé, un restaurant chinois y a ouvert ses portes.

Plus au nord, autour de Telouet, se développe un tourisme rural reposant sur un réseau de chambres d’hôtes et autres "ecolodges", participant à une logique de patrimonialisation des habitats traditionnels berbères. La destination promet une expérience plus authentique d'un Maroc encore épargné par le tourisme de masse, ou encore des séjours aventure alliant pratique du trekking et nuit chez l'habitant. Cette mise en tourisme concerne plus largement l'ensemble des palmeraies et des vallées de l'Atlas.

Ce développement du tourisme, porté par des acteurs souvent d'origine étrangère, ne va pas sans conflits d'usage, cependant en mode mineur. Les parcours de randonnées, par exemple, traversent des espaces agricoles fragiles et des villages marqués par une pauvreté criante, et qui profitent par ailleurs très peu des retombées économiques du tourisme. Enfin, le décalage est parfois grand entre les représentations des touristes en terme de nature et d'authenticité et les réalités du monde rural marocain, marqué par l'usage excessif des sacs plastiques et des parpaings.

 


Repères géographiques

 

 

 

Le soleil, source de développement :
le complexe solaire de Noor

Particulièrement bien visible sur l'image satellite, le gigantesque complexe solaire de Noor - "lumière", en langue arabe - est une des réalisations récentes les plus marquantes de l’Etat marocain pour mettre en valeur les atouts de la région et dynamiser le tissu économique local. Ce complexe regroupe, sur 3.000 ha, quatre centrales exploitant des technologies variées et produisant de façon cumulées 580 MW, soit 7 % de la consommation électrique du pays.

Les centrales Noor I, II et III utilisent la technologie dite CSP, c'est-à-dire qu'elles captent et concentrent l'énergie solaire pour générer de la vapeur d'eau et activer une turbine électrique. La forme circulaire de Noor III, en haut de l'image, indique que la concentration des rayons du soleil se fait au niveau d'une tour centrale où s'opère la montée en température d'un liquide calorifique, utilisé ensuite pour chauffer l'eau de la centrale. La centrale Noor IV, d'une taille relativement petite à l'échelle du complexe, repose sur la technologie photovoltaïque.

Stratégique pour la région, cette centrale l'est aussi pour le pays. La volonté du Royaume de s'inscrire dans une dynamique de développement durable, le prestige lié à l'exploitation de la plus grande centrale solaire du monde et les partenariats internationaux tissés pour en assurer le financement renforcent l'intégration du Maroc dans la mondialisation. Ainsi le pays de Ouarzazate, périphérie géographique, se retrouve-t-il au cœur des enjeux de développement du Maroc.


 


Complexe solaire de Noor

 Image acquise par un satellite Pléiades (couleurs naturelles - résolution native à 0,70m)

Contient des informations PLEIADES © CNES 2017, Distribution Airbus DS, tous droits réservés. Usage commercial interdit.

 

 

 

 

Images complémentaires

 

Image régionale couvrant la région de Ourzazate, les hauteurs de la chaîne du Haut Atlas, ses hauteurs enneigées fin janvier et son versant nord. (image composite acquise les 27 et 29 janvier 2020 par les satellites Sentinel 2)

 

 

Images acquises par le Sentinel-2B le 20 juin 2020. Différents traitements utilisant des bandes spectrales différentes ont été appliquées.

 


NDVI

 

L'indice de végétation par différence normalisée (NDVI) permet de quantifier la végétation (courleurs vertes). Les couleurs grises à blanches correspondent généralement à des couverts rocheux ou de l'eau. 

 


NDMI

 

Le NDMI est un indice de différence d'humidité normalisé qui reflète la teneur en eau. Les couleurs du bleu au rouge correspondent à des surfaces très humides à sèches

 


NDWI

 

L'indice Normalisé de Différence Hydrique (NDWI) permet de  cartographier des masses d'eau qui apparaissent en bleues

Crédit : European Union, contains modified Copernicus Sentinel data 2020, processed with EO-Browser

 

D’autres ressources

Bibliographie – Sitographie

Larbi Aziz et Imane Elquaoumi : « Analyse des stratégies d’adaptations des agriculteurs de Skoura (Ourzazate) aux changements climatique », Alternatives rurales, oct. 2016.  
http://alternatives-rurales.org/wp-content/uploads/Numero4/AltRur4AdaptationSkouraLectEcr.pdf

Contributeurs

Mathias Lachenal, Professeur au Lycée Lyautey de Casablanca.