Au cœur de l’Europe occidentale, le massif du Mont Blanc, qui culmine à 4810 m., est un territoire de haute montagne partagé entre la France, la Suisse et l’Italie. Les frontières interétatiques y furent définitivement fixées assez tardivement, entre 1815 et 1860, avec l’émergence nationale de la Suisse puis de l’Italie. Cet espace transfrontalier, largement francophone, s’affirme comme un laboratoire de coopération transfrontalière, comme en témoignent y compris les échanges de territoires entre la France et la Suisse de 1963. Pour autant, les désaccords entre Paris et Rome sur le tracé de la frontière au sommet même du Mont Blanc témoignent encore aujourd’hui de la portée des symboles et du poids des représentations géopolitiques. Le Mont Blanc : français ou franco-italien ? Face à cette querelle, la Suisse s’intéresse pour sa part à l’impact du changement climatique sur la fonte des glaces et les évolutions qu’elle induit sur le tracé local des frontières alpines.
Légende de l’image
Cette image du massif du Mont-Blanc a été prise le 8 juillet 2020 par un satellite Sentinel-2. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles de résolution native à 10m.
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Repères géographiques
Présentation de l’image globale
Le massif du Mont Blanc : un système transfrontalier de hautes terres,
entre désaccord frontalier et laboratoire de coopération régionale
Le massif du Mont-Blanc et ses grandes vallées
L’image couvre une région de hautes montagnes : le massif du Mont-Blanc. Quatre grands ensembles naturels sont bien repérables : le cœur du massif, largement englacé et dominant largement l’ensemble régional par ses altitudes, les massifs contigus, les espaces périphériques associés et les grandes vallées. Les campagnes de mesures réalisées tous les deux ans, au mois de septembre, ont permis de déterminer que le plus haut sommet d'Europe culminait en septembre 2017, à 4808,72 m. Cette mesure a été réalisée à partir d'un réseau GPS. Par ailleurs le massif du Mont-Blanc s’étend sur 400 km². Celui-ci a la forme d’une grande amande de 14 km de large, entre Chamonix et Entrève, et de 52 km de long entre le Col du Bonhomme, au sud, et Martigny, au nord. Il appartient à la vaste chaîne de l’arc alpin qui structure l’Europe occidentale et médiane en son milieu.
Ces hauts massifs sont encadrés par de puissants systèmes de grandes vallées d’origine glaciaire, bien individualisées, encaissées mais larges : celle de l’Arve au nord-ouest, celle du Val d’Aoste au sud-est, celle du Rhône au nord-est. Ces vallées polarisent l’essentiel du peuplement et des activités. Elles jouent un rôle central dans l’organisation de l’espace, les circulations et la construction des identités locales (Val Ferret, Val Veny…) et régionales (Val d’Aoste italien, Valais suisse).
Contrairement aux Alpes du Sud aux reliefs beaucoup plus confus, cette présence de grandes et larges vallées favorise la circulation interne et la traversée continentale des massifs constituant cette région de l’arc alpin. Chaque vallée mène en général à l’amont à un seuil d’abaissement topographique dans la ligne de crête qui se traduit par un passage plus ou moins facile et accessible (col, passage, fenêtre…). Ceux-ci sont équipés selon les cas sur l’image d’un simple chemin, voire d’une trace saisonnière dans les éboulis, d’un chemin agricole desservant les alpages (Col du Bonhomme) ou de véritables routes (col de la Forclaz, Col du Petit St Bernard entre la vallée de la Tarentaise - donc la haute vallée de l’Isère - et la vallée d’Aoste).
On doit en particulier souligner l’importance stratégique du col du Grand St Bernard. Perché à 2469 m sur la frontière entre la Suisse et l’Italie, il met en liaison la vallée du Rhône, via le Val d’Entremont, et le Val d’Aoste. C’est depuis le néolithique un axe de passage important, entré en particulier dans l’histoire lors des campagnes d’Italie de Bonaparte qui fit passer en Italie par les grands cols alpins (Saint-Gothard, Simplon, Petit-Saint-Bernard, Mont-Cenis), dont celui-ci, une armée de 40 000 hommes en mai 1800.
Face aux fortes contraintes naturelles, la circulation a bénéficié d’importants efforts d’investissements dans la période contemporaine. Le Col du Grand Saint-Bernard a été doté d’un tunnel sommital de 5,7 km de long ouvert en 1964. Surtout, le Tunnel du Mont-Blanc - long de 11,6 km et creusé sous le massif - est ouvert en 1965.
Un cadre de hautes montagnes englacées
Comme le montre bien l’image, le massif du Mont Blanc se caractérise par un important englacement qui participe de son « image de marque », de son attractivité touristique et de sa renommée mondiale dans le milieu du haut alpinisme depuis son ascension en 1786 par Balmat et Paccard puis du naturaliste suisse de Saussure en 1787. A côté des alpinistes chevronnés, le haut massif est très facilement accessible par le télécabine/téléphérique transfrontalier ouvert à la fin des années 1950 qui relie Chamonix à Courmayeur en passant par l’Aiguille du Midi (3842 m.) et la pointe Helbronner (3466 m), qui marque la frontière, avant de redescendre sur l’Italie.
S’étageant de 1400 m. à 4810 m, les glaciers couvrent environ 160 km². Du fait de la dissymétrie topographique du massif, 63 % de ceux-ci se trouvent sur le versant français, contre 23 % sur l’italien et seulement 14 % sur le suisse. Mais depuis les années 1960, on assiste à une régression d’environ 10 % du front des glaciers et de leur épaisseur de glace. Comme le montrent très bien les images, les marqueurs du changement climatique sont spectaculaires. En particulier sur les langues terminales des grands glaciers qui descendent très bas en altitude dans les vallées : glacier d’Argentière, Mer de Glace, Glacier des Bossons côté français ; Glacier du Pré de Bar, Glacier de Saleina ou Glacier du Trient côté suisse ; Glacier de la Brenva ou Glacier du Miage côté italien.
Le poids de la géohistoire dans la définition des frontières : un changement majeur de statut au XIXe siècle, des frontières historiquement récentes
Au plan politique et administratif, le massif est un espace transfrontalier puisqu’il est partagé entre trois États et trois régions : la Suisse avec le Valais au nord-est, l’Italie avec le Val d’Aoste à l’est et la France avec la Savoie à l’ouest. Il se caractérise aussi, il convient de le souligner, comme un espace largement francophone, ce qui facilite largement les logiques d’interaction. En effet, le Canton suisse du Valais est dans cette région francophone, alors que sa partie amont est germanophone avec une frontière linguistique fixée sur la Raspille, une petite rivière située en amont de la ville de Sierre. Pour sa part, le Val d’Aoste italien est défini comme une région autonome à statut spécial disposant d’une large autonomie et reconnaissant deux langues officielles, l'italien et le français.
Comme le montre les images, le tracé des frontières passe - à quelques exceptions - sur la ligne de crête la plus élevée. La dissymétrie du massif explique que plus des deux tiers de celui-ci sont en France, alors que la retombée sur le versant italien est beaucoup plus raide. Au nord-est, le Mont Dolent est le sommet de la triple frontière France/Italie/Suisse.
Cette situation est historiquement relativement récente puisqu’elle date du XIXe siècle et de l’orogénèse des États-nation contemporains suisse et italien. Pendant plusieurs siècles en effet exista une principauté territoriale qui - sous différents noms et statuts (cf. au XVe siècle, le Duché de Savoie, Royaume de Piémont-Sardaigne…) - avait la particularité d’être à cheval sur le massif du Mont-Blanc, de maitriser les grands cols alpins et les axes de transit entre la France et l‘Italie et de disposer de plusieurs capitales (cf. Turin et Chambéry). Loin de constituer une « frontière naturelle », les hauts massifs étaient des traits d’union.
Côté suisse, la situation se cristallise définitivement en 1815 avec le Congrès de Vienne qui redessine la carte géopolitique de l’Europe après l’effondrement du Ier Empire napoléonien et les guerres révolutionnaires. Sur les Alpes, pour l’Angleterre et l’Autriche, l’enjeu géopolitique et géostratégique est simple : créer un État-tampon viable doté d’une neutralité perpétuelle au cœur du continent. C’est dans cette perspective que sous l’injonction de Londres et de Vienne, les petits territoires du Valais, de Genève et de Neufchâtel rejoignent la Confédération helvétique en aout 1815, qui devient elle-même un État fédéral en 1848. L’intégration du Valais à la Suisse est essentielle au plan géostratégique : elle permet de verrouiller à la fois la haute vallée du Rhône et la route du col du Simplon. Aujourd’hui, le Canton du Valais couvre 5225 km² et est peuplé de 330 000 habitants.
Côté italien, la situation est beaucoup plus singulière. Après le séisme des guerres révolutionnaires et napoléoniennes (cf. érection du département du Mont-Blanc…), là aussi, le Congrès de Vienne reconstitue le Royaume de Piémont-Sardaigne. Cet État-tampon, cependant non neutralisé comme la Suisse au nord, est doté du Piémont, de la Savoie, de Nice et - afin de disposer d’un accès à la mer afin d’en renforcer la viabilité et l’indépendance - du port de Gênes et de la Ligurie. Là encore, il s’agit au moins pour partie à l’avenir de protéger la Plaine du Pô et le nord de la botte italienne - où l’Autriche à d’importantes possessions - des potentiels appétits de la France. Mais par une ruse de l’histoire, ce schéma géopolitique éclate. L’essor du mouvement national italien et les guerres d’indépendances et d’unification sont tournées contre l’Autriche au nord puis les États pontificaux au centre.
Cette unification nationale italienne (1858-1870) est menée sous la direction du Royaume du Piémont du roi Victor Emmanuel II. Dans ce contexte, celui-ci bascule son assise géopolitique, identitaire et territoriale d’un État trans-alpin à un État italien. En échange de son aide, la France du Second Empire de Napoléon III reçoit par le Traité de Turin de novembre 1859 la Savoie et le Comté de Nice. Confirmée par plébiscite, cette cession aboutit à la création de deux départements - la Haute Savoie au nord, la Savoie au sud - et par l’établissement d’une frontière internationale telle que nous la connaissons aujourd’hui. Au total, on peut considérer que la fixation définitive des frontières dans cette région des Alpes est donc historiquement relativement récente.
Un tracé contesté sur quelques portions par l’Italie : du rififi au sommet de l’Europe occidentale
Après le Traité de Turin de 1860 fut installée en 1861 une Convention de délimitation de la nouvelle frontière internationale entre les deux États. Le tracé en reprend sans problème la vieille limite historique entre l’ancien Duché de Savoie et le Piémont. Il convient cependant de souligner qu’après le Seconde Guerre mondiale - qui vit l’Italie fasciste de Mussolini s’allier à l’Allemagne hitlérienne pour attaquer et occuper la France, voire en annexer une partie - Paris obtient en 1947 de la nouvelle République italienne deux modifications de la frontière franco-italienne : à Tende dans la région de Nice et sur le Mont-Cenis dans la Haute-Maurienne. Pour la France, l’objectif est de disposer à ces endroits stratégiques d’une position militaire tactique moins désavantageuse à ses troupes face à l’italie.
En conséquence, les deux États se sont dotés d’instruments conjoints pour gérer le tracé frontalier, telle par exemple la « Commission Mixte franco-italienne pour l’entretien des bornes et de la frontière ». Avec les évolutions techniques et technologiques, toutes les bornes frontalières - marquant officiellement sur le terrain de manière bilatérale la limite matérielle entre les deux États - ont été dotées de coordonnées GPS très précises. Toute la ligne frontière numérique, qui figure à la fois dans les bases de données de l’IGN français et européennes, a été validée par une Commission mixte franco-italienne à Turin en avril 2016.
Partout, sauf justement au sommet du Mont-Blanc. Cela signifie qu’en 2020, la France et l’Italie demeurent en désaccord sur le tracé frontalier d’une partie de leur frontière internationale. Un fait peu connu du grand public, mais très symptomatique des enjeux de souveraineté et des systèmes de représentation géopolitique dont les frontières sont porteuses, y compris parfois sur des espaces très restreints mais hautement symboliques. Dans le secteur compris entre le Dôme du Goûter au sud et le Col du Géant au nord, deux tracés différents s’opposent (cf. zoom 3). L’enjeux symbolique est considérable : le dôme du Mont-Blanc est-il totalement en France ou partagé entre la France et l’Italie ? Paris et Rome sont en désaccord sur la réponse.
Changement climatique et modifications des tracés frontaliers : un enjeu d’avenir ?
De la même manière, on peut s’interroger à la lecture et à l’étude de ces images sur la question des effets locaux du changement climatique (cf. recul des neiges et des glaciers) sur le tracé frontalier. Si la question est peu ou pas abordée en France et en Italie, la Suisse est beaucoup plus en avance dans l’étude des effets du changement climatique sur le tracé des frontières comme le souligne le site de l’Office fédéral de topographie Swisstopo. A cet égard, ces approches sont particulièrement intéressantes pour la frontière franco-italienne du fait de l’importance des appareils glaciaires sur le tracé frontalier.
Comme le souligne le site de Swisstopo, si « on considère d’ordinaire que les frontières sont fixes, elles peuvent toutefois subir l’influence d’aléas climatiques et de phénomènes naturels. Leur tracé peut alors changer. En particulier, au-delà de 3500 m d’altitude, la ligne de partage des eaux s'est déplacée au fil du temps, en partie du fait de la fonte des glaciers. Un tel cas s’est produit sur la frontière entre la Suisse et l'Italie au Furggsattel au-dessus de Zermatt : la frontière a été alignée sur le recul du glacier du théodule en 2000. En conséquence, la station de télésiège se trouve depuis lors sur sol suisse et non italien ».
« Sur les 578 km que compte la ligne de partage des eaux entre l'Italie et la Suisse, seule une quarantaine traverse des champs de neige ou des glaciers. Les autres frontières alpines, avec la France et l'Autriche, ne courent pas sur des champs de neige ou de glaciers dont la position est susceptible d’évoluer, mais suivent des arêtes rocheuses. Il n’est cependant pas exclu que ce type de frontière évolue également, par exemple à l’occasion d’un éboulement important ».
« En sa qualité de service spécialisé de la Confédération compétent pour la frontière nationale, Swisstopo doit tenir compte de ces changements de position pour assurer la mise à jour correcte de l’ensemble de ses produits de mensuration, topographiques et cartographiques. La mise à jour n’est toutefois entreprise que si elle est nécessaire (par exemple lorsque la modification de frontière touche une construction) ».
L’Espace Mont-Blanc : un levier et un laboratoire de la coopération transfrontalière
A cheval sur la France, l’Italie et la Suisse, le massif du Mont-Blanc devient progressivement un laboratoire de coopération transfrontalière à travers la promotion du concept d’Espace Mont-Blanc. Cette instance de coopération transfrontalière émerge lors de la création de la "Conférence transfrontalière Mont-Blanc" (CTMB), une structure de concertation politique, par les Ministres de l'Environnement de France, d'Italie et de Suisse en octobre 1991. Comme souvent, le processus institutionnel et politique se diversifie et se complexifie progressivement avec l’approbation en 2006 du Schéma de Développement Durable, puis en 2010 avec le démarrage du projet européen du Plan Intégré Transfrontalier (PIT),
L’Espace Mont-Blanc associe les Départements de la Savoie et de la Haute-Savoie (France), la Région autonome Vallée d’Aoste (Italie) et le Canton du Valais (Suisse) et 50 communes et intercommunalités comme les Communautés de Communes de la Vallée de Chamonix-Mont-Blanc et du Pays du Mont Blanc en France, l’Unité de communes valdôtaines Valdigne Mont-Blanc et l’Unité de communes valdôtaines Grand Combin côté suisse. Couvrant un espace dont 80 % se déploie au-dessus de 1500 m. d’altitude, il s’étend sur 3500 km² et est peuplé de 120000 habitants.
Comme dans beaucoup de projets de territoire, l’accent est mis en particulier sur le développement durable autour de quelques grands objectifs thématiques : soutient à l'agriculture de montagne et aux activités pastorales, élaboration d’une stratégie commune de sauvegarde de la nature et des paysages, promotion d’un tourisme intégré compatible avec la protection de l'environnement, limitation de l'impact des transports et de leurs infrastructures sur l’environnement… Plus récemment, l’accent est mis sur la nécessaire promotion d’une stratégie d’adaptation aux effets et impacts du changement climatique - fonte des glaciers, gestion et prévention des risques… - dans le cadre du projet européen AdaPT Mont-Blanc.
Zooms d’étude
1. La frontière franco-suisse : frontière, aménagements hydrauliques et échange de territoires
Une exception frontalière : le découplage bassin-versant/frontière
Sur cette image de la frontière franco-suisse, on distingue clairement l’organisation des massifs, des grands bassins versants et la hiérarchie des vallées. Globalement, c’est bien la topographie et la ligne de la plus haute crête qui servent de support à la fixation de la frontière, sauf pour le bassin de Vallorcine. Si la commune se trouve juridiquement en France, son bassin-versant, drainé par le torrent de l’Eau Noire, est orienté vers le nord-est et est donc tributaire du Trient, un torrent suisse qui se jette dans le Rhône.
Par contre, le contact avec la France opère par le Col des Montets (1461 m.), qui l’isole de la vallée de Chamonix. Suivant la règle générale d’un tracé frontalier défini par la plus haute ligne de crête de partage des eaux, le Bassin de Vallorcine devrait donc être suisse. Il fallut d’ailleurs attendre 1860 pour qu’un axe carrossable le relie au bassin de l’Arve via le Col du Montet. Les exceptions confirment la règle ?
Cette image prise au début du mois de juillet souligne, selon les années, la présence plus ou moins marquée et longue de la neige qui peut grandement gêner, voire interdire, la circulation transfrontalière entre bassin, en particulier l’hiver. Un seul axe de passage relie par la route Vallorcine à Martigny et est doté d’un poste de douane au Chatelard.
Mise en valeur hydraulique, échanges de territoires et valorisation commune
Mais le plus intéressant réside surtout dans la mise en valeur du potentiel hydroélectrique dont témoigne la présence du lac-réservoir du barrage d’Émosson. Au sud, le barrage en voute, qui s’appuie sur un verrou glaciaire, se trouve en Suisse mais frôle la frontière française. En fait, cette dépression topographique dominée par le Mont Ruan et le Glacier des Fonds correspond au vallon de la Barberine drainé par le torrent du même nom, qui est un sous-affluent du Rhône par l’Eau Noire et le Trient.
En fait, la mise en valeur hydroélectrique et la construction des ouvrages d’art nécessaires se sont faîtes historiquement en trois temps. Dans les années 1920/1930, les chemins de fer fédéraux suisses - CFF construisent un premier barrage de Barberine. De petite taille, il s’appuie sur un verrou glaciaire bien visible sur l’image, bien que cet ancien barrage soit aujourd’hui invisible car noyé. L’objectif des CFF est de réduire pour des raisons géostratégiques leur dépendance à l’importation de charbon allemand de la Ruhr ou de la Sarre. Celui-ci est de taille moyenne : haut de 79 m et long de 284 m, il permet de stocker un volume de 206 000 m3 d’eau. En 1955, les CFF se dotent d’un nouveau lac de barrage, bien visible sur l’image : c’est le barrage du Vieux-Émosson situé à 2205 m. d’altitude.
Mais en 1967/1974, la construction de l’actuel barrage d’Émosson change totalement la donne. Ce barrage-voute de 180 m de haut et long de 560 m qui domine la vallée permet la retenue de 227 millions de m3 d’eau pour une retenue d’une surface de 3,27 km². Cette construction n’est rendue possible que par une convention entre la France et la Suisse datant de 1963 qui concerne à la fois une rectification du tracé frontalier entre les deux États et un accord sur l’aménagement hydro-électrique. En effet, le réservoir est alimenté par des captages complexes dans des bassins-versants qui se déploient en territoires français et suisse. Ce barrage alimente deux centrales hydroélectriques - celle du Châtelard-Vallorcine en France puis celle de la Batiaz en Suisse - permettant la production de 452 millions de kilowattheures.
Au plan territorial, la première convention porte sur une double rectification de frontière réalisée afin que les deux équipements majeurs se trouve en totalité dans l’un ou l’autre pays. La France cède 12 hectares à la Suisse pour accueillir la rive droite du barrage et ses abords ; la Suisse cède à la France 12 hectares sur la rive droite de l’Eau Noire pour implanter la centrale hydroélectrique du Châtelard. Au plan des installations, la seconde convention porte sur l’ensemble des problèmes économiques, juridiques, fiscaux et douaniers posés par la réalisation et la gestion de l’ensemble. Au total, cet exemple local témoigne de la qualité des relations franco-suisses qui permettent de développer un équipement mutuellement avantageux aux deux États dans un cadre pacifié et négocié. Les frontières sont bien ici le support et le reflet de grands rapports géopolitiques.
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2. Le secteur du Mont Dolent et de la triple Frontière
Sur cette image du versant septentrional du massif du Mont-Blanc, les trois lignes frontalières convergent au Mont Dolent (3830 m) qui sert de tri-point à la Suisse, à l’Italie et à la France. On peut facilement constater le grand décalage entre le versant français et le versant italien, beaucoup plus court et donc beaucoup plus raide, du massif. En dehors du glacier du Trient en Suisse, les grandes langues glaciaires - Glacier des Bossons, Mer de Glace, Glacier d’Argentière - se déploient très bas en altitude sur la vallée de l’Arve et de Chamonix.
Globalement là encore, la plus haute crête sert globalement de ligne frontalière en passant par des crêtes acérées qui sont le paradis des alpinistes : Aiguille du Tour (3540 m), Aiguille d’Argentière (3900 m), Aiguille du Triolet (3870 m.), Aiguille de Talèfre (3730 m.), les Grandes Jorasses bien sur (4208 m.), la Dent du Géant (4013 m).
Repères géographiques
3. Le Massif du Mont Blanc : les désaccords franco-italiens sur le toit de l’Europe occidentale
Cette logique de plus haute crête est aussi utilisée dans la partie sud du massif, entre le Sommet des Rousses et le Mont Miravidi jusqu’au Dôme de Miage et l’Aiguille de Bionnassay (4052 m). De même, entre la Dent du Géant, la Ponte Helbronner (3462 m) où arrive le funiculaire italien débutant dans la vallée à La Palud/Entrève, Le Tour Ronde et le Mont Maudit (4465 m).
On atteint alors un espace exceptionnel : un très grand plateau d’altitude totalement englacé de pente moyenne, sans grandes difficultés techniques, compris entre le Mont Maudis, le Mont Blanc de Courmayeur et le Dôme du Goûter et dominé par le Mont Blanc. Vers le nord se déploie la voie d’accès principal au Mont Blanc qui longe la frontière sur les Grandes et Petites Bosses. Vers le nord se trouve le célèbre refuge Vallot à 4362 m. proche du Dôme du Gouter (4304 m.) puis l’axe nord/sud qui descend à travers le magnifique Glacier des Bossons pour gagner le Plan de l’Aiguille puis enfin Chamonix.
C’est dans ce secteur qu’existe les différents sur le tracé frontalier entre l’Italie et la France. Ce secteur frontalier demeure litigieux avec deux lignes différentes de marquage : il est assez long et spectaculaire puisqu’il part du Dôme du Gouter à l’ouest pour aboutir à l’est au nord du Col du Géant qui se trouve tout prêt de la fameuse pointe Helbronner et du refuge-hôtel Torino.
Pour la France, comme l’indique bien la carte tirée du Géoportail de l’IGN, le Mont Blanc est bien en France dans sa totalité. Le tracé frontalier contourne le puissant dôme de glace sensiblement au sud et à l’est pour se situer sur une zone de rupture topographique nette. Pour l’Italie, la frontière passe par la pointe sommitale du sommet du Mont Blanc, ce qui signifie qu’une partie du dôme au sud lui appartient. Du fait de l’imprécision des cartes historiques et des Traités parfois invoqués (1713, 1796, 1860…), qui reflètent l’absence de connaissance fine des réalités de terrain en très haute altitude lors de leur réalisation ou rédaction, la question est toujours restée non réglée.
Repères géographiques
Carte du Géoportail IGN
Différent frontalier franco-italien dans le secteur du Dôme du Goûter
Différent frontalier franco-italien dans le secteur du Mont Blanc
Image complémentaire
Le massif du Mont-Blanc :
Image prise par un satellite Pleiades le 24/11/2012
D’autres ressources
Sites internet sur les questions et enjeux frontaliers
Le site Géoportail de l’IGN
https://www.geoportail.gouv.fr/donnees/carte-ign
Conseil national de l’information géographique : valider, tracer et borner la frontière
http://cnig.gouv.fr/?page_id=8653
Borner la frontière : exemple de travaux de la commission franco-italienne
http://cnig.gouv.fr/wp-content/uploads/2015/04/Nice-2015final.pdf
Eurogéographics : le site (anglais) des organismes publics de 46 États européens
https://eurogeographics.org/about-us/
Changement climatique et modifications de frontières : le site de l’Office fédéral de topographie de la Suisse (Swisstopo)
https://www.swisstopo.admin.ch/fr/connaissances-faits/limites-territoriales/frontiere-nationale/frontieres-en-mouvement.html
Sites internet sur l’espace montagnard du Mont-Blanc et les coopérations transfrontalières
Site Coopération transfrontalière Espace Mont-Blanc
http://www.espace-mont-blanc.com/
Site de l’Observatoire du Mont-Blanc
http://observatoire.espace-mont-blanc.com/
Site de l’Atlas du Mont-Blanc
https://atlasmontblanc.org/fr
Plan intégré de l’espace transfrontalier
https://www.cc-valleedechamonixmontblanc.fr/documents/communaute/cooperation_transfrontaliere/pdf/strategie_avenir_mont_blanc.pdf
Contributeur
Laurent Carroué, Inspecteur générale de l’Éducation nationale, du Sport et de la Recherche, Directeur de recherche à l’Institut Français de Géopolitique (Université Paris VIII).