23 Août 2022

[CNESMAG] Fréquences, signaux : pourquoi et comment Galileo se démarque

Le spectre des radiofréquences accordé à la navigation satellite reste un enjeu clé des systèmes GNSS, tout comme les signaux véhiculés. Performance, résilience, interopérabilité et nouveaux services y sont liés. C’est désormais une cible à protéger.
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Crédits : © CNES/ill.Pierre Carril, 2022

Tous les systèmes de navigation par satellites partagent historiquement la bande L, entre 1164 et 1610 MHz. Mais ce qui est sûr, c’est qu’ils n’en font pas le même usage.

Multifréquences et services

Les enjeux de départ assignés à Galileo par la commission européenne étaient clairs : le système européen devait assurer une interopérabilité avec le GPS américain et les autres systèmes, garantir sa robustesse et anticiper les besoins futurs. 

« Galileo comme les autres systèmes GNSS ont réservé des fréquences sur le spectre dédié à la radionavigation auprès de l’Union Internationale des Télécommunications (UIT), rappelle François-Xavier Marmet, responsable signaux et interférences au CNES. Celles utilisées par Galileo (E1, E5 et E6) ne sont pas similaires à celles du GPS (L1, L2 et L5) ». Ces 3 fréquences assurent sa résilience en cas de défaillance de l’une d’elles, et permettent aussi de proposer des services différenciateurs. 

 Sur la fréquence E1, Galileo propose déjà un service unique d’authentification des données de navigation pour les utilisateurs civils, quasi-opérationnel (OSNMA) 

François- Xavier Marmet, responsable signaux et interférences au CNES

Fréquences et fréquences adjacentes ont fait l’objet de la plus grande attention, afin que l’émission de signaux soit fiable et couvre le maximum de besoins, malgré des contraintes. Galileo utilise ainsi la fréquence E6. Utilisée par les systèmes GNSS mais accueillant d’autres usages (cf. encadré), elle concentre certains des services clés du système européen (signaux gouvernementaux sur E6A ; service de haute précision sur E6B ; futur service d’authentification sur E6C). 

Galileo a également pré-réservé certains segments sur la fréquence S, juste sous 2500 MHz. Elle pourrait donc être expérimentée à l’avenir. Parmi ses avantages, combinée à la bande L, « les erreurs de radionavigation sont moindres et la correction des biais de mesures sera plus précise encore » souligne Jean-Luc Issler, expert GNSS en radionavigation par satellites et radiofréquences au CNES.  

Le saviez-vous ?

La bande S est la seule bande de fréquence utilisée à la fois par la radionavigation et la téléphonie mobile satellitaires, avec un fort potentiel d’hybridation d’usages.

Signaux optimaux… et bientôt programmables

Sur les fréquences actuelles, Galileo dispose de 10 signaux . 8 ont été inventés par le CNES et 6 sont brevetés ! « Le CNES a l’avantage d’avoir le cumul des connaissances sur le sujet, des besoins des utilisateurs à la connaissance fine des récepteurs GNSS jusqu’à la manière de générer les signaux » précise Jean-Luc Issler.

L’expert a fait partie de la « Global Task Force Galileo » des débuts, chargée d’inventer les signaux. Leurs résultats ? Alt-BOC et Composite-BOC sont les signaux parmi les plus performants des systèmes GNSS, compromis entre extrême précision de mesure et faible puissance allouée.

 Galileo dispose du signal le plus large existant (51 MHz), qui lui donne une précision inégalée pour les services grand public et la haute précision professionnelle, avec des mesures brutes jusqu’à 10 cm en temps réel.

Jean-Luc Issler, expert GNSS en radionavigation par satellites et radiofréquences au CNES

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Jean-Luc Issler Crédits : DR

 Ce signal a été par la suite repris par la Chine pour son système Beidou.

« Galileo dispose de signaux optimaux, qui contribuent à sa différenciation face aux autres systèmes GNSS » précise Jean-Luc Issler.

Les satellites de 2ème génération de Galileo, en cours de développement, vont quant à eux « être capables de générer des signaux que l’on ne connaît pas encore, c’est-à-dire les programmer à la demande, au plus près du besoin, grâce à une charge utile flexible » note Jean Maréchal, responsable navigation par satellites au CNES.  

 

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Crédits : ANFR
Radio-amateurs et navigation GNSS, compromis à trouver

La fréquence E6 a la particularité d’être utilisée par plusieurs usagers, avec un risque d’interférence et de brouillage entre eux. Alors que de nouveaux services Galileo à forte valeur ajoutée sont prochainement attendus, des solutions sont à trouver. « La radio-navigation est le service primaire et les radio-amateurs sont secondaires ; il y a donc déjà un ordre des priorités connu, même si chacun peut avoir sa place » rappelle François-Xavier Marmet. Ce dernier participe à des groupes de travail avec l’ANFR sur le sujet, qui ont fait progresser les parties prenantes sur cet enjeu. 
Un compromis pourrait se faire sur un mix d’alternatives, comme la limitation de puissance émise ou le recours à des signaux pulsés. La prochaine conférence mondiale des radiocommunications (World Radio Conference) prévue en 2023 est attendue comme un tournant.

Mobilisation face aux brouillages

Aujourd’hui, les travaux portent sur de nouveaux signaux émis en orbite moyenne ou basse, avec pour corollaire la nécessité de « savoir qui a besoin, hors des gouvernements, d’un signal spécifique. Le sujet est majeur : les signaux ont une fragilité intrinsèque, car émis de très loin à très faible puissance. Il n’est donc pas très difficile de les brouiller » constate Jean Maréchal.

Or la protection des moyens spatiaux de navigation est devenue prioritaire. Les premiers jours du conflit Russie/Ukraine ont enregistré une recrudescence des interférences sur les signaux GPS pour la navigation aérienne : la « Navwar » n’est pas qu’une vue de l’esprit. Sur le sujet, le CNES développe le démonstrateur NεSS en lien avec le ministère des Armées. Le nanosatellite sera chargé de détecter les  sources d’interférences terrestres, puis de les localiser après traitement des données.

Des projets explorent d’autres voies. Le CNES collabore ainsi avec la Direction Générale de l’Armement afin de tester de nouvelles technologies pour renforcer la surveillance des interférences au sein des bandes fréquences GNSS (projet Diego). 

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De futures constellations GNSS lunaires sont en développement. Crédits : DR
L’ENVIRONNEMENT LUNAIRE RÉGLEMENTÉ POUR SAUVER SON POTENTIEL DE RADIO-ASTRONOMIE

La face cachée de la Lune reste épargnée par les ondes émises depuis la Terre. Un vrai et unique paradis pour radio-astronomes : « Il s’agit de ne pas grever notre chance de pouvoir ouvrir grand les yeux sur l’Univers, d’étudier la dynamique des galaxies sur un large spectre, ce qu’il n’est plus possible de faire depuis la Terre » indique Jean-Luc Issler. Les projets de radio-téléscopes et observatoires sur la face cachée sont nombreux. Le problème est que l’environnement lunaire suscite des convoitises, et le déploiement parallèle de systèmes GNSS est déjà bien avancé. Pour se prémunir, l’Union Internationale des Télécommunications (UIT) a décrété une zone  protégée (SZM) englobant la face cachée et les orbites la survolant, ainsi que l’interdiction des bandes de fréquences inférieures à 2 GHz, dont la bande L. La bande S GNSS est par contre autorisée.