Le fleuve Irrawaddy, dénommé également Ayeyarwady, long de 2170 km, traverse le Myanmar (Birmanie) du nord au sud et est la principale voie navigable du pays. Son bassin est en réalité un immense fossé d’effondrement, soumis à de fréquents séismes. Il s’écoule vers la mer d’Andaman en un large delta de 30 000 km2 de terres fertiles. Comme la plupart des grands deltas, c’est un environnement riche en biodiversité mais vulnérable aux catastrophes naturelles. Cet écosystème est de plus en plus fragilisé par des pressions anthropiques croissantes (démographie, barrage, agriculture, aquaculture) dans un pays en développement.
Légende de l’image
L'image des îles du delta d'Irrawaddy au Myanmar, laisse apparaitre en beige rosé des terres agricoles et des zones vertes montrant des forêts de mangrove.
Cette vue capturée par la mission Copernicus Sentinel-2A combine deux acquisitions réalisées par le satellite Sentinel-2A le 22 novembre 2018 et le 19 novembre 2019. La résolution native est de 10m.
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Présentation de l’image globale
Le delta de l’Irrawady : un écosystème exceptionnel fragilisé
par des pressions anthropiques croissantes
La partie terminale du delta d’un des grands fleuves d’Asie du Sud-Est
Comme le montre l’image générale, nous sommes ici dans la terminaison du grand delta de l’Irrawaddy. On est frappé par sa taille considérable : s’étendant sur 290 km du nord au sud et sur 240 km d’ouest en est à sa base, il couvre un triangle de 30 000 km2. Sur l’image, qui n’en couvre qu’une partie donc, il mesure 125 km ouest/est. On est tout autant frappé par sa morphologie : le réseau hydrographique qui vient du nord traduit le morcellement du fleuve principal en une multitude de bras de tailles inégales qui découpent de très nombreuses presqu’îles ou îles très allongées constituées de bourrelets alluviaux. Dans la zone littorale, la forme des successions de cordons dunaires est bien visible, en particulier au centre et à l’est de l’image. Enfin, l’occupation humaine est particulièrement marquée et bien repérable au sud-ouest (en bas a gauche) avec la présence de cinq gros villages.
Pour en comprendre l’importance et le fonctionnement, il faut changer d’échelle (cf. image complémentaire) et analyser le fonctionnement du fleuve et de son bassin d’alimentation à l’échelle nationale et continentale. L’Irrawady est en effet un géant. Prenant sa source très au nord, il est long de 2 170 km et draine un très vaste bassin versant fluvial couvrant 411 000 km2 avant de se jeter au sud dans la Mer d’Andaman.
A l’amont, il est composé de la réunion de la N’Mai River, qui prend sa source en Chine dans la puissante chaîne de l’Himalaya, et de la Mali River, dont la réunion forme donc l’Irrawady dans l’Etat Kachim. Dans sa partie intermédiaire, dans la région du bassin de Mandalay qui constitue la Haute Birmanie, il reçoit les eaux de la Shweli et de la Myitnge en rive gauche et de la Mu et de la Chindwin, son principal affluent, en rive droite. A partir de là, il s’écoule de manière relativement rectiligne en Basse Birmanie jusqu’à son immense delta. Son débit annuel moyen de 13 000 m3/s à son embouchure masque de très fortes inégalités saisonnières, largement dues aux régimes de la mousson, avec des étiages à 2 300 m3/s et de fortes crues à 40 300 m2/s.
Coulant entre les puissantes chaines côtières à l’ouest (Arakan Yoma) et les vastes contreforts montagneux de l’est (Monts des Kachins, plateau Shan, le Tenasserim), il draine un très vaste bassin central nord/sud de presque 1 000 km de long qui constitue la colonne vertébrale géohistorique, géoéconomique et géopolitique de l’Etat birman face aux marges montagnardes occupées par des nombreuses minorités. C’est la principale voie navigable du pays.
Un delta et une mangrove en recul : les effets des barrages hydrauliques, du développement rizicole et de l’aquaculture
Comme le montre l’image générale, le delta de l’Irrawaddy est un vaste ensemble de péninsules, d’îles et de cours d’eau aux multiples méandres. C’est un delta essentiellement dominé par les marées du fait de son altitude très basse : 1/6em du delta se trouve sous le niveau de la haute marée de printemps ; les chenaux sont méandriformes et évasés à leur embouchure.
Du fait du triptyque classique érosion/ transport/accumulation, ce fleuve transportait historiquement d’énormes quantités d’alluvions, estimées à 260 millions de tonnes par an. Ce processus d’accumulation deltaïque explique que le delta a progressé en moyenne de 2,5 km en 100 ans sur la mer d’Andaman jusqu’au début du dernier quart du XXe siècle.
Mais on constate depuis 1989 un schéma d’érosion du rivage dominant. Cette vulnérabilité du delta est principalement due à la réduction de l’approvisionnement en sédiment, en raison notamment de la construction de barrages à l’amont qui retiennent les sédiments. Elle est aggravée par les effets de la croissance démographique et de la déforestation des mangroves : la diminution de la charge sédimentaire face à l’élévation relative du niveau de la mer et à l’affaissement constant du sol sous les effets mécaniques du poids accumulé, entraîne également un affaissement du delta.
De plus, on note d’importantes pertes de forêt de mangrove dans le delta au profit des élevages de crevettes et de la riziculture. La superficie totale de la forêt de mangrove a ainsi diminué de 2.345 km² à 1.786 km² entre 1924 et 1995 (- 24 %) en raison des défrichements liés à l’agriculture et à l'aquaculture. On prévoit que si elles ne sont pas protégées, les forêts de mangroves du delta de l’Irrawaddy pourraient complètement disparaître d’ici 2026, privant ainsi le rivage du delta d’un agent important dans le piégeage des sédiments à grain fin et, notamment, dans la protection du littoral contre l’érosion générée par les hautes vagues de mousson et les cyclones. Sur la carte, on voit nettement les forêts de mangroves en vert foncé, tracées par des ruisseaux bleu-vert chargé de sédiments.
La construction du barrage de Myitsone par la Chine suspendue : un sursis pour le delta ?
Dans ces liens d’interdépendances, la dynamique du delta ne peut donc se comprendre qu’en analysant les mutations qui affectent l’ensemble du bassin fluvial en articulant les emboitements d’échelles d’un côté, les interactions entre l’environnement et les activités humaines de l’autre.
En 2006, le Ministère birman de l'électricité et la China Power Investment Corporation signent un accord pour un ensemble de barrages à vocation hydroélectrique sur l’Irrawaddy, dans le nord du pays ; le plus important (3.600 mégawatts) devait se situer à Myitsone, au confluent des rivières Mali et N'Mai, à la naissance même de l’Irrawaddy.
Haut de 152 m et large de 150, le projet prévoyait d’achever en 2017 un des vingt plus grands barrages hydroélectriques du monde. Le réservoir devait couvrir 766 km2, engloutissant 47 villages et déplaçant plus de 10.000 Kachins. Comme les autres grands barrages du fleuve, celui de Myitsone aurait notamment modifié les caractéristiques hydrologiques du fleuve, empêchant les riches alluvions himalayennes d'atteindre les régions de plaines en aval. Cela aurait donc eu un impact jusque dans le delta du fleuve.
Mais en 2011, face à la pression politique et à l’opposition de la population, le projet a été suspendu. Le projet est devenu aujourd’hui source de tension entre la Birmanie et la Chine, mais la reprise de la construction pourrait accélérer le recul du delta.
Cet exemple concret souligne, comme dans toute la péninsule indochinoise, l’interventionnisme géopolitique et géoéconomique croissant de la Chine, en particulier en Birmanie, au Laos et au Cambodge. On y assiste ces dernières décennies à la multiplication des grandes infrastructures de transport et des grands équipements (cf. rads barages), et corrélativement à l’arrivée massive de capitaux chinois.
Des activités économiques fragiles
Fragilisée, cette région du grand delta est pourtant une importante zone de production de riz. Celui-ci est le grenier alimentaire le plus important en Birmanie. Près de 60 % de la récolte totale de riz du pays provient des quatre États qui occupent le delta de l’Irrawaddy et le golfe de Martaban à l’est. Au moment de la prise de vue, de nombreuses zones de culture du riz sont en jachère et le sol nu apparaît de couleur rosâtre. Les ruisseaux bordés d’arbres apparaissent comme des veines vertes à travers les terres cultivées.
Les Birmans et les Karens forment la majorité de la population du delta. On note sur l’image la présence de quelques zones habitées, bien visibles, notamment dans le sud-est du delta. Ces villages vivent de la pêche et de l’agriculture et ils sont très dépendants des caprices de la nature, subissant les cyclones, la montée des eaux et l’érosion des terres arables. Ils ont par exemple particulièrement souffert du passage du cyclone Nargis en mai 2008, qui avait provoqué près de 140.000 morts et disparus et durablement fragilisée l’économie de la région.
Le potentiel touristique du delta est aussi considérable. Outre Pathein et ses monuments (hors champs de l’image proposée, dans le nord du delta) et les plages de la côte océanique (Ngwesaung, à l’ouest de Pathein par exemple), il possède un écosystème riche et varié, propice à des observations animalières et à la découverte de la mangrove. On y retrouve des dizaines d’espèces d’oiseaux migrateurs, et plusieurs mammifères, tels que le sambar, le cerf cochon et le sanglier. Autre espèce endémique jadis abondante, le crocodile marin existe en effectif réduit dans le delta à cause d’une chasse excessive pour obtenir sa chair et surtout sa peau. Cependant, malgré ce potentiel, les infrastructures de transport et d'hébergement étant peu développées, la région peine encore à attirer les touristes.
Zoom d’étude
La réserve de Mein ma-hla Kyun
On remarque sur la photo, dans la partie est du delta, une zone apparaissant en vert foncé, donc entièrement recouvert de mangroves : il s’agit du sanctuaire de Mein-ma-hla Kyun.
Le sanctuaire de Mein-ma-hla Kyun est une réserve constituée de vasières située dans le delta de l'Irrawady, dans le district de Bogale. Créée en 1986, elle est classée comme réserve d’écosystème de la mangrove et occupe une superficie de 137 kilomètres carrés (52,79 km²). En 2017, elle a été rajoutée à la liste des zones humides d’importance internationale au titre de la Convention de Ramsar sur les zones humides. Ce sanctuaire héberge un grand nombre d'espèces de plantes et d’animaux menacées d'extinction, dont le dauphin sauvage de l'Irrawaddy.
Outre la conservation de la biodiversité, le but de cette réserve est aussi une protection du delta face aux catastrophes naturelles. En effet, les habitants de la région ont pu mesurer l’importance de la mangrove lors du passage du cyclone Nargis en 2008 : les villages situés à l’est de la réserve, protégés par les forêts, ont subi moins de dégâts que ceux situés à l’ouest ; le cyclone venant de l’ouest.
La réserve permet enfin le développement d’un écotourisme à la découverte de cette exceptionnelle biodiversité. Cet écotourisme, encore timide, permet de diminuer la pression des populations locales sur la forêt, en permettant une diversification économique en complément de la riziculture et de la pêche.
Images complémentaires
Vue générale du grand delta
Mesurant à peu près 255 km Ouest/Est de Ngwesaug à l’est à la frontière et 200 km Nord/Sud, cette image témoigne de l’ampleur spatiale des grands deltas fluviaux de l’Asie des Moussons. Si l’Irrawady et ses affluents coulent dans la vaste cuvette structuralle et topographique d’orientation Nord/Sud qui s’étend au centre de l’image, la ville de Rangoon est située plus à l’est à l’abri du delta et de ses gigantesques crues sur le vaste estuaire du fleuve Yangon.
La chaîne côtière tombant sur le Golfe du Bengale
A l’Ouest, le delta est bordé par une vaste chaine de montagnes qui tombe sur le Golfe du Bengale, et donc l’océan Indien. Celle-ci coure tout le long du littoral birman pour rejoindre plus au nord les États de l’Inde du Mizoram, Manipur et Nagaland. Elle isole une importante plaine littorale dans laquelle se trouvent d’importantes minorités nationales. Sur le littoral, l’image montre bien l’étagement de la végétation et des activités humaines, de la haute montagne boisée (vert sombre), aux espaces intermédiaires (vert dégradé) puis aux zones de cultures et de plantations (couleur maron) et enfin au liseré littoral (mangrove). La baie de Ngayoke – et le bourg au sud - est bien visible.
La grande île de Magyibin dans les bras de la Pathein River
Cette image de l’ouest du delta couvre la grande île qui est enserrée entre les deux puissants bras de la Pathein River. Celle-ci est un émissaire direct de l’Irrawady dont elle se sépare plus de 240 km au nord lors de l’entrée dans le delta pour drainer et construire toute la partie occidentale du Grand Delta. Le cours principal à l’ouest est celui de la Pathein, le cours secondaire à l’est est celui de la Thatkalthon, bien repérable par la longue ile en forme de virgule. Le sens du courant, l’importance de la charge alluviale transportée et les processus d’accumulation/ érosion sont bien visibles. Dans cet espace-amphibie, l’image est centrée sur Magyibin et témoigne de la très large mise en valeur agricole des terroirs villageois.
A la pointe du delta, une mise en valeur exceptionnelle
Sur l’embouchure même du delta, cette large image couvrant 65 km juxtapose d’Est en Ouest le cours de l’Irrawady, bien identifiable à l’est par la petite île ronde de Kaingthaung, puis cellui de la Pyinzalu, de la Pyanmala et enfin de la Ywe. On est frappé par l’importance et l’entrelacement du réseau fluvial, le caractère amphibie et mouvant des espaces à fleur d’eau du fait de leur faible altitude et de l’importance des îles et presqu’iles. Malgré de fortes contraintes, la mise en valeur agricole des espaces ruraux apparait exceptionnelle et reposent sur le gigantesque travail de communautés villageoises parmi les plus précaires au monde.
La pointe méridionale du delta avançant sur la mer
L’image couvre la partie la plus méridionale du delta. A l’est, Les villages de Nauk Mee et Alandaing sont bien visibles au bord de mer. Au centre, l’ile verte de Main Ma, bien repérable elle aussi, est classée en réserve naturelle. L’image révèle la puissance des processus d’érosion et de transports avec l’importance des charges alluviales transportées par les eaux fluviales et marines (eaux marrons) ; l’importance des courants marins et des dérives littorales dont les formes d’orientations Est/Ouest sont bien visibles ; l’impact majeur enfin des processus d’accumulation (cordons littoraux successifs, naissances d’îles au large...).
Les bras intérieurs du delta
Cette image couvre le nord du delta. Au Nord-est se trouve Aughlaing et le beau méandre fermé du bras oriental de l’Irrawady près de Yelegale, bien repérable. Au bord nord, l’emprise des installations de la ferme aquacole « Global Earth Agro Aqua » est elle aussi bien repérable par sa taille et ses formes géométriques.
Ressources complémentaires
Sitographie : document complémentaire
La grande plaine de l’Irrawady
Contributeur
Nadège Mantion, Professeur au Lycée français de Rangoun