Avec la Sardaigne, la Sicile et Chypre, la Corse appartient aux plus grandes îles de Méditerranée. Elle s’en distingue cependant largement par la spécificité de ses structures et dynamiques spatiales. Celles-ci se caractérisent en effet par un cadre montagnard très puissant (Mont Cinto, 2.706 mètres), des trajectoires locales démographiques, économiques et sociales contrastées et une bi-polalisation sur Ajaccio et Bastia. Dans un contexte d’hyperlittoralisation, lié à la survalorisation de certains secteurs côtiers, son développement pose la question du nécessaire équilibre à trouver entre mise en valeur des atouts et protection des ressources, entre un intérieur vide et des littoraux en tension.
Cette image a été prise par un satellite Sentinel 2 le 22/05/2016. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles, de résolution native à 10m
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Au-delà de tout déterminisme, des milieux qui s’imposent à l’analyse géographique
La spécificité des milieux corses - insularité, relief marqué, côtes très indentées, climat méditerranéen - implique d’emblée une prise en compte de ces données pour permettre une compréhension globale de l’organisation de l’espace de l’île. Trois couleurs dominantes se dégagent ainsi de cette image. Le bleu rappelle le contexte d’insularité dans lequel le territoire corse se développe. La mer éloigne ainsi en Corse, mais elle attire aussi, la littoralisation étant particulièrement marquée sur ce territoire. Le vert très présent met en valeur la relative faiblesse de l’occupation humaine et son déclin dans l’intérieur, les systèmes agricoles anciens laissant place au maquis. En Corse c’est bien au centre que se trouvent les marges. Le blanc des cimes enneigées des sommets les plus élevés souligne le relief très marqué de l’île se traduisant notamment par la présence de secteurs de haute montagne.
Un territoire insulaire
Le document présente la Corse, une île de 8.680 km2 située en Méditerranée occidentale. Elle est bordée par la Mer Ligurienne au nord et la Mer Tyrrhénienne à l’est. A proximité immédiate de la Sardaigne, dont elle n’est séparée que par les dix kilomètres des bouches de Bonifacio, la Corse est également proche de l’archipel toscan et de l’espace continental italien : Bastia est séparée de l’île d’Elbe d’une cinquantaine de kilomètres, de Piombino de 90 kilomètres. Le littoral français le plus proche est celui de la côte d’Azur à environ 180 kilomètres au nord-ouest.
Cette configuration particulière permet de comprendre la longue domination génoise sur l’île du XIVème siècle jusqu’en 1768, date à laquelle la Corse est intégrée au territoire français - les résistances paolistes étant définitivement défaites lors de la bataille de Ponte Novu en 1769.
Le cadrage de l’image met en lumière le phénomène de discontinuité territoriale liée à cette insularité, engendrant un surcoût du prix des transports aux multiples répercussions (vie chère, mobilités contraintes, étroitesse du marché intérieur …). Les échanges avec l’extérieur sont essentiellement assurés par deux portes d’entrée principales : Ajaccio et Bastia, dont on distingue bien sur le document les aéroports et ports . En affinant, on peut aussi identifier quelques autres infrastructures de transport comme l’aéroport de Figari tout au sud.
Un relief très marqué, des espaces de haute montagne
L’image montre au nord-ouest l’épine dorsale de la Corse, d’orientation générale nord-ouest / sud-est, repérable aux sommets enneigés. On observe successivement quatre massifs culminant à plus de 2.000 mètres d’altitude : le Monte Cinto (2.706 mètres), le Monte Rotondo (2.622 mètres), le Monte d’Oro (2.389 mètres) et le Monte Renoso (2.352 mètres).
On note l’omniprésence d’un relief accidenté. L’altitude moyenne est de 568 mètres, ce qui distingue nettement la Corse de ses sœurs méditerranéennes, Sardaigne (278 mètres) et Sicile (391 mètres). Ce relief contrarie les circulations. A titre d’exemple éloquent, les deux principaux pôles de l’île, Ajaccio et Bastia, distants à vol d’oiseau de 100 kilomètres sont séparés par 3 heures 45 de train ou 2 heures 45 de route ; voire bien plus lorsque le col de Vizzavona, situé à 1.163 mètres d’altitude, est fermé par la neige.
En façade orientale se détachent sur l’image deux plaines de faible superficie, la principale autour du site antique d’Aleria et une autre de taille plus modeste à proximité de l’agglomération bastiaise. Ces plaines sont ourlées de lagunes visibles sur le document : les étangs de Biguglia au nord, de Diana et d’Urbino plus au sud. Y prennent place des activités agricoles (ex. : clémentine IGP de Corse, viticulture) - révélées par une observation fine de l’image -, et conchylicoles dans les étangs.
A l’exception de cette côte à lagunes, l’essentiel du littoral est rocheux, composé notamment de falaises (ex. : Bonifacio ) et de calanche (ex. : Piana). Le trait de côte occidental est très irrégulier. Ses nombreuses indentations apparaissent clairement sur l’image et expliquent les 1 000 kilomètres de linéaire côtier comptabilisés sur l’île.
On observe à l’ouest une succession de quatre grands golfes avec du nord au sud : Girolata, Sagone, Ajaccio et Valinco. D’autres rentrants de plus petite taille sont également visibles et font l’objet d’une mise en valeur balnéaire : baie de Calvi au nord-ouest, Golfe de Porto-Vecchio au sud-est, Golfe de Saint-Florent à la base occidentale du Cap corse. Très visible au nord, le Cap corse se détache nettement du reste du territoire insulaire, justifiant l’expression locale « d’île dans l’île ». Cette diversité des paysages littoraux et un atout pour le tourisme. Certains sites exceptionnels sont classés au patrimoine mondial de l’UNESCO : Bonifacio , calanche de Piana, Golfe de Girolata et réserve de Scandola.
Ces littoraux sont le débouché de cours d’eau qui en Corse sont de fait des fleuves en raison de la proximité de tous les points de l’île par rapport à la mer. On peut faiblement distinguer sur l’image les sillons formés à partir des montagnes par les vallées de quelques-uns d’entre eux : le Golo qui se jette dans la mer Tyrrhénienne au sud de l’étang de Biguglia, le Tavignano qui traverse la plaine d’Aleria, la Gravona qui coule vers le Golfe d’Ajaccio.
Un climat méditerranéen recomposé par le relief et l’insularité
La latitude de la Corse (42° nord à Ajaccio) implique un climat méditerranéen, caractérisé par une sécheresse d’été et des précipitations marquées au printemps et à l’automne (ex. : 13 millimètres de précipitations en juillet à Bastia, 127 en octobre), qui prennent parfois la forme d’épisodes méditerranéens violents provoquant des inondations soudaines et récurrentes. Ce contexte méditerranéen affecte le régime des fleuves, qui connaissent un étiage très faible voire inexistant en été et une montée rapide des eaux lors des épisodes pluvieux.
La présence d’un relief marqué implique une altération climatique perceptible sur l’image à travers l’étagement. On distingue du littoral vers les sommets trois couleurs permettant d’identifier le maquis de l’étage méso-méditerranéen, très étendu, les forêts du supra-méditerranéen (ex. : Vizzavona, Aïtone) puis l’étage montagnard et subalpin des massifs les plus élevés. Ces formations végétales sont en partie composées d’espèces endémiques en lien avec l’insularité, comme le Pin Laricio reconnaissable par son port rectiligne et son écorce caractéristique.
Ce climat est évidemment un élément d’attractivité de l’île, par exemple grâce à l’important ensoleillement (2 700 heures par an à Ajaccio), d’autant plus qu’il est associé à des paysages remarquables. L’insularité a en revanche pour conséquence l’exposition à de fréquents vents violents, en particulier aux extrémités nord et sud, Cap corse et bouches de Bonifacio (record à 225 kilomètres/heure en janvier 2018 à la pointe du Cap).
Une Corse du vide ?
La Corse compte 337.000 habitants en 2018. Cela en fait la région métropolitaine la moins peuplée. La densité de population est de 39 habitants par km2, significativement moins que les îles voisines de taille comparable (69 habitants par km2 pour la Sardaigne, 197 pour la Sicile).
La première impression qui se dégage de l’image est bien celle d’une Corse du vide : hormis les deux zones de plaines cultivées, les traces d’aménagements humains sont peu visibles. Mais cette densité moyenne n’est qu’une vision statistique de la population et ne dit rien sur la réalité du peuplement, très contrasté.
Par ailleurs, la Corse est la région métropolitaine la plus dynamique d’un point de vue démographique avec une augmentation de la population entre 2010 et 2018 de 1,1 % par an, entièrement due au solde migratoire.
D’une densité de population faible au dépeuplement
Les densités de population dans l’intérieur sont faibles. Moins de 20 % de la population corse vit hors des communes littorales. Cela constitue une inversion de tendance historique : l’intérieur était traditionnellement le foyer principal de population dans le cadre d’une mise en valeur agro-sylvo-pastorale.
Cette évolution se traduit par une extension du maquis, désormais omniprésent, au détriment d’anciennes surfaces cultivées. C’est cette formation végétale symbole de déclin agricole qui confère à l’image cette couleur verte dominante – notons que la distinction avec les espaces forestiers reste à cette échelle difficile.
Plusieurs facteurs se sont cumulés pour aboutir à cette dynamique de déclin, entre exode rural, effets démographiques de la Grande guerre et littoralisation de la deuxième moitié du XXème siècle. Cette déprise se poursuit actuellement ce qui autorise à parler de dépeuplement intérieur.
Une Corse du plein
Paludisme, risques d’invasion, prédominance d’une culture montagnarde … ont longtemps suscité l’aversion des populations insulaires pour les littoraux, à de rares exceptions près (ex. : Cap corse, Bonifacio).
Aujourd’hui, le peuplement et les activités sont à l’inverse littoralisés, même si ce n’est pas immédiatement perceptible sur l’image en raison de la faiblesse globale du peuplement. Plus de 80 % de la population vit dans les communes littorales.
Les deux principales agglomérations sont situées en bord en mer : Ajaccio au sud-ouest et Bastia au nord-est, avec respectivement 68.000 et 67.000 habitants pour l’unité urbaine. Elles attirent de plus des actifs dont la résidence peut se situer très loin dans l’intérieur, expliquant la superficie importante de leurs aires urbaines, qui tendent à se rejoindre au centre de l’île. Ajaccio et Bastia, agglomérations finalement assez peu étendues comme le montre l’image, polarisent en réalité une part importante du territoire. Ces agglomérations littorales concentrent aussi la croissance démographique (ex. : croissance démographique d’Ajaccio de 1,5 % par an entre 2009 et 2014).
Deux autres zones urbanisées sont visibles sur l’image : Corte au sud-est du monte Cinto - le seul foyer de population de l’intérieur - et Porto-Vecchio au sud-est. La lisibilité de cette dernière sur le document est moins liée à sa population résidente (12 000 habitants pour l’unité urbaine) qu’aux constructions en lien avec les activités balnéaires estivales.
Insularité, montagne et hyperlittoralisation : les données d’une équation géographique complexe
Les déséquilibres du peuplement et de la répartition des activités, associés aux contraintes de l’insularité et du relief, donnent une acuité particulière aux questions et perspectives de développement durable.
Une Corse du trop-plein ?
Quelques secteurs du bord de mer portent à son paroxysme le phénomène de littoralisation. Les pôles majeurs du tourisme balnéaire sont ainsi la Balagne (au nord-ouest, autour de Calvi et de l’Ile-Rousse), le Golfe d’Ajaccio, le Golfe du Valinco, les environs de Porto-Vecchio et certaines zones de la plaine orientale.
Ils illustrent la distorsion d’échelle entre hyperconcentration des activités en quelques points et massification touristique de l’île. Ainsi, plus de 8 millions de voyageurs par an sont accueillis dans les aéroports et ports, ce chiffre ne permettant toutefois pas de détailler ce qui relève proprement du tourisme et de la mobilité résidente.
Cette activité pose par ailleurs le problème de la saisonnalité de l’emploi. En dépit d’un allongement de la période touristique, cette économie reste tributaire d’un pic très marqué en juillet et août.
Optimiser la relation aux milieux
Ce contexte d’hyperlittoralisation invite à repenser la relation au milieu, déjà complexe. En effet, peut-être plus qu’ailleurs, les milieux constituent à la fois le support, les limites et les atouts des activités humaines, et la cible de leurs atteintes.
Le double contexte de dépeuplement des montagnes et d’extrême concentration sur certains secteurs côtiers complique encore cette relation au milieu. Il rend difficile le délicat mais nécessaire équilibre entre mise en valeur des atouts et protection des ressources, entre un intérieur vide et des littoraux en tension. On retrouve cette équation complexe dans des problématiques telles que la gestion foncière et immobilière dans les secteurs les plus prisés, le traitement des déchets ou l’avenir du parc régional qui s’étend sur la majeure partie de l’intérieur.
Documents complémentaires
INSEE : « La Corse en bref 2017 », INSEE Dossier Corse, n° 8, décembre 2017
Laurent Carroué, Nicolas Bernard, Stéphanie Beucher et allii : La France des 13 régions, collection U, Géographie, Armand Colin, Paris, 2018
INSEE : « Cinq îles en Méditerranée : Baléares, Corse, Sardaigne, Sicile et Crète », INSEE Dossier Corse, n° 3, octobre 2015
Contributeurs
- Elisabeth Grimaud, agrégée de géographie, CPGE du lycée Giocante de Casabianca, Bastia,
- Marie Cervoni, agrégée de Géographie, Formatrice académique, professeur au collège Giraud, Bastia