Le Pool Malebo (ex Stanley Pool) forme une cuvette d’environ 25 kilomètres sur 30, affouillée par le fleuve Congo dans les sables et grès des plateaux Batéké, à l’amont d’une barre rocheuse que le fleuve franchit en rapides impétueux, premiers d’une série qui s’égrène jusqu’au port de Matadi, 350 km en aval. Coupé de l’océan Atlantique par le verrou de la chaîne montagneuses du Mayombe, le Pool s’ouvre sur le vaste bassin intérieur du Congo et ses 25.000 km de voies navigables : situation exceptionnelle qui, de longue date, en a fait un nœud majeur des échanges en Afrique équatoriale. Fruit des rivalités coloniales, deux capitales, les plus rapprochées au monde (2 à 3 km) se font face à l’amont des rapides, le fleuve servant de frontière. Leur poids démographique inégal, près de deux millions d’habitants pour Brazzaville, une dizaine de millions pour Kinshasa, reflète la différence de taille entre les deux États qui se partagent les rives du Pool et le nom du fleuve : République du Congo (5,5 millions d’hab.), République démocratique du Congo (80 millions d’hab.), dénommée « Zaïre » (autre nom du fleuve) entre 1971 et 1997.
Légende de l’image
Cette image génerale présente de part et d'autre du fleuve Congo, Brazzaville (capitale de la République du Congo) et Kinshasa ( capitale de la République démocratique du Congo). Elle a été prise par le satellite Sentinel 2A le 13 mai 2019. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles de résolution native à 10m.
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Croquis de Kinshasa/Brazzaville dans leur espace à partir de l'image satellite.
(c) Roland Pourtier
Repères géographiques
Présentation de l’image globale
Le fleuve Congo et le Pool, Kinshasa, Brazzaville :
entre héritages, frontières, risques et développement
Espace d’échange, un espace-frontière
A la sortie du « chenal », long couloir taillé dans des formations sédimentaires gréseuses, qui se trouve à l’est de l’image, le fleuve Congo se dilate et se subdivise en bras multiples dans un bassin baptisé « Stanley Pool » par Henry Morton Stanley lorsque celui-ci en fit la reconnaissance en 1876. Après les indépendances, le nom de « Malebo » - borasse ou palmier rônier très abondant sur la grande île Mbamou - se substitua à celui de l’explorateur.
En 1482, soit quatre siècles avant la « découverte » du Pool, des navigateurs portugais avaient remonté l’estuaire du « Congo ou Zaïre », mais les rapides en amont de Matadi interdirent la remontée du fleuve qui demeura un mystère jusqu’à l’expédition de Stanley (1874-1877). La présence des Européens se limita à quelques comptoirs sur la côte atlantique, débouché de la traite esclavagiste. Celle-ci, empruntant l’axe Oubangui-Congo, fit du Pool un centre majeur du commerce des esclaves, au bénéfice des populations riveraines principalement les Tékés, jusqu’à l’interdiction progressive de la traite au cours du XIXe siècle. C’est dans ce contexte que les explorations européennes des années 1870-1890 bouleversèrent le bassin du Congo.
La compétition entre Stanley, passé au service du roi des Belges Léopold II, et Brazza qui oeuvrait pour la France, se solda par la création de deux Congo. En 1880, Brazza, ayant fait signer par un chef Téké les « traités Makoko », créa un poste « français » à Ntamo, sur la rive droite du Pool, auquel la Société de géographie de Paris donna l’année suivante le nom de Brazzaville. Lors d’une deuxième mission au Congo, Stanley fonda en 1881 la station qu’il nomma Léopoldville, suite à un traité conclu avec un autre chef Téké, Ngaliema, sur la rive gauche. Le « mont Ngaliema » en perpétue le souvenir toponymique.
La Conférence de Berlin (novembre 1884 – avril 1885) à laquelle on attribue souvent la responsabilité du « partage de l’Afrique » eut en réalité pour principal objet de régler la question du Congo – liberté de navigation et de commerce (de même que sur le Niger), et création d’un « État indépendant du Congo » placé sous la souveraineté de Léopold II. La France quant à elle obtenait la reconnaissance de ses « droits » sur la rive droite du fleuve.
La frontière entre les deux Congo renvoie à cet acte fondateur. Dans le Chenal, elle correspond au talweg, facilement identifiable. Dans le Pool, encombré d’îles et de bancs de sable mobiles, le calage de la frontière sur un talweg changeant n’était pas envisageable. Son tracé résulta d’accords entre les deux Congo, au terme desquels l’île Mbamou revint au Congo-Brazzaville. La délimitation linéaire dans le parcours chahuté et inaccessible des rapides étant impossible, le droit s’est accommodé d’un espace frontalier inséré entre les deux rives.
En amont du Pool, le fleuve Congo, prolongé par l’Oubangui et le Mbomou a servi à l’établissement de la frontière entre le Congo belge (actuelle RDC) et les colonies françaises du Moyen-Congo (actuelle République du Congo) et de l’Oubangui-Chari (actuelle République centrafricaine). En aval, le fleuve a fixé la frontière entre les deux Congo sur une centaine de kilomètres, avant de continuer sa course en territoire de la RDC, jusqu’à Matadi où il sert de frontière entre celle-ci et l’Angola. Qu’il s’agisse du Pool ou de l’ensemble du bassin du Congo, l’hydrographie a joué un rôle décisif dans le tracé des frontières et la formation des territoires d’État.
Enclavement et ouverture
Brazzaville a été la capitale des possessions françaises sous l’équateur dès 1902, celle de l’Afrique équatoriale française (AEF) de 1910 à 1958. Dans l’État indépendant du Congo, devenu Congo belge en 1908, la fonction de capitale, après une brève période à Vivi, près de Matadi, fut exercée par la ville de Boma jusqu’à son transfert à Léopoldville en 1923.
Léopoldville, capitale politique, et Kinshasa, ancien village de pêcheur, formèrent alors une agglomération bicéphale qui se devine encore dans l’organisation de l’espace urbain. La Gombé, vitrine internationale, rassemble les fonctions de direction. Autour du noyau de Kinshasa se sont concentrées les activités de production. L’essor de la ville dépendait de son désenclavement. Stanley l’avait proclamé : « Sans chemin de fer le Congo ne vaut pas un penny ». Dès 1898, le Chemin de fer Matadi-Kinshasa (CFMK) – premier chemin de fer en Afrique équatoriale - ouvrit le Congo intérieur à l’économie-monde.
Le système de transport fluvio-ferroviaire devint la marque du Congo belge, faisant de la capitale congolaise le centre névralgique des échanges, la rupture de charge cruciale entre transport fluvial, ferroviaire et plus tard routier. La gare de Kinshasa reste un point fort de l’espace urbain, même si le trafic ferroviaire, victime du délitement de l’État depuis les années 1990, a été marginalisé par le transport routier. La réhabilitation en cours du CFMK, après des années de déshérence, pourrait redonner son lustre au transport ferroviaire, notamment intra-urbain entre les quartiers d’habitat populaire et les quartiers d’activité du centre-ville. En tête de l’ « Avenue du trente juin » (date de l’indépendance), récemment transformée en véritable autoroute urbaine par une entreprise chinoise, dont l’axe est très visible sur l’image, la gare participe à la représentation de l’espace symbolique de la capitale congolaise.
Brazzaville, restée longtemps dépendante du chemin de fer belge, n’a été reliée à l’Atlantique et au port de la ville nouvelle de Pointe-Noire qu’en 1934 avec l’achèvement du Chemin de fer Congo-Océan, le CFCO. Suite aux guerres civiles et à l’insécurité endémique dans l’arrière-pays de Brazzaville, le rôle de celui-ci s’est effacé, la gare est désertée. Une route, en partie à quatre voies, construite là aussi par une entreprise chinoise, relie Brazzaville à Pointe-Noire depuis 2015. Elle contourne l’arrière-pays proche de la capitale, bastion de rébellions récurrentes, court-circuitant une infrastructure ferroviaire fragilisée. Dans les deux capitales l’emprise de la voie ferrée reste un marqueur du paysage urbain. L’habitat spontané gagne sur des espaces abandonnés. A Kinshasa de grands bidonvilles - Kingabwa notamment - ont investi les réserves foncières de la société ferroviaire.
Contraintes environnementales, vulnérabilité et gestion des risques
Les deux capitales reposent sur un substrat géologique composé de sable et de gré, qu’il s’agisse des terrasses proches du fleuve, ou de l’amphithéâtre de collines et de plateaux qui ferment le site du Pool. L’image montre de nombreux cours d’eau prenant leur source sur les versants. Quand on regarde de près on discerne des modelés de cirques d’érosion en tête de vallon.
La proximité du niveau de base du fleuve Congo et l’agressivité du ruissellement lors des grandes pluies équatoriales, explique la puissance de l’érosion dans un matériau meuble, et la vulnérabilité d’espaces souvent bâtis sans aucune précaution. On ne compte plus le nombre d’habitations disparues dans des ravins formés à la suite d’un orage, de rues emportées isolant des quartiers entiers, en particulier à Kinshasa, provoquant une fragmentation physique de l’espace urbain. Les défrichements inconsidérés privant les sols de la protection de la végétation menacent des pans entiers de l’espace bâti.
Les plaines marécageuses inondées en période de crue, lorsque le débit du fleuve, en moyenne 40.000 m3/s, atteint jusqu’à 75.000 m3/s, soit le maximum absolu atteint en 1961, constituent une autre limite à l’urbanisation. A Kinshasa elles s’interposent entre le fleuve et les espaces bâtis en plusieurs endroits, notamment dans la baie de Ngaliema et à l’est de l’emprise ferroviaire du CFMK où une vaste étendue marécageuse présente la forme d’un croissant. Un habitat spontané précaire tend à gagner sur ces espaces en principe non constructibles.
Récemment, dans un contexte mondial de valorisation des fronts de fleuve, un projet immobilier réalisé par une entreprise chinoise, a édifié la « Cité du fleuve », destinée à une classe moyenne aisée. On voit précisément sur l’image ce curieux appendice bâti sur la zone inondable dont il n’est pas sûr que les remblais soient suffisants élevés pour mettre cette « gated community » proche des bidonvilles de Kingabwa à l’abri des inondations.
Accumulation démographique et activités économiques : agriculture intra-urbaine, transports, industries et secteur informel
De quoi vivent la douzaine de millions d’habitants regroupés autour du Pool ? L’image donne peu d’information. Le secteur dit « informel » qui règne en maître a peu de visibilité.
Dans les deux agglomérations, en dehors des quartiers centraux et des lotissements à forte densité, la plupart des parcelles habitées sont le support d’une production agricole domestique (bananiers, manguiers, papayers, manioc ou maïs, quelques légumes) sans compter le maraîchage spécialisé. La couleur verte des périphéries urbaines traduit l’importance de cette agriculture. Lors des périodes de crise ou de guerre - 1994 et 1997 à Brazzaville, décennie du chaos à Kinshasa – 1992-2002 - l’agriculture urbaine a soutenu la résilience des populations. A Kinshasa, les bordures des voies routières se sont couvertes de manioc, de maïs, de légumes, ordures ménagères et gadoues servant de compost. Cette géographie agricole intra-urbaine est aujourd’hui encore perceptible.
La fonction de transport a joué un rôle essentiel dans l’essor urbain du Pool, notamment le système bimodal fluvio-ferroviaire. Les gares se situent à proximité des zones portuaires et des « Beach » d’où partent les ferries et canots rapides reliant à longueur de journée les deux capitales. Le port public de Kinshasa a été aménagé dans l’espace compris entre la voie ferrée et le fleuve. Autrefois florissant, il est aujourd’hui dans un état de délabrement inquiétant (grues hors d’âge et d’usage, épaves achevant de rouiller) à l’image de la crise économique de la RDC et de l’effondrement du transport fluvial. La situation n’est guère plus brillante côté Brazzaville. De part et d’autre du Pool, les transports routier et aérien remplissent aujourd’hui les premiers rôles dans la desserte des deux Congo.
L’activité industrielle fait figue de parent pauvre. Comme dans la majorité des villes africaines, à l’exception de l’Afrique du Sud, l’urbanisation s’est effectuée sans industrialisation. Kinshasa a pourtant connu une période industrielle dont il ne reste pratiquement rien ; si ce n’est la brasserie et les chantiers navals représentés par Chanimetal, (actif depuis 1928) dont on repère les toits dans la baie Ngaliema. L’usine textile Utexafrica, à Kintembo, entre Gombé et Ngaliema, employa jusqu’à 5.000 ouvriers. Ses bâtiments hébergent aujourd’hui la mission de l’ONU au Congo. La plupart des entreprises industrielles situées entre la voie ferrée et le fleuve n’ont pas résisté aux pillages des années 1990.
Mais de nouvelles perspectives se dessinent. Le site de Maluku, excroissance extrême de l’agglomération de Kinshasa, a été retenu pour y implanter une des Zones économiques spéciales (ZES) que la RDC projette de développer, sur le modèle chinois. Les premiers aménagements sont visibles sur l’image, mais le développement de cette zone dépend de projets très hypothétiques, dont la construction d’un pont entre les deux Congo. Côté Brazzaville, le secteur industriel est depuis longtemps sinistré. Seule la brasserie a résisté aux vicissitudes du temps.
La vie des citadins repose donc pour l’essentiel sur l’administration pléthorique de villes-capitales, et sur le secteur informel, commerce, artisanat, services de toutes sortes, qui recycle les intrants monétaires issus de la puissance publique - salariat, clientélisme, corruption - dans les multiples canaux de redistribution familiaux et ethniques. Tous ces mécanismes échappent à une image vue du ciel, qui n’en restitue que l’impact spatial indiscutable : l’expansion de la tache urbaine.
Zooms d'étude
Kinshasa : la plus grande métropole africaine
au sud de l’équateur
Quelques milliers d’habitants au moment de la fondation de Léopoldville, 400 000 en 1960 quand sonna l’heure de l’indépendance, 10 millions - sinon plus en 2020, car le dernier recensement en RDC remonte à 1984 - Kinshasa est l’illustration de l’explosion urbaine des grandes métropoles africaines. L’image permet de distinguer différents types d’urbanisation.
La « ville » centre et la zone centrale
Entre les noyaux initiaux de Kinshasa, proche de la gare, et de Léopoldville, proche de la baie Ngaliema, reliés par le boulevard du 30 juin, la « ville » se reconnaît à ses bâtiments importants : sièges du pouvoir à la Gombe, hôtels de classe internationale, entreprises commerciales. Au sud du boulevard, un grand triangle vert correspond au golf, héritage colonial aujourd’hui au cœur de la ville, non loin du jardin zoologique (tache verte à l’est du golf) et du marché central. Au sud de la gare, suivant l’axe du CFMK et de la route des « poids lourds », les bâtiments les plus importants ont une vocation commerciale et industrielle. Parmi eux la brasserie historique Bralima qui produit la « Primus ».
Au sud d’une ligne jalonnée par le golf et le jardin zoologique, la physionomie urbaine change du tout au tout. Le quadrillage viaire régulier et serré est celui des « cités » africaines planifiées par l’administration coloniale. Le plan en damier se poursuit plus au sud dans les « nouvelles cités », notamment à Limete.
Séparant ces deux ensembles, les résidus d’une « zone tampon » qui marquait les limites de la ville au début des années 1940 représentent une rupture dans le paysage urbain : aéroport de Ndolo (aujourd’hui utilisé par les seuls petits porteurs), camp militaire de Kokolo. Entre les deux, l’interstice a été partiellement comblé par le grand stade de Kinshasa (stade des Martyrs), et le Palais du peuple (Assemblée nationale).
La croissance périphérique : étalement urbain, contrainte des transports
Plus on s’éloigne du centre-ville, plus l’occupation de l’espace semble échapper aux principes de la planification urbaine. Les quelques plans et schémas d’aménagement et d’urbanisme qui ont tenté d’orienter la croissance de Kinshasa ont été submergés par les vagues ininterrompues de construction de maisons d’habitation, la plupart en parpaings.
Ces unités résidentielles familiales dans des parcelles souvent plantées d’arbres fruitiers donnent un aspect semi-rural à des périphéries urbaines sans cesse repoussées. Ce type d’habitat a provoqué à un étalement considérable de la ville. Il en résulte une contrainte majeure pour les déplacements dans une agglomération d’une quarantaine de kilomètres d’est en ouest, aux transports en commun déficients. Marche à pied, entassement dans des minibus souvent hors d’âge, longues attentes dans les embouteillages rythment le quotidien des Kinois, le nom des habitants de Kinshasa.
Production urbaine, maîtrise foncière : systèmes hybrides
L’observation fine de l’occupation du sol montre tantôt une organisation géométrique dans des lotissements planifiés, tantôt des implantations qualifiées d’anarchiques ou d’informelles. Tout dépend des conditions de production du foncier, en pratique des conditions d’acquisition d’une « parcelle ».
L’administration coloniale avait introduit une législation domaniale et des règles d’urbanisme calquées sur les principes en usage en métropole, mais elle dut composer avec les autorités coutumières qui revendiquaient des droits fonciers ancestraux. L’indépendance vit naître de nouveaux rapports de force entre les pouvoirs publics et les chefs coutumiers, concourant à une production hybride de l’espace urbain, régulier ou irrégulier, légal ou illégal selon les critères juridiques mis en œuvre ici ou là.
De facto, le droit du « premier occupant » s’est souvent imposé. De sorte que les familles des groupes ethniques se considérant comme « autochtones » - Téké et Bahumbu pour les plus anciennement installés, Kongo depuis le XIXe siècle - sont devenues des acteurs essentiels de la production foncière urbaine.
L’extension de l’agglomération vers le sud et vers l’est
L’extension de l’agglomération progresse sur deux axes principaux. Vers le sud, de part et d’autre des routes menant à Matadi, avec notamment les beaux quartiers des collines de Binza. Vers l’est, en application de plans d’aménagement successifs qui ont privilégié cette orientation. L’aéroport international de Njili, créé dans les années 1950 loin de Kinshasa, a été depuis lors rejoint par l’urbanisation.
Celle-ci progresse désormais jusqu’au-delà de la Nsele, site jadis choisi pour l’implantation d’un complexe agricole et touristique. A la sortie du Chenal, près d’une petite agglomération, on distingue un long bâtiment : l’ancienne usine sidérurgique de Maluku, fiasco industriel du Zaïre de Mobutu, lequel crut qu’une grande puissance se devait d’être dotée d’une industrie lourde, alors même qu’aucune des conditions nécessaires à sa réussite n’était réunie.
Dans la partie sud de l’agglomération, au-delà des nouvelles cités et de la zone floutée par des nuages, une infrastructure entourée d’espaces non bâtis attire l’attention : il s’agit de l’université de Kinshasa, héritière de l’université Lovanium fondée en 1954 par l’université catholique de Louvain. A l’époque de sa création, cette première université d’Afrique centrale, construite à l’écart de la ville sur le modèle des campus anglo-saxons, était une œuvre pionnière et enviée. Elle connut son heure de gloire avec l’installation d’un réacteur nucléaire expérimental.
Elle n’est plus aujourd’hui que l’ombre d’elle-même, à l’image de la RDC qui fut le phare de l’Afrique centrale avant de sombrer jusqu’à n’être plus classé que parmi les pays les plus pauvres du monde en dépit de ses « richesses potentielles ». Depuis le centre-ville, l’accès à l’université peut prendre plusieurs heures faute de transport organisé dans une agglomération tentaculaire, certains accès étant de surcroît périodiquement coupés par les érosions et glissements de terrain.
Repères géographiques
Brazzaville : la petite sœur dépendante du pétrole
Une organisation de l’espace spécifique : rente pétrolière et ethnicisation renforcée lors des guerres civiles de 1994 et 1997.
La capitale de la République du Congo, cinq à six fois moins peuplée que la capitale de la République démocratique du Congo, offre bien des points communs avec cette dernière. Mêmes contraintes environnementales, mêmes modalités de production urbaine hybride entre puissance étatique et dynamiques ancrées dans les réalités coutumières, même économie dominée par le secteur informel.
Les paysages urbains se ressemblent, à l’échelle près, mais l’organisation de l’espace présente des caractères spécifiques. La différence tient notamment aux ressources dont dispose la puissance publique grâce à la rente pétrolière, beaucoup plus importante, ramenée au nombre d’habitants, que la rente minière de la RDC.
Entre l’aéroport international de Maya-Maya, aujourd’hui au centre de l’agglomération, et le fleuve Congo, trois sous-ensembles se distinguent nettement. Au centre, depuis l’étendue boisée de la « Patte d’oie » avec ses ministères et le stade, jusqu’au fleuve, le quadrilatère du « Plateau » concentre toutes les activités de pouvoir, des services supérieurs, de modernité urbaine, de résidence des classes aisées, africaines et mondiales.
Il se prolonge entre la gare ferroviaire et le fleuve. Au nord du Plateau, la voie ferrée du Congo-Océan inscrit une césure avec le quartier à forte densité de Poto Poto, au quadrillage géométrique caractéristique des lotissements planifiés par l’administration coloniale pour accueillir les populations africaines. Les originaires du nord du Congo y cohabitent avec des migrants ouest-africains très présents dans les activités commerciales. Au sud du Plateau, le quartier Bacongo est habité quant à lui par des Kongo-Lari originaires de l’ouest du Congo, il se prolonge en direction du Djoué par le quartier de Makélékélé.
Les guerres civiles de 1994 et 1997 ont renforcé l’ethnicisation de l’espace urbain brazzavillois : les quartiers nord regroupent les populations originaires du nord du pays (Téké, Mbochi), les quartiers sud les populations Kongo. A la lisière entre Bacongo et le Plateau, en bord de fleuve, la Case de Gaulle, résidence de l’ambassadeur de France rappelle l’importance des liens historiques entre la France et le Congo. De même que le Mausolée de Brazza, inauguré en 2006, qui jouxte la mairie de Brazzaville : on distingue sur l’image un petit cercle blanc correspondant à la coupole du monument.
Rente, grands aménagements et firmes chinoises
Les revenus pétroliers, avant l’effondrement des cours en 2014, ont financé d’importants aménagements urbanistiques, la plupart réalisés par des entreprises chinoises, omniprésentes dans les deux Congo. Le plus spectaculaire est la construction de la corniche sud, très visible sur l’image, qui mène de l’hôtel Radison Blue jusqu’à proximité du Djoué. Le franchissement du ravin de la Glacière par un viaduc haubané aux éclairages nocturnes multicolores a enchanté les Brazzavillois – jusqu’à l’affaissement d’une partie de la corniche début 2020, suite à l’affouillement des sables sous la chaussée.
Au nord du quartier de Talangaï, un long viaduc fait pendant à la corniche sud. Il raccorde le nouveau quartier satellite de Kintélé au centre-ville. Entre les rivières Tsiémé et Ndjili un habitat peu structuré a investi les espaces plans ou faiblement pentus, délaissant les collines qui portent cependant un semis dispersé de petites cases implantées malgré les risques de glissement de terrain. De nombreuses taches jaunes soulignent l’importance des érosions.
Kintélé a été conçu pour accueillir de nouveaux équipements délestant un centre-ville de plus en plus saturé. Le plus spectaculaire est le complexe sportif de la Concorde, aisément reconnaissable à son stade, qui accueillit les jeux africains en 2015. Au nord-est du complexe, le futur parlement, regroupant Assemblée nationale et Sénat, pourrait être achevé en 2020. Plus loin, une enfilade de bâtiments et un vaste espace en chantier correspondent au projet de l’université Denis Sassou Nguesso. Prévu pour 30 000 étudiants, le plus grand complexe universitaire d’Afrique centrale aurait dû ouvrir en 2019, mais des retards dus à des glissements de terrain sur un substrat géologique instable fragilisé par les fortes pluies, mais surtout à la corruption et à l’impasse financière de ces dernières années repoussent son achèvement à une date indéterminée. Les grands projets présidentiels sont menacés d’enlisement dans les sables du Congo ; privés de la manne pétrolière leur avenir apparaît incertain.
Repères géographiques
Vers l’est : un pont entre les deux capitales ?
Pour conclure, une note sur l’invisible : le projet de pont entre Kinshasa et Brazzaville, vieux serpent de mer. La topographie du Pool ne laisse que deux options : en aval ou en amont, là où le lit majeur du Congo se réduit à moins de deux kilomètres.
Après des décennies de tergiversation, le choix d’un « pont urbain », à hauteur des chutes, a été abandonné, au profit d’un pont à vocation régionale, à une cinquantaine de kilomètres des cœurs de ville, entre Maluku et Maloukou Tréchot.
La Banque africaine de développement (BAD) et l’Union africaine soutiennent ce projet dans une vision d’aménagement continental : un pont route-rail constituerait la pièce maîtresse d’un double corridor entre le Pool et les ports de Pointe-Noire et de Matadi. Une liaison ferroviaire directe de Kolwezi à Kinshasa-Maluku ouvrirait durablement la région minière du Katanga sur l’Atlantique, réactualisant ainsi la « voie nationale » qui fut la grande pensée territoriale belge, en réduisant sa dépendance envers les ports sud-africains de l’océan indien. Rien n’interdit de se projeter dans l’avenir, fût-il très incertain. Toutefois les enjeux géopolitiques futurs du Pool dépassent les capacités d’analyse d’une image vue du ciel.
Repères géographiques
Image complémentaire
Zoom sur la partie est de Kinshasa
Documents complémentaires
Orientation bibliographique
Atlas de Kinshasa, 1976, Kinshasa, Institut géographique national du Zaïre, Bureau d’Etudes d’Aménagements Urbains (BEAU).
Dorier-Apprill Elisabeth, 1997, « Guerre des milices et fragmentation urbaine à Brazzaville », Hérodote, n° 86-87, p. 182-221.
Lelo Nzuzi Francis, 2011, Kinshasa. Planification & Aménagement. Paris, L’Harmattan.
Lelo Nzuzi Francis, 2017, Les bidonvilles de Kinshasa, Paris, L’Harmattan.
Pain Marc, 1984, Kinshasa. La ville et la cité, Paris, Editions de l’ORSTOM.
Pourtier Roland (dir.), 1998, « Congo-Brazzaville entre guerre et paix », Afrique contemporaine, n° 186.
de Saint Moulin Léon, 2010, Villes et organisation de l’espace en République démocratique du Congo, Tervuren, Cahiers africains 77, Paris, L’Harmattan.
de Saint Moulin Léon, 2012, Kinshasa. Environnements historiques et horizons culturels, Tervuren, Cahiers africains 79, Paris, L’Harmattan.
Ziavoula Robert (dir.), 2006, Brazzaville, une ville à reconstruire, Paris, Karthala.
Contributeurs
Roland Pourtier, Professeur des Universités honoraire, Université Paris I.