En plein désert dans l’est de l’Arabie saoudite, l’oasis d’Al-Hafuf et le champ d’hydrocarbures d’Uthmaniyah appartiennent au grand complexe géologique de Ghawar, dont ils constituent la partie méridionale. Peu profond et aux immenses réserves, celui-ci joue un rôle essentiel dans les spectaculaires transformations de cette région et, plus globalement dans l’économie et les finances du Royaume saoudien et dans l’approvisionnement du marché mondial en hydrocarbures. Dans un contexte de fortes tensions régionales, sa sécurité et sa protection sont en enjeu géopolitique et géoéconomique majeur.
Légende de l’image satellite
L'image d'Al-Hufuf ou Hofuf, capitale de l'oasis d'Al-Hassa en Arabie saoudite, a été prise par le satellite Sentinel 2A le 30 septembre 2019. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles de résolution native à 10m.
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Ci-contre, la même image satelitte issue de Sentinel-2A, présente quelques repères géographiques de cette région située en Arabie Saoudite.
Présentation de l’image globale
Le grand complexe géologique de Ghawar et le champs de d’Uthmaniyah :
des piliers de la production saoudienne d’hydrocarbures
Un milieu où l’aridité et le désert imposent leur loi
Comme le montre l’image, nous sommes ici en plein désert dans le centre-est de l’Arabie saoudite. A l’est s’identifient des tâches vertes entourées d’un vaste ensemble urbain : c’est le fameux oasis d’Al-Ahsa qui abrite la ville d’Al-Hufuf (ou Al-Hofuf). Au centre de l’image, dans une large bande orientée sud-ouest/ nord-est, le désert est parsemé de dizaines de puits d’extraction et de grands complexes de traitement et de transformation. Enfin, la région est traversée par un important faisceau de tubes qui amènent les produits extraits vers Buqayq puis le littoral du Golfe persique. Ce système logistique s’étend sur l’image selon une orientation nord/sud à quelques dizaines de kilomètres à l’ouest d’Al-Hufuf, mais ces tubes sont cependant peu ou pas visibles sur l’image puisqu’enterrés.
Comme le montre l’image, le désert et l’aridité sont ici omniprésents et imposent leur loi.
L’aridité et la sécheresse prédominent : la moyenne des précipitations annuelles est ici très faibles (83 mm/an), tout comme le degré d’humidité (39 %). Et le climat est particulièrement chaud : alors que la température annuelle moyenne est de 27°C, les étés sont torrides (moyennes de 37°C à 38°C), avec des pointes mensuelles pouvant atteindre les 51°C. Nous ne sommes pourtant qu’à 60 km à l’est du Golfe persique à la latitude du sud de l’île de Bahreïn, mais les cellules chaudes anticycloniques sont ici si dominantes que les influences maritimes peinent à entrer dans les terres intérieures.
Le versant méridional du gisement de Ghawar, un des plus grands du monde
Nous sommes ici dans le champ d’hydrocarbures d’Uthmaniyah qui se situe lui même au centre-est d’un gigantesque système géologique : celui de Ghawar, dont le siège d’exploitation se trouve dans la ville d’Al-Hufuf. Tout au nord de l’image se trouve ainsi le site Abqaiq, situé à 60 km au sud-ouest de la ville de Dahran. Ce site abrite une des plus grandes raffineries du monde.
Le grand complexe d’hydrocarbures (pétrole et gaz) de Ghawar s’étend sur 300 km nord/sud et sur une quarantaine de kilomètres de large. Découvert en 1948, il entre progressivement en exploitation à partir de 1951. Il est composé de la juxtaposition de cinq grands dômes géologiques datant du jurassique faisant office de réservoirs : Ain Dar, Shedgum, Uthmaniyah donc présent sur l’image, Hawiyad et Haradh.
Nous sommes ici dans la Province d’Ash Sharqiyah – ou Ach Charqiya - qui s’étend sur 672 000 km2 et est peuplée de plus de 5 millions d’habitants (7,3 hab/km2). Elle couvre toute la partie orientale du pays et longe le Golfe persique et les Etats voisins (Koweït, Bahreïn, Qatar, Emirats Arabes Unis et Oman). Du fait des structures géologiques, elle joue un rôle déterminant dans la production d’hydrocarbures du pays. Sa capitale politique et économique, Dammam, 3em ville du pays, est complétée par la ville de Dhahran qui organise tout le système énergétique productif régional en accueillant en particulier le siège social de Saudi Aramco, la grande compagnie pétrolière saoudienne, une prestigieuse université et une importante base militaire aérienne.
Les profonds bouleversements induits par les hydrocarbures dans le désert
Comme le montre l’image, la région a connu avec le boom de l’exploitation pétrolière ces dernières décennies des bouleversements radicaux - économiques, démographiques, urbains et sociaux - qui ont transformé l’espace régional. Elle est par exemple quadrillée par de nombreuses routes et autoroutes et dotée de nombreuses infrastructures alors que l’oasis est noyé dans une croissance urbaine en plein boom.
La richesse apportée par la rente pétrolière - pour partie redistribuée à la population sous forme d’emplois (hypertrophie de la fonction publique, postes dans le système productif énergétique…), de salaires ou d’aides directes et indirectes (prix subventionnés…) - s’est traduite par une augmentation sensible des revenus et du niveau de vie d’un côté, la création d‘une nouvelle société citadine sédentaire de l’autre. Ce boom a aussi débouché sur une importante attractivité migratoire à l’échelle nationale et, surtout, internationale avec l’arrivée dans la région de milliers de salariés : cadres et ingénieurs occidentaux, ouvriers, employés ou manœuvres du Proche et Moyen–Orient (Egypte, Jordanie) ou d’Asie du Sud (Inde, Pakistan).
Elle a aussi bouleversé la demande alimentaire alors que l’Arabie saoudite est à la recherche de son autonomie agricole pour des raisons stratégiques. Les projets de « Reverdissement du désert » se sont traduits dans la région par un fort développement des activités agricoles, en particulier autour de l’oasis d’Al-Ahsa. En donnant la priorité aux dattes, poulets, oeufs, légumes et produits laitiers, grâce en particulier aux pompages des nappes phréatiques profondes pour l’irrigation.
On a assisté enfin à une certaine diversification industrielle fondée sur la valorisation des hydrocarbures dans les secteurs en aval avec le développement d’une importante filière pétrochimique fournissant les matières premières pour la fabrication des plastiques et fibres textiles, détergents, protéines pour l’alimentation animale, engrais….
L’Arabie saoudite : une puissance régionale très dépendante des hydrocarbures
L’Arabie saoudite joue un rôle majeur dans le système énergétique mondial en étant un des trois premiers exportateur mondiaux et en détenant les deuxièmes réserves de la planète. L’économie saoudienne est en effet très dépendante des exportations d’hydrocarbures, qui représentent 82 % de la valeur de ses exportations, et du niveau des cours mondiaux qui - selon la conjoncture économique mondiale et les tensions géopolitiques - varient fortement (2015 : 49 dollar/baril ; 2018 : 71 dollars). Les revenus d’exportation de ce secteur varient ainsi de 322 milliards de dollars en 2013 à 153 milliards en 2015 pour remonter à 233 milliards en 2018. Au cœur du dispositif énergétique saoudien, le groupe pétrolier Aramco réalise un chiffre d’affaires annuel de près de 360 milliards de dollars et 111 milliards de dollars de bénéfices par an.
Le 14 septembre 2019, le potentiel énergétique de la région, et en particulier deux sites situés sur l’image, ont été victimes d’attaques aériennes (drones ou missiles). Du fait des destructions opérées, celles-ci se sont traduites par une baisse de la production de 5,7 millions de barils de brut, soit - 60 % de la production totale d’Aramco (9,7 millions de barils par jour). Dès le lundi suivant l’attaque, les prix mondiaux du pétrole ont augmenté de + 19 % en Asie et de + 15 % à New York et à Londres. Pour autant, l’Arabie saoudite disposant de vastes réserves stockées dans d’immenses réservoirs, elle a pu continuer ses exportations, tout en s’attaquant à la réparation et à la remise en route le plus rapidement possible des installations touchées.
Ces attaques constituent un événement géopolitique majeur puisqu’elles s’attaquaient au cœur même de la puissance saoudienne. Par leur caractère spectaculaire et largement inédit, seuls jusqu’ici quelques oléoducs avaient été touchés, elles témoignent de l’extrême montée des tensions au Moyen-Orient et, en particulier, de l’exacerbation des rivalités entre les deux grandes puissances régionales que sont l’Arabie saoudite et l’Iran.
Zooms d’étude
L’oasis d’Al-Ahsa et la ville d’Al-Hufuf : un oasis dans le désert dopé par l’exploitation et la rente pétrolière
L’oasis d’Al-Ahsa : un site exceptionnel dans une zone désertique
L’oasis d’Al-Ahsa (ou al-Hasa) est bien visible sur l’image du fait des trois grandes tâches vertes qui le composent. Il s’étend en effet sur 8.500 hectares et est entouré d’une zone tampon de 21.500 hectares. C’est un lieu historique très ancien de peuplement et de mise en valeur de cette région désertique car il bénéficie de sources d’eau potable.
Nous sommes ici dans la vieille région géohistorique du Hasa. Du fait de son riche passé et de son patrimoine naturel, architectural et culturel, l’oasis est inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco en 2018. C’est en Arabie saoudite et dans la région un important pôle agricole. Sa palmeraie de deux millions d’arbres produit 100.000 tonnes de dates par an alors que l’élevage est bien développé (moutons, chèvres, bœufs, chameaux…).
Ceci explique que cet important pôle universitaire (Université du Roi Fayçal fondée en 1975) accueille en particulier des facultés d’agriculture et vétérinaires renommées. On distingue sur l’image, en particulier au nord de l’agglomération, d’importantes fermes et élevages industriels en batterie (poulets de table, œufs, lait et viande bovine).
La ville Al-Hufuf et sa vaste conurbation : un ensemble dynamique dopé par les hydrocarbures
La ville d’Al-Hufuf (ou Al-Hofuf) est le principal centre urbain de l’oasis. Si l’oasis est peuplé de 600.000 habitants, cette municipalité accueille à elle seule 150.000 habitants. Au plan géopolitique interne, l’oasis a la particularité d’accueillir une des plus fortes communautés chiites du pays dans un Etat à majorité sunnite. Dans ce contexte, la présence d’une importante garnison de la Garde nationale, logée dans un vaste complexe immobilier ultramoderne à l’ouest de l’oasis, vient rappeler l’importance des enjeux sécuritaires locaux et régionaux.
La très rapide croissance urbaine transforme l’oasis une petite conurbation agglomérant différents noyaux de peuplement (Al-Mubarraz à l’ouest, Al Umran à l’est…). Si l’oasis est parfois l’objet d’un important mitage urbain, sa protection foncière et immobilière se traduit par la forte urbanisation des espaces périphériques au nord, à l’ouest et au sud qui mordent de plus en plus sur le désert. Une approche de détail souligne la construction de nouvelles zones résidentielles, industrielles ou commerciale guidées par les aménagements routiers et les nouveaux tracés des futurs lotissements.
Au nord se distinguent les nouveaux parcs industriels (Al Ehsa industrial city), une importante cimenterie dopée par le boom immobilier, les nouvelles fermes agricoles (cf. Nada Dairy and Juice Farms). Au nord d’Al-Mubarraz se développe par exemple un nouveau quartier autour de la nouvelle Université de la santé proche de l’hôpital du Roi Abdulaziz. Au sud d’Al-Hufuf se trouve la célèbre Université du Roi Fayçal et vers le sud-ouest le petit aéroport régional. Historiquement relativement récente, cette dynamique démographique, immobilière et urbaine repose fondamentalement sur la découverte puis le développement de l’exploitation des hydrocarbures qui apportent au pays, à la région et à l’oasis une manne financière considérable.
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Les champs d’hydrocarbures d’Uthmaniyah
Comme le montre l’image, le champ d’Uthmaniyah qui s’étend sous nos yeux est doté de nombreuses installations industrielles produisant ou valorisant (production d’éthane pour la pétrochimie) le pétrole et le gaz tirés du sous-sol. Il compte au total une dizaine d’usines de production de pétrole, de gaz naturel et de condensats (produits dérivés), une station d’injection d’eau dans les gisements pour en faciliter la récupération des huiles et des gaz (cf. réservoirs) et une unité de production de gaz liquéfié (GNL) ouverte en 1981. Le tout est relié par tubes aux grands ports d’exportation situés sur le Golfe persique.
On distingue en particulier très bien sur l’image au nord l’usine de liquéfaction de gaz de Shedgum qui constitue un vaste complexe industriel dont la partie sud a été touchée par les attaques de septembre 2019. Sa construction dans le cadre du Saudi Arabian Gas Program par une entreprise étatsunienne en 1977 mobilisa alors 25 000 salariés.
Au sud, le long de la route 75 se déploie le vaste complexe d’Uthmaniyad qui porte le nom du gisement. On y trouve plusieurs installations majeures, les établissements des grands équipementiers (Schlumberger…) et les logements et les bases-vie du personnel.
La base – ou compound - d’Uthmaniyah a en effet été construite par l’Aramco afin de loger son personnel qui se monte à environ 1.400 personnes. Du fait de sa position excentrée, c’est la plus petite base d’exploitation derrière Dhahran, Ras Tanura et Abqaiq. Elle accueille un personnel cosmopolite (Saoudiens, Etatsuniens, Egyptiens, Jordaniens, Indiens, Pakistanais…). Elle est dotée, au delà des logements, de différents équipements permettant la vie dans le désert (commerces, équipements sportifs, librairies, espaces verts irrigués…). Face aux risques d’attentats, sa sécurité est assurée en particulier par un détachement de la Garde Nationale saoudienne.
Contributeur
Laurent Carroué, Inspecteur Général de l’Éducation nationale