Comme Jérusalem et Nicosie, Berlin fut une ville traversée par une frontière. Alors que les deux premières sont toujours confrontées à ce phénomène, la capitale allemande s’est construite depuis 1990 par-delà l’ancien Mur de Berlin. Mise en avant comme « laboratoire de l’unification allemande » par les pouvoirs publics, la ville de Berlin n’en a pas pour autant oublié son passé frontalier. Le Mur de Berlin est en effet loin d’avoir disparu dans les pratiques spatiales et dans la trame urbaine. En paraphrasant Lucien Febvre évoquant le Rhin, il s’agit dans ce dossier d’envisager en quoi l’ancien Mur de Berlin est aujourd’hui tant une coupure qu’une couture. Si les initiatives urbanistiques se sont multipliées pour unifier la nouvelle capitale allemande, « Le Mur dans les têtes » (« Die Mauer in den Köpfen »), expression couramment utilisée par les médias allemands, dépasse ici les simples représentations et se fait sentir dans la manière de construire la ville.
Légende de l’image
Cette image de la capitale allemande, Berlin, a été prise par un satellite Pléiades le 23/04/2020. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles, de résolution native à 0,70m, ré-échantillonnée à 0,5m
Contient des informations PLEIADES © CNES 2020, Distribution Airbus DS, tous droits réservés. Usage commercial interdit.
Repères géographiques
Présentation de l’image globale
Berlin, une métropole traversée par une « métafrontière »
Berlin : un long passé prussien
Berlin, un site médiocre mais une ville qui s’affirme grâce au rayonnement de la Maison de Hohenzollern
Cette image de 2020 montre le cœur de l’agglomération berlinoise, peuplée de 4,4 millions d’habitants. Au centre de l’image, la rivière de la Spree et ses méandres s’écoule vers l’ouest en direction de l’Elbe. La Spree n’est pas un axe fluvial majeur et la confluence avec la Havel, située à l’ouest de l’image, est occupée par la ville de Spandau ; mais cette confluence n’a jamais donné lieu à un carrefour commercial important. Nous sommes ici dans la grande plaine d’Europe du Nord où les glaciations de l’ère quaternaire ont laissé un sol pauvre et mal drainé dont témoignent les nombreux lacs et canaux. Au sud de la Spree, le Landwehrkanal - littéralement « canal de défense » - fut creusé dès le Moyen-Âge pour drainer les marécages.
Le centre médiéval de Berlin est limité mais il rend compte de l’importance centrale de la dynastie Hohenzollern dans le développement de la ville. Le parc Tiergarten, aisément repérable à l’ouest du centre historique, est situé aux limites du Berlin pré-industriel. Réserve de chasse du roi prussien, il témoigne de l’importance des Hohenzollern. D’ailleurs, au croisement entre la rivière de la Spree et la grande avenue Unter den Linden, se situe l’ancien château de Berlin, résidence officielle de la dynastie Hohenzollern.
Un développement industriel et urbain très rapide au XIXè siècle
Berlin connut donc un développement tardif, observable sur l’image. Contrairement à Paris, Londres ou Cologne, Berlin ne fut pas fondée durant l’antiquité mais à la fin du Moyen-Age (XIIè) et son développement resta modeste jusqu’au XIXè siècle.
Sur l’image générale, l’importance inégale des voies d’eau, plus développée vers l’ouest que vers l’est, témoigne de l’orientation économique vers l’Elbe : nous sommes là dans l’hinterland du port de Hambourg et au-delà en contact avec l’Europe occidentale en général. Le canal Berlin-Spandau, dans la partie nord-ouest de l’image, fut aménagé au milieu du XIXè siècle et permit le développement du Westhafen (port ouest) et du Nordhafen (port nord) de Berlin.
Le quartier populaire de Moabit se structura autour de ces ports. Le développement industriel fut ici la cause et non la conséquence de cette voie navigable. Contrairement aux villes de Hambourg, de Cologne ou de Duisbourg, c’est ici l’industrie qui amena le canal et engendra l’intensification de la voie d’eau.
Les trois grands axes structurant l’agglomération
L’image globale montre en outre les grands axes ayant structuré l’agglomération berlinoise.
Du centre vers l’ouest se déploie l’avenue Unter den Linden (XVII-XVIIIè s.) débouchant sur l’ancienne chaussée de Charlottenbourg devenue la rue du 17 juin qui relie le centre de Berlin au château du même nom, résidence d’été des Hohenzollern. Le château de Potsdam (XVIIIème s.), à l’ouest de Berlin mais hors de l’image, fut ensuite préféré au château Charlottenbourg (XVIIIè s.) mais la chaussée de Charlottenbourg resta un axe majeur. C’est cet axe qui fut choisi par Albert Speer pour former l’axe ouest-est de « Germania », la future capitale nazie.
Plus au sud, le boulevard du Kurfürstendamm, couramment appelé Ku’damm, était une artère commerciale importante à la fin du XIXè s.. Elle devint l’artère centrale de Berlin-Ouest menant notamment à l’Eglise du Souvenir et au Kadewe - pour Kaufhaus des Westens, le temple de la consommation ouest-berlinoise.
Du centre vers l’est se trouvent la Karl-Marx-Allee (ancienne Stalinallee) et la Landsberger Allee (ancienne Leninallee) (XXè s.). Ces grandes avenues bordées de grands ensembles témoignent de l’ambition urbanistique communiste. L’habitat collectif et les transports en commun, notamment le tramway, dominent.
Berlin, ancienne ville-front de la Guerre froide
De la défaite nazie à la partition entre Berlin-Ouest et Berlin-Est
Fortement détruite par la Seconde Guerre mondiale, la ville de Berlin fut divisée en 1945 en quatre zones d’occupation à la suite de la conférence de Potsdam de juillet 1945. Il convient cependant de souligner que ce n’est qu’après le blocus de Berlin - du 24 juin 1948 au 12 mai 1949 - que la bipartition se mit en place avec les créations de la République fédérale d’Allemagne - RFA à l’ouest et de la République démocratique allemande - RDA à l’est.
De même, le Mur de Berlin ne fut quant à lui construit que le 13 août 1961, soit treize ans après le blocus de Berlin. Ayant pour objectif de limiter la fuite massive des Est-Allemands vers la RFA, il symbolisa aux yeux du monde non seulement la division de l’Allemagne mais aussi celle de l’Europe. Au moins 140 personnes furent tuées lors de leurs tentatives pour franchir le mur. Fortement militarisée, cette frontière fut un véritable front justifiant ainsi le concept de « Frontstadt » - ville-front - associé à Berlin.
Le Mur de Berlin : une profonde césure urbaine
Couramment qualifié de « Mur de la Honte », le Mur de Berlin correspond en outre à une « métafrontière » (Michel Foucher) dans la mesure où il sépare non seulement deux territoires étatiques - la RFA et la RDA - mais aussi deux territoires d’échelle continentale - l’Europe de l’Ouest et l’Europe de l’Est - organisées autour de systèmes économiques, politiques et idéologiques concurrents. Seule ville au monde à avoir été coupée par une telle métafrontière, Berlin est donc une ville singulière dans son organisation spatiale.
L’image satellite de 1990 – sur laquelle le tracé blanc du Mur est bien lisible comme coupure naturelle ou urbaine - permet de se rendre compte de l’ampleur du tracé frontalier qui isole totalement Berlin-Ouest comme une enclave dans le territoire de la RDA. Long de 156,4 km, le Mur de Berlin correspond en effet à la fois à la frontière interne entre Berlin-Ouest et Berlin-Est - le « Sektorengrenze » de 43,7 km, soit 28 % du tracé totale - et à la frontière externe entre Berlin-Ouest et la RDA, la « Zonengrenze » de 112,7 km, soit 72 % du tracé total.
Le tracé du Mur de Berlin en 1990
Image prise par le satellite Spot 2 le 21 février 1990.
Repères géographiques
Partition, césure et bouleversements des centralités
Cette bipartition de Berlin accentua la bipolarité de la ville, déjà perceptible dès la fin du XIXè siècle entre quartiers bourgeois à l’ouest et quartiers populaires à l’est. La rapide expansion urbaine de Berlin avait fait du boulevard du Kurfürstendamm, couramment appelé Ku’damm, un second pôle de centralité dans Berlin. Si le quartier de Mitte correspondant à la vieille ville de Berlin était le centre politique, Ku’damm s’affirmait de plus en plus comme le centre économique. Comme à Paris, à Londres ou à Vienne, les différenciations sociales au sein de l’agglomération berlinoise s’étaient accentuées ; et la bourgeoisie berlinoise investissait cette nouvelle centralité, faisant par la même occasion des quartiers nord et est de Berlin des quartiers populaires.
Avec la Guerre froide, cette bipartition de la ville pendant plus de 40 ans accentua encore cette bipolarité tout en la déplaçant. Le centre-ville de Berlin-Ouest se structura au débouché de Ku’damm, au niveau de l’Eglise du Souvenir (« Gedächtniskirche ») et du Kadewe (« Kaufhaus des Westens »). Ce bâtiment construit en 1905, détruit lors de la Seconde Guerre mondiale, puis reconstruit devint le symbole de la réussite économique de Berlin-Ouest et de la RFA. Vitrine du capitalisme occidental, ce fut le cœur économique de Berlin-Ouest.
Le centre de Berlin-Est fut l’« Alex », à savoir l’Alexander Platz qui fut elle aussi construite pour être une vitrine du modèle communiste. Y converge notamment la prestigieuse Stalinallee, longue de 2,6 km, prolongée par la Frankfurter Allee de 3,6 km, qui fut l’axe structurant de Berlin-Est. Le Palais de la République - « Palast der Republik » -, haut lieu de la vie culturelle communiste est-berlinoise, fut construit dans la vieille ville de Berlin à l’emplacement de l’ancien Château des Hohenzollern, du nom de la dynastie impériale prussienne. Enfin, si la coupure spatiale prend une forme linéaire à l’échelle de l’agglomération berlinoise, ces images plus précises révèlent, à une échelle plus grande, la dimension zonale de la frontière. La Porte de Brandebourg et la place de Potsdam - la fameuse « Potsdamer Platz » - témoignent du no man’s land régnant au centre de l’ancienne métropole berlinoise.
Dépasser la division du Mur et recoudre la ville
Si Berlin était redevenue la capitale de l’Allemagne dès la réunification du 3 octobre 1990, le transfert - partiel - des institutions nationales de Bonn - ancienne capitale de la RFA - à Berlin suscita des débats vigoureux. A un point tel que le vote du 20 juin 1991 - « Hauptstadtbeschluss » - officialisant ce transfert par le Bundestag fut très serré : 338 voix pour, 320 voix contre ; soit seulement 18 voix d’écarts sur un total de 658 votants.
Ku’damm, centralité de Berlin-Ouest
Alexanderplatz, centralité de Berlin-Est
Le No man’s land entre les deux zones en 1990
Document 8. Le détail du tracé du Mur entre Berlin-Est et Berlin-Ouest
Le transfert effectif eut lieu en 1999 après la rénovation du Reichstag. Le « Reichstag », ancien nom du parlement allemand d’avant-guerre, désigne aujourd’hui uniquement le bâtiment à l’intérieur duquel siège le Parlement allemand dénommé le « Bundestag ». Le transfert des institutions de Bonn à Berlin fut l’occasion de réaménager le no man’s land qui entourait l’ancien Mur de Berlin et de réunifier ainsi urbanistiquement les deux villes de Berlin-Ouest et de Berlin-Est.
Engendrant coupures et coutures, le Mur de Berlin continue d’impacter l’espace urbain berlinois. Des choix architecturaux réalisés pour le Sony Center à la contestation du projet Mediaspree en passant par le référendum au sujet du Tempelhofer Feld, les aménagements liés aux friches urbaines du Mur de Berlin continuent donc, trente ans après la suppression du Mur, de susciter débats et controverses.
Berlin en 2012
Zooms d’étude
Zoom 1 : Le quartier gouvernemental, un trait d’union entre Berlin-Est et Berlin-Ouest ?
Près de 30 ans après l’ouverture du Mur de Berlin, l’image satellite de 2012 laisse observer les coupures et les coutures nées par-delà le Mur. Entre Ku’damm - l’ancien centre de Berlin-Ouest - et « Alex » - pour Alexanderplatz, l’ancien centre de Berlin-Est, le quartier gouvernemental - « Regierungsviertel » - témoigne d’une nouvelle centralité qui a émergé suite à la construction et à la mise en fonction des nouvelles institutions fédérales. Cette centralité politique se double d’une centralité touristique liée à la fois à l’attractivité des lieux politiques, mais aussi à celles de la Potsdamer Platz et des lieux mémoriels.
Trois grands marqueurs urbains et architecturaux : le nouveau quartier politique, la nouvelle gare principale et la Postdamer Platz
Nouveau quartier politique. C’est ainsi qu’émergea la « Bande de la Fédération » - « Band des Bundes », un ensemble architectural aménagé de part et d’autre de l’ancienne frontière et regroupant la Chancellerie et les services du Bundestag. Les services du Bundestag sont abrités dans deux bâtiments construits de part et d’autre de la Spree par-delà l’ancien Mur de Berlin. La localisation de ces deux bâtiments - Paul-Löbe-Haus sur le territoire de l’ancien Berlin-Ouest et Marie-Elisabeth-Lüders-Haus sur celui de Berlin-Est - fut un symbole fort de la volonté de faire de cette ancienne coupure entre Berlin-Est et Berlin-Ouest une couture non seulement entre les deux Berlin mais aussi entre les deux Allemagne.
La nouvelle gare principale. Cette symbolique architecturale et urbanistique trouva un écho dans l’aménagement de la nouvelle gare principale de Berlin, la « Berliner Hauptbahnhof ». Cette dernière jouxte le quartier gouvernemental sur la rive nord de la Spree. Accueillant les grandes lignes reliant Berlin aux grandes villes allemandes (Hambourg, Munich...), elle constitue également une nouvelle artère ferroviaire à l’échelle urbaine puisque que le S-Bahn berlinois - l’équivalent berlinois du RER parisien - dessert cette gare et permet ainsi de lier Berlin-Est et Berlin-Ouest. Il s’agit donc d’un trait d’union ferroviaire entre les deux villes, une nouvelle couture entre Est et Ouest.
Il serait cependant faux d’en conclure que les différences entre les réseaux de Berlin-Est et de Berlin-Ouest ont été dépassés. La carte du réseau de tramway, très développé dans Berlin-Est, mais inexistant dans Berlin-Ouest, témoigne de cette coupure au sein des transports en commun. Visible sur la carte du réseau de tramway, mais invisible sur la carte du réseau de bus, cette coupure entre Berlin-Est et Berlin-Ouest illustre le phénomène de la « frontière fantôme », théorisé par la géographe Béatrice von Hirschhausen de l’Université Humboldt de Berlin.
La Postdamer Platz. Plus au sud, l’ancien no man’s land de la Potsdamer Platz fut aménagé pour accueillir des réalisations ambitieuses au sein de ce qui fut le plus grand chantier d’Europe dans les années 1990. Le Sony Center en est la réalisation la plus connue grâce à son toit de verre qui fait écho à celui de la coupole du Reichstag et aux façades vitrées de la gare principale. Bien que modeste en comparaison à celle des villes nord-américaines ou à celle de Francfort, la Skyline de la Potsdamer Platz suscita controverses et critiques. Reste que 70 000 visiteurs affluent chaque jour au sein du Sony Center pour le visiter. C’est que le quartier gouvernemental et la Potsdamer Platz sont également devenus des quartiers très touristiques, ce dont témoignent les nombreux bateaux-mouches visibles sur l’image satellite. De fait, la Spree n’étant pas un axe commercial majeur, les bateaux qui y circulent au centre de Berlin sont avant tout des embarcations touristiques.
Des processus mémoriels au renouveau universitaire
Plus discrets, d’autres aménagements ont permis de faire une couture à partir de la coupure de l’ancien Mur. De nombreuses constructions mémorielles furent en effet construites dans ce no man’s land, non sans débats. Le Mémorial de l’Holocauste, le Mémorial aux Roms européens assassinés pendant le nazisme et le Mémorial aux homosexuels persécutés pendant la période nazie traduisent la volonté d’inscrire au cœur de Berlin la « mémoire négative » (Maurice Tambarin) de l’Allemagne. Construits de part et d’autre de l’ancien Mur, ils témoignent d’une couture mémorielle.
Enfin, le campus de la Charité, l’une des plus anciennes et des plus prestigieuses universités de médecine du monde, a retrouvé son dynamisme avec la fusion de l’université de médecine Humboldt de Berlin-Est et de celle de l’Université libre de Berlin de Berlin-Ouest. Cette fusion s’est accompagnée d’une modernisation des installations qui a permis de recréer une centralité à proximité de la gare principale. La proximité du ministère de la santé crée donc une nouvelle polarité et une spécialisation sectorielle en plein cœur de Berlin.
La comparaison avec l’image globale de 2020 permet de saisir les nouvelles mutations du quartier de la gare principale. Si le grand chantier de la Potsdamer Platz, au sud du quartier gouvernemental, n’a pas connu d’évolution notable en hui ans, les espaces autour et au nord de la gare sont encore en pleine transformation. Ainsi, des ministères importants comme l’Intérieur, l’Éducation et la recherche... - ont été implantés et furent accompagnés d’infrastructures hôtelières afin d’accueillir touristes mais aussi consultants, lobbyistes...
Le projet Europacity. Mais c’est au nord de la gare que les transformations sont les plus saisissantes. En 2012, une vaste friche de 61 hectares continuait de couper Berlin-Est et Berlin-Ouest. Il s’agissait d’un autre no man’s land, plus rarement évoqué que celui de la Potsdamer Platz. A proximité immédiate de l’ancien Mur et de l’ancienne frontière interallemande, cette vaste zone était un lieu de stockage et de transports de marchandises en lien avec le port nord de Berlin, le Nordhafen. La voie d’eau ne servant plus pour le transport de marchandises, cette zone se trouvait délaissée malgré sa centralité. C’était une marge centrale représentant une coupure entre Est et Ouest.
Le projet Europacity - 3 000 logements, 16 000 emplois prévus - a donc pour double objectif de réinvestir une friche industrielle et de reconnecter les quartiers de Wedding de Berlin-Ouest et de Mitte de Berlin-Est au nord-est du canal et le quartier de Moabit de Berlin-Ouest au sud-ouest de ce dernier. En effet, les quartiers de Wedding et de Moabit, pourtant tous les deux à Berlin-Ouest, étaient séparés par un canal ce qui représentait une discontinuité majeure. Les discontinuités intraurbaines ne sont donc pas uniquement liées à l’héritage du Mur mais aussi aux infrastructures de transports, comme le canal Berlin-Spandau, et aux friches industrielles liées aux mutations économiques des espaces productifs.
Les deux phénomènes résultent de dynamiques différentes mais demeurent liées car, dans Berlin-Ouest, les friches industrielles à proximité du Mur n’ont pas été réaménagées pendant la guerre froide. Les coupures liées au Mur furent donc d’autant plus fortes que des friches industrielles accompagnèrent la discontinuité du no man’s land. La carte interactive d’Europa city mise en ligne permet de saisir l’ampleur du chantier en cours.
Les profondes mutations du quartier gouvernemental entre 2012 et 2020
Zoom 2 : Le quartier historique de Berlin-Mitte entre dynamiques politiques, culturelles et patrimoniales
Un centre historique médiéval très restreint
L’image permet de visualiser, de part et d’autre de la Spree, le centre historique de Berlin (Berlin-Mitte). Ce centre historique était constitué au Moyen-Age des villes jumelles de Berlin et de Cölln (aussi appelé Alt-Kölln) qui ont fusionné en 1709. Peuplée de seulement une dizaine de milliers d’habitants à l’arrivée des huguenots français à la fin du XVIIème siècle, Berlin s’est avant tout développée au XIXème siècle avec l’industrialisation, puis avec son statut de capitale de l’empire allemand fondé en 1871. La densification du centre historique, abrité derrière les remparts, fut donc limitée, comparativement à d’autres villes comme Paris. La rapidité du développement industriel explique également la rapide expansion de l’agglomération berlinoise qui ne comptait qu’un million d’habitants vers 1880 mais près de 4,5 millions au début de la Seconde Guerre mondiale.
Dans ce quartier, la trame viaire est étroite et sinueuse. Certes, le centre historique médiéval fut détruit suite aux intenses bombardements de la Seconde Guerre mondiale mais la trame viaire (réseau des routes et du bâti) demeura. Le Nikolaiviertel est ainsi le quartier le plus médiéval, aujourd’hui avant tout occupé par des restaurants touristiques. Construite en 1230, la Nikolaikirche (église Saint Nicolas) est le bâtiment le plus ancien de Berlin. Désacralisée dès 1938, elle devint un musée mais aussi l’un des principaux lieux de rassemblement de l’opposition anticommuniste en 1989.
L’île aux musées, une centralité culturelle témoignant de l’ambition prussienne
La Spree se divise en deux bras et une île apparaît au centre de Berlin. Au nord de cette île se trouve le quartier appelé « île aux musées » (même s’il ne s’agit pas vraiment à proprement parler d’une île). Sous l’impulsion des rois prussiens, devenus en 1871 empereurs allemands, Berlin est dotée de prestigieux musées afin de soutenir la comparaison culturelle avec Paris et Londres. Le musée de Pergame accueille ainsi des reconstitutions impressionnantes (notamment la porte d’Ishtar, le grand autel de Pergame et la porte du marché de Milet). C’est la puissance des Hohenzollern qui s’exprime ici mais aussi la géographie de la puissance allemande. Puissance coloniale tardive, l’Allemagne fut avant tout influente dans l’empire ottoman, d’où des musées très orientés vers le Proche-Orient.
Un patrimoine communiste en débat
Ce quartier faisait partie intégralement de Berlin-Est. Le régime communiste marqua le centre de Berlin de son empreinte. Le château de Berlin, au centre de la ville, était le symbole de la dynastie Hohenzollern. Il fut rasé en 1950 mais ce n’est qu’en 1976 que le palais de la république fut inauguré. Ce palais de la république hébergea à la fois la Volkskammer (assemblée de RDA) mais aussi divers lieux de culture (cinéma, expositions, bowling) rappelant l’ambition d’une « maison du peuple ».
Après une vive polémique, le Palais de la République fut rasé en 2008 après un vote au Bundestag en 2002. La destruction de ce symbole de la RDA fut difficilement vécue par une partie de la population est-berlinoise. Le château de Berlin fut reconstruit et c’est cette reconstruction qu’il est possible de deviner sur l’image satellite.
Sur l’autre rive de la Spree, au nord-est, furent aménagés par le régime est-allemand le Marx-Engels Forum, afin d’inscrire dans l’espace public les principales figures de l’idéologie communiste, mais surtout la Fernsehturm (tour télévision) construite pour montrer la réussite est-berlinoise. L’ombre de cette tour est visible sur l’image satellite. Alexanderplatz fut le centre urbain de Berlin-Est à la convergence.
Berlin-Mitte, un quartier témoignant du Berlin cosmopolite
Dans ce quartier historique, la diversité des lieux de culte peut étonner le visiteur. Pourquoi une cathédrale française (Französischer Dom) à Berlin ? Si, pour nombre de visiteurs, l’image de Berlin est rattachée à celle du nazisme et de l’antisémitisme en raison du passé nazi, la ville de Berlin fut à l’époque moderne marquée par la tolérance religieuse et la diversité culturelle. L’arrivée des huguenots français à Berlin à la fin du XVIIème s. explique la présence de cette cathédrale. Sur le Gendarmenmarkt (toponyme francisé signifiant littéralement « marché des gens d’armes) », la cathédrale française (Französischer Dom) fait face à la cathédrale allemande (Deutscher Dom). Au tournant du XVIIIème s., un quart des Berlinois parle français.
Au nord-ouest du Gendarmenmarkt, sur l’actuelle Bebelplatz, la cathédrale Sainte-Edwige souligne également la tolérance religieuse du roi de Prusse. Après avoir accueilli les huguenots (protestants français) qui ont fui la révocation de l’édit de Nantes (1685), la monarchie prussienne fit ériger cette église catholique sur ordre du roi protestant Frédéric le Grand (1773). Dédiée à la sainte-patronne de Silésie, c’est un signe d’ouverture en direction des immigrants catholiques silésiens venus s’installer à Berlin et dans le Brandebourg protestant après la conquête de la Silésie par la Prusse (1763). C’est donc par l’immigration de protestants français et de catholiques silésiens que la population berlinoise se développa au XVIIIème s. Les églises de Berlin-Mitte le rappellent.
Un rayonnement politique et culturelle croissant
De part et d’autre de la Porte de Brandebourg, les anciennes puissances occupantes, ont investi au travers de leurs ambassades les espaces à proximité de l’ancien Mur de Berlin. La transformation du quartier est certes moins spectaculaire que celle de la Potsdamer Platz mais les mutations socio-économiques sont fortes. Plus discret, le rayonnement culturel de ce quartier n’en est pas moins puissant. Alors qu’Hambourg faisait figure de métropole culturelle allemande par la concentration des grands médias nationaux, de grands médias (ZDF et ARD notamment, deux grandes chaînes de télévision allemandes) ont transféré leur siège à Berlin, à proximité du quartier gouvernemental. Ces nouvelles implantations viennent renforcer l’attractivité du quartier.
Le quartier historique de Berlin-Mitte en 2020
Repères géographiques
Zoom 3 : Entre Friedrichshain et Kreuzberg, un ancien no man’s land frontalier devenu un nouveau pôle de développement
Si le no man’s land au centre de Berlin fut aménagé dès la décennie 1990, il n’en fut pas de même pour les autres quartiers. Il est vrai qu’aménager les 156 km du Mur de Berlin est un défi tant financier qu’urbanistique et architectural.
Entre les districts (Bezirke) de Friedrichshain et de Kreuzberg, les aménagements ont été postérieurs à ceux du quartier gouvernemental. Ces quartiers qui ont fusionné en 2001 au sein du nouveau district de Friedrichshain-Kreuzberg forment dorénavant le plus petit district (20 km²) mais le plus densément peuplé (14.000 hab./km²). L’ancienne frontière interallemande y a donné lieu à des aménagements protéiformes.
Couper et déplacer East Side Gallery
L’exemple le plus connu est sans aucun doute l’East Side Gallery. Si ses murs colorés témoignent de la place de Berlin dans la mémoire historique mondiale, les dynamiques métropolitaines récentes sont venues bousculer ce haut lieu de la mémoire de la guerre froide. Longue de 1,3km, East Side Gallery est la plus longue partie du Mur encore préservée. Utilisée comme support pour des œuvres de Street Art, elle attira des artistes du monde entier. Au printemps 1990, 118 artistes en provenance de 21 pays sont venus peindre sur ce vestige du Mur. Cette patrimonialisation du Mur fut accompagnée par les pouvoirs publics qui l’érigèrent dès 1990 au rang de site historique mais les dynamiques métropolitaines sont venues mettre à mal cette protection. C’est dans un premier temps la construction d’O² World - un complexe sportif de 17 000 places - qui fut à l’origine de la première brèche dans le mur. En 2006, les gestionnaires de ce complexe, devenu aujourd’hui la Mercedes-Benz Arena, souhaitèrent disposer d’un accès direct à la Spree. Une portion du mur d’East Side Gallery fut donc déplacée de quelques dizaines de mètres vers l’ouest afin de permettre un accès direct aux rives de la Spree.
Mediaspree, un projet controversé accusé d’accélérer la gentrification
Le projet MediaSpree a eu pour objectif de construire des logements et d’offrir des opportunités d’installation pour des entreprises, notamment mais pas uniquement pour celles des secteurs de la mode et des médias (Zalando, MTV, Viva, Coca-Cola, BASF, Allianz...). Depuis 2012, les constructions se sont multipliées et ont fait l’objet de fréquents mouvements de protestation. En 2013, le projet Living Levels, une tour de 15 étages et de 63 mètres de haut, destinée à des appartements de luxe dominant la Spree, a été au centre des protestations. Afin d’accéder à la voirie, les promoteurs ont à nouveau fait déplacer des dizaines de mètres du Mur accentuant ainsi le mitage d’East Side Gallery. Son statut de monument historique les obligeait à entretenir et à protéger cette ancienne partie du Mur... mais pas à la maintenir à sa place. En s’appuyant sur une loi d’accessibilité à la voirie, les promoteurs ont ainsi fait déplacer le Mur malgré les protestations d’artistes et d’un collectif rassemblé autour de l’association « Sauver l’East Side Gallery ». Ainsi une dynamique patrimoniale majeure, reconnue à l’échelle mondiale, a-t-elle été en porte-à-faux avec une dynamique métropolitaine.
La population berlinoise fut choquée par ce symbole. Déplacer le Mur de Berlin pour permettre la construction d’appartements luxueux... Rarement un projet d’investissement immobilier aura semblé aussi représentatif de la gentrification. Et aucun responsable politique berlinois n’est venu défendre cette décision. A croire que personne n’avait autorisé le projet. Pour comprendre ce phénomène, il faut réintroduire de la profondeur historique à un projet imaginé et signé... en 1992, mais repoussé pour faute d’argent. Or, en 1992, la patrimonialisation du Mur et d’East Side Gallery était à peine enclenchée. Le même aménagement 21 ans plus tard déclencha des réactions abasourdies de la presse allemande et berlinoise allant jusqu’à comparer ce projet à la vente de l’Acropole d’Athènes (Berliner Zeitung).
Parallèlement à cette temporalité, il importe de souligner que le no man’s land de la Spree constitue une discontinuité et une coupure intraurbaine majeure. Le cas du pilier du Brommybrücke, situé dans la Spree, en face de Living Levels, illustre également cette situation. Dans le prolongement de l’Eisenbahnstrasse, le Brommybrücke fut détruit en 1945 afin de freiner la progression soviétique dans Berlin. Seul subsiste encore ce pilier visible sur l’image satellite. La discontinuité liée au fleuve de la Spree fut donc renforcée par la destruction de ce pont. La configuration géopolitique de la guerre froide plaça cet ancien pilier entre Berlin-Ouest et Berlin-Est, plus précisément entre la frontière et le Mur... si bien que le pont ne fut jamais reconstruit. Un projet de pont dédié aux modes de transports doux (vélo et marcheurs) existe actuellement mais n’a pas (encore) trouvé de financement. Ce projet de pont est d’ailleurs un projet des habitants et figurait dans les aménagements souhaités en 2008 par la mobilisation citoyenne « Spreeufer für Alle » (signifiant les rives de la Spree pour tous) structurée en réaction au projet MediaSpree. Le projet issu d’une dynamique habitante est donc sans financement, quand les promoteurs immobiliers déplacent East Side Gallery.
Le quartier Holzmarkt25 est également issu de cette mobilisation habitante de 2008. En réaction au projet MediaSpree et à une « métropolisation uniformisante » (www.holzmarkt.com), un collectif s’est structuré pour porter un projet urbanistique original alliant clubs, renaturation, accessibilité publique, commerces, artisanats, atelier d’artistes, jardin d’enfants et logements. Mais, en 2020, des difficultés financières laissent planer un doute sur la durabilité du projet.
Plus connu, mais antérieur à la mobilisation « Spreeufer für Alle », le YAAM (Youth and African Arts Market) a ouvert en 1994 sur les rives de la Spree et sur l’espace de l’ancien no man’s land. Symbole du Berlin cosmopolite et alternatif, il attire aussi bien les rastas que les hipsters, les touristes que les Berlinois. En moins de 30 ans d’existence, le YAAM a déjà connu cinq emplacements et quatre déménagements (numérotés de 1 à 5 sur le document 11). Ces déménagements ont tous été liés au projet Mediaspree, ce qui atteste de la rapidité de la transformation urbaine.
Dernier exemple d’une liste non exhaustive : la friche Cuvry et les Graffitis de l’artiste italien Blu. La friche Cuvry était une friche anciennement occupée par un bunker. Située sur la rive gauche de la Spree, à proximité immédiate du tracé frontalier Est-Ouest, la friche ne fut pas aménagée pendant la guerre froide. Le YAAM s’y installa en 1996 avant d’en être expulsé en 1999 en raison d’un projet immobilier qui ne vit pas le jour. C’est sur cette friche, observable sur de document 11, que les artistes Blu et JR peignirent en 2007 et 2008 deux gigantesques fresques murales (annexes n°3 et 4). La fresque des deux personnages masqués représente les deux Berlin, issus de deux modèles et de deux mondes différents et qui peinent à n'en former qu’un. Les doigts des personnages représentent un W pour « West » et un E pour « East ». Cette fresque, devenue une icône mondiale des arts de rue, fut repeinte en noir en décembre 2014 - à l’initiative des artistes - suite à la décision de la ville de Berlin d’y faire construire un centre commercial dans le cadre du projet Mediaspree.
Les rives de la Spree en : entre Friedrichshain et Kreuzberg, un ancien no man’s land frontalier devenu un nouveau pôle
Repères géographiques
La patrimonialisation des héritages du Mur
Repères géographiques
La friche Cuvry et les Graffitis de l’artiste italien Blu (photos Jonathan Gaquere)
Zoom 4. ExpoCenterCity, une Edge-City berlinoise ?
Ce zoom montre une polarité (centralité) périphérique issue d’un carrefour autoroutier et ferroviaire : l’ExpoCenter City. Il s’agit sans doute de la polarité ressemblant le plus aux Edge-Cities nord-américaines, excepté peut-être la dimension du front périurbain. A proximité du carrefour ferroviaire de Westend et de l’intersection entre les autoroutes A100 et A115, cet espace très accessible par voie autoroutière est le lieu des grandes foires industrielles et commerciales de Berlin. L’image globale montre d’ailleurs qu’il s’agit du seul carrefour de ce type puisque le réseau autoroutier est-berlinois est beaucoup moins développé et que les autoroutes est-berlinoises ne pénètrent pas à l’intérieur des espaces péricentraux.
Le document 13 montre l’ICC (Internationales Congress Centrum), l’un des plus grands bâtiments d’Europe, qui fut la plus grande construction de l’histoire ouest-allemande. Achevé en 1979, il symbolisa la puissance économique et commerciale de l’ancienne RFA et donna même lieu à la création d’un timbre-poste, signe de fierté nationale. Plus à l’est, le parc d’exposition (Messegelände) de Berlin vient compléter la capacité d’accueil. Il est vrai que l’ICC a des coûts de fonctionnement élevés qui ont amené le Sénat de Berlin à s’interroger sur l’avenir de ce bâtiment. C’est pourquoi, au sud de l’image, le CityCube de Berlin fut construit et inauguré en 2014 en lieu et place de l’ancienne Deutschlandhalle, qui fut l’un des principaux lieux d’accueil des JO de 1936 et représentait dans les années 1930 « la plus grande salle polyvalente du monde ». D’une capacité d’accueil de 10 000 personnes, elle accueillit entre autres des rassemblements du NSDAP (parti nazi). Quant au CityCube, il accueille actuellement les principaux rassemblements commerciaux : Grüne Woche (salon de l’agriculture et de l’alimentaire), IFA (salon de l’électronique), InnoTrans (plus grand salon mondial du transport ferroviaire)... Avec l’ouverture de l’aéroport Berlin-Brandebourg, une partie des activités de congrès (essentiellement pour l’aéronautique) s’est déplacé au sud de Berlin à Selchow au sein du Berlin ExpoCenter Airport mais l’ExpoCenter City reste le lieu principal pour les activités de congrès.
Au sud et à l’ouest de l’ExpoCenter City, des quartiers pavillonnaires sont observables. La densité du bâti est nettement supérieure aux suburbs nord-américaines mais le primat de l’habitat individuel est clairement perceptible. En cela, Berlin-ouest continue de contraster avec Berlin-Est.
ExpoCenterCity en 2020, Edge City berlinoise
Repères géographiques
Zoom 5. Fennpfuhl, un quartier symbolisant l’urbanisme communiste est-allemand
L’urbanisme de ce quartier est-berlinois contraste fortement avec les quartiers pavillonnaires observés à Berlin-Ouest. L’habitat individuel s’efface devant l’habitat collectif. De larges avenues accueillent des rames de tramway, mode de transport uniquement est-berlinois, tandis que les autoroutes sont absentes de ce quartier comme des quartiers est-berlinois alentour. Mode de transport individuel par excellence, la voiture n’est pas au centre de l’urbanisme communiste. Dans la continuité des ambitions urbanistiques de la Charte d’Athènes, la verticalité des constructions permet de dégager de l’emprise foncière permettant l’aménagement de vastes espaces publics. La comparaison avec le zoom précédent montre clairement la différence. Alors que les espaces verts sont situés à l’intérieur des propriétés pavillonnaires à Berlin-Ouest, ils sont ici ouverts et publics. Le Fennpfuhlpark en témoigne et rappelle également que la ville de Berlin est construite sur des espaces anciennement marécageux.
L’urbanisme est-allemand se caractérise par la domination de ces grands ensembles et par l’usage massif du béton. L’expression « Plattenbau » correspond à ce mode de construction reposant sur des éléments préfabriqués en béton. Associé à l’urbanisme socialiste est-allemand, le « Plattenbau » fut cependant aussi largement utilisé dans les villes ouest-allemandes. L’existence de grands ensembles n’est donc pas en soi une spécificité est-allemande. En revanche, la construction de grands ensembles pour des quartiers entiers témoigne d’une volonté urbanistique et sociétale : privilégier le collectif sur l’individuel. Cette idéologie communiste rejaillit même sur la toponymie. Au centre de l’image, l’actuelle Landsbergerallee se distingue et converge vers l’Alexanderplatz. Il s’agit d’une avenue prestigieuse, qui fut nommée en 1950 « Leninallee ». L’objectif était de valoriser le fondateur de l’Union Soviétique et de contribuer à l’édification d’une « société socialiste ». La Karl-Marx Allee (ancienne Stalinallee), plus au sud, fut la plus prestigieuse.
Quand bien même certains bâtiments furent détruits et remplacés par une architecture contemporaine à l’instar du Castello de l’architecte Hinrich Baller, la trame urbaine (maillage des voies de circulation) est difficilement modifiable. La zone industrielle à l’est de l’image semble étroite et peu accessible. C’est pour cela que, même 30 ans après la réunification, les différences urbanistiques entre Berlin-Ouest et Berlin-Est perdurent : le tramway ne circule que dans les arrondissements de Berlin-Est, les autoroutes ne pénètrent les espaces péricentraux qu’à Berlin-Ouest, les quartiers pavillonnaires sont plus fréquents à Berlin-Ouest qu’à Berlin-Est.
Fennpfuhl, un quartier illustrant l’urbanisme communiste est-allemand
Repères géographiques
Zoom 6. Le Tempelhofer Feld, un espace de nature singulier représentant les dynamiques urbaines habitantes
Ce zoom est centré sur le Tempelhofer Feld, signifiant littéralement « le champ de Tempelhof ». Il s’agit d’un espace de nature intra-urbain à ciel ouvert vaste de plus de 380 hectares. Les visiteurs apprécient ce lieu et relatent une expérience urbaine très originale. C’est une visite très appréciée lors des voyages scolaires.
Si le parc Tiergarten, un parc urbain baroque et paysager situé à proximité du quartier central de Mitte, fait figure de parc mémoriel, largement ouvert aux flux touristiques, le Tempelhofer Feld est un espace de nature fortement investi par les Berlinois, plus rarement par les touristes. Sa localisation dans la partie sud des espaces péricentraux de Berlin explique en partie cette différence.
Son histoire en fait un lieu atypique. Son nom (Tempelhof) est lié à une ancienne commanderie templière fondée au XIIème siècle au sud de Berlin mais sans lien avec les usages actuels. Ancien espace d’entraînement de l’armée prussienne, le Tempelhofer Feld accueillit à la fois des activités récréatives et des activités aéronautiques. Jusqu’en 1936 environ 40 000 spectateurs assistaient aux matchs de football du BFC Preussen. Cet usage sportif et récréatif est marginal mais perdure au sud-ouest de l’image (Werner-Seelenbinder-Sportpark). A partir de 1936, l’orientation aéronautique et militaire s’intensifia. L’aéroport fondé en 1924 s’étendit et le prestigieux bâtiment observable au nord-ouest du Tempelhofer Feld fut construit entre 1936 et 1941. Destiné initialement à abriter les services de l’aéroport, il fut à partir de 1940 utilisé pour l’industrie d’armement et la construction des avions Ju 87. Des milliers de travailleurs forcés y convergèrent de toute l’Europe.
Peu après la Seconde Guerre mondiale, c’est à partir de l’aéroport de Tempelhof que le pont aérien fut organisé. Le lieu du nazisme devint ainsi le symbole de l’ancrage capitaliste et occidental dans Berlin. La modernisation de l’aéroport de Tegel en 1970 mit fin aux vols civils sur l’aéroport de Tempelhof. Le nouvel aéroport de Berlin-Brandebourg, débuté en 2006, amena la fermeture définitive de l’aéroport et son ouverture au public en 2010. Lors de son ouverture au public, 3 zones (« Pionierfeld ») furent réservées pour des « projets pionniers » : Pionierfeld Tempelhofer Damm, Pionierfeld Columbia Damm et Pionierfeld Oderstrasse. Le plus connu et le plus visible de ces projets est le jardin partagé « Allmende Kontor », observable sur l’image satellite. Ces projets sont limités dans le temps et renvoient à la dialectique entre les dynamiques habitantes et les logiques métropolitaines car le Sénat de Berlin souhaite valoriser ce grand espace de nature pour y construire des logements et bâtiments.
Entre 2011 et 2014, le Tempelhofer Feld fit l’objet de deux stratégies d’aménagement différentes. La première, Tempelhofer Freiheit, fut développée par le Sénat de Berlin et visait à construire des logements sur une partie du parc. La seconde, 100% Tempelhofer Feld, née en opposition à la première, avait pour objectif de laisser la totalité du parc en accès libre aux Berlinois. Une initiative citoyenne (Bürgerinitiative) amena au vote du 25 mai 2014 qui aboutit à la victoire du second projet grâce à une large majorité de oui (64 % des suffrages exprimés avec une participation de 46%). Accusé d’incarner la gentrification de l’agglomération de Berlin, le projet Tempelhofer Freiheit conçu par l’administration du Sénat fut donc annulé. Depuis ce vote, la mise en nature de ce parc relève d’une stratégie d’aménagement confié à un collectif. Moins fréquenté par les touristes, il est davantage approprié par les Berlinois.
Mais ce n’est pas tant la crainte de la gentrification qui explique ce résultat. Le Tempelhofer Feld est tout d’abord un espace symbolique pour la population berlinoise. Lié au pont aérien, ce gigantesque espace à ciel ouvert est une respiration urbaine. La gestion par le Land et le Sénat de Berlin de la croissance métropolitaine est également remise en question. La municipalité avance l’argument du besoin de logements, ce qui est un besoin fréquemment évoqué dans un marché immobilier tendu. Mais la ville de Berlin ne manque pas de friches à réhabiliter...
Le devenir de cet espace est incertain. Une gouvernance originale fut mise en place. Un groupe de coordination (Feldkoordination) rassemble 7 citoyens élus et deux représentants du Sénat et de Grün Berlin, la structure privée gérant les espaces verts au nom du Sénat de Berlin. Des réunions sont organisées chaque mois. Aucun projet n’a encore pour le moment émergé. Deux orientations différentes coexistent au sein des collectifs habitants. Certains souhaitent conserver le vide et préserver un espace de 350 hectares à ciel ouvert tandis que d’autres penchent pour un aménagement concerté et coordonné. Le parc Gleisdreieck issu d’une opposition habitante à un projet autoroutier de 1974 a été inauguré en 2013, soit près de 40 ans après la mobilisation citoyenne...
Le Tempelhofer Feld, un espace de nature singulier représentant les dynamiques urbaines habitantes
Repères géographiques
D’autres ressources
Bibliographie
Grésillon Boris, « Berlin, frontières anciennes, frontières actuelles » (Berlin, old borders, new borders), Bulletin de l'Association de géographes français, 2004-4 pp. 466-475.
doi : https://doi.org/10.3406/bagf.2004.2412
https://www.persee.fr/doc/bagf_0004-5322_2004_num_81_4_2412
von Hirschhausen Béatrice, « Leçon des frontières fantômes : les traces du passé nous viennent (aussi) du futur », L’Espace géographique, 2017/2 (Tome 46), p. 97-105. DOI : 10.3917/eg.462.0097. URL : https://www.cairn.info/revue-espace-geographique-2017-2-page-97.htm
Dubeaux Sarah, Cunningham-Sabot Emmanuèle C, « Contestation et normalisation des usages du sol dans Berlin : l’ancien aéroport de Tempelhof », Natures Sciences Sociétés, 2016/4 (Vol. 24), p. 358-370. DOI : 10.1051/nss/2017004. URL : https://www.cairn.info/revue-natures-sciences-societes-2016-4-page-358…
Sitographie
Le projet Europacity en détail : https://europacity-berlin.de/projekte/
Le Tempelhofer Feld : https://gruen-berlin.de/projekte/parks/tempelhofer-feld/ueber-den-park
Contributeur
Proposition : Jonathan Gaquere, professeur en classes préparatoires, Lycée Henri Martin, Saint-Quentin