Algérie : le Djebel Amour, les hautes terres des marges sahariennes face aux enjeux de la sédentarisation et de la désertification

Le Djebel Amour appartient à l’Atlas saharien qui prolonge en Algérie le Haut-Atlas marocain. Intermédiaire entre les hauts plateaux steppiques septentrionaux et les marges sahariennes méridionales, cette haute chaîne de montagne se déploie en milieu semi-aride à aride. Face à de fortes contraintes, ses territoires et sociétés sont confrontés à de profonds bouleversements sociaux, démographiques et économiques. En particulier, les facteurs anthropiques (cf. crise agricole et pastorale) participent activement au processus de désertification en cours depuis des décennies. Ces multiples enjeux, en particulier environnementaux, renvoient à un nécessaire développement plus durable de ses territoires.

Légende de l'image satellite

Le Djebel Amour : une haute chaîne de l’Atlas saharien semi-aride.
Cette image a été prise par un satellite Spot 5 en 2015. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles, de résolution native à 5 m

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Tirant son nom de la tribu des Amours, le Djebel Amour est une haute chaîne de montagne culminant au Djebel Ksel (2.008 m.), s’allongeant sur 700 km et large de 50 à 70 km. Au plan tectonique et géologique, il appartient au vaste ensemble de l’Atlas saharien qui courre du Maroc (Haut-Atlas) à l’Algérie (monts des Ksour à l’ouest, monts des Ouled Naïl à l’est). Il constitue une zone de contact entre le Sahara, au sud, et les steppes des hauts plateaux centraux, au nord.

Comme l’illustre très bien le document, le Djebel Amour est une chaîne plissée de l’ère secondaire et du début du tertiaire (éocène) juxtaposant de manière spectaculaire des chaînons aux plis courts (Djebel Ksel : 2.008 m, Djebel Sidi Okba : 1.690 m.) et de vastes dépressions. Les chaînons dissymétriques, couronnés de corniches de calcaires et de grès, correspondent aux racines de plis de vastes anticlinaux dégagés par l’érosion. Les dépressions correspondent soit à des anticlinaux évidés, soit à des synclinaux fonctionnant comme de larges glacis, soit à des plaines remblayées. Contrairement à d’autres massifs - comme le Haut-Atlas ou les Aurès par exemple - le Djebel Amour est une structure montagneuse aux reliefs relativement aérés grâce à de larges dépressions longitudinales et à de nombreux couloirs transversaux – souvent des cluses coupant les plis - qui y facilitent la circulation.  

Du fait de son altitude et de sa position, le Djebel Amour est un des massifs les plus arrosés de l’Atlas saharien puisqu’il reçoit entre 300 et 400 mm d’eau par an, jusqu’à 500 mm dans sa partie centrale. Pour autant, ces précipitations présentent de fortes irrégularités, interannuelles et annuelles, et l’évapotranspiration prélève une part notable des apports. Le climat présente en effet de forts contrastes thermiques entre des étés très chauds et secs et des hivers froids (station d’Alfou : août : 38°C, janvier : - 10 °C ; 410 mm d’eau par an).
Cette humidité – toute relative - a longtemps permis d’associer cultures céréalières et nomadisme pastoral. Pour autant, dans ces conditions, la végétation demeure tout de même rare. Les chaînons portent encore par endroit quelques lambeaux de forêts plus ou moins clairsemées (chênes verts, pins d’Alep, genévriers) face à l’importance de la steppe (cf. alpha). Alors que la surface agricole utile ne représente que 6 % de la surface totale, les pacages et parcours, terres traditionnelles collectives (« Arch »), en couvrent 80 %. 

Zooms d'étude

Le quadrillage des villages et petites villes : Tadjemout 

Physiquement, la région est constituée de deux zones bien distinctes : les hauts plateaux steppiques à caractère agro-pastoral-aflatier, l’atlas saharien à caractère sylvo-agro-pastoral. Face aux fortes contraintes d’un milieu semi-aride, cette région est traditionnellement peuplée et mise en valeur selon deux logiques différentes mais complémentaires.

 Les villageois sédentaires, regroupés en petits villages parfois fortifiés (ksour), vivent des cultures. Les surfaces des jardins irriguées sont limitées mais bien visibles (céréales, légumes, arbres fruitiers) grâce à la présence d’une source importante ou d’un oued au débit pérenne. Ces structures annoncent les oasis du désert plus au sud. Ce dispositif est entouré d’une zone périphérique de cultures sèches (céréales d’hiver, orge, blé dur) profitant des eaux de la saison froide.

On peut sur le document repérer ces villages ou petites villes. Tel El Ghicha (6 000 habitants, 8 hab./km2), bien identifiable au centre de la dépression centrale grâce à son étroit liséré de verdure. La petite ville de Tadjemout (24 300 habitants, 39 hab./ km2) se distingue sur le piémont oriental au centre-est de la carte. Très dense et de forme ovale, le vieux village est au bord de l’oued, mais suffisamment en retrait pour échapper aux inondations brutales et dévastatrices qui parfois balaient le large champ d’épandage des eaux qui s’étend à l’aplomb du vieux noyau. La croissance démographique, l’exode rural et la sédentarisation explique la croissance urbaine des dernières décennies, bien visible sur le document au nord du vieux bourg.

Le document témoigne surtout de la diversité, de la hiérarchie et de la complémentarité des trois grands terroirs composant le finage de la ville.
On distingue en premier lieu l’espace le plus densément mise en valeur, le plus productif et le plus riche, celui de l’oasis :  la verdure des minuscules parcelles irriguées entourées d’arbres dessine un étroit croissant en bordure de l’oued.
On distingue ensuite à l’ouest de la ville de vastes parcelles souvent longues et géométriques séparées par des fossés ou des talus. Nous avons là les marques des périmètres agricoles irrigués modernes, liés à la création de barrages. Le plus ancien, date ici de 1949 et assure l’irrigation de 800 ha. Il est en cours de restauration. Sa grande spécificité est qu’il capte les inféroflux, c’est-à-dire la nappe d’eau s’écoulant dans la profondeur des alluvions du lit majeur de l’oued.
On distingue enfin les très vastes étendues grises des zones sèches, les plus défavorisées. Ce sont les terres de parcours des troupeaux liés à une économie agro-pastorale très extensive.

Occupation humaine, mise en valeur, sédentarisation et désertification

La photo de petit noyau urbain d’Aïn Madhi (8 000 habitants, 4,5 hab./km2) au centre-sud, avec son vieux ksar bien visible entouré de jardins, vient nous rappeler les difficultés que rencontrent dans cet espace l’occupation humaine et la mise en valeur des territoires.

Historiquement, les Amours constituaient un vaste ensemble de tribus montagnardes semi-nomades spécialisées dans l’élevage pastoral valorisant les complémentarités entre chainons montagneux et piémonts périphériques. Ils déplaçaient leurs troupeaux (bovins, moutons, chèvres) sur d’assez courtes distances, en particulier dans la partie septentrionale du massif. Ils valorisaient ainsi de très vastes terrains de parcours d’estives au grès des opportunités puis hivernaient dans les dépressions du versant méridional du massif. Mais la conquête coloniale, la guerre d’indépendance de l’Algérie puis la modernisation du pays depuis l’indépendance ont largement contribué au déclin du nomadisme et à la sédentarisation progressive de ces populations.

Les effets de ces chocs sont d’autant plus marqués que la région, comme toute une large partie de la zone sahélienne, a été frappée par de grands cycles de sécheresses (cf. 1945/1947, 1970/1986). Sur le piémont sud de l’Atlas saharien, les taux de couverture des sols par la végétation sont tombés de 50 % dans les années 1950/1960 à 20 à 30 % seulement, traduisant une forte dégradation - quantitative et qualitative - du couvert végétal qui se replie dans les zones les plus humides. Ces processus de dégradations résultent de la combinaison de facteurs à la fois naturels (dégradation des sols, disparition du couvert végétal, ravinement et stérilité des sols…) et anthropiques (surcharge du cheptel, désorganisation des parcours de pacage, enjeux d’appropriation des anciennes terres collectives, défrichement des parcours par labours profonds mécanisés au profit d’une céréaliculture de faible rendement…).

En particulier, l’accroissement de la charge anthropique (hausse sensible de volume des cheptels : + 180 % entre 1955 et 1994) dépasse la capacité des milieux à se régénérer. Alors que la situation d’équilibre est évaluée à 0,25 tête à l’hectare (100 %), dans le massif du Debel Amour elle passe de 0,37 tête/hectare en 1955 (148 %) à 0,55 tête/hectare en 1987 (220 %) et 0,96 tête/hectare en 1994 (385 %). La pression anthropique sur les milieux est cependant spatialement fort inégale. En effet, du fait des processus massifs de sédentarisation ou de semi-sédentarisation des décennies 1970/1980, ce sont les espaces les plus proches des agglomérations et des points d’eau (rayon de 5 à 10 km) qui sont les plus touchés par la pression du surpâturage. Ainsi, à Aflou, la charge pastorale triple en passe de 0,39 à 1,22 tête à l’hectare entre 1897 et 1995, y traduisant donc une situation de très fortes tensions.

Ces facteurs s’inscrivent enfin dans un long processus de bouleversement et de déstructuration des institutions d’encadrement et de gestion des territoires agricoles et, surtout, pastoraux : éclatement des solidarités traditionnelles, appropriations individuelles des ressources rares (bons sols, eaux…) par les personnes les plus influentes, explosion des disparités sociales et montée des conflits d’usage. Face à ces dynamiques, le Djebel Amour est confronté à de multiples enjeux, en particulier socio-économiques et environnementaux, renvoyant à un nécessaire développement plus durable de ses territoires (opérations d’aménagement, restaurations réelles des milieux…).    

Aflou : un chef lieu régional cristallisant les contradictions

Située au nord-ouest du document, Aflou apparait comme une tache grise au milieu d’un parcellaire de verdure. Capitale régionale de la région du Djebel Amour, Aflou est la principale agglomération de la région (130 000 hab.) et la seconde de la wilaya de Laghouat, la préfecture. Elle est située à 1.400 m. d’altitude, ce qui en fait une des villes algériennes les plus élevées. Cette création urbaine coloniale à la fin du XIXem siècle s’explique par sa position de carrefour entre un axe nord-ouest/ sud-est reliant Ghardaïa et Laghouat (au sud–est) à Tiaret et Oran (au nord-ouest) et un axe sud-ouest/ nord-est reliant Béchar à Alger. Au plan économique, en dehors des activités de services publics (cf. nouvelle université) ou privés, l’agriculture et l’élevage y jouent un rôle important (vergers, céréales et légumes).

Ces dernières décennies, la ville a connu une forte croissance démographique du fait à la fois d’un solde naturel positif et d’un important phénomène d’exode rural.  Elle passe de 1 900 habitants en 1954 à 102 000 en 2008 et 131 000 en 2015. Comme l’illustre le document, la ville connaît une forte urbanisation : le vieux centre urbain est largement entouré aujourd’hui par de nouveaux quartiers résidentiels, en particulier au sud et à l’ouest. On y assiste aussi à la multiplication d’un habitat précaire accueillant les nomades les plus pauvres, oubliés de la modernisation, qui ont été contraints de vendre leur cheptel et sont en voie de marginalisation.

Documents complémentaires

M. Benslimane, A. Hamimed, W. El Zerey, A. Khaldi et K. Mederbal : « Analyse et suivi du phénomène de la désertification en Algérie du nord », Revue Vertigo, volume 8, numéro 3, décembre 2008.

Pour une bibliographie plus complète : L’Afrique du Sahel et du Sahara à la Méditerranée.

Contributeur

Laurent Carroué, Inspecteur général de l’Education nationale