20 Août 2021

[TRIBUNE] Mesurer le CO2, le rôle des ballons stratosphériques du CNES

Suite à la publication de la 1e partie du 6e rapport du GIEC, Laurence Monnoyer-Smith, directrice du développement durable et de la performance, nous propose une analyse détaillée du rôle des ballons stratosphériques dans la mesure du CO2.

Le 6e rapport du GIEC dont la 1ère partie vient d’être publié a provoqué un légitime émoi. Si la confirmation de l’impact anthropique sur l’augmentation des émissions de GES n’a pas de quoi nous surprendre fondamentalement, la rapidité avec laquelle nous atteignons les limites de concentration de gaz à effet de serre dans l’atmosphère susceptible de se traduire par une augmentation de la température de 1.5 degré, est l’une des plus mauvaises surprises du rapport. De 10 ans en avance sur les prévisions émises il y a 3 ans, ces nouveaux résultats sont issus des travaux assidus des scientifiques dont les mesures se multiplient sous toutes les latitudes.

Les efforts de la communauté scientifique et des Etats notamment se sont accrus ces dernières années pour l’acquisition de données très régulières. Celles-ci passent par des mesures in situ au sein de réseaux internationaux qui permettent un suivi depuis la fin des années 1950, progressivement élargi pour couvrir la totalité de la planète. En Europe, le réseau ICOS regroupe ainsi plus de 500 chercheurs de 17 nationalités pour organiser cette surveillance de l’évolution des concentrations de CO2, Méthane, et NOx en particulier. C’est l’analyse comparée de ces résultats qui permet d’affiner les prévisions et d’arriver au résultat que vient de nous synthétiser le GIEC.

Mesurer la concentration des gaz dans l’atmosphère

La communauté spatiale propose également des moyens spécifiques aux scientifiques pour enrichir leur connaissance du système terre et du cycle du carbone. Les missions Microcarb et Merlin du CNES et CO2M du programme européen Copernicus seront les premières en Europe à s’atteler à la tâche complexe de la mesure du CO2 et du méthane. Le premier, dont le lancement est prévu en 2022 va mesurer les flux de carbone à la surface entre les différents réservoirs que sont les océans, les forêts, les sols etc. Merlin de son côté disposera à partir de 2024 d’un instrument lidar qui émettra des tirs laser vers la surface terrestre et analysera le signal réfléchi pour en déduire la quantité de méthane présente dans l’atmosphère ainsi sondée, qu’elle soit d’origine naturelle (en zone inondée ou suite à la fonte du permafrost par exemple) ou anthropique (élevage, émanation de gaz naturel etc.). Le dernier, qui devrait être lancé en 2025 sera équipé d’un instrument différent, un spectromètre en proche et court infrarouge permettant la mesure du carbone d’origine anthropique. Ces satellites viendront compléter et prendre la suite d’OCO2, le satellite américain qui mesure depuis 2014 le CO2 présent dans l’atmosphère, et de GOSAT japonais dont l’instrument mesure également le méthane sans pouvoir distinguer néanmoins ce qui relève des émissions naturelles des émissions anthropiques.

Au-delà des mesures satellitaires dont la complexité instrumentale et le coût constituent d’importants freins au développement, la communauté scientifique s’appuie également sur une autre technique, moins connue, dont la France peut s’enorgueillir d’être une des plus experte au monde. Il s’agit des ballons stratosphériques embarquant des charges utiles jusqu’à 40 km d’altitude pour réaliser de nombreuses expériences allant de la mesure environnementale et climatique à des études d’observation de la voûte céleste, en passant par des analyses de réaction de tissus humain à l’exposition aux radiations cosmiques.

Depuis près de 60 ans, le CNES entretient ainsi une activité de vol aérostatique à vocation scientifique permettant d’évoluer dans différentes couches de l’atmosphère, trop hautes pour les avions, trop basses pour les satellites, avec une durée d’exposition des instruments plus longue qu’une simple fusée sonde. A ce jour, plus de 4 000 vols ont ainsi été réalisés dans ce cadre.

 

"La sortie du dernier rapport du GIEC nous a tous interpellés. C'est l'occasion pour moi de rappeler que les mesures de gaz à effet de serre dans l'atmosphère restent complexes et nécessitent une mobilisation conjointe des scientifiques et des agences spatiales. La campagne Klimat du CNES mobilise une technique peu connue du grand public et pourtant opérationnelle depuis 60 ans, celle des ballons stratosphériques. Leader mondial dans le domaine, le CNES vient ainsi en appui des équipes de recherche dans de nombreux domaines. Explications."

La campagne KLIMAT du CNES

La campagne KLIMAT réalisée en ce moment en Suède à Kiruna sur la base spatiale d’Esrange, 68° de latitude Nord, au-delà du cercle polaire, se focalise largement sur l’étude de la composition chimique de l’atmosphère, la mesure des gaz à effet de serre ainsi que des expériences de mesures radiatives. Pas moins de 17 instruments différents seront embarqués sur les 4 ballons stratosphériques ouverts opérés par les scientifiques présents sur le site. Ils réaliseront des mesures de CO2, CO, méthane, et autres gaz à effet de serre à différentes hauteurs de l’atmosphère. Une des techniques les plus intéressantes est celle du « carottage » de l’air qui permet de mesurer les concentrations de gaz dans l’atmosphère par captation d’échantillons à différents niveaux. C’est l’instrument Aircore qui réalise ainsi ces profils verticaux.

Cette campagne est enrichie par le lancement de 10 ballons légers dilatables dont l’enveloppe explose à 30km d’altitude laissant ainsi la nacelle redescendre lentement pour prendre des mesures de température, pression et humidité venant ainsi compléter les données accumulées pour améliorer les modèles de prévision du climat.

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Ballons principal et auxiliaire gonflés, la nacelle scientifique est sous le ballon auxiliaire Crédits : Stéphane Louvel

La technique du ballon stratosphérique nécessite une expertise particulière dont on comprend toute la complexité en regardant les équipes opérer. Celle utilisée par le CNES diffère de celle des suédois ou des américains réalisant des campagnes similaires. Elle s’appuie sur l’utilisation d’un ballon dit « auxiliaire » auquel est rattachée la nacelle contenant la « charge utile », autrement dit les instruments scientifiques. Ce premier ballon est gonflé à l’hélium pour emporter la nacelle de manière à la soulever au préalable et éviter tout frottement désastreux pour les instruments lors de l’élévation du ballon principal. Une fois que ce dernier entame son ascension, il prend le relais du ballon auxiliaire que l’on vide alors de son hélium par le biais d’un clapet situé à son sommet. L’ensemble de la « chaine de vol » est alors prêt à entamer son ascension stratosphérique.

L’autre technique, plus complexe, suppose d’attacher la nacelle à une énorme grue afin de la surélever avant la prise de relais par le ballon principal. Il est alors nécessaire d’aligner la grue avec le ballon principal, opération particulièrement exigeante, qui oblige souvent les équipes à réitérer plusieurs fois l’expérience avant d’obtenir un parfait alignement, selon l’orientation du vent au sol.

Une fois en l’air, le vol est suivi au sol grâce aux instruments de géolocalisation satellitaires. Sur la campagne Klimat, le vol dure de 5 à 10h, avant récupération du ballon et de la charge utile dans le nord de la Scandinavie. La trajectoire est estimée d’avance avec la précision qu’autorise la modélisation des vents par les ingénieurs météo du CNES présents sur place. L’utilisation du clapet au sommet du ballon et de billes de lest permet de maîtriser l’altitude et de respecter le profil du vol nécessaire à la bonne réalisation des expériences scientifiques.

Outre la sensibilité des instruments conçus pour fonctionner dans des conditions de profils de vols très particulières, c’est le maintien de leur intégrité dans les phases délicates de décollage et de récupération rapide qui constituent la difficulté de l’ensemble de l’opération. L’expertise des équipes du CNES dans le domaine est mondialement reconnue pour opérer dans des conditions parfois extrêmes, comme par grand froid (jusqu’à -40 lors des campagnes polaires passées à Kiruna) ou par fortes températures (à Alice Springs en Australie en 2017 par exemple). L’appétence des scientifiques pour les mesures par ballon apporte la preuve que cette activité reste nécessaire pour l’avancée des recherches dans de nombreux domaines, et en particulier pour l’étude du climat.

Réduire l’empreinte environnementale des vols ballons

Les scientifiques et le CNES ont à cœur de ne pas contribuer à l’aggravation des phénomènes qu’ils observent et se préoccupent aujourd’hui fortement de leur propre empreinte carbone et environnementale. Les chefs de mission cherchent ainsi à diminuer l’ensemble des postes contributeurs en émission de GES et travaillent à la réduction du recours à des matériaux potentiellement polluants. De nombreuses voies d’amélioration dans la conduite du projet, les matériaux utilisés, et les procédures sont déjà opérationnelles ou à l’étude.

Sur le volet conduite de projets, une analyse en cycle de vie a été introduite systématiquement de manière à identifier dans un premier temps les postes les plus émissifs (déplacement des équipes et du matériel notamment). Les choix des modes de transports sont ainsi évalués à l’aune des coûts induits dont ceux afférents aux émissions de CO2. Les équipements sont repensés pour entrer dans des containers faciles à charger, acheminés de préférence par voie maritime. Les campagnes de ballon sont souvent longues (environ 1 mois), et les déplacements sont limités : pas d’A/R sur place, mobilisation des équipes strictement nécessaires etc. A la fin de la campagne Klimat, un bilan carbone clair sera produit, ouvrant la voie à la mise en place d’un dispositif de compensation que le CNES prévoit de définir d’ici un an.

Qu’en est-il du plastique qui compose l’enveloppe des ballons ? Depuis 10 ans, sur 400 ballons, 50 ballons lourds représentant 45t de polyéthylène ont été récupérés ainsi que 300 ballons légers dilatables en latex (environ 300 kg). En revanche, 50 ballons longue durée « Strateole » ont été laissés dans la nature, devant l’impossibilité matérielle de les récupérer, soit 1,2t de polyester. Ce déchet devrait, d’ici 2024, être évité grâce au développement de la technique du ballon manœuvrant permettant l’atterrissage du ballon dans une zone accessible. Tous les ballons récupérés sont ensuite éliminés dans une déchetterie spécialisée agréée, et ramenés en France si les infrastructures locales ne répondent pas aux exigences réglementaires. Le ballon recyclable n’existe pas encore… mais de nombreuses composantes sont aujourd’hui réparées et réutilisées comme par exemple les nacelles, clapets, sangles, parachutes, etc.
En termes de déchets, le lest fait aujourd’hui également l’objet d’attention spécifique. Longtemps en plomb, les billes de lest sont en acier inoxydable et larguées dans la nature en quantité variable. Les équipes veillent à ne pas les dilapider, et la procédure de qualification pour la réutilisation du reliquat est en cours.

Enfin, l’hélium est un gaz quasiment inerte qui n’est pas considéré comme un gaz à effet de serre. Pour autant, sa production nécessite de l’énergie et il convient donc d’inviter les industriels (comme Air Liquide par exemple) à s’engager encore plus volontairement dans une production de gaz vert.

Ici à Esrange, tout le monde connaît, suit et contribue plus ou moins directement à l’amélioration de la connaissance scientifique sur l’évolution du climat. L’engagement de chacun passe aussi par la revisite de multiples gestes techniques, moins de matériau, d’énergie ou de plastique. Au cercle polaire où les effets du dérèglement climatique sont particulièrement visibles, chacun sait que chaque dixième de degré compte. Le CNES, expert, témoin, et acteur engagé poursuit ses efforts pour que l’amélioration de la connaissance ne soit pas un alibi à la procrastination environnementale

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