20 Mai 2022

[#60ansCNES] Un demi-siècle de lancements en Guyane

Ancien directeur du Centre spatial guyanais, Michel Mignot a vécu toutes les transformations de la base spatiale entre 1967 et 2003. Avant de devenir sous-directeur des développements sol du CNES, Frédéric Munos a œuvré sur toutes les installations depuis 1992. Le temps d’une conversation, ils croisent leur regard sur l’évolution des sites de lancement depuis 50 ans.
Vous avez consacré votre carrière aux installations de lancement. Dans quelles circonstances êtes-vous entré au CNES ?

Michel Mignot : J’étais un jeune ingénieur des Arts et métiers de 26 ans, animé par la passion de l’espace, à l’époque où le général de Gaulle avait lancé l’ambition de faire de la France la 3e puissance dans ce domaine. Il avait été décidé d’implanter la base spatiale en Guyane, jugée comme le meilleur emplacement au monde, et qui d’ailleurs le reste aujourd’hui. J’ai été engagé pour construire et assurer la mise en service de l’ensemble de lancement Diamant, permettant la première satellisation depuis le CSG en mars 1970. Ensuite, nous avons eu la chance de connaître de nombreuses évolutions dans les 25 premières années du CSG.

 J’ai ainsi été amené à mette en service tous les ensembles de lancement qui ont suivi : Europa 2 qui n’a connu qu’un lancement en 1971, puis les ensembles de lancement d’Ariane jusqu’à Ariane 5, ELA-1, ELA-2 et ELA-3, dont j’ai assuré également la conception.

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Michel Mignot en 1991, directeur du CSG Crédits : CNES

Frédéric Munos : J’ai évolué entre l’industrie (SNECMA) et le CNES dans les années 1990, avant d’être embauché au CNES en 2003, comme directeur de tir du banc d’essai des accélérateurs à poudre (BEAP) en Guyane, puis chef de service de la sous-direction sol en Guyane jusqu’en 2021, où je suis devenu sous-directeur des développements sol. Dans cette période, nous avons adapté les 2 tables de lancement A5 à l’ESC-A et assuré le maintien en conditions opérationnelles de l’ensemble de lancement d’Ariane 5. Le pas de tir de Soyouz a été développé et mis en service entre 2003 et octobre 2011, date du premier lancement Soyouz, fruit de la collaboration franco-russe au CSG. Dans le même, temps, la qualification du pas de tir Vega a conduit à un premier lancement le 13/02/2012. Les adaptations du BEAP, seul banc européen pyrotechnique permettant des tirs à feu verticaux, ont permis de qualifier au banc les moteurs P80 et P120 pour Vega et Ariane 6. Enfin, la construction de l’ELA-4, le pas de tir d’Ariane 6, a démarré en 2015, et il est en cours de qualification. 

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Frédéric Munos Crédits : CNES/Christophe Peus

Comment ont évolué les ensembles de lancement durant ces décennies ?

Michel Mignot : La conception d’un ensemble de lancement prend en compte de nombreux éléments : les caractéristiques du lanceur, le système de propulsion, l’assemblage, le coût, la cadence et l’intervalle entre 2 lancements, la résilience du site en cas d’accident… Depuis Diamant, ce sont ces éléments qui expliquent les choix fondamentaux qui ont été faits. Diamant et Europa 2 étaient déjà lancés respectivement depuis Hammaguir, en Algérie, et depuis Woomera, en Australie, donc nous avions peu de latitude pour la conception des ensembles de lancement, cependant l’ensemble de lancement Diamant était novateur et beaucoup plus intégré que celui du Sahara. L’échec d’Europa 2 en 1971 a entraîné l’arrêt de ce programme après un seul lancement, mais nous avons dû récupérer les installations toutes neuves pour le programme Ariane. C’est comme cela que nous avons conçu l’ELA-1, avec des contraintes énormes liées à l’adaptation du site. Ensuite, avant même le premier lancement d’Ariane, nous avons pensé une deuxième installation pour les évolutions du lanceur : cela a conduit à l’ELA-2, un site extrêmement performant que nous avons pu idéalement concevoir pour Ariane 4, avec 2 zones de préparation, un portique mobile et pour la première fois le transport du lanceur par voie ferrée. C’était vraiment un très bel outil qui a marché parfaitement pendant 119 lancements, durant lesquels Ariane était leader mondial des lancements de satellites. Et sans attendre, il a fallu préparer la relève pour un nouveau lanceur plus gros, et différent, avec 2 puissants accélérateurs à poudre et de grandes quantités d’ergols (hydrogène et oxygène liquides) pour le premier étage. C’est l’ELA-3 d’Ariane 5, conçu pour avoir une résilience extrêmement forte.

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Fusée Diamant sur sa table de lancement. Crédits : CNES

Frédéric Munos : Le schéma de l’ELA-3 répondait à deux paramètres principaux : assurer la meilleure résilience possible à un accident en zone de lancement (ZL) et pouvoir opérer des lancements fréquents, en disposant de 2 tables de lancement qui permettent d’assembler 2 lanceurs en parallèle. Le lanceur était entièrement préparé dans deux bâtiments et transféré dans la zone de lancement complètement nue, avec l’idée qu’en cas d’explosion, Ariane 5 pourrait redécoller très rapidement. Avec l’adaptation pour l’ESC-A, il a fallu ajouter en zone de lancement une tour d’avitaillement pour remplir l’étage supérieur du lanceur, ce qui a fait perdre le bénéfice de cette zone de lancement dépouillée. Pour les pas de tir suivants, nous avons raisonné différemment en prenant en compte le retour d’expérience de l’exploitation d’Ariane 5. Nous sommes revenus à des pas de tir à 2 zones pour Soyouz et l’ELA-4 d’Ariane 6, avec une zone d’assemblage du lanceur et sur la zone de lancement un portique mobile qui permet d’accéder au lanceur rapidement en ZL et de hisser la charge utile. Le critère de la résilience reste essentiel puisqu’un maximum de procédés sont enfouis sous la dalle principale du massif de lancement.

 Sur l’ELA-4, une autre évolution majeure est l’assemblage du lanceur à l’horizontale, et sa verticalisation sur la zone de lancement. Cela permet d’avoir un bâtiment d’intégration de moindre volume, et donc des coûts d’exploitation réduits.

La cadence est assurée par une durée très courte de la campagne de lancement en ZL, de l’ordre d’une semaine. On a aussi progressé sur le critère environnemental, avec notamment sur l’ELA-4 une station de traitement des eaux automatisée.

Avec les microlanceurs, c’est le site Diamant qui va reprendre du service…

Michel Mignot : J’en suis ravi ! La 1ère installation qui a repris du service est Europa 2, dont je me suis servi pour faire l’ELA-1, et qui a ensuite été retransformée pour accueillir Vega. Sur Diamant, la tour a été démantelée, c’était le premier contrat que j’avais passé lorsque je suis entré au CNES… Pendant des décennies, il y a eu une course à la masse, aujourd’hui, on revient à des lanceurs plus petits mais qui nécessitent plus de lancements, c’est une autre aventure.

 L’histoire continue, cela fait revivre des choses qui nous ont fait vibrer il y a 50 ans.

Frédéric Munos : C’est une évolution très intéressante, l’idée consiste à proposer à des start-up des solutions modulaires et adaptables pour lancer leurs lanceurs depuis la Guyane et de leur offrir les services dont elles ont besoin. Nous partons sur un principe de zone commune avec plusieurs zones de lancement pour opérer des microlanceurs variés. Il y aura une vraie polyvalence des installations avec 3 à 4 ensembles de lancement exploités dans le cadre de programmes européens, et des initiatives privées implantées sur le site berceau de l’activité spatiale européenne, qui est manifestement très attractif. 

Avez-vous des souvenirs qui vous ont particulièrement marqué ?

Michel Mignot : Le premier lancement d’Ariane dans la nuit de Noël 1979 a été quelque chose d’extraordinaire. Nous avions tenu le délai fixé, et sans ce succès, il n’y aurait pas eu de programme Ariane en Europe. Mais tous les sites sur lesquels j’ai travaillé m’ont marqué, c’est comme des enfants dans une famille, même si l’ELA-2 et l’ELA-3, sur lesquels nous avons pu faire ce que nous voulions, sont 2 bébés impressionnants !

Frédéric Munos : Ce qui m’impressionne toujours, c’est la cohésion d’ensemble du système et la capacité à faire converger l’ensemble des développements nécessaires au H0 du premier lancement, après des années d’efforts. Il faut imaginer que l’on part d’un piquet planté dans le sol, et que 7 ou 8 ans plus tard, on voit partir du même endroit un lanceur de plusieurs centaines de tonnes. Le fait de le réaliser avec toute l’Europe est de plus un gage d’aventure extraordinaire. Ensuite, le fait de rendre pérenne l’exploitation d’un pas de tir est aussi une performance.

 Quand je vois Ariane 5 mise en œuvre sur ELA-3, au sein duquel je vis depuis 1992, je suis frappé par la qualité des installations, leur opérabilité et leur fiabilité.

Chaque chronologie est la démonstration du niveau de professionnalisme de ce que l’on a développé, ajusté, adapté pendant 30 ans. Tout est fait pour atteindre le même résultat avec Ariane 6.

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