Published on March 27, 2025

DORIS en Antarctique : journal d’une mission pas comme les autres (2/3)

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Vincent Garcia, ingénieur stations au CNES, s’est rendu fin 2024 en Antarctique pour renouveler les équipements du système de balises DORIS. Une véritable aventure qu’il livre à la première personne.

© Vincent Garcia

Jeudi 26 décembre 2024

La tradition lors d’une traversée, c’est de présenter son métier ou ses recherches au reste des passagers et de l’équipage. Aujourd’hui, c'est Rémi qui nous a exposé les missions et les défis à venir pour l'Institut polaire français. Ses explications, comme les autres, permettent à tous de découvrir les activités de chacun, et aussi nos points communs. C’est très enrichissant.

© Vincent Garcia, Nancy C. Ross/Getty Images

Dans quelques jours, ce sera mon tour de présenter le CNES et mes activités, notamment pour les balises DORIS. Les données DORIS sont utilisées pour suivre depuis plus de 30 ans la hauteur des mers, des océans et maintenant des lacs et des rivières avec le projet SWOT. On s’en sert aussi pour la géodésie : c'est la science qui étudie les dimensions et la forme de la Terre, ainsi que son champ de pesanteur.

Côté vie sur le bateau, je n’ai pas du tout été malade et j’en suis très content. Ça me permet de profiter du paysage et de la vie à bord. Celle-ci s’organise autour des repas, des moments de lecture, des parties de cartes et de la soirée cinéma dans le salon des passagers. Pour les cartes, c’est la belote coinchée qui fait fureur : en deux jours, les paires de joueurs sont établies. Jusqu’ici, les parties ont été serrées et les victoires m’ont souvent échappé à la fin. Je me rattrape bien quand il faut commenter les plis et refaire la partie !!

Les soirées cinéma s’enchaînent et je retiendrai seulement l’excellent Comte de Monte-Cristo avec Pierre Niney.

Enfin, nous avons croisé la route des bateaux du Vendée Globe aujourd’hui ! Les probabilités d’en voir un étaient très minces… Nous sommes maintenant bien trop bas et nous faisons cap à 190° Sud.

Dimanche 29 décembre 2024

On va arriver demain ! Hier soir, samedi, c’était soirée pizza sur L'Astrolabe.

Ce matin au réveil à 6h, la passerelle nous annonce que les premiers icebergs sont en vue. Le spectacle est magnifique, il y a plusieurs nuances de bleu, notamment celle de l’eau qui se reflète à la base des icebergs.

© Vincent Garcia

Depuis deux jours, le rythme a ralenti car il y a une nouvelle avarie sur le bateau et les mécanos travaillent sans relâche pour réparer et essayer de corriger le problème.

L’impact sur la durée de la mission n’est pas encore connu exactement, mais le temps passé sur place sera raccourci dans tous les cas. Pour ne rien arranger, une tempête de vent et de neige nous attend à Dumont d’Urville, elle devrait durer deux ou trois jours et probablement qu’on ne pourra pas travailler dehors. 

Ça fait maintenant un an et demi que j’ai commencé à préparer la mission avec Coline de l’Institut polaire, tout ça a été envisagé. J’avais compté un minimum de cinq jours de travail au total avec onze jours sur place. Je vois la marge se consommer de jour en jour, mais je reste confiant : il fait jour 24/24h et les week-ends sont travaillés sur place quand c’est nécessaire.

Nous passons beaucoup de temps avec l’équipage et les marins sont très curieux de découvrir nos activités. À l’inverse, ils sont très abordables et répondent avec plaisir à nos questions sur leurs activités. Ils font un métier particulier avec beaucoup de temps passé en dehors de chez eux. Moi qui pensais voyager beaucoup, ça me fait relativiser car ils partent souvent plusieurs mois loin de leurs familles et de leurs enfants.

Lundi 30 décembre 2024

Arrivée sur la station. 

Ça y est, nous arrivons enfin après un voyage de 10 jours ! Je marche enfin sur la terre ferme. D’ailleurs, j’ai le mal de terre, je me sens vaciller, alors que sur le bateau je n’avais eu pratiquement aucun effet.

Le DISTA nous accueille : c’est le diminutif pour chef de district de la Terre Adélie. Il représente la préfète des Terres australes et antarctiques françaises. Les hivernants nous font découvrir la station sur laquelle ils viennent de passer près d’un an, la relève arrive bientôt pour eux

La station est installée dans la manchotière : 45 000 couples de manchots Adélie sont présents dans l’archipel de Pointe Géologie. La première règle à respecter c’est qu’ils ont la priorité, on doit les laisser passer quand il se déplacent !!

© Vincent Garcia

Nous nous installons ensuite dans nos chambres. Je suis dans le dortoir Hiver, proche du bâtiment Séjour. Nous avons des chambres de deux et je la partage avec François qui sera le plombier chauffagiste de la station pendant 1 an. Deux lits superposés et un bureau chacun, nous avons une vue superbe sur l’anse du Lion.

En début d’après-midi, il faut absolument que j’installe un matériel avec son antenne GNSS.

Ça fait 3 ans qu’on travaille à Toulouse pour développer cet équipement qui va recevoir les signaux GPS et GALILEO. Nous aurons ainsi une référence de temps avec une précision de quelques nanosecondes.

À partir de cette nuit, la tempête de vents catabatiques est annoncée. C’est un vent très intense et particulièrement froid qui descend de la calotte polaire.

Juste après le repas, je me dépêche de rejoindre le bâtiment Chantal. En arrivant, je découvre pourquoi ce bâtiment porte ce nom, un discours de l’inauguration est affiché dans le bâtiment : Chantal est un sismologue de Strasbourg qui a travaillé au traitement des données sismologiques de la terre Adélie. En 1988, il y a eu un baptême du bâtiment en son honneur.

Je monte sur le toit pour fixer l’antenne GNSS, puis j’installe dans le bâtiment l’équipement de référence de temps et de fréquence pour la balise DORIS. Grâce à ce dispositif, le positionnement est précis : on est à quelques millimètres près sur une année ! C’est le premier équipement de la rénovation, il va maintenant se calibrer avec sa nouvelle localisation géographique pendant deux ou trois jours.

Ensuite, il me encore restera à installer 150 kg de matériel, des serveurs, le coffret d’émission DORIS, des commutateurs réseaux.

Tout ce matériel était parti bien avant moi : il avait été envoyé à Brest au cours du mois de juin, puis l’Institut polaire s’est chargé de son envoi par bateau depuis Le Havre, pour finalement arriver à Hobart en Tasmanie !

Mardi 31 décembre 2024

La tempête souffle aujourd’hui ! 

Je n’ai pas beaucoup dormi cette nuit, car le bruit du vent sur le bâtiment, les vibrations des murs et les sifflements m’ont tenu éveillé ! C’est la première fois que je ressens une tempête avec une telle intensité.

Je travaille en haut de la base dans le bâtiment Chantal, je poursuis mon installation, l’accès est compliqué : il faut marcher en se tenant à un chemin de cordes. C’est un chemin sur lequel on se déplace de caillou en caillou et avec les rafales de vent, l’équilibre est précaire. 

© Vincent Garcia, Cédric Corre

Le long du chemin il y a des manchots, devant, à droite et à gauche. Ils sont partout !

La tempête est annoncée pour trois jours, avec des vents jusqu’à 140 km/h. J’envisage maintenant de faire mon installation à l’extérieur à partir de jeudi, il va falloir profiter le plus possible de la fenêtre météo ! Car une autre tempête est prévue ensuite, de la neige soufflée cette fois.

En fin de journée, à 17h30 en Antarctique, il est 8h30 à Toulouse. Je fais quelques essais avec mon collègue Jean-Pierre pour valider les premières modifications que j’ai pu réaliser. Les premiers essais sont bons. On va se contacter tous les soirs maintenant.

Jeudi 2 janvier 2025

Après une bonne soirée déguisée de réveillon sur le thème des pirates, le réveil n’est pas vraiment matinal. Surprise ce matin quand je consulte mon WhatsApp, ma sœur m’a envoyé un article de France Info qui parle de la soirée pirates à DDU !! En fait, la médecin qui a passé déjà un an sur la base participe à un podcast avec France Info.

Bon, je reprends mon installation. Il neige aujourd’hui, mais le vent a faibli. Tous les scientifiques ont besoin d’un coup de main du personnel de la base, donc on fait tous la queue pour avoir de l’aide pour nos installations et on patiente ! Un mécano doit venir me voir pour fixer un pilier métallique dans le sol et un boîtier météo sur le toit du bâtiment Chantal.

Rien n’est simple en Antarctique !

© Vincent Garcia

C’est finalement Stéphane qui intervient. Nous échangeons sur nos métiers respectifs et je lui explique rapidement la finalité du système DORIS. Stéphane est venu plus de 10 fois en campagne d’été à DDU, mais il a aussi fait un hivernage à Concordia. C’est la station cogérée par l’Institut polaire et le PNRA Italien au cœur du continent et où l’ESA a des projets scientifiques, elle est encore plus isolée que DDU ! Il est chaudronnier, mais pas que : il faut être polyvalent ici. C’est sa soif d’aventure du bout du monde qui le fait revenir depuis de nombreuses années.

Le lendemain c’est un électricien, Sylvain, qui viendra me donner un coup de main pour passer les câbles entre le bâtiment et les équipements que je vais installer à l’extérieur de Chantal.

Vendredi 3 janvier 2025

On touche au but !

C’est aujourd’hui que je vais pouvoir finir le câblage de l’ensemble des équipements. Si tout se passe bien, je pourrai relancer l’émission de la balise DORIS et nous aurons tout le week-end pour observer à bord des satellites si ça marche correctement. Il y a presque dix satellites en vol en ce moment qui embarquent l’instrument DORIS.

© Vincent Garcia

Ce matin, nous étions cinq à l’intérieur du petit bâtiment Chantal. En plus de moi, il y a l’installation d’une caméra qui servira à observer les aurores australes. Il y avait aussi des techniciens de l’Institut polaire français pour s’occuper du matériel de sismologie. Et l’électricien qui donne un coup de main à tout le monde.

Vers 17h, l’installation est terminée et je peux enfin démarrer les équipements. Je vous l’accorde, j’ai soufflé un peu : je suis parti de chez moi le 19 décembre et nous sommes le 3 janvier, je n’ai pas l’habitude de faire de mission aussi longue !

À Toulouse, l’équipe DORIS surveille au quotidien l’ensemble des balises du réseau DORIS et jette un œil particulier sur la balise de Terre Adélie. Pendant la soirée, je reçois un message WhatsApp m’indiquant que la balise est bien reçue à bord des satellites d’altimétrie.

Maintenant, nous attendons d’avoir 24 à 48 heures de mesures à bord pour conclure que tout est OK.

À suivre...

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