Le 3 novembre dernier, un tremblement de terre de magnitude 6,3 a touché le nord de l’Afghanistan, causant une trentaine de morts et des centaines de blessés. Immédiatement, l’instance spatiale des Nations unies, l’UNOSAT, déclenchait l’activation de la Charte internationale « Espace et catastrophes majeures ». En moins de deux jours, 350 images provenant de satellites programmés sur la zone étaient disponibles, permettant d’évaluer les destructions et de produire des cartes de situation pour faciliter les opérations de secours.
Il s’agit de la 1000e activation de ce dispositif de coopération réunissant 17 agences spatiales, créé à l’initiative du CNES et de l’ESA en 1999 pour répondre aux situations d’urgence. Depuis 2012, tous les pays du monde peuvent bénéficier de cette solidarité spatiale, que ce soit à leur demande, à celle d’un pays tiers, ou à l’initiative de l’ONU, aujourd’hui à l’origine de près de la moitié des activations. Les catastrophes majeures concernent principalement des catastrophes « naturelles » comme les inondations (environ la moitié des cas), les tempêtes (15%), les glissements de terrain provoqués par des pluies diluviennes (10%) et les grands feux en période de sécheresse (7%). De manière plus marginale, la Charte est activée à la suite de catastrophes d’origine industrielle ou technologique, telle que des marées noires, ou, en 2020 les explosions survenues dans le port de Beyrouth.
Une part significative des activations est liée à des phénomènes climatiques. Cela nous inquiète, car leur nombre augmente fortement. On le voit avec les événements de type cyclone ou ouragan, de plus en plus intenses, qui arrivent vite en catégorie 5 et font énormément de dégâts.
- Représente du CNES au secrétariat exécutif de la Charte
Réactivité et efficacité
Cette aggravation des catastrophes d’origine climatique se lit dans le nombre d’activations annuelles de la Charte, passé en quelques années de 40 à plus de 80. Il est d’autant plus pertinent de pouvoir s’appuyer sur une organisation capable de mettre en commun 270 satellites d’observation de la Terre, mobilisables à tout moment et en tout point du globe pour fournir des images à des équipes de cartographie rapide.
« Cette force internationale nous donne une grande réactivité : en fonction des situations, nous disposons d’images optiques ou radar quelques heures après la catastrophe, et quelques heures plus tard, des cartes légendées donnent des informations cruciales sur des bâtiments impactés, des routes coupées ou encore des rassemblements de population. Avec l’automatisation des processus et l’activation par Internet, nous gagnons de plus de précieuses minutes pour sauver des vies », explique Émilie Bronner.
Dans le cas de catastrophes annoncées par les prévisions météorologiques, comme les tempêtes, la Charte peut d’ailleurs être activée par anticipation, de manière à disposer d’images dès le passage de l’œil d’un cyclone et à être opérationnel très rapidement. Cela s’est encore produit fin octobre à l’occasion de l’ouragan Mélissa qui a frappé les Caraïbes, donnant lieu à plusieurs activations simultanées en Haïti, en Jamaïque, en République dominicaine et à Cuba.
Vision globale et détails infimes
Depuis la création de la Charte, il y a 25 ans, le spatial est devenu encore plus incontournable pour la gestion de l’urgence. L’observation par satellite donne le recul nécessaire pour repérer l’étendue des dégâts de manière globale, y compris dans les zones les plus inaccessibles, sans mettre de personnels en danger sur le terrain, et avec la possibilité de comparer des images avant et après la catastrophe. De plus, les technologies spatiales ont fait des progrès spectaculaires. La résolution des images atteint aujourd’hui un niveau de précision qui permet d’identifier des détails comme des dommages sur un pont ou une route. C’est le cas par exemple des satellites Pléiades, les plus utilisés dans le cadre de la Charte, qui fournissent des images avec une résolution de 50 cm.
Un autre aspect notable au long de ce quart de siècle est la préservation d’un espace humanitaire commun qui parvient tant bien que mal à s’affranchir des tensions géopolitiques. Au sein de la charte, les principales nations spatiales continuent à coopérer, en dépit des crises internationales et des conflits.
L’implication du spatial français
Depuis l’origine, le spatial français est particulièrement impliqué dans ce dispositif de solidarité internationale, notamment au travers des satellites optiques SPOT, Pléiades et Pléiades Neo. Cofondateur de la Charte avec l’Agence spatiale européenne (ESA), le CNES y joue un rôle important, et en assure pour la 7e fois la présidence tournante depuis le 8 octobre, pour une durée de 6 mois. C’est également le cas du SERTIT, service de cartographie rapide de l’Université de Strasbourg, qui transforme les images satellites brutes en information géographique exploitable. La structure remplit deux missions principales dans le cadre de la Charte. Plusieurs fois par an, elle est responsable d’activations de la Charte et, à ce titre, coordonne les demandes de programmation des satellites et la production de valeur ajoutée et gère les échanges avec les services de sécurité civile sur le terrain.
Dernièrement, nous avons coordonné l’activation de la Charte en Jamaïque pour l’ouragan Mélissa. Il a fallu définir les zones d’intérêt prioritaires avec les utilisateurs finaux, mobiliser les satellites les plus pertinents pour l’observation des dommages et organiser la production de valeur ajoutée par les différents opérateurs s’étant portés volontaires, le tout en un temps très contraint, afin de fournir aux autorités un support d’aide à la décision en période de crise.
- Correspondante du service de cartographie rapide du SERTIT pour la Charte internationale « Espace et catastrophes majeures »
Le SERTIT, opérateur historique de la charte, intervient également sur une trentaine d’activations de la Charte par an pour analyser les images satellites événementielles et produire en quelques heures des cartes de dommages utiles pour l’organisation, le dimensionnement et l’orientation des équipes sur le terrain. « Tout se joue très vite en période de crise, nous nous engageons à fournir les premiers produits de valeur ajoutée 6 heures après la réception d’images exploitables », décrit Stéphanie Battiston. Là encore, la durée de mobilisation dépend de la crise. En décembre 2024, une dizaine de personnes se sont ainsi relayées en permanence pendant 10 jours pour cartographier les dommages subis à Mayotte après le passage du cyclone Chido. Cette fois-là, comme lors des 1000 autres activations, cette mobilisation de tout le spatial a permis de venir en aide à des personnes en situation de détresse. Et c’est bien là toute la philosophie de la charte.
Cospas-Sarsat, coopération mondiale pour les secours d’urgence
L’observation de la Terre sauve de nombreuses vies, le positionnement par satellite aussi. Le programme international Cospas-Sarsat, dont le CNES est l’un des principaux animateurs en France, réunit 45 États et organisations dans un maillage mondial de balises de détresse connectées à une soixantaine de satellites. Environ 3,1 millions de balises sont déployées dans le monde, principalement sur des bateaux, à bord des avions et portées par des personnes qui se déplacent dans des zones sans couverture téléphonique. En cas d’émission d’un signal de détresse, le système opérationnel en permanence localise et identifie la balise en temps réel et déclenche l’envoi de secours en quelques minutes. En 45 ans, plus de 60 000 personnes ont ainsi été secourues grâce à Cospas-Sarsat, dont 70% en mer.