Dans l’ouest de l’aire métropolitaine de Washington, au bout du Dulles Technology Corridor, se trouve la Data Center Alley. Elle s’étend sur les comtés de Loudoun et de Fairfax, en plein boom démographique et immobilier, appartenant au NoVa (Northern Virginia). Avec 350 centres de données de très grande puissance, c’est le premier pôle mondial de stockage et de traitement des données numériques, alors que les États-Unis contrôlent plus de 60 % de la puissance mondiale. On y trouve aussi, par exemple, le siège de l’Internet Society ou l’un des principaux sites de la Wikimedia Foundation. C’est donc un levier majeur d’affirmation et de défense de l’hégémonie mondiale des États-Unis au cœur du cyberespace et de la bataille de l’intelligence artificielle, en particulier face à la Chine ou à l’Europe. Organisé par les GAFAM, ce petit territoire cristallise les rapports de domination actuels ; il y a en effet de fortes probabilités qu’il accueille une partie notable des 70 % des données numériques françaises et européennes abritées aux États-Unis.
Présentation de l'image
Du Dulles Technology Corridor à la Data Center Alley : un territoire de l’innovation, du pouvoir et des GAFAM
L’Ouest de l’aire métropolitaine de Washington : au cœur du pouvoir, du complexe militaro-industriel et de l’Internet
L’image est centrée sur l’aéroport international Dulles qui dessert l’aire métropolitaine de Washington. A seulement 40 km de la capitale fédérale, nous sommes là dans sa grande banlieue. Sa construction entre 1958 et 1962 va largement bouleverser les dynamiques économiques et urbaines d’un région alors encore très rurale et agricole. Comme l’indique l’image, cet espace est aujourd’hui presque entièrement urbanisé, quadrillé de voies rapides et doté de vastes zones d’activités. Seuls les angles nord-ouest et sud-ouest demeurent marqués par un paysage rural et agricole, cependant en plein bouleversement.
L’émergence du Dulles Technology Corridor - le long des Virginia State Route 7 et 267 entre Arlington, Tysons Corner, Reston, Herndon, Sterling et Ashburn - s’appuie sur la concentration exceptionnelle dans un espace restreint du pouvoir politique, du complexe militaro-industriel et de l’innovation de la première puissance mondiale. On trouve en effet dans le District de Colombia, le comté d’Arlington puis les Comtés de Fairfax et Loudoun un nombre majeur d’acteurs de premier rang comme les directions des grands Ministères et agences fédérales (Pentagone, CIA, NSA, NGA, FBI, NIST, FAA, TSA...), les sièges sociaux ou les sièges régionaux du gotha de l’armement ou des nouvelles technologies (Amazon, Boeing, Booz Allen Hamilton, DynCorp, General Dynamics, GeoEye, Iridium Communications, Northrop Grumman, Orbital ATK, Raytheon, SAIC...).
Les grandes agences de sécurité des Etats-Unis - soit la CIA, le Pentagone, et la NSA, l’une des grandes agences de renseignement – font de plus en plus appel aux champions du cloud – Amazon, Google, Microsoft et Oracle - pour stocker dans des sites ultra-sécurisés leurs informations ultra-sensibles avec des plans d’investissements pluriannuels de dizaine de milliards de dollars (cf. dec. 2022 « Joint Warfighting Cloud Capability » JWCC pour 9 milliards de dollars du Pentagone). Ce lien symbiotique entre agences gouvernementales et GAFAM est aujourd’hui symbolisé par la localisation de sites dédiés spécifiquement aux services gouvernementaux : ainsi, la firme Oracle dispose à Ashburn de quatre sites stratégiques de premier plan : l’US East ouvert en 2017, l’US Langley I pour la CIA en 2018, l’US Gov Ashburn 1 et l’US DOD East en 2019.
Un territoire au cœur de l’Internet mondial
C’est dans ce contexte structurel que dès les années 2000/2010, la région se place au cœur de la révolution de l’internet. On trouve à Herndon, à 8 km à l’est d’Ashburn, le siège de Network Solutions, qui assure la gestion du registre des noms de domaine de l’Internet et qui est reprise par VeriSign. Localisée à Reston, à 10 km à l’est, VeriSign est l’un des principaux exploitants mondiaux de la vaste infrastructure du réseau internet mondial (serveurs racine du DNS...). Dès 2009, plus de la moitié de l’ensemble du trafic internet des Etats-Unis transit par le NoVa.
C’est toujours à Reston que se trouve aujourd’hui le siège de l’Internet Society (ISOC), une société de droit étasunien à vocation mondiale fondée en 1992 qui joue un rôle majeur dans la gouvernance de l’Internet. De même, la Wikimedia Foundation, dont le siège est en Californie et qui gère l’encyclopédie en ligne Wikipédia, à son principal centre de données depuis 2010 à Ashburn dans un centre de colocation de la firme Equinix. Les six autres sont au Texas, à San Francisco, Amsterdam, Singapour, Marseille et Sao Paulo.
Le 20 octobre 2025, la panne du Cloud d’AWS Amazon liée à une défaillance de serveurs localisés dans un centres de données de Virginie a touché nombreux services : jeux vidéo (Roblox, Battlefield et Brawl Stars... ), applications en ligne comme Snapchat, Fortnite, services bancaires (service de paiement en ligne Venmo, banque britannique Lloyds), location de logements Airbnb, forum communautaire Reddit, Zoom de visioconférence, start-up de l'IA Perplexity, plateforme de vidéos Netflix... Ce fait témoigne de l’étroite dépendance du monde, en particulier de l’Europe, aux infrastructures des géants de la tech américaine de la Data Center Alley. Les liens de dépendance, d’influence et de domination tissés avec le reste du monde sont écrasants. Ainsi, 80 % des dépenses réalisées en Europe - un marché de 330 milliards d’euros par an (Cigref, 2025) - partent aux Etats-Unis, du fait en particulier du rôle incontournable d’AWS-Amazon (30 %), Microsoft Azure (21 %) et Google Cloud (14 %). 70 % des données numériques françaises sont hébergées outre-Atlantique.
Une infrastructure de réseaux de fibre optique précoce, robuste et exceptionnelle
Historiquement, la région du NoVA est un laboratoire grandeur nature des premiers réseaux internet étatsuniens et donc mondiaux. Dès la fin des années 1960, l'Agence militaire pour les projets de recherche avancée (ARPA), basée à Arlington, a créé l’ARPANET, un réseau de transfert d'informations par paquets entre le Pentagone et les principales universités qui va se transformer en un réseau de réseaux annonçant l’internet. Dès 1992, un groupe de fournisseurs (Alternet, PSINet, Sprint-ICM) interconnecte leurs réseaux avec le Metropolitan Fiber Systems pour former en 1998 le Metropolitan Area Exchange-East - MAE-East dont les points d’échange Internet sont situés à Ashburn, Reston et Vienne (Virginie). Ces réseaux TCP/IP et ces points d'échange favorisent la vitesse et la connectivité globales du réseau, des facteurs déterminants pour les transferts de données à haut débit et à volume élevé. Dès la fin des années 1990, le NoVa s’avère donc particulièrement attractif comme en témoigne l’arrivée d’America Online (AOL), Verizon, Yahoo, Orbital Sciences, UUNET/WorldCom ou Telos, puis Digital Realty et Equinix (1998).
La Data Center Alley bénéficie donc aujourd’hui d’un réseau de fibres optiques parmi les plus denses au monde qui donne accès à de nombreuses boucles redondantes, terrestres et sous-marines, et à des opportunités de connexion croisée offrant un accès aux entreprises et aux FAI aux échelles régionale, étasunienne et mondiale. Des facteurs d’efficacité et de sécurité. La proximité avec plusieurs points d'échange Internet permet en particulier aux fournisseurs de colocation d'être physiquement plus proches des grands fournisseurs de cloud et de données.
Cette infrastructure de pointe est complétée par des câbles sous-marins. A l’est, le Digital Port littoral de Virginia Beach sert en effet de point d’atterrissement à quatre grands câbles sous-marins transatlantiques vers l’Europe, le Brésil et l’Afrique du Sud, comme Dunant de Google (France, St Hilaire de Retz) qui est le plus puissant câbleau au monde lors de son ouverture en 2021, Marea de Microsoft/ Facebook (Espagne, Bilbao) ou Brusa de Telxius (Brésil, Fortaleza et Rio).
Un territoire au cœur de la domination mondiale des GAFAM : l’essor spectaculaire des centres de donnés
La Virginie est 1er pôle étasunien et mondial avec l’accueil de 564 centres de données gérés par 83 entreprises, dont 155 pour AWS Amazon. Dans cet État, l’essentiel est polarisé sur le NoVa (North Virginie) qui accueille 474 sites.
L’essor des centres de données dans la Data Center Alley repose donc sur la conjonction d’un certain nombre de facteurs de localisation qui font système : la proximité avec le pouvoir politique, militaire et économique, un équipement précoce en réseau internet de haute qualité, les stratégies fiscales des collectivités territoriales, une main d’œuvre bien formée, un prix de l’électricité relativement bas fourni par la Dominion Virgina Power, l’eau du fleuve Potomac et un foncier abondant et longtemps abordable.
En 2025, le comté de Loudoun compte 199 centres de données couvrant 10,3 millions m2 de surface, alors que 117 sont en construction ou en projet. On assiste en particulier au boom des centres géants – les hyperscales - de plus de 18 500 m2 dans de vastes campus de plusieurs centaines d’hectares multi-bâtiment abritant plus de 5 000 serveurs et atteignant parfois les 33 m de hauteur. Aujourd'hui, la puissance installée dépasse celle cumulée de Dublin, Londres, Francfort, Amsterdam, Singapour et Sydney réunies. Le Comté compte ainsi aujourd’hui plus de 4 000 groupes électrogènes, qui assure la sécurité de l’alimentation des centres de données et cas de panne de l’alimentation électrique et qui doivent être contrôlés chaque mois.
Ces mutations techniques et urbaines sont le reflet de deux décennies de bouleversements majeurs. Le secteur est en effet passé d'un marché de colocation classique d’activités externalisées par les entreprises logées dans des sites aux capacités relativement limitées au cloud computing et à l’Intelligence artificielle qui exigent une gamme complète de services et des infrastructures cloud sur mesure dominées par les GAFAM comme Google (Gmail, Google Drive, Google Maps, Search et YouTube...), Microsoft (Bing, Microsoft 365, Microsoft Teams, LinkedIn, Skype...), Meta (Facebook, Instagram, Messenger, Threads, WhatsApp…) ou AWS Amazon.
Les hyperscalers comme AWS Amazone (1er rang mondial), Microsoft Azure (2em) et Google Cloud (n°3) s’appuient sur un verrouillage systématique de l’innovation, sur la construction de vastes écosystèmes intégrés et cadenassés afin de se constituer des rentes technologiques et commerciales protégées par des barrières d’entrée infranchissables. Avec 1 000 data centers hyperscales, que l’on retrouve pour partie dans la Data Center Alley, AWS, Mirosoft et Google contrôlent 41 % de la capacités mondiale des centres de données. La région accueille le siège de plus de 35 zones de disponibilité cloud distinctes, essentiellement des GAFAM (régions East US et East US-2 de Microsoft Azure, US-EAST-4 de Google Cloud). Ce qui lui confère un pouvoir de polarisation et d’organisation inégalé. Par exemple, la région US-EAST-1 d'AWS Amazon d’Ashburn est la région cloud la plus utilisée au monde.
Comme le montre bien les images, ces acteurs étendent leurs campus afin d’offrir de nouveaux moyens : AWS renforce la densité de calcul du campus abritant sa zone US-EAST-1, tout comme Microsoft Azure renforce (puissance, refroidissement, connectivité en fibre optique) son site zone US-EAST-2. De même dans la colocation, Equinix et Digital Realty investissent massivement afin d’assurer à leurs clients un déploiement plus efficace (temps de latence...) des modèles d’Intelligence artificielle.
Les tensions sur une ressource rare : l’électricité
Localement et régionalement, ce processus se traduit par une explosion des besoins électriques dans une activité particulièrement énergétivore. Dominion Energy fournit de l’électricité à une grande partie de la Virginie, dont 20 % sont consommés par les centres de données en exploitant un vaste parc réparti entre la Caroline du Nord, la Virginie et la Virginie occidentale. Mais elle est de plus en plus contrainte d’acheter des ressources (22 % de ses besoins en 2023) à l’extérieur sur le marché à prix fort. Aujourd’hui, elle renvoie à l’État fédéré de Virginie à ses responsabilités politiques.
Au cours des dernières années, l’entreprise a connecté 70 nouveaux centres, ce qui équivaut à alimenter 650 000 foyers supplémentaires. Entre 2013 et 2025, Dominion Energy a raccordé en moyenne au réseau 15 nouveaux centres de données par an. Afin de répondre aux besoins, la société doit renforcer des réseaux à travers la construction de nouvelles lignes et stations électriques. Comme l’indique le document, un des principaux projets est la réalisation d’une boucle de fiabilité dans le Comté de Loudoun. Cette nouvelle ligne de transport de 500/230 kilovolts (kV) autour d'Ashburn est présentée sous la forme de trois itinéraires potentiels mis en débat.
Les incitations fiscales : la stratégie volontariste de l’État fédéré de Virginie et des collectivités locales
Dès 2009, et ce jusqu’en 2035 au moins, la Virginie met en place une politique d’exonération fiscale avantageuse : exonération de la taxe de vente et d'utilisation des équipements (serveurs, générateurs, refroidisseurs et équipements liés aux serveurs) et déductibilité des coûts de recrutement et de formation des nouveaux emplois. La Virginie évalue à 1,7 milliard de dollars le montant cumulé des exonérations fiscales concédées entre 2014 et 2023 aux centres de données, soit environ 40 % de ces incitations fiscales totales. En 2022, les centres de données rapportent 640 millions de dollars d’impôts à l’État de Virginie et un milliard de dollars aux collectivités locales.
En 2024, la CCAEL de Virginie évalue à 9,1 milliards de dollars la contribution annuelle des centres de données au PIB de l’État fédéré. Le secteur occupe 74 000 emplois qui représentent 5,5 milliards de dollars de revenus du travail par an. Pour autant, ces emplois sont majoritairement temporaires, car liés au bâtiment et aux travaux publics en raison des nombreux chantiers en cours ; l’emploi permanent dans les centres de données en fonctionnement restant, pour sa part, très réduit, à quelques dizaines de postes (secrétariat de gestion, maintenance de base, sécurité armée surtout). Pour autant, le gouverneur républicain de l’État de Virginie et ses services annexes (cf. Virginia Economic Development Partnership…) font des centres de données l’un des principaux axes de leur stratégie territoriale.
Les métamorphoses du comté de Loudoun et de la Virginie
Nous sommes sur les marges septentrionales du Vieux Sud virginien, en pleine mutation, ce qui explique la féroce bataille politique qui s’y déploie entre Républicains et Démocrates pour les élections nationales, fédérées et locales. De manière emblématique, la statue confédérée devant le palais de justice du comté est recouverte de peinture et de slogans hostiles avant d’être retirée en 2020.
Du fait de sa croissance économique et urbaine, ce comté attractif est passé de 368 000 à 445 500 habitants entre 2015 et 2025 (+ 21 %) ; les revenus de la population, de 26,6 à 46 milliards de dollars (+ 73 % en dollars courants), et le revenu médian par habitant, de 71 000 à 156 800 dollars, ce qui en fait l’un des plus élevés des États-Unis (74 580 dollars en 2024). Ces mutations expliquent la présence d’une population jeune et l’accès à une main-d’œuvre métropolitaine bien qualifiée (cf. techniciens en infrastructures critiques, gestion thermique, électricité…). Pour répondre à leurs besoins en compétences ou favoriser la montée en gamme des sous-traitants locaux, les GAFAM ou Digital Realty investissent dans la formation initiale et continue régionale.
Pour autant, le modèle de croissance adopté ces dernières décennies rencontre des difficultés croissantes : forte hausse des prix de l'immobilier commercial et résidentiel (prix moyen d'une maison : 983 625 dollars, + 12 % en 2023-2025), crise du logement, dualisme croissant du marché du travail, fort impact environnemental et paysager (nuisances sonores, interférences électromagnétiques, dégradation du cadre de vie), pression sur les ressources foncières, l’eau et l’électricité… Ainsi, du fait de l’augmentation significative des valeurs immobilières, l'assiette fiscale du comté a progressé de 19,5 % en un an pour atteindre 170,5 milliards de dollars. La valeur imposable des centres de données a bondi de + 79 %, passant de 23,7 milliards de dollars à 42,3 milliards de dollars, pour représenter aujourd’hui un quart des recettes fiscales totales et 50 % des recettes fiscales foncières du comté. Entre 2013 et 2026, ces recettes foncières sont multipliées par 13, passant de 60 à plus de 800 millions de dollars.
Face aux tensions sociales (résistance croissante des populations résidentes), foncières (explosion des prix) et énergétiques (allongement des durées de raccordement), les nouveaux projets — à la recherche d’une puissance électrique disponible et de terrains plus vastes — se diffusent ces dernières années dans un espace régional plus large, vers les comtés de Manassas, Fauquier, Sterling, Herndon ou Prince William.
Zoom 1. L’aéroport de Washington-Dulles : du Dulles Technology Corridor à la Data Center Alley
Situé à 40 km à l’ouest de la capitale fédérale et à cheval sur les comtés de Loudoun et de Fairfax, l’aéroport de Washington-Dulles dessert l’aire métropolitaine de Washington et toute sa région. Il est bien relié à Washington par les autoroutes et voies rapides, bien visibles sur l’image, et une ligne de train de banlieue – la Washington Metro Silver Line – depuis 2022. Construit entre 1958 et 1962 à la demande du président D. D. Eisenhower, il est au 23ᵉ rang des aéroports étatsuniens avec 13 millions de passagers par an.
Face aux autres aéroports concurrents (cf. Baltimore au 23ᵉ rang avec 13,2 millions ou l’aéroport Ronald-Reagan de Washington, 26ᵉ rang avec 12,7 millions), il se caractérise par l’importance de ses fonctions internationales et comme hub de la compagnie United Airlines. On y trouve aussi, dans le fret aérien, les deux terminaux des compagnies FedEx Express et UPS Airlines. Il occupe une emprise au sol considérable avec une superficie de 53 km² et se caractérise par le nombre et la longueur de ses pistes (3 500 m).
Sa construction participe de l’émergence, à partir des années 1960, sur le versant ouest de l’aire métropolitaine de Washington, du « Dulles Technology Corridor », dont la partie autour de l’aéroport va se transformer en pôle d’accueil privilégié des centres de données à partir des années 1990 pour devenir la Data Center Alley. Comme le montre l’image, on assiste dans ses marges sud-est et ouest au développement récent de centres de données, en particulier de la part d’AWS Amazon et de Digital Realty. En 2025, tout terrain disponible de taille suffisante, bien connecté et doté d’une disponibilité suffisante d'électricité est l’enjeu d’une bataille acharnée pour y implanter un centre de données.
Zoom 2. Ashburn : le 1er pôle mondial de centres de données au cœur de la Data Center Alley
L’image couvre la zone nord de l’aéroport de Washington-Dulles et les communes de Dulles, Moorefield et Sterling, traversées par les axes autoroutiers 267 et 28. Nous sommes là au cœur géographique de la Data Center Alley ; Ashburn constituant aujourd’hui la plus importante polarisation au monde de centres de données. Entre les zones résidentielles de l’ouest et de l’est, un vaste espace urbain se couvre en effet d’immenses centres de données, bien repérables par leurs formes, leurs structures et leurs couleurs. Face à ces nouveaux et énormes besoins de stockage et de calcul, les grands acteurs du cloud – ou hyperscalers –, tels AWS, Microsoft Azure, Google Cloud, Meta Platforms, Digital Realty, CloudHQ… – se lancent dans la construction de centres de données géants, ou hyperscales, bien visibles sur l’image.
En novembre 2025, le seul pôle d’Ashburn compte 154 centres, représentant deux millions m² et 2 830 mégawatts de puissance installée, le comté de Loudoun polarisant 300 sites et celui de Fairfax 53. On doit relever l’importance des sites en construction (12) et des deux sites boisés en projet à l’été 2025. Face à la saturation (surface, eau, énergie) de la Data Center Alley, une partie de la dynamique de la Virginie tend à se transférer vers des comtés plus éloignés, de 40 à 60 km, ruraux, comme Manassas, Prince William ou Culpeper.
Sur l’image, les grandes firmes, telles que les GAFAM, jouent un rôle essentiel en implantant leurs centres géants, les hyperscales. On compte ainsi une trentaine de sites d’AWS Amazon, 27 sites de Digital Realty, 13 sites d’Equinix ou 12 sites de CloudHQ ; largement devant des firmes de second rang comme Stack, Vantage, CyrusOne, NTT Data, Sabey, Lumen, PowerHouse. Les firmes géantes se dotent de vastes campus organisés par la juxtaposition de plusieurs centres de données ; la proximité spatiale de plusieurs campus donnant naissance à des clusters techniquement très intégrés, fournissant alors des capacités de stockage et de traitement de données numériques absolument considérables. Si le secret technique et commercial prévaut de manière absolue, il est sans doute très probable qu’une importante partie des données européennes ou françaises, abritées à 70 % aux États-Unis, soit localisée ici.
Zoom 3. Arcola : un nouveau campus d’AWS Amazon de rang mondial valorisant proximité géographique et intégration technique
Un territoire résidentiel bouleversé par l’arrivée des centres de données
À l’ouest de l’aéroport, la région de Sterling, entre Arcola au nord et Stone Ridge, plus résidentielle au sud, séparées par l’axe 50 (Little River Turnpike), est profondément bouleversée par le boom récent des centres de données. Comme facteur d’attractivité, elle dispose d’un foncier disponible important, de très bonnes liaisons autoroutières et d’une excellente fourniture électrique grâce à la ligne à haute tension qui passe à l’ouest de l’image et qui dessert la sous-station électrique de Brambleton de la compagnie Dominion Energy.
À côté de fournisseurs de troisième rang (BlackChamber, PowerHouse, CyrusOne), l’essentiel de la puissance installée est aux mains de trois des GAFAM, acronyme (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) né dans les années 2000 et qui désigne les grandes firmes étatsuniennes de la tech. On compte en effet sur l’image trois sites regroupant douze centres de données d’AWS Amazon, trois de Microsoft et trois de Google (cf. Google Arcola Data Center n° 1, n° 2 et n° 3). Ceux-ci occupent un espace foncier considérable et disposent de capacités de stockage et de traitement des données particulièrement importantes.
Le campus d’Arcola de Google juxtapose des centres de données gigantesques : le site d’Arcola 2 dispose ainsi de 27 000 m² de surface. Ces très grands centres – ou hyperscales – servent de support à des activités comme Google Cloud Platform (GCP), YouTube, Gmail. Dès l’origine, ce campus est construit pour prendre en charge les opérations à très grande échelle, les imposantes charges de travail de l’IA (intelligence artificielle) et les services offerts aux entreprises clientes. Ce campus est connecté par un puissant réseau de fibres optiques aux autres régions cloud de Google (Ashburn, Manassas...).
Enfin, comme l’indique le document associé sur les lieux repères, l’intérêt de l’image est de présenter les différents stades de construction des centres de données. On compte quatre projets au nord, sur des espaces encore boisés, lancés fin 2025 ; le début de deux grands chantiers d’AWS et BlackChamber où les terrains sont encore vierges et dans lesquels débute le gros œuvre ; les sites dans lesquels les bâtiments sont construits et qui sont en cours d’agrandissement ou de finition (Microsoft et Google) ; et, enfin, les sites achevés et en fonctionnement.
La montée des résistances locales : le cas des communautés de Briarfield Estates et Hiddenwood
Face à ce boom local des centres de données, dont les capacités doivent doubler d’ici 2026, les communautés de Briarfield Estates et Hiddenwood – dont les lotissements sont ouverts en 2013 dans un espace rural – se mobilisent pour lutter contre les GAFAM. Aujourd’hui, comme le montre bien l’image, ces lotissements résidentiels sont totalement encerclés par d’énormes entrepôts numériques, parfois mitoyens des zones habitées. Certains habitants demandent que le comté reclasse leur terrain en zone industrielle afin de pouvoir vendre celui-ci à un promoteur à un prix suffisamment rémunérateur pour partir s’installer ailleurs. D’autres refusent et souhaitent rester. À la mi-juillet 2025, le conseil des superviseurs du comté de Loudoun rejette la demande de modification du zonage.
Cette situation locale souligne les graves faiblesses des autorités locales en termes de planification et d’aménagement urbain (zonage, études d’impact, restrictions sur la taille et l’emplacement…), économique et industriel (approbation d’installations…) et de démocratie locale (enquêtes publiques…). Enfin, l’État fédéré de Virginie et son gouverneur républicain Glenn Youngkin sont jusqu’ici très favorables au développement exponentiel des centres de données sur leur territoire.
Zoom 4. South Riding : la construction d’un cluster local par AWS Amazon, au 1er rang mondial pour la fourniture de puissance de calcul et de stockage de données
Sur South Riding, au sud de l’aéroport Washington-Dulles, se déploient ces dernières années un nouveau front pionnier des centres de données ; tout comme au sud-est sur Chantilly (hors image de zoom). On y compte déjà une vingtaine d’importants centres de données. Certains sont déjà ouverts depuis plusieurs années, d’autres sont en construction, souvent sur d’anciens espaces boisés défrichés. Face à l’explosion de la demande et des prix immobiliers, les firmes développent un intérêt croissant pour les espaces interstitiels, qui représentent des opportunités foncières de remplissage au sein des clusters de centres de données.
Au-delà de la présence d’un site de Digital Realty ou d’ATI, l’image a pour principal intérêt de souligner le poids d’AWS Amazon, n° 1 mondial du cloud, qui, sur cinq sites, dispose de quinze gigantesques centres de données. Par exemple, le site AWS-1 regroupe quatre très importants centres de données, un moyen et un petit. Les sites AWS-2 et AWS-4 sont en pleine croissance. La proximité géographique des centres de données aboutit à la création d’un véritable « cluster » AWS Amazon : il permet une véritable économie d’échelle dans la gestion des activités de la firme et surtout une efficiente intégration technique du fait des puissantes liaisons en fibre optique reliant les sites et leurs centres entre eux et avec l’extérieur.
À côté de l’exploitation de ses propres centres de données, Amazon propose des services de colocation à ses clients dans les centres appartenant à des firmes comme Digital Realty – un des géants mondiaux très implanté dans la région – COPT, Prologis ou Stack…
Zoom 5. La station électrique de Dominion Energy de Loudoun : les enjeux de l’alimentation électrique des centres de données, une activité énergivore
Au sud-est de l’aéroport Washington-Dulles et de Stone Ridge s’étend un espace agricole et rural rattrapé par le front d’urbanisation, qui finit par couvrir à peu près l’ensemble de l’image générale. Dans cet espace, à l’origine largement forestier, le parcellaire agricole et les champs cultivés qui demeurent sont bien visibles. Aux angles nord-est et nord-ouest, l’avancée du front d’urbanisation sous forme de lotissements pavillonnaires, s’adressant à des couches salariées relativement aisées, s’avance vers le sud.
Il entre cependant en contradiction avec le développement des systèmes électriques, qui doivent répondre aux énormes besoins énergétiques générés par l’explosion des centres de données. Le système électrique repose sur deux piliers. Premièrement, les lignes à haute tension, qui apportent l’énergie des régions productrices vers les régions consommatrices, sur des distances de plus en plus longues. On repère très bien sur les images, en particulier dans les espaces boisés, les longs couloirs rectilignes sur lesquels elles sont installées. Deuxièmement, les grands postes électriques, qui servent à interconnecter les réseaux et à gérer et orienter les flux électriques apportés par les lignes à haute tension. Deux puissants postes sont bien visibles, avec à côté la zone de stockage des matériels nécessaires au fonctionnement et à l’entretien du système.
Cette station électrique de Dominion Energy – le plus grand fournisseur d'électricité de Virginie et principal fournisseur d'électricité pour les centres de données, qui représentent 25 % de ses ventes – est en plein développement pour répondre au boom de la demande électrique, comme en témoigne la parcelle voisine en cours de défrichement. On estime en effet que d’ici 2035, l’industrie en Virginie aura besoin de 11 000 mégawatts, soit une multiplication par quatre des besoins en 13 ans et l’équivalent de la consommation de 8,8 millions de foyers. La puissance électrique négociée entre Dominion Energy et les centres de données passe de 931 MW à 3 888 MW en 2025, et devrait atteindre 7 686 MW en 2033.
Pour autant, ces projets se heurtent à une montée du mécontentement (cf. plan de PJM) des populations résidentes, en particulier dans les zones rurales de l’ouest du comté de Loudoun. Si, jusqu’à récemment, les centres de données pouvaient être construits sans autorisation dans les zones affectées aux immeubles de bureaux, le comté de Loudoun s’efforce de modifier ses réglementations dans un cadre normatif plus restrictif.
D’autres ressources
Publications
Laurent Carroué : L’essor des centres de données : intelligence artificielle, cyberespace, pouvoir et territoire, Site ENS Géoconfluences, juillet 2025.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-…
Laurent Carroué : Atlas de la mondialisation. Tensions, crises et basculements du monde, Autrement, coll. Atlas, 2em édition, 2025.
Laurent Carroué : Géographie de la mondialisation. Crises et basculement du monde, collection U, Armand Colin, 2019
Ressources en ligne
Agence Internationale de l’Energie (2025), Electricity 2025. Analysis and forecast to 2027, Washington, 199 p.
Shehabi, A. et alii (2024), United States Data Center Energy Usage Report. Lawrence Berkeley National Laboratory, Berkeley, California, pour l’US Dept. of Energy/EERE.
Site des données sur les data centers : https://www.datacentermap.com/
Courtesy of Virginia Economic Development Partnership : https://www.vedp.org/
Sur la révolution du gaz de schiste aux Etats-Unis
Laurent Carroué : États-Unis - Nouveau Mexique/Texas : le bassin permien au cœur de la révolution du gaz et du pétrole de schiste, Site CNES Géoimages.
https://cnes.fr/geoimage/etats-unis-nouveau-mexiquetexas-bassin-permien-coeur-de-revolution-gaz-petrole-de-schiste
Auteur
Laurent Carroué, Administrateur de l’État honoraire, Inspecteur Général de l’Éducation, du Sport et de la Recherche (IGESR), Directeur de recherche à l’Institut Français de Géopolitique de l’Université Paris VIII.