Dans l’immense archipel indonésien, le détroit de Lombok joue un rôle maritime considérable, mais trop méconnu, de par sa taille (56 km de long, 18 à 35 km de large) et surtout sa profondeur (seuil de 350 m). Pour la navigation internationale, c’est un point de passage obligé (PPO) pour les plus imposants pétroliers et minéraliers reliant le golfe Persique ou l’Australie à l’Asie de l’Est (Chine, Japon, Corée du Sud), car ceux-ci ne peuvent emprunter les détroits trop peu profonds de Malacca (25 m) ou de la Sonde (20 m). Lombok fait donc partie des 15 points de passage obligés qui polarisent 80 % de la valeur du trafic maritime mondial. De plus, c’est en hydrographie l’un des principaux passages du courant maritime indonésien (ITF) qui bascule d’immenses quantités d’eau chaude de l’océan Pacifique vers l’océan Indien, jouant ainsi un rôle considérable dans les dynamiques maritimes et atmosphériques du système-Terre. En biogéographie (flore, faune) y passe la ligne « Wallace » qui sépare deux des huit grandes écozones pavant le globe : le monde indomalais ou indo-himalayen à l’Ouest et le monde australasien à l’Est. Enfin, il sert d’exutoire au fameux courant de transit indonésien (ITF), l’Insulinde servant de seuil entre l’océan Pacifique et l’océan Indien.
Présentation de l’image globale
Le Détroit de Lombok : Un point de passage maritime incontournable pour les plus grands navires, pétroliers et minéraliers
Le détroit de Lombok : des caractéristiques hydrographiques très favorables
Comme le montre bien l’image, un détroit présente une double logique. Dans une approche maritime, le détroit de Lombok est un bras de mer resserré entre les deux côtes qui le bordent et qui met en relation deux étendues d’eau. Cette porte océane met en contact l’océan Indien au sud et la mer de Flores, la mer de Java et le détroit de Makassar au nord. Pour les navires, c’est donc un passage physique qui assure la continuité de la navigation entre deux bassins maritimes.
En approche terrestre, le détroit est le point de la plus grande proximité entre deux terres, ici deux îles – l’île de Lombok à l’est et l’île de Bali à l’ouest – séparées par les eaux. L’île de Bali couvre 5 590 km² est peuplée de 4,4 millions d’habitants (790 hab./km²) et culmine à 3 031 m au Mont Agung, un volcan très actif. Bien visible sur l’image, Denpasar est une agglomération de 2,3 millions d’habitants, et Mataram une agglomération de 400 000 habitants. L’île de Lombok s’étend sur 4 600 km², culmine à 3 727 m et est peuplée de 3,9 millions d’habitants, soit des densités élevées de 860 hab./km². Comme nous le verrons par la suite, sa largeur permet des flux transversaux Ouest/Est très denses : navettes de ferries, navires de pêche... L'entrée septentrionale se fait par les trois îles de Gili (Trawangan, Meno et Ayer) densément mises en valeur (749 hab./km²) et l'entrée méridionale par l'île de Nusa Penida (203 km², 315 hab./km²).
Le détroit de Lombok présente des caractéristiques hydrographiques favorables pour les grands navires se déplaçant entre l’Australie, l'Asie du Sud-Est et l'Asie de l'Est. Le contrôle, la sécurité et le bon fonctionnement de ce point de passage obligé – ou PPO – représentent des enjeux géoéconomiques, géopolitiques et géostratégiques majeurs, car il constitue un possible goulet d’étranglement, ou « chokepoints » en anglais (de choke, étouffer, étrangler), sur une importante route maritime de rang mondial. Long de 56 km, il dispose d’une belle largeur – de 35 km au nord et au centre à 18 km à la hauteur de l’île de Nusa Penida, et tout autant d’une grande profondeur avec un seuil à 350 m. Il peut donc facilement accueillir les supertankers et les grands minéraliers et permet le passage en toute sécurité des sous-marins nucléaires en immersion, qu’ils soient étasuniens, russes ou chinois, ce qui leur permet de passer en toute discrétion de l’océan Indien à l’océan Pacifique.
Lombok : une des rares portes maritimes dans un immense arc ouest/est de 5 300 km
Pour comprendre l’importance du détroit de Lombok, il convient – comme souvent en géographie – de changer d’échelle d’analyse en s’intéressant à l’Insulinde ou Insulasie qui met en contact l’océan Indien au sud, l’océan Pacifique à l’est et la mer de Chine méridionale au nord. Dans celle-ci, l'Indonésie est le plus grand pays-archipel du monde, avec 17 506 îles, une superficie de plus de 7,7 millions de km², dont les deux tiers sont des eaux (5,8 millions km²) du fait de la présence d’un chapelet de « mers intérieures » (mer de Chine méridionale, mer de Java, mer des Célèbes, mer de Banda...) et un liseré littoral de plus de 81 000 km de long.
Surtout, l’archipel indonésien constitue avec l’arc de la Sonde dans sa partie méridionale une barrière insulaire ouest/est de 5 300 km. Mais malgré sa longueur, cet arc est doté de rares portes maritimes en permettant le franchissement Nord/Sud. On compte en effet seulement huit détroits, dont d’Ouest en Est : Malacca, La Sonde, Bali, Lombok, Alas, Sape, Alor et Timor (avec Ombeï et Wetar). Dans cet ensemble, seuls les détroits de Malacca, Lombok et Timor disposent de voies de navigation de haute mer ; les autres étant trop étroits ou trop peu profonds. Mais le détroit de Malacca est lui-même saturé et trop étroit pour accueillir les navires les plus importants qui doivent donc impérativement passer par le détroit de Lombok.
Enfin, il convient de rappeler qu’en biogéographie (flore, faune), le détroit de Lombok, puis le détroit de Makassar au nord entre Bornéo et les Célèbes, constituent une ligne de césure Ouest/Est absolument majeure. Y passe en effet la ligne « Wallace » (d’Alfred Wallace, 1823-1913), qui sépare deux des huit grandes écozones pavant le globe : le monde indomalais ou indo-himalayen à l’Ouest et le monde australasien à l’Est.
La navigation et sa sécurisation par un TSS dans le détroit de Lombok
Le détroit de Lombok fait partie des 15 points de passage obligés qui polarisent 80 % de la valeur du trafic maritime mondial. C’est un détroit densément emprunté, avec environ 36 700 flux annuels moyens, soit une centaine de navires par jour. On doit cependant distinguer deux types de navigations : internationale en transit d’un côté, locale ou régionale de l’autre. Ce cumul aboutit au fait que le détroit de Lombok est la troisième voie maritime d’Indonésie pour la densité de son trafic, derrière les détroits de Malacca et de Makassar.
Le transit international représente environ 13 800 navires par an, transportant 1 400 millions de tonnes de marchandises. On compte 75 % de minéraliers et vraquiers, 20 % de tankers et 5 % de porte-conteneurs et cargos, dont des navires de 500 000 tonnes. Le trafic régional et local est composé de ferries (30 %), de navires de soutien offshore pour l’exploitation des hydrocarbures et militaires (13 %), de navires marchands (10 %), de navires de pêche (10 %) et de navires de tourisme... La densité de la navigation et le croisement des flux expliquent de nombreux accidents (échouement, collision, naufrage, incendie), dont 14 majeurs entre 2003 et 2017.
C’est dans ce contexte que l’État indonésien a mis en place une stratégie de sécurisation des activités maritimes. Disposant d'une zone maritime territoriale très vaste composée de nombreuses mers intérieures et de milliers d’îles, l'Indonésie s’est dotée d’une « voie maritime archipélagique indonésienne » (IALS, en indonésien Alur Laut) afin, en particulier, de réguler le passage des navires en transit. En accord avec l’Organisation Maritime Internationale, une agence de l’ONU dont le siège est à Londres, le détroit de Lombok est reconnu comme une voie de navigation internationale dotée d’un Dispositif de Séparation de Trafic (Traffic Separation Scheme, ou TSS) inclus dans l'IALS et entré en vigueur en juin 2020.
Ce TSS repose sur trois éléments complémentaires. Premièrement, un dispositif de séparation du trafic doté de trois zones de séparation d'une largeur de 0,5 mille nautique, qui séparent le chenal en deux. Deuxièmement, le zonage du trafic côtier qui couvre l’espace compris entre la côte et le dispositif de séparation de trafic. Troisièmement, la définition d’une « zone de précaution », en particulier du fait de la densité des ferries.
Le Courant Océanique Indonésien (ITF) : un rôle majeur dans le fonctionnement des océans et du climat terrestre, passant un vaste seuil entre l'Océan Pacifique et l'Océan Indien
Pour comprendre l’importance de cette région dans la circulation maritime mondiale, il faut changer impérativement d’échelle et passer à celle du globe : se trouve ici un vaste seuil topographique et maritime qui constitue la seule voie d’échange interocéanique de l’océan mondial dans la zone tropicale. Décrit pour la première fois en 1961 seulement, mais depuis largement étudié par les océanographes, le Courant Océanique Indonésien (ITF, Indonesian Throughflow) est un très puissant courant marin entraîné par le fort différentiel de gradient de pression entre l’Océan Pacifique et l’Océan Indien, qui débouche sur une différence de 30 cm du niveau moyen des mers. L’ITF déverse donc les eaux plus chaudes, moins salées et topographiquement plus élevées de l'Ouest de l’Océan Pacifique vers les eaux plus froides, plus salées et plus basses de l’Océan Indien, en traversant les archipels philippin et indonésien. L’ITF explique que les eaux de ces archipels se caractérisent par de fortes turbulences et une importante dissipation de chaleur.
De par sa position, son orientation et sa taille (largeur et profondeur), le détroit de Makassar polarise 77 % des flux marins indonésiens de l’ITF, soit 125 millions de m³/s. Une partie de ces eaux se dirige ensuite vers le sud et emprunte directement le détroit de Lombok pour rejoindre enfin l’Océan Indien, ou alors elle va vers l'est et les mers de Flores et de Banda pour passer vers l’île de Timor. Sans entrer dans les détails de ce dossier, la circulation de l’ITF varie aussi en fonction des flux de la mousson – avec la mousson du Sud-Ouest de juin à août et la mousson du Nord-Ouest de décembre à février – et de l’importance des phénomènes dus à El Niño ou à La Niña. Au total, l’ITF transporte une importante quantité de chaleur provenant de l’Océan Pacifique à destination du sud-ouest de l’Océan Indien, à plus de 10 000 km du détroit de Lombok.
À l’échelle régionale et locale, l’impact est considérable. En effet, le détroit de Lombok et ses abords autour du seuil de Nusa Penida se caractérisent par un brassage de courants et un mélange des flux de marée très importants, ainsi que de fortes oscillations des températures de surface de la mer. À 30 km du seuil de Nusa Penida, l’amplitude des marées est de 90 cm (ou 0,9 m). Il est composé de deux flux superposés : un flux permanent des couches supérieures Nord/Sud et un flux Sud/Nord de profondeur.
Images complémentaires :
1. vue régionale du détroit de Lombok
2. Les île Gili située au nord-est du détroit de Lomboket.
Les Gili sont un archipel paradisiaque situé à l'entrée septentrionale du détroit de Lombok. Il s'agit de trois petites îles de basse altitude, principalement formées de dépôts coralliens et de sable.:
- Gili Trawangan (Gili T) : La plus grande et la plus animée, réputée pour sa vie nocturne et ses nombreuses activités de plongée.
- Gili Meno : La plus petite et la plus calme, souvent surnommé "l'île des amoureux"
- Gili Air : Située le plus près de Lombok, elle offre un équilibre entre l'animation de Trawangan et le calme de Meno.
Les îles Gili font partie du Triangle de Corail, l'épicentre mondial de la biodiversité marine. Leurs fonds marins sont exceptionnellement riches. Contrairement à Lombok ou Bali, ces îles ne sont pas volcaniques, mais sont issues de l'accumulation de calcaire corallien.
Dominant l’île de Bali et veillant sur le détroit de Lombok, le Mont Agung est un strato-volcan culminant à 3 031 mètres, ce qui en fait le point le plus haut de l'île. C'est un volcan très actif, comme l'attestent ses éruptions régulières et importantes, notamment celles de 1963 et de 2017-2019.
Cette activité explosive est directement lié à la géologie de la région. L'Agung se situe sur l'Arc de la Sonde, une chaîne volcanique dont la formation résulte de la subduction de la plaque indo-australienne sous la plaque eurasienne. Ce phénomène tectonique profond est responsable de la fusion des roches et de la remontée d'un magma riche en gaz, réunissant toutes les conditions pour des éruptions explosives. A une échelle plus grande, l'Agung est un élément de la Ceinture de feu du Pacifique.
En tant que strato-volcan, son cône est le fruit de l'accumulation successive de couches de lave visqueuse, de cendres et de roches volcaniques. Sa présence exerce une double influence sur l'environnement de Bali. D'une part, son imposant relief modèle les conditions climatiques locales, jouant un rôle de régulateur hydrographique crucial pour garantir l'approvisionnement en eau de l'est de l'île. D'autre part, l'érosion constante de ses roches volcaniques produit des sols d'une grande richesse minérale, ce qui est indispensable à la fertilité et à l'irrigation des célèbres rizières balinaises.
Auteur
Laurent Carroué, Administrateur de l’État honoraire, Inspecteur général de l’Éducation nationale, du sport et de la recherche, directeur de recherche à l’Institut Français de Géopolitique (Université Paris VIII).