Dans l’ouest de l’Océan pacifique, l’île de Vanikoro appartient aux Îles Santa Cruz, qui constituent la marge orientale de l’État-archipel des Îles Salomon. L’insularité joue ici pleinement, entre isolement, exiguïté, morcellement intérieur, endémisme et inter-relations difficiles aux niveaux supérieurs. Volcanique, très arrosée, sans ressource majeure et peu peuplée, Vanikoro est une marge d’un État insulaire lui-même pauvre, instable et marginal. Très loin des images d’Épinal souvent véhiculées des îles paradisiaques des mers du Sud branchées sur la mondialisation touristique haut de gamme, Vanikoro témoigne d’une forme d’anti-modèle largement présent dans cette partie mélanésienne de l’océan Pacifique dans laquelle la contrainte insulaire se manifeste dans toute sa étendue.
Vanikoro : une île anti-modèle des paradis idylliques fantasmés des Mers du Sud
Pour analyser les structures et les dynamiques de l’île de Vanikoro, il est nécessaire, comme méthode d’analyse, de bien emboîter les différentes échelles spatiales et territoriales. Dans l’immensité de l’océan Pacifique, plus particulièrement dans sa partie océanienne, quatre grandes composantes sont en effet bien identifiables : la Micronésie, la Mélanésie, la Polynésie et l’Australie/Nouvelle-Zélande. L’État-archipel des îles Salomon est lui-même une des principales entités constitutives de la Mélanésie avec la Papouasie-Nouvelle-Guinée à l’ouest, le Vanuatu au sud-est, la Nouvelle-Calédonie au sud et les Fidji à l’est.
Une petite île tropicale d’origine volcanique, isolée et loin des images d’Épinal
L’image couvre l’île de Vanikoro, constituée en fait des îles de Banie et Teanu. L’ensemble est de petite taille puisqu’il ne couvre que 173 km² et fait 25 km sur 20 km. Ancien volcan relativement récent (5 millions d’années), le mont Banie au centre culmine à 923 m, ce qui engendre de fortes pentes.
Au plan tectonique, l’arc des Salomon appartient à un segment complexe de la ceinture de feu du Pacifique. Il est encadré par des fosses actives : à l’ouest, la fosse de Nouvelle-Bretagne ; au sud, la fosse de San Cristóbal (souvent appelée « South Solomon Trench »), front actuel où la plaque indo-australienne (et ses micro-plaques adjacentes) plonge vers le N-NE sous l’arc à des vitesses pouvant approcher ~9–10 cm/an. La région juxtapose et cisaillent de nombreuses micro-plaques (Solomon Sea, Woodlark, South Bismarck, voire Trobriand), séparées par des failles coulissantes et des zones en extension / compression qui segmentent l’arc. L’histoire récente de l’arc est marquée par la collision avec l’immense plateau océanique d’Ontong Java : ce « choc » a bloqué l’ancienne subduction au nord (North Solomon Trench) et provoqué une inversion de polarité avec l’installation du front actuel au sud (San Cristóbal). Le résultat est un archipel à très forte activité sismo-volcanique. Les séismes de subduction majeurs ont généré des tsunamis destructeurs, par ex. le Mw 8,1 du 2 avril 2007 (arc central) et le Mw 8,0 du 6 février 2013 (Santa Cruz), chacun suivi d’un tsunami localement important. Côté volcanisme, la chaîne aligne des édifices émergés (Savo, Simbo, Tinakula) et sous-marins (Kavachi). Ce dernier très actif, édifie périodiquement des îlots éphémères et colore fréquemment les eaux de panaches hydrothermaux observés par satellite. Enfin, un exemple récent : en octobre 2017, l’éruption du Tinakula (VEI 3, 21–26 octobre) a produit un panache de cendres de plusieurs kilomètres d’altitude et perturbé le trafic aérien de l’archipel des Santa Cruz.
Au plan topographique, la région se caractérise comme un vaste ensemble d’archipels, d’îles et d’atolls qui incorpore toute l’Indonésie d’un côté, le monde mélanésien avec la Papouasie-Nouvelle-Guinée, les Salomon, le Vanuatu et les Fidji de l’autre. Dans cette île montagneuse, les anciennes structures volcaniques attaquées par l’érosion présentent des crêtes aiguës séparées par d’étroites vallées aux raides versants. Ces reliefs escarpés constituent une lourde contrainte et expliquent une valorisation intérieure limitée. On est frappé par l’importance et la densité de la couverture de la forêt ombrophile, parfois au nord-ouest transformée en savane par les brûlis ou les héritages des anciennes exploitations forestières (cf. la Kauri Timber Company néo-zélandaise, entre 1923 et 1964, dans des conditions très difficiles).
Cette forêt s’épanouit sous un climat équatorial insulaire particulièrement chaud et humide. Les 5 à 6 m de précipitations s’expliquent par les cycles des dépressions de type cyclonique (saison des cyclones en novembre-mai). Comme dans toutes les îles tropicales, les microclimats sont liés aux zones au vent, à l’abri des alizés du Sud-Est, et aux zones sous le vent. Les trois-quarts de l’île sont ceinturés par une puissante barrière corallienne, parfois large de 2 km à l’ouest, qui n’est franchissable que par de petits navires à travers six passes tortueuses et difficiles, alors que l’accès à une large partie du liseré littoral est bloqué par une puissante mangrove, une dense formation végétale amphibie aux puissantes racines. Aux grandes difficultés des liaisons maritimes répond un réseau terrestre limité, voire embryonnaire, et l’absence de toute liaison aérienne.
La grande modestie de l’implantation humaine dans un espace cloisonné et segmenté (cf. zoom 1)
L’occupation de l’espace est limitée puisqu’on ne compte que 800 habitants pour toute l’île, soit une densité de seulement 4,6 hab./km². On est frappé sur l’image par la modestie de la présence humaine. Dans la partie centrale couverte par la forêt dense, seules les pistes, de couleur rouge ou ocre, sont bien visibles, surtout dans la partie occidentale. On doit relever qu’aucune piste ne fait le tour de l’île, le système viaire très segmenté souligne le fort cloisonnement de l’espace insulaire. Du fait des fortes contraintes topographiques, les villages littoraux sont connectés entre eux par la mer, malgré des installations maritimes particulièrement rudimentaires (absence de véritable site portuaire, de jetée, etc.). Ce système annulaire littoral est donc contraint, incomplet et fragile.
En fait, six villages ou regroupements littoraux polarisent l’essentiel de la population et des activités : Puma, Lovoka, Lovono, Lale, Paiu, Temuo. Comme de nombreuses îles du Pacifique, Vanikoro apparaît comme un espace relativement isolé de l’extérieur et fortement cloisonné et segmenté à l’intérieur. Alexandre François, chercheur au CNRS, a mis en évidence l’organisation historique de l’espace insulaire par trois chefferies (Teanu au nord-est, Lovono au nord-ouest et Tanema au sud-est) disposant de leur propre langue. Aujourd’hui, si le teanu s’est imposé comme langue d’usage, le lovono et le tanema sont des langues en voie d’extinction du fait de la disparition de leurs derniers locuteurs.
Vanikoro : une des îles de l’archipel Santa Cruz, une marge orientale des Îles Salomon
Vanikoro (173 km², 800 hab.) est donc, avec Nendo (505 km², 10 000 hab.), et Utupua (69 km², 300 hab.), une des trois îles principales de l’archipel volcanique des Santa Cruz. Composant la région administrative de Temotu, il s’étend en mer de Corail. Santa Cruz se trouve à 360 km à l’est de l’île de San Cristobal, porte d’entrée de l’archipel principal des Salomon, et à 650 km de la capitale Honiara ; alors que les îles Torres (Vanuatu) ne se trouvent qu’à 200 km au sud. Le territoire des îles Salomon se répartit en effet en de nombreuses îles dispersées sur une immense surface : entre les îles Shortland qui constituent l’extrémité WNW du pays et les îlots qui en forment l’extrémité ESE (Vanikoro, Tikopia, etc.), il y a quelque 1 400 km.
Durant la Seconde Guerre mondiale, l’archipel acquit une importance stratégique dont témoigne l’intense bataille aéronavale entre le Japon impérial et les États-Unis pour le contrôle de la grande île de Guadalcanal entre août 1942 et février 1943 dans le cadre de la campagne des îles Salomon. Celle-ci sert en effet de contact, de porte d’entrée et de verrou entre les petits archipels émiettés sans grandes ressources de l’Est et les grandes îles de l’Ouest (Nouvelle-Bretagne avec la base stratégique japonaise de Rabaul, Nouvelle-Guinée, Célèbes, Java, Sumatra), bien dotées en produits miniers et ressources pétrolières indispensables à l’effort de guerre, de ce qui fut les Indes Néerlandaises, aujourd’hui l’Indonésie.
Historiquement, l’archipel est « découvert » par l’Espagnol Alvaro de Mendaña en 1568. Le navigateur Jean-François de La Pérouse trouve la mort avec les membres de son expédition dans l'île de Vanikoro en 1788, les épaves de la Boussole et de l'Astrolabe, ses deux navires, étant aujourd’hui bien identifiées au sud-est de l’île. Dans la course à la colonisation, la région est globalement loin d’être une priorité. Pour autant, face à la montée progressive de la concurrence des États-Unis et de la France (Marquises en 1842, Tahiti, Nouvelle-Calédonie en 1853) dans le Pacifique, Berlin et Londres interviennent.
Au nord comme au sud de l’archipel, l’héritage colonial demeure dans le tracé des frontières. En effet, au nord, si en novembre 1899, Berlin transfère quelques îles septentrionales de l’archipel des Îles Salomon (Choiseul, Santa Isabel, Shortland, Ontong Java) aux Îles Salomon britanniques, intégrant alors la Nouvelle-Géorgie, Guadalcanal, Malaita et San Cristobal, l’Allemagne y garde Bougainville et les îles environnantes, rattachées aujourd’hui à la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Au sud par contre, le protectorat britannique des îles Salomon proclamé en avril 1885 s’agrandit en annexant en 1898/1899 l’archipel voisin des îles Santa Cruz et les atolls de Rennell et Bellona.
Face à d’autres petits États insulaires du Pacifique comme les Samoa-Occidentales (1962), Nauru (1968), les Fidji (1970), les Tonga (1970) ou Tuvalu (Îles Ellice, 1977), l’indépendance politique des Îles Salomon fut tardive (1978), tout comme celles de Kiribati (îles Gilbert, 1979) et du Vanuatu (Nouvelles-Hébrides, 1980). Moins par la volonté impériale de Londres de s’y accrocher que du fait des grandes difficultés à transformer une colonie peu développée et mal unifiée en un État-nation viable. Membres du Commonwealth britannique, les Îles Salomon ont pour chef d’État le roi Charles III dans le cadre d’une monarchie constitutionnelle parlementaire et l’anglais comme langue officielle face à la forte hétérogénéité linguistique de l’archipel.
L’État-archipel des Îles Salomon : un État fédéral instable et en crise
L’État des Îles Salomon couvre 27 540 km² et est peuplé de seulement 538 000 habitants, mais il dispose du fait de sa structure archipélagique d’une importante ZEE de 1,630 million de km². Au plan maritime, la région ne connaît pas de revendications frontalières majeures du fait de la multiplication des accords de fixation des limites des ZEE intervenus dans les années 1980-1990 : Salomon/Australie au sud en septembre 1988, Salomon/Papouasie-Nouvelle-Guinée à l’ouest en janvier 1989 et Salomon/France (Nouvelle-Calédonie) au sud en novembre 1990.
Comme la Papouasie-Nouvelle-Guinée voisine, les Îles Salomon se caractérisent par la forte instabilité politique de l’État unitaire (crises de 2001, 2006, 2021), sa faible emprise sur certaines parties de son assise territoriale, les violences intercommunautaires, les fortes tensions et rivalités internes entre provinces centrales et périphériques, entre provinces centrales et grandes îles majeures (cf. Guadalcanal, 5 302 km², où se trouve la capitale Honiara, Malaita et Makira, ancienne San Cristobal, 3 125 km²). Au moment de l’indépendance, la structure fédérale fut adoptée afin de désamorcer les tendances sécessionnistes des îles occidentales.
La déliquescence de l’État est telle, qu’avec l'accord du gouvernement, l’Australie voisine prend la tête d’une Mission Régionale d’Assistance aux Îles Salomon (RAMSI) entre 2003 et 2017, composée de personnels militaires et policiers issus des 15 États membres du Forum des îles du Pacifique. En effet, face au retrait britannique, l’Australie et la Nouvelle-Zélande sont devenues des puissances régionales de premier plan, tant au plan économique que diplomatique et militaire. Face à la montée de la Chine populaire, qui remplace de plus en plus Taïwan qui fut longtemps un fournisseur important d’aide au développement pour les Îles Salomon, Nauru ou les Tuvalu en échange de leur soutien à l’ONU, les systèmes de rivalités de puissances dans la région se reconfigurent rapidement.
Zoom d'étude
Le Nord-Ouest de Vanikoro : le fractionnement de l’espace
L’image zoom fait bien apparaître les fortes contraintes du milieu, la faiblesse des densités humaines et, surtout, le cloisonnement spatial et social en toutes petites unités, aux liens difficiles et distendus.
Petits villages littoraux et civilisation du végétal
L’organisation et la mise en valeur reposent sur un net doublet spatial. L’intérieur de l’île est globalement vide, parfois mobilisé par la pratique d’une petite agriculture itinérante sur brûlis. Le réseau des chemins intérieurs, bien visible du fait de la couleur des sols, est très incomplet, peu hiérarchisé. À l’opposé, la population se concentre dans trois villages littoraux : Lovono, Lale et Lokovo. Lokovo apparaît comme un groupement un peu plus important avec un petit quai qui facilite l’accès à la passe et au monde extérieur et des bâtiments plus grands en tôle ondulée, en lien avec une église ou une mission.
À l’échelle locale, on peut relever la sensible dispersion de l’habitat en ordre lâche. Les maisons sont souvent dispersées dans les cocoteraies, parfois bien identifiables par leurs rangées d’arbres, ou dans un espace forestier éclairci pour accueillir des arbres nourriciers (bananeraies, aréquier...). Ces toutes petites communautés rurales pratiquent une agriculture vivrière traditionnelle. Tout autour des villages apparaît une ceinture de « jardins », qui est constituée de petites parcelles cultivées pendant deux à trois ans après défrichement, avant des jachères plus ou moins longues selon la richesse des sols. Elles accueillent bananes et ananas, mais surtout tubercules et racines à la base de l’alimentation (patate douce, taros et ignames, etc.). Dans cette « civilisation du végétal », l’animal joue un rôle restreint, essentiellement volaille et porc, face aux apports de la pêche littorale (poissons, tortues de mer, coquillages...). Les cocotiers, à travers la vente du copra lorsque les cours mondiaux sont favorables, sont une des rares productions à fournir un petit revenu monétaire aux familles. Ces dernières années, quelques activités de croisières, à partir de l’Australie ou de la Nouvelle-Zélande, participent d’un tout début de mise en tourisme, malgré les grandes difficultés à aborder l’île par voie maritime (rondes de petites embarcations).
Droit coutumier et structures sociales lignagères ou claniques
Pour comprendre la structuration de cet espace insulaire et les rapports des hommes au milieu et à l’espace, il convient de s’intéresser à la question foncière et aux structures sociales organisant le monde mélanésien. Car, comme le souligne le grand géographe Joël Bonnemaison : « la coutume, c’est d’abord un discours sur la terre ».
Dans un système où il n’y a ni titres de propriété, ni cadastre, ni contrat d’exploitation, la terre est inaliénable, même si les compromis sont possibles. Car elle appartient normalement aux descendants des ancêtres premiers défricheurs dans le cadre coutumier traditionnel. Il repose sur des traditions orales et des habitudes ancestrales ; souvent remobilisées ou réinterprétées afin de contrer les pressions extérieures avérées ou potentielles. Selon les îles, la transmission de la terre peut s’effectuer sous forme soit patrilinéaire, soit matrilinéaire. Une terre en apparence inoccupée est en fait le plus souvent non libre et donc possédée.
Les questions foncières dans le cadre de la « coutume » sont d’autant plus complexes que le système social se caractérise par un encastrement de niveaux identitaires, de la lignée (famille élargie sur trois ou quatre générations sous l’autorité du plus ancien) au lignage ou au clan (plusieurs lignées se référant au même ancêtre sous l’autorité d’un chef) puis au groupe ethnique (usage d’une langue particulière).
D’autres ressources
Sites et bibliographie
Christian Huetz de Lemps : Une jeune État mélanésien : les îles Salomon, collection îles et archipels, CEGET, Bordeaux, 1984 https://www.persee.fr/doc/ilarc_0758-864x_1984_mon_4_1
Joël Bonnemaison : Terre et identité, Actes du colloque Identités et mutations dans le Pacifique à l’aube du troisième millénaire. Hommage à Joël Bonnemaison (1940-1997). https://www.persee.fr/doc/ilarc_0758-864x_1998_act_26_1_1058
Iles et archipels : collection du site Persée : https://www.persee.fr/collection/ilarc
Laurent Carroué (2025), Atlas de la mondialisation. Tensions, crises et basculements du monde, coll. Atlas, Autrement, Paris.
André Louchet (2014), La planète océane. Précis de géographie maritime, Armand Colin, Paris.
Didier Ortolland et Jean-Pierre Pirat (2010), Atlas géopolitique des espaces maritimes, Editions Technip, Paris.
Alexandre François (2009), « The Languages of Vanikoro : Three lexicons and one grammar », in Bethwyn Evans, Discovering history through language : Papers in honour of Malcolm Ross, Canberra, Australian National University, coll. « Pacific Linguistics 605 ». http://alex.francois.free.fr/data/AlexFrancois_2009_Vanikoro-languages_…
Site d’alerte météorologique
Solomon Islands Meteorological Service
Site d’alerte de l’US Navy. Naval Meteorology and Oceanography Command)
https://www.metoc.navy.mil/jtwc/jtwc.html
Site du Central Pacific Hurricane Center de l’US NOAA
https://www.nhc.noaa.gov/cyclones/
Site d’alerte sur les Tsunamis de l’US NOAA
https://www.tsunami.gov
Pour un cadrage plus large, les ressources sélectionnées par le site Géoconfluences
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/programmes/concours/pacifique-biblio
Auteur
Laurent Carroué, Inspecteur Général de l’Éducation Nationale, du Sport et de la Recherche (IGESR) honoraire et directeur de recherche à l’Institut Français de Géopolitique de l’Université Paris VIII.