Situé sur la rive droite de l’extrémité de l’estuaire de la Seine, la ville du Havre se confond depuis sa création par François 1er avec son port. Second port français pour le trafic global derrière Marseille, Le Havre est le premier port pour le trafic des conteneurs (3,1 millions de boites en 2024) et le 5e de la Nothern Range qui se déploie du Havre à Hambourg. Compétitivité portuaire et recomposition d’un espace essentiellement industrialo-portuaire en sont donc les défis dans le contexte d’intégration du port du Havre dans un ensemble plus vaste, HAROPA (Le Havre-Rouen-Paris), qui consacre la vallée de la Seine en corridor logistique.
Légende de l’image
Cette image a été prise par un satellite Pléiades le 09/05/2017. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles, de résolution native à 0,70m, ré-échantillonnée à 0,5m.
Présentation de l’image globale
Le Havre : la ville-port de l’estuaire de la Seine
A la pointe du Pays de Caux où la Seine se jette dans la Manche, la ville du Havre présente une trame urbaine profondément marquée par son site et l’histoire de la ville.
Des contraintes naturelles très présentes
La coupure topographique opposant la ville haute et la ville basse est un fait majeur d’autant que l’extension de la ville est bloquée à l’Ouest par la mer et au Sud par la Seine. Le talus appelé localement « côte » court sur 7 km avec un dénivelé important dans sa partie supérieure (identifiable sur l’image par le liseré de végétation ouest-est au centre de l’image). La croissance spatiale de la ville ne peut que se faire au nord et à l’est à l’assaut du plateau ou à l’est, le long de la vallée de la Lézarde, qui coule du nord pour se jeter dans la Seine au niveau d’Harfleur.
Une ville liée à son port
C’est d’ailleurs pour faire face à l’envasement du port d’Harfleur que François 1er souhaite construire un grand port sur la Manche. Les premiers bassins du Havre s’imbriquent donc dans la cité et sont encore aujourd’hui au cœur de la ville. Progressivement les nouveaux bassins de plus en plus grands se développent plus au sud et s’éloignent de la ville ; un cap est franchi avec la construction d’une écluse en 1971 qui rend accessible la zone industrielle aux navires de 250 000 tonnes.
Parallèlement se développe une vaste zone industrialo-portuaire (ZIP) le long de deux canaux fruit de la politique d’aménagement du territoire qui comme à Dunkerque et Fos-sur-Mer lie le port et l’usine. Enfin une nouvelle digue de 3,5 kilomètres agrandit l’espace portuaire (opération Port 2000) au détriment de l’estuaire pour accueillir les porte-conteneurs géants à partir de 2006.
De forts contrastes socio-spatiaux
L’imbrication de la ville et de son port est très marquante au sud de la ville où le document permet d’identifier des espaces d’habitat mêlés à l’activité industrialo-portuaire au sud de la voie ferrée qui apparaît comme une importante discontinuité du tissu urbain. Certains quartiers y forment même des enclaves.
Au-delà, le centre-ville est nettement identifiable par son aspect géométrique dominé par l’Hôtel de Ville et ouvert sur de larges perspectives dans une alternance d’immeubles collectifs issus de la reconstruction d’après-guerre due à l’architecte Auguste Perret et inscrite au Patrimoine mondial de l’UNESCO en 2005. Le reste de la ville basse forme un habitat péricentral ancien en cours de mutation.
La ville haute est une alternance de quartiers d’habitat pavillonnaire et de trois quartiers de grands ensembles, le plus important se situant à l’est avec 10 000 logements (Caucriauville). A noter l’existence de deux coupures vertes récréatives de 250 et 150 hectares. Outre le centre-ville, les espaces les plus résidentiels se situent près du littoral à l’ouest (Sainte-Adresse) et en haut de la côte bénéficiant d’une large vue sur la mer ou sur l’estuaire.
Au dehors de cet espace délimité par les axes routiers bien visibles de la zone (échangeurs à l’entrée de ville à l’est et le contournement Nord), le tissu urbain s’étend largement à l’est formant une banlieue, d’Harfleur à Montivilliers, et plus modestement au Nord où l’on passe très rapidement à un espace résidentiel dans un cadre de paysage de parcellaire ouvert à dominante rurale.
Des recompositions qui creusent le fossé ville basse/ville haute
Si trois grands centres commerciaux sont identifiables en périphérie (au Nord, dans la vallée de la Lézarde et à l’extrémité est), l’essentiel des activités de services se concentre dans la ville basse : activités administratives, culturelles, récréatives.
Plusieurs chantiers urbains se sont succédés utilisant les friches ferroviaires, industrielles et portuaires donc touchant la ville basse : université et conservatoire de musique (au Nord de la gare), rénovation des Docks (toitures couleur brique) le long des bassins du XIXème siècle qui abritent une antenne universitaire, une salle de sport, un complexe aquatique du à Jean Nouvel, un centre de spectacles et congrès, un centre commercial, restructuration de l’entrée de ville au niveau de la gare (building de la CCI identifiable au niveau du bassin nord-est) et plus loin la silhouette à la toiture bleutée du stade multifonction Océane inauguré en 2012.
Le front de mer a été réaménagé (pelouses et structures démontables abritant des restaurants visibles le long de la plage) permettant à la ville d’obtenir le label de station balnéaire.
Zooms d’étude
Zoom 1. Un pays de hautes falaises
A l’extrémité de la plage du Havre commencent les falaises crayeuses, rebord occidental du plateau du Pays de Caux. Cette muraille calcaire, haute en moyenne de 80 à 100 m qui tombe brutalement dans la mer se développe du Havre vers le nord sur 140 km et constitue les plus longues falaises de France. On passe sans transition de l’espace continental à l’espace maritime et la vie littorale n’a pu se développer que dans les échancrures exploitées par de petits fleuves côtiers plus au Nord de l’image. De fait, sur le plateau est installé l’aéroport de la ville identifiable par sa longue piste (2 300 m) permettant d’accueillir des avions gros porteurs.
L’axe routier principal qui monte de la ville vers le Nord (identifiable par ses ronds-points successifs) sépare la commune résidentielle de Saint-Adresse sur sa gauche du Havre sur sa droite. La première voit des rues sinueuses et un habitat individuel qui s’adapte aux pentes et bénéficie pour une part d’une vue sur la mer. La seconde voit voisiner l’habitat pavillonnaire et une zone d’immeubles collectifs. Cette zone mixte associe habitats, activités industrielles (grande toiture blanche de l’usine des Cafés Legal, témoigne du passé caféier de la ville) et de services à la population (terrains de sports, structures de santé, caserne de pompiers…). Le front d’urbanisation progresse vers le Nord jusqu’à l’aéroport où arrive l’axe routier du contournement nord de la ville : le chantier de l’éco-quartier du Grand Hameau en construction y est visible.
Zoom 2. Un centre-ville à forte identité
La ville d‘Auguste Perret
Le centre-ville est nettement identifiable par son aspect géométrique et ses immeubles très homogènes, alignés et issus de la reconstruction après la Seconde Guerre mondiale qui l’avait réduit à un champ de ruines. Entièrement rebâti en béton armé, le centre a été l’objet, sous la direction de l’architecte Auguste Perret, d’une reconstruction unique en son genre par son étendue, sa cohérence constructive et les techniques de préfabrication. Bel exemple de perception et de représentation spatiales : longtemps dénigré pour sa grisaille, sa tristesse et ses larges ouvertures où s’engouffre le vent, il est désormais célébré depuis son classement au Patrimoine mondial de l’Unesco.
L’ensemble a été complété par deux autres éléments majeurs. Premièrement, en 1961, le MumA, musée d'art moderne André-Malraux (reconstruction du musée des Beaux-Arts détruit pendant la guerre) situé à l'entrée du port (toit blanc) et qui possède la plus riche collection impressionniste de province. Deuxièmement, en 1982 le Volcan, œuvre de l’architecte brésilien Oscar Niemeyer qui abrite une médiathèque et une scène artistique pluridisciplinaire dans le prolongement du vieux bassin du commerce (1820).
Le Havre, porte océane de Paris
La carte de la maritimité contribue à l'attractivité de la ville : les vieux bassins, à l’interface ville-port sont désormais valorisés : base nautique pour le bassin du commerce, port de plaisance de 200 places dans le bassin Vauban qui complète les 1 150 places en eau profonde du port principal situé dans la partie nord de l’avant-port.
Au sud-est de l’agglomération havraise, on identifie sur l’image un bassin abritant quelques bateaux de pêcheurs ainsi que le Terminal de Grande-Bretagne, où un navire de Brittany Ferries assure une liaison régulière avec Portsmouth. Plus particulièrement, l’un des quais de la Pointe de Floride accueille l’activité croisière du port du Havre, qui offre un linéaire de quais important et peut recevoir plusieurs paquebots simultanément. Cette activité est en forte croissance : le port du Havre a accueilli près de 472 000 passagers et 144 escales en 2024, confirmant la dynamique du terminal croisière. Sur le premier semestre 2025, environ 69 escales et 212 000 passagers ont déjà été enregistrés malgré des travaux limitant temporairement l’exploitation des quais. L’offre continue d’être développée, avec des travaux d’aménagement et une modernisation des infrastructures prévues pour accompagner l’essor de la croisière à la Pointe de Floride.
Zoom 3. Le Havre, second port de France
Le poids des hydrocarbures
Le zoom porte d’abord sur les principaux bassins de marée (Théophile Ducrocq et René Coty) du port du Havre. Sur les quais nord se trouve le complexe agro-alimentaire avec d’importantes installations de réfrigération, Le Havre est en outre le premier port mondial pour les vins et spiritueux et au premier rang français pour le café (150 000 tonnes/an). On identifie ensuite une forme de radoub, bassin qui permet la mise à sec de navires pour l’entretien et les réparations. Suit le terminal minéralier avec une partie publique et une partie stockant le charbon pour la centrale thermique EDF dont les deux cheminées dominent la zone portuaire.
Mais l’essentiel du trafic (près de 39,97 millions de tonnes avec un léger recul par rapport aux années précédentes) est constitué par les vracs liquides, en majorité le pétrole brut. Les installations de la CIM – Compagnie Industrielle Maritime occupent tous les quais sud, permettant réception, stockage et transfert de 2,4 millions de m³ de brut et 1,7 million de m³ de produits raffinés. Le Havre est ainsi la pointe terminale d’un vaste complexe pétrochimique réunissant plusieurs raffineries et qui s’étend vers l’amont sur la Seine.
Port 2000 et conteneurs : la volonté de rester un « main port » de la Nothern Range
Au fond de ces bassins se trouve l’écluse François 1er, sas vers la ZIP et les quatre terminaux conteneurs. Ils formaient deux sous-ensembles de part et d’autre de l’écluse avant la création de Port 2000 (deux ne sont plus utilisés). L’image permet de comprendre la nécessité de l’opération Port 2000 : quais trop disséminés, de longueur et de profondeur insuffisantes. Les bassins à flot - qui assurent un niveau d’eau constant face aux jeux des marées - présentent le handicap du passage de l’écluse, soit une contrainte de 2h30 à 3 heures d’éclusage par passage. De même, les bassins de marée nécessitent des transferts entre terminaux et de navire principal à feeders, coûteux en termes de « brouettage » et autres opérations de manutention.
L’opération Port 2000 est le nom de la grande opération d’aménagement et de développement portuaire qui se déploie entre 2001 et 2006. Les nouvelles installations ont nécessité une nouvelle digue, un second chenal et des quais à l’extérieur de l’enceinte traditionnelle du port. Dix des douze postes prévus sont en fonctionnement avec des atouts décisifs par rapport aux autres terminaux. Ils présentent des quais rectilignes très long optimisant son utilisation et celle des outillages, des terre-pleins d’au moins 500-600 mètres de profondeur pour permettre une gestion efficace des parcs, des hauteur d’eau minimale de 16 mètres pour accueillir les plus gros navires (plus de 24 000 boites depuis 2017) dans toutes les conditions de marée.
Ce nouveau dispositif assure une bien meilleure fluidité d’accès au port et de navigation à l’intérieur du port (pas d’écluse, manœuvres aisées et sures – largeur de 350 mètres pour manœuvre de croisement, cercle d’évitage de 600 mètres, minimisation des risques de temps d’attente).
De fait, Le Havre demeure le 6e port du Nothern Range pour le trafic conteneur (3,1M d’EVP ou boites, en 2024).
Des faiblesses terrestres face à la concurrence européenne
Pour autant, se pose une question essentielle pour la compétitivité du port : les acheminements et les dessertes. Or les terre-pleins des postes de Port 2000 ne sont pas reliés à une ligne de voie ferrée et/ou à la desserte fluviale. La réalisation d’une chatière - qui consiste à créer un chenal protégé par une digue en ouvrant la digue sud du port historique et la digue nord de Port 2000 - a été actée en 2018, mais n’est toujours pas réalisé en 2025.
Toujours en 2024, sur les 2,1 MEVP qui entrent dans des échanges avec l’hinterland (par opposition à la fonction de transbordement mer-mer), plus de 220 00 sont transportés par voie d’eau de ou vers Le Havre (10,5%), près de 120 000 EVP sont transportés par train (5,7%), le reste étant transportés par la route qui conserve une part modale prépondérante (83,8%).
Si la situation géographique du port du Havre est un atout à l’entrée de la Manche (premier touché pour les importations, dernier pour les exportations), le potentiel démographique et économique de son arrière-pays, ou hinterland, est plus faible que celui de ses concurrents plus centraux et mieux desservis en infrastructures terrestres, en particulier Rotterdam et Anvers sur le delta du Rhin et desservant une large partie de l’Allemagne.
Zoom 4. Une ZIP accolée au port
L’écluse François 1er donne accès à la ZIP, un vaste espace de 6 000 hectares compris entre le Canal du Havre à Tancarville au nord (qui permet d’éviter la navigation dans l’estuaire pour les navires remontant la Seine) et l’estuaire au sud développé à partir de la fin des années 1960. Un second canal la parcourt partiellement au sud (Grand canal du Havre).
L’extrémité occidentale visible ici renvoie à la vocation initiale industrielle de la zone qui est d’abord une plate-forme pétrolière et chimique. Trois entreprises de stockage d’hydrocarbures et produits chimiques et deux entreprises chimiques sont identifiables par leurs sphères alors qu’à l’est de l’image se profile la raffinerie et l’usine pétrochimique du groupe Total. Le seul « intrus » au nord-ouest de la zone est l’usine Aircelle, filiale du groupe aéronautique Safran qui construit des nacelles, terme qui définit les capots qui entourent et protègent les moteurs d’avions.
Ce n’est que plus en amont au voisinage des ponts de Normandie et de Tancarville et des autoroutes A29 et A13 que s’égrènent les parcs logistiques alors que les usines Renault (montage automobile) et Lafarge (ciment) témoignent de la fonction initiale de la ZIP et que la réserve naturelle nationale de l’estuaire rappelle l’importance des enjeux environnementaux. Ainsi le projet de prolongement du Grand Canal du Havre jusqu’à Tancarville pour rejoindre la Seine a été abandonné.
Traduction
Auteur
Jean-Francois Joly, Professeur émérite en CPGE, Le Havre