Au large de l’Alaska, le finistère occidental des États-Unis se projetant vers la masse de l’Eurasie, la grande île de Kodiak sert de havre, maritime et aérien, et de vigie. Cet espace est sous fortes contraintes, tectoniques (séismes et tsunamis) et climatiques, tout en bordant une des zones halieutiques les plus riches du monde. Surtout, l’île est en situation de contact entre, à l’est, le golfe d’Alaska, au nord, l’entrée du grand fjord d’Anchorage, un pôle militaire de première importance, et enfin, au sud-ouest, la longue péninsule de l’Alaska puis des îles Aléoutiennes, qui jouent un rôle géostratégique majeur dans le Nord-Pacifique face à la Russie et à la Chine. Kodiak abrite donc la plus grande base du corps des garde-côtes des États-Unis (USCG) qui assure la protection de 10 millions de km² de territoire maritime alaskien et de plus de 75 000 km de côtes, un centre d’entraînement commando des fameux US Navy SEALs et enfin le Pacific Spaceport Complex-Alaska travaillant pour la MDA, l’US Missile Defense Agency, au développement de nouvelles armes hypersoniques.
L’île de Kodiak : les fortes contraintes de la plus grande île de l’Alaska en position str
L’image montre deux sous-ensembles régionaux très différents, mais bien articulés qui constituent un ensemble régional spécifique : une longue péninsule et une grande île. Pour en comprendre l’importance, il faut nécessairement changer d’échelle géographique d’analyse. Nous sommes là — à l’échelle continentale — à l’extrémité méridionale de l’Alaska, le grand finistère qui projette les États-Unis au contact direct et immédiat de l’Eurasie et de la Russie. Si la partie Nord est continentale et massive vers le détroit de Béring, le contact Sud est océanique, péninsulaire et (sur) insulaire. Car il se projette en mer à des milliers de kilomètres jusqu’à lécher — à seulement 340 km de distance — la péninsule russe du Kamtchatka, tout en isolant la mer de Béring du Pacifique-Nord. Mais ces terres stratégiques pour Washington sont désertes ; le borough de Kodiak, qui compte 92 000 habitants répartis sur 154 800 km², soit une densité (0,59 hab./km²) parmi les plus basses au monde, du fait de l’éloignement, de l’isolement insulaire et de contraintes exceptionnelles.
L’île de Kodiak : une situation maritime névralgique sous fortes contraintes
Au nord-ouest de l’image générale s’étend la retombée de la péninsule de l’Alaska dont on perçoit bien la couverture glaciaire et la côte à fjord (cf. zoom 3) ; l’ensemble est froid, désert et inhabité. S’étendant sur 800 km de long et se poursuivant par l’archipel des Aléoutiennes, elle sépare les eaux du golfe de l’Alaska à l’est de la baie de Bristol et de la mer de Béring à l’ouest.
Le détroit de Shelikof, du nom du commerçant russe qui fonda le premier établissement dans l’actuelle Alaska, sépare les deux ensembles. Long de 240 km et large de 50 km, il continue vers le sud le fameux Cook Inlet, long de 290 km, qui donne accès à la métropole stratégique d’Anchorage. Celle-ci accueille la grande base commandant tout le système de défense arctique des États-Unis face à la Russie et à la Chine. Dans ce détroit, l’amplitude des marées peut atteindre des niveaux exceptionnels (12 m).
Au centre de l’image enfin, l’île de Kodiak couvre 9 311 km², soit l’équivalent du département français du Loir-et-Cher, ce qui en fait la plus grande île de l’Alaska et la seconde des États-Unis après l’île d’Hawaï (10 430 km²). Elle se déploie sur 250 km de long et 20 à 90 km de large. Elle est entourée d’un archipel comprenant 162 îles nommées, et près de 1 500 îles sans nom. Elle regroupe 13 000 habitants, soit seulement 1,4 hab./km². L’île est particulièrement montagneuse et culmine au Koniag Peak, un volcan de 1 353 m. Les basses terres les plus abritées du nord-est sont partiellement boisées (forêts d’épicéas) alors que la toundra domine largement dans le reste de l’île, en particulier dans les zones d’altitude. Découpé en une multitude d’îles et d’îlots, cet archipel est caractérisé par des côtes escarpées, de nombreux fjords et de profondes vallées d’origine glaciaire. Kodiak, la capitale, se réfugie au nord-est au fond d’une baie profonde en position d’abri.
Au plan climatique, la région est en effet couverte par un climat continental humide (Kodiak : 1,9 m de précipitations, 204 jours par an, dont 179 mm de neige) aux hivers froids (janvier : –0,4 °C) et aux étés médiocres (juillet : 13,6 °C). Les nuages bas et les brouillards sont fréquents, les vents parfois très puissants et rapides (50 à 75 nœuds) rendent la navigation et la pêche particulièrement dangereuses. La région est dominée en hiver par le centre de basses pressions des Aléoutiennes qui constitue un des principaux centres d’action de la circulation atmosphérique dans le Nord-Pacifique et l’Hémisphère Nord. L’Alaska et l'archipel de Kodiak subissent ces dernières décennies d'importants changements environnementaux et climatiques qui affectent en particulier leurs dynamiques maritimes.
Une zone tectonique particulièrement active : tremblements de terre et tsunamis
Surtout, Kodiak et sa région se trouvent dans une des zones tectoniques les plus actives au monde (documents 3 et 4). En 1912, l’éruption du Novarupta voisin, situé à 260 km, couvre l’île et la ville de 30 cm de cendres et provoque d’importantes destructions. Surtout, la région connaît chaque année des milliers de secousses sismiques, aux degrés d'intensité variables – en général de magnitude 4 à 6 – mais qui peuvent être particulièrement redoutables.
En 1964, la région est frappée par le « grand séisme d'Alaska » d’une magnitude exceptionnelle de 9,2, le plus important jamais enregistré jusqu’ici aux États-Unis. Il est suivi d’un tsunami qui balaye toute la région, dont une large partie de l’île. La vague de 9 m de hauteur détruit presque entièrement la ville de Kodiak et les communautés côtières. Si les systèmes d'alerte précoce ont permis de sauver de nombreuses vies, les coûts de la reconstruction ont été considérables. Aujourd’hui, la population est préparée et entraînée à suivre des itinéraires d'évacuation clairement balisés vers des zones de sauvegarde.
Ces séismes et tsunamis s’expliquent par la proximité de la zone de subduction entre la plaque tectonique Pacifique, qui remonte vers le nord et glisse sous la plaque tectonique Nord-Américaine, produisant ce que les géologues dénomment le méga-chevauchement Alaska-Aléoutien (Alaska-Aleutian Megathrust). Ce phénomène est caractérisé par une vitesse de convergence significative, s'échelonnant de 55 à 75 millimètres par an selon les segments, l'un des taux les plus rapides au monde. Cette subduction se déroule le long de la fosse des Aléoutiennes. Le chevauchement Alaska-Aléoutien est une source majeure de séismes de très grande magnitude (M > 8) car la friction entre les deux plaques entraîne une accumulation de contraintes sur plusieurs siècles. Lorsque ces contraintes sont libérées, elles provoquent un séisme colossal, souvent suivi d'un tsunami dévastateur, comme ce fut le cas lors du séisme de 1964. Ce type de rupture engendre un phénomène de glissement cosismique qui peut soulever ou abaisser de vastes zones du plancher océanique, déplaçant ainsi une colonne d'eau massive. De plus, la subduction est responsable du volcanisme actif qui caractérise la péninsule et l'archipel des Aléoutiennes ; l'eau relâchée par la plaque plongeante entraine la fusion du manteau sus-jacent et génère ainsi des magmas à l'origine du volcanisme.
C’est dans ce contexte qu’à l'été 2025, par exemple, une équipe de recherche dirigée par l'USGS a collaboré avec le navire Rainier de la NOAA afin de cartographier une vaste bande de fonds marins au large de l'île Kodiak, en Alaska, le long de la fosse Alaska-Aléoutienne afin d’en mieux connaître les structures.
Une mise en valeur déséquilibrée et polarisée : le poids de Kodiak et de son interface fonctionnelle
L’île de Kodiak est habitée depuis au moins 7 000 ans par les Alutiiq (Sugpiaq, nom des Alutiiq – ou Aléoutes – de la région de Kodiak). Le site actuel de la ville de Kodiak devient le centre administratif et commercial (traite des fourrures) de l’Amérique russe (Paul’s Harbor) en 1792 ; il est déplacé en 1804 plus au sud en suivant le front pionnier de la colonisation dans l’actuelle Sitka, alors que la ressource régionale de peaux (cf. loutres) est épuisée. Elle intègre les États-Unis d’Amérique lors du rachat de l’Alaska à la Russie en 1867, l’Alaska devenant un État fédéré des États-Unis d’Amérique seulement en 1959.
L’organisation de l’espace insulaire repose sur l’hypertrophie de la ville de Kodiak, qui polarise 90 % de la population, des activités et des services. Grâce à un petit réseau routier, elle organise un pôle Est en intégrant quelques sites, la seule grande route existante reliant Kodiak au Narrow Cape où se trouve la petite base spatiale. À l’opposé, quelques 700 habitants, soit environ 5 % de la population, se répartissent dans des petits villages littoraux isolés — comme Port Lions (165 hab.), Old Harbor (200 hab.), Karluk (28 hab.) ou Larsen Bay (28 hab.) — reliés au centre par la mer et un petit aérodrome. Si la population de Kodiak est identifiée selon la nomenclature officielle du recensement comme Blanche à 46,4 % (White), Native American à 10,5 % et Asiatique (Asian) à 31,7 %, la géographie sociale insulaire est ségrégée : la population autochtone compose souvent 70 à 90 % de la population des écarts littoraux face à la domination de la population blanche dans la ville-centre de Kodiak.
Cette polarisation est renforcée par le fait que la Réserve faunique nationale de Kodiak (Kodiak National Wildlife Refuge – KNWR) couvre 730 000 ha, soit les deux tiers de l’île de Kodiak, une partie de l'île Afognak et la totalité des îles Ban et Uganik. On y trouve en particulier quelques milliers d’ours bruns de Kodiak. Par son caractère singulier, l’absence d’habitat permanent et un patrimoine exceptionnel, cette région est l’un des symboles de la wilderness — la grande nature sauvage nord-américaine. Une grande partie du Borough est d’ailleurs constituée de terres gérées par les autorités fédérales. Le principal propriétaire foncier fédéral sur l'île Kodiak est l'U.S. Fish and Wildlife Service (USFWS). L'USFWS gère la KNWR de Kodiak, mais aussi une partie de la Réserve faunique nationale de Becharof et de la péninsule d'Alaska (APNWR), et la Réserve faunique nationale maritime d'Alaska (AMNWR).
Enfin, Kodiak joue un rôle d’interface logistique majeur par ferries ou avions à deux échelles, en reliant toutes les communautés isolées de l’île entre elles et l’île avec le reste du monde. Dans ce dernier cas, il convient de souligner le rôle exceptionnel joué par l’Alaska Marine Highway System (AMHS) dans les liaisons maritimes. Créée en 1949, l’AMHS est une ligne de ferries de l’État fédéré de l’Alaska, financée pour partie par des crédits fédéraux, qui assure la continuité territoriale sur la côte continentale du Pacifique et l’est des Aléoutiennes par cabotage. Sur une distance de 5 600 km, de Dutch Harbor dans l’île d’Unalaska au nord à Bellingham, dans l’État fédéré de Washington au sud, la ligne dessert 32 terminaux. Mais la desserte de Kodiak, Old Harbor, Port Lions et Ouzinkie est aujourd’hui en difficulté du fait de l’âge avancé du MV Tustumena, entré en service en 1964, qui doit être remplacé par un navire neuf vers 2027.
L’importance des fonctions militaires d’une île en position stratégique
Dès 1792, les commerçants puis les autorités russes ont valorisé la position stratégique de l’île de Kodiak. Aujourd’hui, trois activités jouent un rôle majeur dans l’économie et la structuration du territoire insulaire.
La Kodiak Station des garde-côtes (US Coast Guard) : la protection de 10 millions de km² de ZEE et de plus de 75 000 km de côtes
Historiquement, dans le cadre de la lutte contre le Japon impérial durant la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis construisent à Kodiak entre septembre 1939 et juin 1941 une base militaire qui sert de point d’appui aux opérations dans les Aléoutiennes en 1943. Elle devient ensuite une station navale remise au corps des garde-côtes. Aujourd’hui, elle est la première base aérienne permanente des garde-côtes en Alaska et la plus grande des États-Unis. Accueillant à la fois des unités navales et aériennes (hélicoptères, avions), elle a en responsabilité le contrôle, la protection, la recherche et le sauvetage en mer de près de 10 millions de km² de ZEE alaskienne et de plus de 75 000 km de côtes, en couvrant le golfe d’Alaska, la baie de Bristol, la mer de Béring et la côte Pacifique de l’Alaska. De plus, dans le contexte tendu actuel face à la Russie et à la Chine dans le Nord-Pacifique et dans l’Arctique, l’US Coast Guard – rattachée à l’US Department of Homeland Security – cherche à s’intégrer à un fonctionnement interministériel et inter-forces. Ainsi, en 2025, la station de Kodiak, rattachée au Coast Guard Arctic District, déploie ses C-130 Hercules en lien avec l’U.S Northern Command and Alaska Command à la recherche des navires chinois.
Une telle base militaire a un impact considérable sur l’organisation de la ville et ses dynamiques urbaines, sociales et économiques (masse salariale élevée, dépenses des familles, santé, scolarisation...). Elle dispose de 11 200 hectares de terrain, de 66 kilomètres de routes, de deux embarcadères principaux et, surtout, gère l'aéroport et ses pistes et assure le contrôle aérien. Avec 1 300 militaires d’active et 200 salariés civils, la base est de loin le premier employeur de l’île. En comptant les familles de militaires présentes dans 400 logements, la base de Kodiak représente un tiers de la population totale de la ville de Kodiak. Dans les années qui viennent, son potentiel va être sensiblement renforcé avec l’arrivée de quatre nouveaux navires et 350 militaires. Et peut-être par la suite par certains des quinze brise-glaces commandés en 2025 par Washington à la Finlande.
Le Centre d’Entraînement Commando Zone Froide des fameux US Navy SEALs
En 1987, l’US Navy décide d’implanter à Kodiak un centre d’entraînement commando — zone froide sur le site de Spruce Cape. Il accueille en particulier les activités des fameux US Navy SEALs, qui sont parmi les meilleures troupes commandos au monde. Ce sont elles, par exemple, qui furent mobilisées en 2011 au Pakistan sous l’Administration Obama dans l’opération contre Ben Laden à Abbottabad.
Le Pacific Spaceport Complex-Alaska : le test de nouveaux armements anti-missiles et hypersoniques
En 1998 à Narrow Cape, à 72 km au sud-est de Kodiak, fut installé un petit port spatial avec l’aide de l’État fédéré d’Alaska, le Pacific Spaceport Complex-Alaska (PSCA), détenu et exploité par l’Alaska Aerospace Corporation dont le siège est à Anchorage. Il couvre 15 km² et emploie une cinquantaine de salariés. Son premier vol inaugural fut assuré pour l’US Air Force, et cette petite installation réalise en moyenne un lancement par an, à but commercial ou militaire. Le principal intérêt de sa localisation est d’être très au nord du pays (latitude : 57°26′07″ N), ce qui permet un accès immédiat à l’orbite polaire.
Mais depuis quelques années, les orientations du site évoluent. L’année 2004 ouvre ainsi un cycle de lancements pour la MDA, la fameuse US Missile Defense Agency, qui est devenue de loin son premier client. Le PSCA effectue des lancements de missiles cibles mer-sol balistiques Polaris qui doivent être interceptés et donc détruits par des (contre-)missiles lancés à partir du site d’essai balistique Ronald-Reagan, situé à 6 300 km de distance, à 8°43′ N de latitude dans l’îlot corallien de Kwajalein dans les îles Marshall en plein océan Pacifique. En 2024, on assiste au lancement d’un nouveau projet de polygone d'essais hypersoniques du Pacifique en Alaska en réponse à la rapide montée en puissance des recherches sur les nouvelles armes hypersoniques aux États-Unis, en Chine ou en Russie. Du fait même de son isolement et de sa haute latitude, l’île de Kodiak se trouve aussi mobilisée dans la nouvelle course aux armements entre puissances mondiales.
La crise de la pêche : richesse de la ressource, mondialisation des marchés et conflit avec la Russie et la Chine dans le Nord-Pacifique
Cette intégration fonctionnelle à la mondialisation et à la géopolitique et géostratégie continentales et mondiales a aujourd’hui un impact direct sur la question de la pêche. Au sein des grands écosystèmes marins, ou complexes écosystémiques, de l’Alaska, le golfe d'Alaska et la mer de Béring sont parmi les plus riches au monde en ressources halieutiques. On y a longtemps trouvé les pêcheries commerciales (colin ou goberge, morue, lieu, saumon, flétan, crabe royal...) les plus importantes et les plus rentables. Assez tôt, elles furent historiquement des enjeux de conflits et de protection : on assiste à l’exclusion des flottilles de pêche étrangères, essentiellement japonaises et russes, des eaux alaskiennes dès 1965 et à la création de la ZEE étasunienne dès 1977.
Comme l’indique la présence du centre de recherche de la pêche de la NOAA à Kodiak (Kodiak Fisheries Research Center), cette ressource est l’une des mieux gérées du monde (qualité scientifique de la recherche, mise en place de quotas et suivi des pêches...). C’est pourquoi en Alaska les deux villes d’Unalaska-Dutch Harbor, plus au sud, et de Kodiak sont les deux grands pôles de capture traditionnels des espèces benthiques.
On assiste cependant aujourd’hui à un double retournement. Les acteurs sont frappés par la soudaineté et la gravité de l'effondrement des stocks en mer, dont on peine à comprendre pour l’instant toutes les causes (réchauffement des eaux, changement des courants, migrations des bancs... ?). À ceci s’ajoute la situation de plus en plus précaire de l'industrie de la pêche, liée en interne à la forte baisse de la demande étasunienne de produits de la mer d'Alaska. En externe, à la fermeture de l’important marché chinois dans le cadre de la guerre commerciale et technologique lancée par l’Administration Trump contre Pékin, et à la concurrence frontale exercée par l'arrivée massive de produits russes à bas prix sur les marchés mondiaux, liée au pillage de la ressource dans le Pacifique par une flotte de pêche russe largement modernisée ces dernières années. On assiste donc dans toute la région de Kodiak à de graves difficultés économiques dans toute la filière (fermetures de conserveries, pertes d’emplois, reports des investissements, surendettement...).
les zooms d'études
Zoom 1. L’agglomération de Kodiak : poids des fonctions militaires et croissance urbaine
Au fond de la baie de Chiniak, le site central se trouve tourné vers l’est en position d’abri du fait de la présence des Three Sisters dans les terres et des îles Near Island et Woody Island au large. Du fait de fortes contraintes et du manque d’espace, la ville se développe en un ruban littoral vers le sud (zone portuaire, aéroport et base des garde-côtes, nouvelle zone portuaire...). La ville est bien marquée par ses fonctions militaires avec, au nord-est, Spruce Cape qui accueille le Centre d’entraînement commando de l’US Navy et, au sud, la vaste base marine et aérienne des garde-côtes.
Il convient de souligner que toute la zone du front de mer a été balayée par le grand tsunami de 1964. La situation demeure donc à la fois très contrainte et très précaire face à l’aléa naturel qui fait peser un risque majeur sur les installations et les équipements. Actuellement, les stratégies d’aménagement (cf. nouveau Plan directeur de 2023) mettent l’accent sur la mutation urbaine du front de mer du fait de multiples besoins sectoriels (garde-côtes, grande pêche, transports, tourisme, maréculture...). En particulier, certains acteurs locaux rêvent de faire de Kodiak la grande porte d'entrée sur l'Arctique avec le développement de la construction navale et des services nécessaires à l’accueil des brise-glaces, des navires de recherche et de transport maritime. On assiste en particulier ces dernières années au développement urbain sur Near Island, reliée par un pont qui met fin à la rupture de charge.
Zoom 2. Old Harbor : l’exemple d’une petite communauté autochtone isolée
Un petit village littoral isolé
À 113 km au sud-ouest de Kodiak se trouve le petit village d’Old Harbor, peuplé de 220 habitants. Installé sur l’étroit détroit de Sitkalidak, il est protégé du large par la grande île du même nom, entourée de deux baies profondes. Il est au contact entre la zone arbustive (saule, aulne...) et la toundra. Le vieux site se situe au pied d’une montagne assez élevée et dispose d’un ponton d’accès et d’une digue de protection. Le nouveau village se développe près de la petite plaine alluviale descendant du Koniag Peak, en bordure de laquelle est construite la petite piste de l’aérodrome. Le village est desservi par 10 km de route, dont trois seulement s’enfoncent dans les terres. De fait, toute l’activité est tournée vers la mer.
Depuis son pic démographique de 1980, le village est en recul démographique lent mais régulier (- 1/3 de la population). Depuis environ 10 000 ans, les autochtones Sugpiaq/Alutiiq occupent le village, l’île et la région. À leur arrivée dans les années 1780, les colons russes à la recherche de fourrures massacrèrent plusieurs centaines d’autochtones à Refuge Rock, près de l'île de Sitkalidak** ;** un lieu devenu aujourd’hui sacré. Comme dans tous les villages reculés de l’île, les autochtones y sont aujourd’hui largement majoritaires en composant 73 % de la population (« Native American » pour le recensement). Au plan socio-démographique, le village se caractérise par sa jeunesse (44 % moins de 18 ans, âge médian de 27 ans) et par l’important taux de pauvreté de sa population (30 %).
Old Harbor est à l’image des huit communautés isolées (Akhiok, Karluk, Larsen Bay, Ouzinkie, Port Lions et Chiniak) dont 77 % de la population est autochtone. Aucune route ne relie Kodiak aux villages périphériques, à l'exception de Chiniak. Les habitants dépendent du transport maritime ou aérien pour se déplacer entre leurs villages, la Route maritime de l'Alaska constituant un lien vital entre l'Alaska continental, Kodiak et les trois villages desservis (Old Harbor, Ouzinkie et Port Lions).
Old Harbor : un exemple de stratégies de développement des communautés autochtones d’Alaska
Progressivement, dans leur combat pour faire reconnaître leurs droits fonciers, sociaux, culturels et économiques, les communautés autochtones se sont dotées d’un dense tissu associatif. Créée en 1966, la Kodiak Area Native Association (KANA) a vu son rôle reconnu et renforcé par l’adoption de la Loi sur le règlement des revendications territoriales des autochtones d'Alaska (ANCSA) promulguée par l’Administration Nixon en décembre 1971. Aujourd’hui, les sociétés ANCSA sont collectivement le plus grand propriétaire foncier privé de l'archipel de Kodiak (le premier propriétaire foncier étant l’État fédéral), et peuvent ainsi gérer l’exploitation forestière, l’installation d’activités touristiques, le développement immobilier résidentiel ou l’exploitation minière.
En lien avec les gouvernements tribaux régionaux, la KANA fournit en particulier des services médicaux aux résidents autochtones dans tout l’archipel de Kodiak. Pour accompagner le développement économique de la communauté autochtone d’Old Harbor, largement tributaire de la pêche, plusieurs projets ont été mis en œuvre : agrandissement de la piste de l'aérodrome, construction d'une centrale hydroélectrique au fil de l'eau, projet de mise en valeur du saumon dans la baie des Trois-Saints et de construction d'une usine de transformation du poisson congelé.
Zoom 3. La péninsule d’Alaska et le Katmai National Park : wilderness, volcans et glaciers
La longue péninsule de l’Alaska, culminant ici au Mont Griggs à 2 316 m. est dominé par un puissant appareil volcanique trés actif couvert d’une calotte de glace de laquelle descendent de nombreux glaciers (cf. Hook Glacier). Les grandes vallées glaciaires, les vastes zones d’épandages des puissants cours d’eau (cf. Katmai Bay), la présence de vastes lacs de barrage de surcreusement glaciaire et l’importance des fjords, les vallées glaciaires envahies par la mer, témoignent de la puissance de cette emprunte morphologique. Le volcanisme est récent et actif. Le Mont Katmai (2 047 m), dont la caldera sommitale est couronnée par un beau lac de cratère, est ainsi un stratovolcan actif dont la dernière éruption date de 1912. Alors que l’Alaska compte au total 140 volcans et champs volcaniques actifs, la majeure partie d’entre eux s’étalent sur les 2500 km de l’arc des Aléoutiennes dans le cadre de la « Ceinture de feu du Pacifique ».
Documents complémentaires
Site Alaska Earthquake Center
https://earthquake.alaska.edu/sites/default/eqMap2/tsunami/html/tsunami…
Cartographie du risque de tsunami à Kodiak (State of Alaska, Dept. of Nat. Ressources, Geological Survey)
https://dggs.alaska.gov/pubs/id/29740
https://dggs.alaska.gov/webpubs/dggs/ri/oversized/ri2017_008_sh001.pdf
Le site de l’United States Coast Guard
https://www.uscg.mil/
Auteur :
Laurent Carroué, Administrateur de l’État honoraire, Inspecteur Général de l'Éducation, du Sport et de la Recherche, Directeur de recherche à l’Institut français de géopolitique - IFG de l’Université Paris VIII.