France - Le bassin de Lacq : les évolutions d’un espace productif industriel dans les Pyrénées-Atlantiques.

Commencée en 1951, l’exploitation du gaz naturel sur le site de Lacq a bouleversé une région qui était essentiellement rurale et agricole, tout en modelant une politique énergétique nationale. Cette aventure industrielle ne peut se comprendre sans envisager la situation des énergies en France et la volonté des gouvernements d'assurer l'indépendance énergétique du pays. À l’origine, l’industrie gazière était issue du charbon, le « gaz de ville ». Dès les années trente, la France poursuit sa quête d’hydrocarbures, essentiellement dans les bassins parisien et aquitain, et le fossé rhénan. Les résultats sont cependant maigres : un gisement de gaz naturel à Boussens en 1939, un peu de pétrole à Lacq dix ans plus tard, sans oublier un gisement en Alsace.

Mais, tout bascule au début des années 50 lorsque surgit d’un coup le gisement de Lacq, au point que l’on parle rapidement de « Texas français ». Complèteront cette ressource ensuite, les exploitations des gisements algériens d’Hassi Messaoud et Hassi R’Mel (1956). La région du gave de Pau, au centre du Béarn, entre Orthez et Pau, en sort alors transformée non seulement dans ses paysages, mais aussi dans son tissu urbain et social. Commence alors, comme l’écrit Jean Lartéguy, "La Grande aventure de Lacq", dont l’acteur principal est la Société Nationale des Pétroles d’Aquitaine (SNPEA, ancêtre de la multinationale Elf Aquitaine, absorbée ensuite par Total, appelé aujourd'hui TotalEnergies). Les effets sont très nombreux, notamment la construction d’une ville nouvelle à Mourenx, les aménagements d’infrastructures comme le Pôle d’Études et de Recherche de Lacq et surtout le Centre scientifique et technique Jean-Féger, centre de recherches mondial sur les énergies, situé à Pau en lien avec l’université, qui a vu le jour au même moment.

Aujourd’hui, après trois générations, le site poursuit sa mue, en se tournant autant vers la chimie verte, les énergies nouvelles ou plus récemment, le recyclage de terres rares, jalons d’une transition et d’une réindustrialisation poussées par la France.

Cette image de la ville de Lacq, dans le sud-ouest de la France, a été prise par un satellite Pleiades le 9 août 2024. © © PLEIADES  CNES 2024
Repères géographiques © © PLEIADES  CNES 2024

Présentation de l’image globale

Sur cette image satellite Pléiades, le site industriel de Lacq (zoom 1) s’identifie clairement au centre par sa forme géométrique. D'autres zones industrielles, d’importance secondaire, l'entourent à l’ouest, au sud et au sud-est. La ville d’Artix, à l’est, vaste zone grise et composite de par sa structure pavillonnaire, est clairement visible, tandis que Mourenx (zoom 2) se situe un peu plus au sud, en dehors de l’image.

Quelques axes structurants, orientés est-ouest et globalement parallèles, apparaissent également sur l’image. Au sud du complexe de Lacq, le gave de Pau serpente, entourée de zones boisées vertes foncées, bien visibles sur l’image. Limitrophes de la zone industrielle au nord, une voie de chemin de fer et la route départementale (RD 817) qui relient Pau à Bayonne constituent deux axes structurants de cet espace. Enfin, plus au nord, le tracé de l’autoroute A64 dite « La Pyrénéenne » qui relie Bayonne à Toulouse est clairement visible : il constitue le dernier axe structurant de cette image.

Ce complexe se situe au sein de zones agricoles du piémont pyrénéen, identifiables à leurs damiers sur l’ensemble de l’image. À l’exception de la vallée du gave de Pau, cette zone reste assez peu boisée. Quelques ensembles boisés assez circonscrits restent tout de même identifiables à leur vert sombre sur l’image.

Un héritage géomorphologique

La géomorphologie du département s’organise autour de trois ensembles naturels : la côte atlantique, le piémont pyrénéen et les Pyrénées comme le montre l’image générale de fin de dossier. Lacq se situe dans le piémont, entre les plaines landaises et la chaine des Pyrénées. Ce sont des collines arrondies. Les pentes sont rarement fortes. Là coulent de nombreuses rivières dont les plus importantes sont les deux gaves, celui de Pau et celui d’Oloron, qui se rejoignent à Peyrehorade. Ils ont façonné des unités paysagères spécifiques, unités dans lesquelles le complexe de Lacq voit le jour. 

Le complexe de Lacq se situe dans la moyenne vallée du gave de Pau. Orientée nord-ouest/sud-est, elle se découpe en trois unités paysagères, à savoir :

  • les « saligues », nom béarnais pour désigner la forêt de chênes et de saules implantée dans le lit majeur du gave, sont une zone inondable ;
  • les « ribeyres », moyennes terrasses sur lesquelles on trouve les villages et les terres labourables ; c’est là que s’installent les industries ;
  • les coteaux où alternent les bois et les landes (les « touyas »). Des vignes sont à relever sur les pentes orientées au sud entre les gaves de Pau et d’Oloron.

Plus à l’ouest la côte atlantique est visible sur l’image Sentinel à grande emprise de ce dossier. Le nord de la côte appartient à l’extrémité sableuse du littoral aquitain, tandis que le sud est lui une côte rocheuse avec des falaises abruptes et de petites baies sableuses. Ce sont essentiellement des calcaires crétacés et tertiaires.

Plus au sud la chaîne pyrénéenne est visible. Dans sa partie atlantique, que l’on aperçoit ici, elle ne dépasse pas les 2000 mètres, mais culmine dans sa partie centrale à 3404 mètres avec l’Aneto en Espagne et le Vignemale à 3298 mètres dans la partie française.

Un département aux contours particuliers

Le département des Pyrénées-Atlantiques, appelé Basses-Pyrénées jusqu’en 1969, se situe dans le sud-ouest de la France et appartient aujourd'hui à la région Nouvelle-Aquitaine. Son nom vient de la chaîne de montagne qui le traverse au sud et de l’océan qui le borde à l’ouest. Il se subdivise en trois arrondissements, celui de Pau, celui d’Oloron-Sainte-Marie et celui de Bayonne, Pau étant la ville préfecture depuis 1796. Culturellement et historiquement, il se divise en deux entités, le Béarn avec Pau comme capitale et, le Pays Basque avec Bayonne comme ville principale.

Constitué du massif montagneux et des plaines de piémont, le département est d’abord agricole (polyculture et vigne), même si existent une ancienne tradition textile (Nay, Oloron-Sainte-Marie) et un peu de métallurgie diffuse dans les vallées pyrénéennes et le piémont, jusqu’à l’arrivée de l’activité industrielle gazière. Le tourisme est également présent, et ce depuis longtemps. En effet, au XIXe siècle, Pau devient l'équivalente des villes d'eaux européennes et accueille des touristes des quatre coins de l'Europe, des anglais principalement, venus se reposer pour profiter du bon air qui soignerait la tuberculose et prendre les eaux dans les Pyrénées. Le déclin de cette activité ne viendra que progressivement au XXe siècle, concurrencé alors par la mode des bains de mer. La côte basque a, quant à elle, connu une destinée différente. Sous le Second Empire, l’impératrice Eugénie lance la station de Biarritz, la mise en tourisme se faisant ensuite progressivement à l’ensemble du littoral, sans jamais se démentir avec des stations comme Saint-Jean-de-Luz ou encore Bidart. Il demeure que ces mutations économiques du XIXe siècle laissent d'importantes traces dans les paysages, le Boulevard des Pyrénées, équivalent de la promenade des Anglais à Nice, les jardins ou encore les immenses villas n'étant que des exemples pris à Pau.

Zooms d'étude 

© © PLEIADES  CNES 2024
© © PLEIADES  CNES 2024

Zoom 1 : les trois sites du complexe

Le complexe industriel de Lacq participe des politiques énergétiques et d'aménagement du territoire français.

Après la découverte d'un gisement de pétrole en 1949, le gisement principal de gaz est découvert en 1951. Une usine de raffinage, de traitement de gaz, de stockage d’hydrocarbures et de soufre est construite sur la commune de Lacq. Puis s’installent des sociétés qui vont utiliser le gaz, soit comme matière première, soit comme source d’énergie. Se crée ainsi un « combinat » industriel, regroupant la production d’énergie (gaz et électricité avec aussi un peu de pétrole), la chimie (soufre, matières plastiques), puis des industries électromécaniques.

À partir de 1962, sur une surface de 600 hectares, ce complexe industriel occupe trois sites principaux :

  • la plate-forme SNPA étendue sur les communes de Lacq et d’Abidos, premier site occupé afin d’y fonder l’usine de traitement du gaz découvert sur place autour des trente-deux puits ;
  • le site de Mont-Arance, initialement dédié à la production de plastiques à partir d’hydrocarbures (usine Arkema) ;
  • le site de Pardies, installée en partie dans les communes de Noguères, de Pardies et de Besingrand. Historiquement c'est le lieu d’implantation d’une fonderie d'aluminium, la plus importante de France (usine Péchiney) associée à une centrale thermique qu'EDF bâtit pour l'alimenter en électricité, et plusieurs entreprises chimiques spécialisées dont une d’engrais azotées (usine Yara aujourd'hui fermée).

Aux côtés d'un ensemble d’entreprises de maintenance et de sous-traitants qui voient le jour, d'autres industries complètent ces trois pôles d’activités. Plusieurs exemples peuvent être mis en avant :

  • la chimie autour d'Aquitaine Chimie. Constituée en 1959, elle livre des produits chimiques tirés du méthane de Lacq grâce à 4 unités spécialisées : Acétalacq produit de l'acétaldéhyde ; Vinylacq fournit du chlorure de vinyle, principale matière plastique ; Méthanolacq fabrique du méthanol ; et Azolacq transforme de l’ammoniac en engrais azotés (ammoniac, urée, nitrate d’ammonium) et en produits chimiques de synthèse. En 1967, Rhône-Poulenc reprend Aquitaine Chimie et trois ans plus tard Cofaz, racheté lui-même par un groupe norvégien, Norsk-Hydro Azote, aujourd’hui Yara. En 1995, le reste des installations de Rhône-Poulenc est vendu à Acetex, puis le groupe américain Celanese rachète Acetex en 2005 et ferme l’usine en 2009.
  • en 1982, le groupe japonais Toray Industries, leader mondial de la production de fibre de carbone, ouvre une usine sur la commune d'Abidos. En 2014, il se dote d'une deuxième unité de production construite sur les terrains délaissés par Total à Lacq, qui produit du polyacrylonitrile, précurseur des fibres de carbone.
  • l'industrie du médicament avec SANOFI : installée depuis 1975 sur le site industriel de Mourenx, la société produit notamment des médicaments contre l'épilepsie.

Ce site gazier a fonctionné jusqu'à son quasi épuisement, montrant combien il est un pôle énergétique majeur pour le sud-aquitain et plus largement pour la France. Il n'a d'ailleurs jamais été remis en question par les différents gouvernements, fussent-ils de droite ou de gauche. À la fin des années 1960, les industries installées autour de Lacq représentent plus de la moitié du chiffre d'affaires industriel du département. Le gaz de Lacq contribue également à alimenter la France en énergie. En effet, pour assurer la consommation domestique et industrielle de gaz purifié, un réseau de gazoducs vers Nantes, Lyon, Besançon et Paris est construit. Il faut en effet bien mesurer l'importante stratégique à l'échelle française de ce gisement qui représente la quasi-totalité de la production française de gaz naturel soit 75 TWh (1 TWh représente 1 milliard de kWH) au début des années 70. Le pic de production est atteint au tout début des années 80, avant de lentement décliner, notamment face à la concurrence du gaz off-shore Pays-Bas. En octobre 2013, date de l’arrêt définitif de l’injection du gaz de Lacq dans le réseau, la production française de gaz tombe quasiment à zéro. Il est noté qu'une faible production de gaz autour de cinq puits, les autres ayant été progressivement détruits, continue, à la fois pour alimenter les entreprises locales et en extraire le souffre. Aujourd'hui, la position du gouvernement français reste ambivalente. Si une loi de 2017 interdit le prolongement des exploitations d'hydrocarbures existantes au-delà de 2040, la guerre en Ukraine et la position vis à vis du gaz russe ont infléchi l'approche avec une tolérance pour le site de Lacq, notamment pour la production locale à destination des entreprises.

Au-delà de la production, ce site industriel quasi unique en France a également constitué une pépinière pour des sociétés devenues aujourd'hui de grands groupes français à dimension mondiale. Ainsi, la Société Nationale des Pétroles d'Aquitaine (SNPA), créée en 1941, découvre le site de Lacq. Elle donne naissance à la marque Elf en 1967, absorbée en 2000 par le groupe TotalFina à l'époque devenu depuis TotalEnergies en 2021. Le groupe Arkema, grand groupe chimique français, est également né de la SNPA, lorsqu'elle se lance dans la synthèse de plastiques et possède toujours un site sur place.

Enfin Elf crée à Lacq une activité pharmaceutique de Elf, devenue ensuite le puissant groupe SANOFI.

Un virage industriel stratégique

Aujourd'hui le site de Lacq connaît une transition, entre souvenir de la production d'énergies fossiles et volonté de se tourner vers des énergies plus vertes et novatrices. Il est d'ailleurs intéressant d'observer que la contrainte liée à la présence d'un site SEVESO préexistant est transformée en atout en attirant des entreprises à la recherche de sites classés pour leurs activités.

Dans les années 90, la diversification s’effectue avec des investissements de L'Oréal par exemple, qui installe un de ses quarante sites de production (aujourd'hui NOVEAL)

Depuis 2003, dans l'objectif de favoriser l'implantation de nouvelles industries, a été créé le Groupement d’Intérêt Public CHEMPARC. Ainsi, de nombreuses entreprises installées depuis les années 2020 illustrent ce tournant :

  • dans le domaine de la biochimie, la start up AlphaChitin produit de la chitine, molécule dont les applications sont nombreuses tant dans la médecine, que les cosmétiques ou l'environnement. Majoritairement produite en Asie à partir des crevettes, cette société mise sur des procédés innovants pour produire à partir de champignons ou de larves de mouche, poursuivant cette idée d'indépendance industrielle européenne.
  • dans le domaine de la chimie fine, la PME M2i Life Sciences produit des phéromones de synthèse, utilisées par exemple pour lutter contre la chenille processionnaire du pin en empêchant ce nuisible de se reproduire. Ces produits constituent une alternative sans risques aux pesticides.
  • fin 2021 est entamée la construction d'une usine de chitosane biosourcé, produit qui entre dans la composition de nombreux compléments alimentaires
  • fin 2015, le géant de l'énergie québécois Hydro-Québec installe à Lacq un important centre de recherche et de production dédié aux batteries LiFePo
  • le domaine des biocarburants a également été exploité. Vertex Bioenergy produit du bioéthanol à partir du maïs produit localement.

A sa suite, Elise Energy poursuit l'implantation de trois projets : eM-Lacq à Lacq pour la production d’e-méthanol, BioTJet à Pardies sur les friches de l’ancien site de Yara, pour la production de kérosène vert et HyLacq à Mourenx, pour de la production d’hydrogène, en vue d'alimenter les deux projets précités. Ceux-ci devraient voir le jour d'ici 2028. Ces projets pourraient amener à terme près de 200 emplois, sur un bassin d’emploi de 18000 salariés environ pour Lacq-Orthez.

Ce dispositif est à mettre en relation avec l’installation en 2021 de 76 hectares de panneaux photovoltaïques sur le site de Pardies – Mourenx – Noguères – Bésingrand. Installé sur d’anciennes friches industrielles, il produit l’équivalent de la consommation de 61 500 habitants.

En 2024, le bassin de Lacq a été reconnu Zone industrielle bas carbone ou Zibac, qui estampille des territoires pionniers de la décarbonation de l'industrie française.

Lacq–Rousse : dans le sous-sol béarnais, un laboratoire géant pour stocker le CO₂

Face à l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre, de nouvelles solutions émergent pour limiter la concentration de CO₂ dans l’atmosphère. Dans le bassin d’Aquitaine, l’industriel Total (aujourd’hui TotalEnergies) a ainsi mené il y a une quinzaine d’années (de 2010 à 2013) un projet inédit en France : capter du CO₂ sur un site gazier, le transporter, puis l’enfouir à plusieurs kilomètres de profondeur. Lacq–Rousse est le premier pilote français à avoir mis en œuvre, sur un site industriel, la chaîne complète de captage et stockage du CO₂. Pour cela, l’industriel s’est appuyé sur un atout local : l’ancien gisement de gaz naturel de Rousse, situé à moins de trente kilomètres de Lacq, choisi comme réservoir de stockage.

À Lacq, une chaudière à gaz d’environ 30 mégawatts a été modifiée pour fonctionner en oxycombustion. Au lieu de brûler le gaz dans de l’air, on le brûle dans de l’oxygène presque pur. Résultat : les fumées sont composées essentiellement de CO₂ et de vapeur d’eau. Une fois l’eau condensée et le gaz traité, on obtient un CO₂ suffisamment pur pour être compressé. Ce CO₂ comprimé est ensuite acheminé par un gazoduc d’environ 27 kilomètres jusqu’au champ de Rousse, dans l’avant-pays nord-pyrénéen du bassin d’Aquitaine, où il est injecté en profondeur dans l’ancien réservoir de gaz. Entre 2010 et 2013, l’opération visait à stocker 80 à 100 000 tonnes de CO₂, mais des problèmes techniques, notamment de corrosion sur certains équipements, ont finalement limité le volume à environ 51 000 tonnes effectivement stockées. A titre de comparaison les émissions de gaz à effet de serre (GES) en France métropolitaine étaient estimées à environ 406 millions de tonnes équivalent CO2 en 2021.

Le CO₂ est ainsi confiné dans un réservoir de dolomies fracturées du Jurassique supérieur, situé à près de 4 500 mètres de profondeur, qui a déjà servi de gisement de gaz naturel pendant des millions d’années sous une pression initiale d’environ 480 bar : une preuve de sa capacité à retenir des gaz sur des temps géologiques, et donc un argument fort en faveur de sa capacité à confiner durablement le CO₂. Au-dessus de ce réservoir, une épaisse série de marnes, de schistes et de flyschs, s’étendant sur plusieurs kilomètres, forme la couche-couvercle : une barrière géologique imperméable qui empêche les fluides de remonter vers la surface et joue un rôle central dans la sûreté du stockage.

D’un point de vue environnemental, les mesures en profondeur comme en surface n’ont révélé aucune fuite liée au stockage, et le site n’a montré aucune anomalie détectable. Le projet n’a pas donné naissance à une installation industrielle de grande ampleur, mais il reste, dans les archives scientifiques comme dans la mémoire industrielle, un laboratoire grandeur nature du stockage géologique de CO₂, discrètement niché dans le sous-sol béarnais.

Un territoire stratégique en devenir pour la maîtrise des terres rares

Les terres rares constituent aujourd’hui un enjeu de souveraineté pour la France qui en est dépourvue. L'entreprise Carester a posé sur un ancien site de TotalEnergies à Lacq, la première pierre de la future usine de recyclage de terres rares Caremag. Projet unique en France, elle propose de recycler les aimants des moteurs électriques et de concentrés miniers. Les ambitions sont de produite 800 tonnes d’oxydes de néodyme et praséodyme et 600 tonnes d’oxydes de dysprosium et de terbium, qui représente 15 % de la production mondiale de ces terres rares. Stellantis s’est positionné parmi les premiers clients.

Ces investissements continuent de positionner Lacq au cœur de la stratégie de souveraineté énergétique et industrielle française, alors que 80 % du raffinage des terres rares dans le monde est aujourd’hui effectué en Chine.

D’autres projets connexes viennent également s’agréger à ce pôle industriel. On peut citer à ce titre l'aménagement d'une plateforme logistique Lidl sur un site de 25 hectares (10 à Bésingrand et 15 à Pardies). Il abritera à la fois une direction régionale du groupe et une plateforme logistique. Cette dernière sera chargée d’approvisionner les magasins des quatre départements de l’Adour (32, 40, 64, 65), tâche jusqu’ici dévolue aux bases logistiques bordelaise et toulousaine de l'enseigne.

Un ancrage à la recherche

L'implantation du site de Lacq a également initié des pôles de recherche. Le plus emblématique est le Pôle d'Études et de Recherches de Lacq (PERL). Lié à TotalEnergies, il effectue de la recherche dans des domaines liées à l'histoire productive du site comme la séparation et le traitement des gaz, un travail sur l'empreinte de la production sur les sols et les eaux, ou les interactions entre les hydrocarbures, les solides et les eaux. Il est lié au centre scientifique et technique Jean-Féger, implanté lui à Pau, de rang mondial, qui regroupe 2 500 personnes et possède un supercalculateur Pangea III.

On peut citer également le GRL ARKEMA (Groupement de recherche de Lacq), spécialisé dans la chimie, qui produit aussi bien des polymères, des nanotubes de carbone ou encore le Centre technologique Nouvelle-Aquitaine des composites et des matériaux avancés (CANOE).

Le site de Lacq abrite donc un écosystème scientifique et de recherche qui produit chaque année des thèses et dépose de nombreux brevets avec 400 docteurs, ingénieurs de recherche et techniciens sur le site. En lien avec l'université (UPPA) et des entreprises innovantes, ce territoire a su engager plusieurs virages stratégiques pour passer du domaine de la production de gaz à un pôle de hautes technologies, constituant un territoire singulier dans le sud-ouest.

Bilan social, environnemental et sanitaire

Longtemps, le gaz fut considéré comme une énergie sale et polluante du fait de sa production à partir du charbon. Avec le gaz de Lacq, d’origine naturelle, l’image du produit change complètement en France. Cette production est en effet présentée comme un vecteur de modernisation du Béarn et plus largement du Sud-Ouest peu industrialisé. D'ailleurs à Lacq, la proximité d’emplois industriels permet d'assurer des revenus complémentaires. Pourtant, dans une région où vivaient environ 6 000 personnes, les questions environnementales et sanitaires se posent avec acuité, et ce dès la découverte du gisement en 1951. L’exploitation du gisement de Lacq « aura été le plus important problème écologique posé à Jean-Marcel Jeanneney », alors ministre de l’Industrie. L’État a dû en effet gérer l’acceptabilité des risques après avoir imposé l’implantation du complexe industriel sans en mesurer totalement les conséquences sur le terrain.  Ainsi, une enquête menée dans la première moitié des années 1960 montre qu'une grande majorité des agriculteurs attribue leurs difficultés aux conséquences de l'implantation des usines, notamment la perte de terres, la pose des lignes électriques et des gazoducs, la circulation, les émanations gazeuses, ou encore les brûlures. L'exploitation bouleverse aussi une structure foncière largement morcelée, comme le montre l'image satellite, et conduit à une modification des activités agricoles : les défrichements, la mécanisation, l'apports d'intrants et surtout l'introduction de la culture du maïs, manifestent la conversion de l’agriculture française au productivisme qui s’amorce dans les années 1960. Parallèlement, l'exploitation du gisement à travers la trentaine de puits est associée à une activité sismique due à sa dépressurisation.

Enfin, la question des rejets chimiques sur la santé et l'environnement n'est pas à négliger. Activité dangereuse, leurs effets sur la santé et l’environnement sont dès le début mal connus. Ils nourrissent d'ailleurs les peurs des riverains. Voilà pourquoi, outre que des services de secours sont prévus sur le site lui-même avec des équipes du SDIS, la recherche de la pollution atmosphérique devient un objet d'attentions.

Et elle est en effet bien réelle : le souffre rejeté dans l'atmosphère cause des pluies acides. Les gaz résiduels étaient en effet incinérés (produisant du SO2), et 5 % du soufre extrait du gisement se retrouvait dans l'atmosphère. Cela causait des nuisances sanitaires (nausées, conjonctivites, problèmes pulmonaires). Dans les années 1970 le procédé Sulfreen de la société Lurgi a alors été déployé pour capter l'essentiel du soufre des fumées. Une étude de l'« Institut de santé publique, épidémiologie et développement de l'université de Bordeaux » (Isped) finalisée en 2002 et portant sur la période 1968-1998, montre que les moins de 65 ans vivant à proximité immédiate de Lacq présentaient une surmortalité de 14 %, et en particulier un excès de mortalité par cancer de 39 %.

Depuis la fin des années 1990, le Béarn s’efforce de promouvoir un « pôle de compétence » dans le domaine de l’environnement. Sont mis en synergie l’Université de Pau et des Pays de l’Adour (UPPA) qui accueille en son sein l’Institut pluridisciplinaire de recherche sur l’environnement et les matériaux (IPREM), l’Institut français du pétrole (IFP), le Groupe de recherches de Lacq, centre de recherches et développement spécialisé dans la chimie appartenant à Arkema (Groupe Total). Dans ce réseau, l’Association Pôle Environnement Sud Aquitain (APESA), centre de ressources techniques et juridiques, sert d’interface avec les industriels régionaux.

Depuis 1995, à la demande de la communauté de communes Lacq-Orthez (CCLO), l'association régionale Atmo Nouvelle Aquitaine gère le réseau de surveillance de la qualité de l'air sur le bassin de Lacq. L'indice Atmo sur le bassin de Lacq paraît également dans la presse locale. Cela permet à tous les habitants d'avoir un accès plus direct à l'information. Atmo Nouvelle Aquitaine mesure les 5 polluants réglementés pour lesquels il existe des normes de référence : (dioxyde de soufre (SO2), dioxyde d'azote (NO2), particules en suspension (PS), l'ozone (O3), le plomb (Pb)) ainsi que d'autres indicateurs de la pollution atmosphérique comme le monoxyde de carbone (CO), les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), le benzène, le toluène, ou encore les xylènes (BTX).

Nouveau sujet de préoccupations, l'arrêté ministériel de juin 2023 vise les PFAS (substances per- ou polyfluoroalkylées). Selon une étude de l’ONG Générations futures, qui s’est appuyée sur des données émises par les directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) concernant 2 700 installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), l'un des plus gros émetteurs français a été découvert en Béarn, sur le bassin de Lacq. La préfecture des Pyrénées-Atlantiques confirme que l’usine Finorga (groupe Axplora), située à Mourenx fait partie du top 5 des plus gros émetteurs français de polluants éternels. Des taux inquiétants de certains PFAS ont été retrouvés dans les rejets de cette industrie, jusqu’à 181 kg en un jour, entraînant un arrêt de certaines activités.

Zoom 2 : Mourenx, une ville nouvelle

© Spot6X Airbus DS2024
© Spot67 Airbus DS 2018

La naissance de ce complexe industriel nécessite une main-d'œuvre très importante. D'une manière générale, les ouvriers sont recrutés dans les Pyrénées-Atlantiques et les départements voisins, tandis que les cadres viennent de toute la France. Lacq apparaît d'ailleurs comme une aubaine pour nombre de ruraux béarnais employés la plupart du temps comme main d'œuvre non qualifiée. Les constructions d'usines nécessitent également une main-d'œuvre d'origine nord-africaine, espagnole, italienne et portugaise. C'est pourquoi, afin de loger la grande partie du personnel travaillant sur le complexe industriel, est créée entre 1957 et 1965 Mourenx-ville nouvelle.

Le site n'est pas choisi par hasard. En effet, après des projets urbanistiques d'implantation dans d'autres villages autour de Lacq dont celui d'Argagnon où subsistent encore plusieurs maisons-jumelles témoin, émerge sur les contreforts de la rivière du Luzoué, à l'abri des fumées industrielles et à distance raisonnable des usines, une ville. Les acteurs qui œuvrent à cette fondation, ont déjà à leur actif des réalisations, notamment en Île-de-France. Ils s'inspirent particulièrement de la Charte d'Athènes (1933) et de la "New Town" d'Harlow qui a vu le jour à partir de 1957 au nord-est de Londres dans le cadre du désengorgement de la capitale britannique. Cette dernière sert d'ailleurs de matrice, mais à échelle réduite. Les architectes conçoivent alors des logements autour du slogan "air, lumière, espace", symbolique alors de ceux des Trente Glorieuses, et font de Mourenx une pionnière en matière de ville nouvelle. Pour éviter l'effet de la cité dortoir, elle est conçue de manière autonome, disposant de ses propres équipements.

Comme le montre l'image, elle est ainsi constituée de trois groupes de logements, chacun comportant autour d'une école primaire deux unités d'environ 900 logements. Ces unités sont resserrées au pied d'une tour "la tour des célibataires" qui rappelle l'idée d'un clocher. Elle mêle à la fois populations immigrées employées comme ouvriers et jeunes cadres. Même si lors de sa visite le 17 février 1959, de Gaulle déclare "ça manque de boutiques", les équipements sont fort nombreux (écoles, église, mairie, salle de spectacles...). À l'est on distingue bien le vélodrome avec sa forme arrondie et à côté, deux stades et le bâtiment qui abrite la piscine olympique. Au sud, un restaurant panoramique, le Belvédère, est même construit : N. Khrouchtchev l'inaugure en mars 1960 lors de son passage en France.

Pourtant, l'uniformisation architecturale cache les hiérarchies sociales : les ouvriers peu qualifiés occupent les blocs qui leur sont attribués, le personnel de maîtrise les tours qui dominent la ville et quant aux cadres, les villas qui leur sont réservées sur les collines au sud autour du Bélvédère. Entre tous, émerge une gamme de maisons en bandes et jumelées.  Ces trois types d'habitats subsistent encore de nos jours et sont bien visibles sur l'image. Aujourd'hui, la ville souhaite donner une nouvelle image d'elle-même et de son bâti avec une réhabilitation de son centre, des destructions comme celle de la Tour des célibataires ou encore des reconstructions. Au total, en croisant plusieurs ambitions, Mourenx apparaît comme une "ville du compromis", tout en restant symbolique de l'architecture des Trente Glorieuses.

Image complémentaire

Située dans le piémont pyrénéen, la ville de Lacq s’inscrit au cœur d’un bassin géologique singulier, marqué par ses ressources naturelles et par la mosaïque de milieux qui composent sa biodiversité, tandis que le gave de Pau — au sein du bassin versant de l’Adour — structure l’organisation hydrologique de la région.

© Copernicus Sentinel 2019

Bibliographie indicative

Dominique Bidot-Germa (dir.), Mémoire de Pau, Pau, Cairn, coll. Mémoires des villes, 2011

Dominique Bidot-Germa, Cécile Devos et Christine Juliat (dir.), Atlas historique de Pau, Bordeaux, Ausonius éditions, coll. Atlas historique des villes de France, vol.51, 2017

Christophe Briand, "Les enjeux environnementaux du complexe industriel de Lacq (1957-2005)", Flux, 2006, n°63-64, p. 20-31

Michel Chadefaud, Aux origines du tourisme dans les pays de l’Adour, du mythe à l’espace : un essai de géographie historique, thèse de doctorat d’État de géographie, Pau, université de Pau et des Pays de l’Adour, 1987

Cécile Devos, Habiter Pau : du Moyen Age au XXe siècle, Pau, Cairn, 2023.

Jean-Loup Gazzuerelli, Trajectoires contemporaines du textile dans les Basses-Pyrénées. Contribution à l'histoire de l'industrialisation de la France du sud-Ouest, thèse de doctorat d’histoire, ss. la dir. de Jean-Michel Mimovez, université de Pau et des Pays de l’Adour, 2017

Laurent Jalabert, Véronique Lamazou-Duplan, Laurent Callegerin (ss.la dir.), Nouvelle histoire du Béarn, Pau, Cairn, 2024

Jean Lartéguy, La grande aventure de Lacq, Paris, Gallimard, Coll. L’air du temps, 1961

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Laëtitia Maison-Soulard, Alain Beltran, Christophe Bouneau (ss.la dir.), Le bassin de Lacq : métamorphoses d’un territoire (Français), MSHA, avril 2014

Julien Marchési, De l’usine au Parlement, ouvriers et riverains, militants et élus, des acteurs de la politisation des enjeux environnementaux de l’aménagement du bassin de Lacq (années 1950 – années 1960), Colloque international L’écologisation de la vie politique depuis les années 1960 (France – Europe). Acteur.trice.s, débats, résistances, Orléans, 24-26 avril 2024 (publication au PUR à venir)

Pierre Tucoo-Chala (ss.la dir.), Christian Desplat, Michel Papy, Didier Sorbe, Histoire de Pau, Toulouse, Privat,2009.

Cartographie des Unités de Gestion de la qualité des eaux continentales des Pyrénées-Atlantiques Aptitude au ruissellement/infiltration Rapport final BRGM/RP-60613-FR, Avril2012

http://infoterre.brgm.fr/rapports/RP-60613-FR.pdf

Lumni : L'exploitation du gaz de Lacq :  https://enseignants.lumni.fr/fiche-media/00000000352/l-exploitation-du-…  

Auteurs

Thierry Cassou, IA-IPR HG-EMC académie de Toulouse

Fabien Vergez, IA-IPR HG-EMC académie de Toulouse