26 Novembre 2014

Les prochaines étapes de la mission Rosetta

Après le largage de Philae, la sonde européenne Rosetta va poursuivre ses observations du noyau et de son environnement durant de longs mois. Sylvain Lodiot, responsable des opérations de vol de Rosetta à l’ESA, détaille ici les prochaines grandes étapes de cette mission spatiale exceptionnelle.

La mission Rosetta ne s’est pas achevée avec la phase épique de l’atterrissage de Philae sur le noyau de la comète 67P/Churyumov-Gerasimenko et l’arrêt du fonctionnement de ses instruments. L’orbiteur va poursuivre son exploration durant encore de très longs mois en accompagnant le noyau jusqu’à son point le plus proche du Soleil, le périhélie, et en scrutant l’évolution de son activité.

Si son état le permet, il pourrait même poursuivre ses observations en s’éloignant du Soleil avec la comète et, qui sait, se poser à son tour sur le noyau. Sylvain Lodiot, responsable des opérations de vol de Rosetta à l’ESA, détaille ici les prochaines grandes étapes de cette mission spatiale exceptionnelle.

Avec Sylvain Lodiot

Le 12 novembre, tout le monde a parlé de l’aventure de Philae naturellement, mais comment se sont déroulées les manœuvres plutôt complexes que Rosetta devait effectuer après le largage pour se mettre en sécurité en s’éloignant du noyau et pour retrouver et maintenir le contact avec l’atterrisseur ?

Sylvain Lodiot : « La sonde a été vraiment remarquable et nous n’avons eu aucun souci. Elle a encaissé la séparation sans aucun problème et toutes les manœuvres programmées après le largage ont eu une performance nominale ; mes collègues de Flight Dynamics, ici à l’ESOC, ont fait un travail remarquable. »

Action-réaction, est-ce que vous avez vu une réaction sur le mouvement de Rosetta quand Philae a été largué ?

SL : « Oui, nous avons vu quelque chose, mais c’était vraiment infime. Nous avons notamment remarqué une petite variation de vitesse des roues inertielles. »

À quelle distance du noyau se trouve actuellement Rosetta ?

SL : « Nous sommes revenu sur une orbite qui permet à Rosetta de survoler le terminateur (limite entre le jour et la nuit) à près de 30 km du centre du noyau. »

Est-ce que cela doit évoluer dans les prochains jours ?

SL : « Oui, Rosetta va effectuer une manœuvre le 3 décembre pour redescendre vers une orbite à 20 km, qu’elle atteindra le 6 décembre. Ce jour-là, nous aurons une fenêtre pour que la caméra OSIRIS-NAC photographie dans de bonnes conditions d’éclairement la zone où l’on pense que se situe Philae. Je précise que cette descente à 20 km était prévue depuis plusieurs semaines, mais qu’elle offre finalement une très bonne opportunité d’être plus proche de la surface pour rechercher Philae. Rosetta restera une dizaine de jours sur cette orbite à 20 km avant de remonter à 30 km pour Noël. Un peu avant, le 20 décembre, il y aura une nouvelle caractéristique de la mission puisque, jusque là, nous définissions la trajectoire ici à l’ESOC, avec l’objectif d’apprendre à naviguer autour de la comète pour pouvoir larguer Philae, mais cette tâche de définition de l’orbite passera alors sous le contrôle de nos collègues en Espagne. Ce sont eux qui définiront la trajectoire de Rosetta, en accord avec les scientifiques bien sûr, pour les mois à venir. »

Pourquoi ce changement ?

SL : « C’est une chose qu’ils souhaitaient faire et ils nous enverront régulièrement un plan de trajectoire que nous devrons vérifier et valider. Donc, si j’en reviens à l’évolution de la trajectoire après Noël, il est prévu de rester sur une orbite à 30 km au-dessus du terminateur pendant 1 mois environ. Après, vers la fin janvier, nous pensons que Rosetta ne pourra sans doute plus rester en orbite du fait de l’évolution probable du dégazage qui va possiblement nous contraindre à l’éloigner du noyau. Il faudra alors repasser à un mode de navigation sous forme de survols répétés du noyau. Pour le moment, Rosetta manœuvre très bien mais, du jour au lendemain, le dégazage peut devenir gênant et nous contraindre à éloigner Rosetta. »

Justement, dans la mesure où pour l’heure le dégazage n’est pas encore très important, est-ce que vous envisagez de vous rapprocher à moins de 20 km en décembre pour repérer Philae plus aisément ?

SL : « Non, ce n’est pas prévu. Il y a eu une séquence d’images d’OSIRIS-NAC le 24 novembre dont nous attendons les résultats. Il y en aura une autre une fois que Rosetta sera à 20 km, le 6 décembre, ce sera sans doute la meilleure opportunité. Nous pensons qu’il sera possible de trouver Philae sur les images obtenues lors de l’une ou l’autre de ces 2 séquences. »

Planification de la trajectoire

Combien de temps à l’avance est planifiée la trajectoire de Rosetta ?

SL : « Il y a 3 phases dans la planification. D’abord ce que l’on appelle le Long Term Planning (LTP) qui est un processus qui démarre 16 semaines en amont et qui couvrent 16 semaines. C’est le moment où nos collègues d’Espagne nous enverrons une proposition de trajectoire que nous aurons 4 semaines pour valider. Après, nous passons dans la phase de Medium Term Planning qui est un processus qui démarre 8 semaines en amont et qui couvre 4 semaines et, enfin, en Very Short Term Planning, qui est une phase de 3 à 4 jours durant laquelle sont programmées les manœuvres et toutes les autres activités de Rosetta. Nous allons rester sur un rythme de 2 cycles de manœuvres par semaine, le mercredi et le samedi jusqu’à la fin de la mission. »

Comment intégrez-vous le risque d’un sursaut de l’activité du noyau ?

SL : « Le dégazage peut croître fortement à tout moment donc, comme il est impossible de faire des changements de trajectoire à la volée, la planification à long terme comporte toujours 2 options : le cas préféré (Preferred Case) et le cas de haute activité (High Activity Case). Le cas préféré est celui que les navigateurs et les scientifiques pensent pouvoir suivre en se basant sur l’hypothèse d’un dégazage moyen. Si le dégazage augmente, si les images prises plusieurs fois par jour avec la caméra de navigation montrent que la dérive par rapport à la trajectoire calculée s’accroît et que nous prévoyons que Rosetta ne pourra plus naviguer selon ce plan dans les jours ou les semaines à venir nous, à l’ESOC, prendrons la décision de basculer sur le plan B, le High Activity Case. »

Quand allez-vous commencer à guetter le signal de Philae ?

SL : « Le Lander ESS (Electrical Support System) à bord de Rosetta sera réactivé dans un mode qui lui permettra de guetter un éventuel signal de Philae lors de chaque fenêtre de visibilité à partir du début 2015. »

Jusqu’à quelle distance du noyau pourrez-vous capter ce signal ?

SL : « De l’ordre de 70 km. »

Chant du cygne

L’ESA vient d’annoncer la prolongation de nombre de ses missions spatiales jusqu’à fin 2016. Le cas de Rosetta n’a pas encore été évoqué, mais dispose-t-elle d’assez de carburant pour manœuvrer à proximité du noyau aussi longtemps ?

SL : « Oui, normalement, si nos collègues en Espagne et nous même gérons bien les trajectoires de survol durant toute la période du périhélie, les réserves de Rosetta seront suffisantes et le carburant ne sera pas la raison de fin de vie de Rosetta. »

À terme, lorsque sa mission principale sera accomplie, qu’adviendra-t-il de Rosetta ?

SL : « Le but est d’accompagner le noyau jusqu’au périhélie qui se produira le 13 août 2015. Si Rosetta survit à cette période durant laquelle l’activité de la comète sera vraisemblablement très forte, elle repartira avec le noyau vers les confins du Système solaire et, fin 2016, son éloignement imposera une nouvelle hibernation, car le rayonnement solaire ne sera plus assez intense pour lui permettre de fonctionner. »

Mais, si l’orbiteur est toujours opérationnel, serait-il possible de le placer courant 2016 sur une orbite de plus en plus proche du noyau, voire de faire atterrir Rosetta en douceur dessus ?

SL : « Oui, ce sont des hypothèses sur lesquelles nous commençons à réfléchir sérieusement. C’est très stimulant et intéressant à planifier et si nous voulons le faire au bout du compte il faut commencer à y penser dès les prochains mois. Et puis, à mon avis, cela serait tout de même mieux que de simplement éteindre Rosetta, ce qui serait d’une tristesse infinie après tout ce que nous aurons vécu. Alors que se poser une nouvelle fois sur le noyau serait un magnifique chant du cygne pour une mission déjà exceptionnelle ! »

 

Rosetta est une mission de l’ESA avec des contributions de ses États membres et de la NASA. Philae, l’atterrisseur de Rosetta, est fourni par un consortium dirigé par le DLR, le MPS, le CNES et l'ASI. Rosetta est la 1ere mission dans l'histoire à se mettre en orbite autour d’une comète, à l’escorter autour du Soleil, et à déployer un atterrisseur à sa surface.