3 Novembre 2014

Un entretien avec Sylvain Lodiot

Moins de 2 semaines avant le largage de Philae, Sylvain Lodiot, responsable des opérations de vol de Rosetta à l’ESA, a accepté de répondre à quelques questions sur ces instants cruciaux de la mission.
3 novembre 2014

Quand va être téléchargée la séquence des manœuvres du jour J ?
Sylvain Lodiot : les données pour le largage lui-même seront téléchargées le 12 novembre près de 3h avant la manœuvre qui lancera Rosetta sur la trajectoire de largage, car l’optimisation de l’orbite sera faite jusqu’au dernier moment.

Et la séquence destinée à Philae avec l’ordre d’utilisation des instruments ?
Elle est en cours de préparation et nous devons la recevoir dans quelques jours. Elle sera téléchargée le 11 novembre.

Pourquoi a-t-on choisi un largage de Philae à près de 20 km d’altitude ?
Le but est de réduire la taille de l’ellipse d’atterrissage qui devrait être proche de 900 m de long sur 500 de large environ. Nous avions en outre des contraintes liées à la sonde et à l’atterrisseur et quand on compose toutes ces données, toutes ces contraintes, il faut larguer Philae à cette distance pour atteindre le site J dans les meilleures conditions.

Est-ce que l’accroissement du dégazage du noyau au cours des dernières semaines pose un problème ?
Pour le moment, tout le plan de vol s’est déroulé à merveille. Nous avions des doutes sur la possibilité de descendre à 10 km et nous avons pu le faire, donc, pour le moment, du point de vue du dégazage du noyau, cela se passe plutôt bien.

Sur l’animation, réalisée par l’ESA, qui montre les changements de trajectoires de Rosetta juste avant et après le largage, on voit la sonde effectuer des virages brutaux, voire faire demi-tour, est-ce une simplification ?
Non, c’est vraiment cela dans l’espace, le but est de pouvoir garantir la communication avec l’atterrisseur. Par exemple, la manœuvre faite juste après la séparation, à + 40 min, est là uniquement pour conserver la visibilité avec Philae durant toute la descente.

Mais il y a une période durant laquelle Rosetta ne verra pas Philae ?
En effet, juste après le largage, le pointage de Rosetta ne sera pas le bon, donc, une fois que la manœuvre à + 40 min aura été faite, il faudra repointer la sonde vers Philae et ce pointage ne commencera que 2 h après la séparation.

Dans quel plan par rapport au noyau sera largué l’atterrisseur ? Dans le plan du terminateur ou dans le plan équatorial ?
L’orbite de pré-largage est proche du terminateur mais pas exactement sur le terminateur et la trajectoire de largage est une trajectoire hyperbolique qui n’a rien à voir avec le terminateur. Nous n’avons jamais « volé » ce type d’orbite près du noyau avec Rosetta donc nous avons une incertitude sur la dispersion, c’est pour cela que nous allons relativement loin du noyau après le largage, près de 50 km, parce que, là, nous savons que nous pourrons manœuvrer sans risque pour revenir après sur une orbite à près de 30 km.

La trajectoire de Rosetta largage est hyperbolique, cela signifie que Rosetta sera alors sur une trajectoire qui l’éloignera du noyau ?
Oui, nous partons à près de 1 m/s donc, si nous ne faisions rien, au bout d’une journée, Rosetta se retrouverait à 86 km du noyau et il n’y aurait plus de communication possible avec Philae. La manœuvre à + 40 minutes après la séparation et celle en soirée le 12/11 sont donc vraiment importantes. Je précise que toutes les manœuvres sont importantes, bien sûr, mais qu’aucune ne met en danger Rosetta si elle ne se produit pas ou si elle est interrompue ; il n’y a aucun risque de collision avec le noyau.

À quels moments y aura-t-il des images de la caméra de navigation pour estimer la dérive de sa trajectoire ?
Il y a des images de la NavCam en permanence, 24 par jour actuellement, mais ce processus sera interrompu entre -13 h et + 2 h par rapport au largage. Dès que Rosetta aura repointé Philae, il y aura des images de la NavCam et d’OSIRIS toutes les heures durant la descente.

Quelle antenne va recevoir le signal de Rosetta le 12 novembre ?
Nous avons une double couverture parce que ce sont des moments critiques de la mission. La séparation et la descente sont sur l’antenne de 35 m de New Norcia (Australie), puis il y a une transition vers l’antenne de 35 m de Malargüe (Argentine) avec, en plus, une très bonne double couverture avec les antennes du Deep Space Network (DSN) américain.

Qu’elle est l’ambiance actuellement dans votre équipe ?
Elle est très bonne. Nous venons de finir la campagne de simulation et nous réglons quelques détails qui sont apparus en cours de simulations. Nous avons été mis en « condition réelle » à 4 reprises, à chaque fois durant une journée entière. Nous avons pu exercer toutes nos procédures de vol et tester nos réactions en cas de pannes et nous avons pu récupérer la sonde à chaque fois ! C’est très intéressant, parce que cela nous met dans des situations qui nous font penser à des cas auxquels personne n’avait pensé. Nous nous sommes ainsi rendu compte que, dans certains cas de pannes, nous pourrions être un peu faibles en matière de couverture radio avec les antennes américaines. À tout hasard, j’ai eu une conférence avec eux la semaine dernière en soulignant cette possibilité et ils se sont mis en quatre pour trouver une solution et nous la proposer.

Le 12 novembre, vous serez aux commandes comme le 6 août dernier ?
Nous sommes dans une configuration 24 h/24 avec 2 équipes qui se relaient et je m’occuperai de Rosetta jusqu’à la séparation de Philae.

 

Rosetta est une mission de l’ESA avec des contributions de ses États membres et de la NASA. Philae, l’atterrisseur de Rosetta, est fourni par un consortium dirigé par le DLR, le MPS, le CNES et l'ASI. Rosetta sera la 1ere mission dans l'histoire à se mettre en orbite autour d’une comète, à l’escorter autour du Soleil, et à déployer un atterrisseur à sa surface.