15 Juillet 2020

À qui appartiennent la Lune et ses ressources naturelles ?

Ce 17 juillet, la mission émiratie Hope s’élève vers Mars, suivie par les missions chinoise Tianwen-1 et américaine Mars 2020 dont les lancements sont prévus les 23 et 30 juillet. Les États-Unis préparent aussi un retour de l’humanité sur la Lune dès 2024, et des acteurs privés entrent dans le jeu spatial, comme SpaceX. Ce renouveau de la conquête spatiale pose, de façon pressante, la question de la propriété des planètes et des astéroïdes, ainsi que des conditions de leur exploitation.

Les États-Unis tentent de renvoyer des hommes sur la Lune à l'horizon 2024. Prochain objectif : Mars. Martin Adams / Unsplash , CC BY

Julien Mariez, Centre national d’études spatiales (CNES)

Exploiter les ressources naturelles des corps célestes

La perspective de voir l’humanité exploiter les corps célestes pour leurs ressources naturelles peut sembler provocatrice à l’heure où les méfaits liés à la surexploitation des ressources de notre planète font l’objet d’une prise de conscience mondiale.

Or, le programme américain Artemis, qui vise le retour de l’être humain sur la Lune à l’horizon 2024 – un prélude à l’objectif ultime que constitue la conquête de Mars, postule que l’exploration viable et durable de la Lune et de Mars repose sur l’utilisation de ses ressources naturelles.

De nombreuses problématiques juridiques accompagnent cette activité – en premier lieu : l’exploitation des ressources spatiales est-elle possible d’un point de vue juridique, et qui décide en la matière ?

Un cadre juridique international incertain

Elaboré concomitamment à la conquête lunaire des années 60 et 70, dans le cadre d’un comité spécialisé de l’ONU dédié aux utilisations pacifiques de l’espace extra-atmosphérique, le droit international de l’espace trouve sa première expression contraignante dans le Traité de l’espace de 1967, de son vrai nom « traité sur les principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes ».

Ce traité ratifié par la majeure partie des États, dont l’ensemble des principales puissances spatiales – États-Unis, Russie, Chine, France et Japon – prévoit comme principe premier la liberté : liberté d’exploration et liberté d’utilisation de l’espace sont consacrées comme étant « l’apanage de l’humanité tout entière ».

Le traité encadre toutefois cette liberté, afin de préserver l’espace et les corps célestes d’un certain nombre de vicissitudes, comme la guerre et la prédation territoriale. L’exploration et l’utilisation de l’espace ne pourront ainsi être entreprises qu’à des fins pacifiques – ce qui, de l’interprétation quasi générale des États, n’interdit pas l’envoi de satellites destinés à leur défense nationale.

Ainsi, toute forme d’appropriation des corps célestes est prohibée par le traité. Alors que l’exploitation industrielle et commerciale de ressources naturelles semble nécessairement reposer sur l’appropriation des ressources des corps célestes, est-il possible, et licite, de procéder à l’appropriation des ressources sans méconnaître le principe de non-appropriation des corps célestes qui les contiennent ?

La Lune, patrimoine commun de l’humanité ?

Un autre traité international a établi en 1979 deux principes supplémentaires. D’une part, la Lune, les autres corps célestes et leurs ressources naturelles constituent « le patrimoine commun de l’humanité » et ces ressources ne peuvent dès lors « devenir la propriété d’États, d’organisations internationales […], d’organisations nationales ou de personnes physiques ». D’autre part, les États s’engagent à établir « un régime international régissant l’exploitation des ressources naturelles de la Lune [et des autres corps célestes] lorsque cette exploitation sera sur le point de devenir possible », devant notamment permettre une « répartition équitable entre tous les États parties des avantages qui résulteront de ces ressources, une attention spéciale étant accordée aux intérêts et aux besoins des pays en développement ». L’orientation quasi collectiviste de ce second accord a largement compromis son acceptation par la communauté internationale, à commencer par les États-Unis : à l’heure actuelle, seuls dix-huit États sont parties à l’accord de 1979, parmi lesquels ne figure aucune grande puissance spatiale.

Les États-Unis dégainent les premiers

Au début des années 2010, la perspective d’une exploitation des ressources spatiales prend corps aux États-Unis, entre la création de sociétés privées, par exemple Planetary Resources, et la diffusion de rapports de think tanks sur la propriété privée dans l’espace.

Le Space Act américain est adopté en novembre 2015 et autorise les citoyens américains impliqués dans la récupération de ressources spatiales à se prévaloir de ces ressources, ce qui inclut leur possession, leur propriété, leur transport, leur utilisation et leur vente. Les États-Unis considèrent ce faisant que cette activité n’est pas contraire au principe de non-appropriation du Traité de l’espace, dans la mesure où les ressortissants américains ne s’approprieraient pas les corps célestes eux-mêmes mais uniquement leurs ressources, une fois extraites.

Une partie importante des experts juridiques considère en revanche qu’il est douteux que le principe de non-appropriation des corps célestes tolère l’appropriation de leurs ressources.

Il semble difficile de trancher de façon ferme ce débat juridique. La problématique de l’exploitation des ressources naturelles dans l’espace ne se posait pas à l’époque de l’élaboration du Traité de l’espace, et ses dispositions lapidaires en matière de non-appropriation ne permettent pas d’appréhender finement les questionnements juridiques actuels.

D’autres États embrayent, l’ONU dans l’ornière

En 2017, le Luxembourg imita le pionnier américain et adopta une loi statuant explicitement que « les ressources de l’espace sont susceptibles d’appropriation ». En février 2020, les Émirats arabes unis, acteur montant du secteur spatial, adoptèrent une législation analogue.

L’ONU se saisit en 2016 de la question, mais les travaux sont limités pour l’heure à un échange de vues entre États et le comité concerné ne dispose d’aucun mandat qui lui permettrait d’entamer de quelconques travaux à caractère normatif. De fait, les points de vue des États sont pour le moins contrastés, certains d’entre eux, comme la Russie, exprimant une opposition farouche aux initiatives nationales tendant à réglementer unilatéralement l’activité.

Plusieurs États, dont la France, considèrent que le comité de l’ONU constitue l’enceinte compétente et devrait conduire des travaux approfondis sur la question de l’encadrement de l’exploitation des ressources spatiales. Las, la proposition faite par plusieurs États européens de constituer un groupe de travail ad hoc n’a pu pour l’heure aboutir, faute de consensus.

Cette paralysie relative et l’incapacité à entreprendre une initiative normative multilatérale, que l’on peut malheureusement constater au fil du temps sur l’ensemble des nouvelles problématiques du droit des activités spatiales, laisse le champ libre aux initiatives nationales et à une certaine forme d’unilatéralisme.

L’initiative des Artemis Accords : la déchéance du droit international de l’espace ?

D’autant que les États-Unis viennent de passer la vitesse supérieure : un Executive Order (décret présidentiel) du 6 avril 2020 consacre la position juridique exprimée par le Space Act de 2015 et réaffirme le droit des citoyens américains à récupérer, posséder et utiliser les ressources spatiales. Ce texte exprime en particulier la volonté de trouver des positions communes sur l’exploitation des ressources spatiales et de conclure des accords en ce sens avec les pays affinitaires, ce qui fut concrétisé quelques semaines plus tard par l’annonce des Artemis Accords.

Les Artemis Accords consisteront a priori en des accords bilatéraux entre les États-Unis et ses partenaires, ayant pour objet d’établir des principes communs régissant les activités civiles d’exploration et d’utilisation de la Lune et certainement, in fine, de Mars. La signature de ces accords par les États concernés constituera à n’en pas douter un préalable à leur implication dans le programme américain d’exploration. L’exploitation des ressources spatiales figure naturellement parmi les problématiques qui seront traitées par ces accords, de même que la question épineuse des safety zones que la NASA estime nécessaires à l’activité.

La NASA a rappelé à plusieurs reprises que la gouvernance des activités sur les corps célestes devra être en pleine conformité avec le droit international existant, en particulier le Traité de l’espace de 1967. À l’heure où les États-Unis dénoncent un certain nombre d’accords internationaux et remettent en cause la légitimité de certaines organisations et entités internationales, comme l’Organisation mondiale de la Santé ou la Cour pénale internationale, il peut être rassurant de constater qu’ils n’entendent pas expressément s’affranchir des règles qui ont permis jusqu’alors une utilisation pérenne et pacifique de l’espace extra-atmosphérique par les États et les opérateurs spatiaux.

Mais la formalisation de principes communs autour d’un centre de gravité américain constitue toutefois une certaine remise en cause du multilatéralisme onusien, le comité de l’ONU sur l’espace étant jusqu’ici l’unique enceinte d’élaboration des normes internationales applicables aux activités spatiales. En comblant de fait certains silences du Traité de l’espace de 1967, les Artemis Accords feront certainement œuvre créatrice de normes juridiques pour les activités spatiales, en lieu et place d’éventuels instruments internationaux multilatéraux. De plus, la capacité de négociation des futurs partenaires des États-Unis sera très certainement réduite à la portion congrue. Les Artemis Accords consisteront essentiellement in fine en une forme de contrat d’adhésion à la vision américaine de la régulation des activités humaines sur les corps célestes.

Les premières réactions que cette initiative suscite au niveau international sont parfois vives, comme celle du directeur général de l’agence spatiale russe Roscosmos, qui la place au même niveau qu’une invasion de l’Irak ou de l’Afghanistan et promettent de riches échanges à l’ONU entre puissances spatiales.The Conversation


le CNES x The conversation france

Cet article a été rédigé par Julien Mariez, chef du service juridique du CNES, dans le cadre du partenariat entre le CNES et The Conversation France.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.