18 Août 2017

Prédire une épidémie grâce à un satellite

Cibler les vraies zones à risques et prédire - jusqu’à 6 mois avant - une épidémie de dengue : c’est l’ambitieux pari du laboratoire d’épidémiologie de l’Institut Pasteur de Guyane. Soutenu par le CNES, le projet de recherche Detect (Dengue transmission and emergence control using tele-epidemiology) fait appel à la télé-épidémiologie. Entretien avec Claude Flamand, responsable de l’unité d’épidémiologie de l’Institut Pasteur de Guyane.
Qu’est-ce que l’étude Detect en quelques mots ?

Claude Flamand : Le projet Detect vise à identifier les déterminants climatiques et environnementaux des risques entomologiques et épidémiologiques de la dengue, afin de prévoir la dynamique de la circulation du virus selon deux échelles spatiales : l’une locale et l’autre globale. Dans le premier volet, notre but est de comprendre et modéliser la dynamique fine spatiale et temporelle des risques entomologiques de dengue, selon des facteurs météorologiques et environnementaux. On a choisi un site pilote, qui était le bourg de Matoury (une commune voisine de Cayenne, sur le littoral guyanais, ndlr). Le deuxième volet consiste à prédire la dynamique des épidémies de dengue à l’échelle de la Guyane, en se basant sur la prédiction des risques entomologiques, donc sur notre premier volet.

Concrètement, comment s’est traduite l’étude sur le terrain ?

C.F : Il y a eu d’abord 18 mois de terrain fait par des entomologistes, en 2013. Ils ont fait des captures de moustiques et de larves dans 330 maisons du bourg. L’idée, c’était d’identifier des facteurs environnementaux qui étaient appréhendés par des données satellites pour voir s’il y avait des associations qui ressortaient. Ils ont fait un suivi longitudinal : une partie s’est déroulée hors épidémie et une autre au cours de l’épidémie 2013, pour essayer d’identifier les facteurs associés à une augmentation du nombre de cas de dengue. Et puis, il fallait aussi couvrir la saison sèche et la saison des pluies, pour prendre en compte l’impact des facteurs climatiques.

Quand interviennent les satellites ?

C.F : Une fois qu’on a eu toutes ces données-là, on a récupéré des images satellites Pléiades à très haute résolution, qui permettent d’avoir l’environnement immédiat des habitations. On peut voir ce qu’il y a dans le jardin : s’il y a des arbres fruitiers, beaucoup de pots à fleurs, de la végétation, si c’est du sol nu, etc. On classifie l’environnement à partir des images satellites : on a plusieurs petites cases pour chacune des maisons, on sait si c’est une maison avec jardin, piscine, avec une zone inondable. C’est plusieurs centaines de variables !

Et puis on croise ces informations avec la présence ou pas de moustiques et de larves. On fait des modèles statistiques, mathématiques, qui permettent de dire s’il y a un environnement qui est plus propice au développement du moustique que d’autres.

Comment en arrive-t-on à pouvoir prédire les risques ?

C.F : Eh bien, on a fait deux modèles : un qui prédit les densités de moustiques adultes (est-ce qu'il y a plus de moustiques ?) et puis un modèle larvaire, qui se base sur la présence ou l’absence de gîtes positifs en larves. Ça nous permet d’expliquer à la fois la présence de moustiques et de larves.

Ensuite, comme on n’avait pas les moyens de faire du terrain partout, on a exporté ce modèle-là sur d’autres zones urbaines de Guyane (Cayenne, Rémire, Kourou, Saint-Laurent), pour faire une cartographie du risque épidémiologique, avec une estimation du niveau de risque (faible, moyen, élevé). On travaille toujours sur la présentation optimale de cette cartographie qui varie au cours du temps, en fonction des données météorologiques, comme les précipitations ou les températures observées.

Ce qu’il reste à faire, pour véritablement valider scientifiquement la démarche, c’est valider le modèle sur les zones géographiques. On prend une zone donnée, on prédit un risque et les entomologistes retournent sur place pour vérifier si là où l’on prédit un risque élevé, il y a effectivement beaucoup de moustiques.

On n’a fait qu’une validation à Matoury, qui a été concluante. Mais l’extrapolation à d’autres zones urbaines pourrait comporter certaines limites qu’il convient de vérifier. Ce qui se passe à Matoury se passe peut-être différemment à Cayenne… Une fois cette vérification effectuée, les cartes produites pourraient représenter une source d’information particulièrement utile pour les acteurs de terrain.

Comment ces cartes pourront-elles optimiser les politiques de santé publique ?

C.F : Aujourd’hui en Guyane, l’Agence Régionale de Santé oriente les services de démoustication vers les zones qui concentrent le plus de cas humains. Sauf que les zones où l’on observe le plus de cas confirmés ne sont pas forcément les zones où il y a le plus de risque d’être infecté. Le moustique aedes aegypti pique préférentiellement la journée et les gens ne sont pas forcément contaminés dans leur zone de résidence, mais plutôt à l’école, au travail… Là, l’avantage c’est qu’on pourra orienter les agents des services de démoustication vers les zones les plus susceptibles d’être à risque en termes de densité de moustiques et de présence de gîtes larvaires. Et ça, jusqu’à présent on n’avait pas trop de moyens de le faire.

Comme on n’a pas les moyens d’être sur tout le territoire en surveillance continue, pour voir où il y a des moustiques ou pas, l’image satellite représente une avancée extrêmement intéressante qui pourrait alors permettre d’avoir une bonne vision de la situation en temps réel.

Une fois les modèles validés, il faudra toutefois faire le pont entre les résultats des travaux de recherche et les acteurs opérationnels, pour que les services de lutte anti-vectorielle s’approprient vraiment l’outil, en l’intégrant à la stratégie de lutte et de prévention en place. Si ça se fait, c’est super.

La problématique de la dengue est au cœur du projet. Mais le moustique vecteur d’autres virus étant le même, est-il déclinable pour d’autres épidémies ?

C. F : Je me suis vraiment intéressé à la dengue parce pour prédire les épidémies, il faut avoir un recul de plusieurs années. Les virus du chikungunya et du zika ont été introduits trop récemment pour apporter le même type d’informations. Et surtout, les paramètres sont différents. La dengue a quatre sérotypes : de façon simplifiée, un même individu peut faire jusqu’à quatre épisodes de dengue dans sa vie, car quand on a été infecté par un sérotype on n’est immunisé de façon prolongée contre celui-ci. Ce qui fait qu’on observe depuis des décennies des épidémies de dengue qui se succèdent et qui vont continuer à survenir régulièrement. Une fois qu’il y a eu une épidémie (associée à un sérotype), il faut attendre un certain nombre d’années avant que le même sérotype provoque à nouveau une épidémie, le temps que la taille de la population susceptible d’être infectée car non immunisée soit suffisamment importante. Il peut s’écouler une dizaine d’années avant que le même sérotype ne provoque une nouvelle épidémie. Pour le chikungunya et le zika – pour lesquels il n’y a pas différents sérotypes - il est donc moins probable que l’on ait une épidémie rapidement. Le problème, c’est qu’on ne sait pas combien de personnes ont été réellement touchées par ces deux dernières épidémies… On mène justement en ce moment une enquête de séroprévalence sur les arbovirus qui permettra d’y répondre.

En résumé, quel est l’intérêt de la télé-épidémiologie ?

C. F: L’intérêt de la télé-épidémiologie, pour moi, c’est d’utiliser une information qui, sans l’outil satellite, ne serait accessible qu’en allant sur le terrain. On fait abstraction de missions de terrain qui sont très lourdes, qui nécessitent beaucoup de ressources humaines et financières, grâce à un outil qui permet d’avoir une information qui centralise et synthétise beaucoup d’informations. Des informations qu’on pourrait passer beaucoup de temps à recueillir sur le terrain…

Il y a aussi un intérêt économique. Quand on voit en Guyane le temps et le coût qu’on met à aller sur le terrain – des centaines de milliers d’euros - l’intérêt est clair. Quand on a une image satellite qui permet de synthétiser l’information sur 2 saisons, une saison de pluie et une sèche, c’est unique. Le projet Detect - s’il avait fallu recueillir des informations environnementales et entomologiques sur tout le territoire - aurait coûté des millions d’euros. Avec l’outil satellite, on arrive à modéliser ce qui se passe en réalité sans avoir besoin d’aller sur place. Bien sûr, il faut croiser l’information derrière. C’est une avancée exceptionnelle qui ouvre de multiples opportunités dans le champ de la recherche sur les relations climat-santé-environnement.

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