1 Février 2023

[Portraits] SWOT, les gardiens des eaux

Avec son lancement réussi, la mission franco-américaine d'observation de la Terre SWOT est entrée dans une nouvelle phase. Bientôt, la quasi-totalité de l'eau à la surface de la planète pourra être quantifiée et mieux étudiée, avec l'apport de mesures d’une précision inédite. Rencontre avec les femmes et les hommes du CNES qui ont repoussé les limites techniques et imaginé des applications au plus près des besoins de la communauté d'utilisateurs.
Thierry Lafon, la tête et les jambes de SWOT

Une coopération internationale majeure, beaucoup d’inédits, une foule d’expertises réunies et une sacrée dose de challenge. Thierry Lafon connaît par cœur les ingrédients de la recette SWOT. A la veille du lancement, il reconnaît sa « chance d’être chef de projet depuis 14 ans sur une mission d’une telle ampleur sociétale ». Lui qui en a supervisé les dimensions administratives, technologiques puis opérationnelles, reste incollable dès qu’il s’agit d’en dérouler le fil.

Arbitrer avec les scientifiques, obtenir le financement, défendre la place du CNES : Thierry Lafon utilise le « nous » lorsqu’il évoque ces étapes clés. Son influence personnelle a pourtant joué à plein. « Je connaissais les bons réflexes à adopter, notamment face aux attentes de la NASA » confie ce cadre expérimenté du CNES, passé notamment par les programmes d’observation de la Terre Jason ou précédemment Protheus.

 Nous avons réussi à imposer le CNES et les acteurs industriels français du spatial sur SWOT, pour assurer des développements de rupture. 

Les composantes de la mission SWOT confiées au CNES, dont il a la charge, « ne pouvaient qu’être liées à nos compétences reconnues pour des développements de rupture. Et c’est ce que nous avons obtenu ! » constate-t-il fièrement. Travailler avec les industriels français sur le satellite et plus particulièrement sur le cœur du radar de l’interféromètre KaRin : il y a dépensé son énergie sans compter.

« J’aime le côté évolutif qu’a eu mon poste, la persévérance qu’il exige aussi, afin de rester centré sur le chemin critique » note l’intéressé, qui assure la préparation des opérations – le CNES est chargé d’opérer la mission - et veille au respect des performances attendues.  « J’ai toujours cherché à disposer du maximum d’informations, à rester au contact des équipes. Mais je n’ai pas le temps ni le niveau d’expertise pour certains sujets » concède le chef de projet. En guise de « large fauchée », Thierry Lafon assiste aux réunions scientifiques annuelles et échange avec les experts thématiques autant que possible.

 Le CNES concourt avec brio aux percées technologiques qui font changer de paradigme l’expertise des mesures en hydrologie continentale, tout en imaginant l’aval. 

Apprendre en avançant : avec SWOT, Thierry Lafon a expérimenté l’adage à maintes occasions. Il se souvient notamment avoir affronté la période de crise sanitaire liée au COVID : « des bureaux vides du jour au lendemain, là où l’intelligence collective se cultivait au quotidien, c’était très dur ». Une sidération, avant de réagir. « Nous avons testé des choses qui sont devenues des éléments de procédures intégrées dans d’autres missions. »

Plus que jamais « focus », Thierry Lafon touche au but. « Le lancement, ce sera une naissance pour beaucoup mais aussi un achèvement pour moi, puisque je pars en retraite après » confie-t-il. Il n’assistera pas au traitement des premières données SWOT, mais se tiendra « évidemment au courant ! »

Nathalie Steunou tient les rênes du système

« En ce moment, les activités sont naturellement très centrées sur la préparation des opérations de début de vie du satellite » remarque Nathalie Steunou. En tant que Responsable Système de la mission SWOT, les essais de qualification rythment son quotidien, à quelques jours du lancement.

Cette spécialiste de l’altimétrie, embarquée dans l’aventure SWOT en 2013, coordonne depuis 2019 l’ensemble des activités sol confiées au CNES. Elle se place à l’interface entre les équipes « mission system » du CNES et du JPL : « Je suis aussi bien en lien avec les opérations (Centre de contrôle, préparation des procédures de vols) qu’avec le Centre de missions, pour ce qui relève du traitement des données ».

 Je m’assure de la cohérence d’ensemble : il nous faut tout avoir testé au sol avant tir, pour savoir faire correctement ce qu’il y a à faire après tir. 

Rouage facilitateur, elle est l’un des pivots clé de la bonne marche du collectif SWOT : « Je m’assure, en dialoguant et en participant à beaucoup de réunions, que toutes les composantes communiquent les unes avec les autres, qu’elles s’échangent les données nécessaires pour remplir leur rôle, d’un point de vue fonctionnel et avec le niveau de  performance requis le cas échéant, et que chacun ait suffisamment de ressources. »  

Nathalie Steunou affectionne « cette dimension humaine au cœur du poste, ce travail d’équipe » mené avec les experts thématiques. Elle enchaîne souvent « plusieurs journées en une », la fin d’après-midi étant « le moment JPL, avec les collègues américains ». Quand elle n'est pas en contact avec ses homologues, elle « accorde quelques heures à du travail de fond, entre autres pour préparer la chronologie des opérations ou la LEOP (Launch and Early Operations Phase). Et je regarde toujours de près les enjeux d’altimétrie, ma spécialité. » 

Afin d'assurer au mieux son rôle, Nathalie Steunou s’appuie sur sa riche expérience au cœur de précédentes missions d’observation de la Terre telles que Jason 1 - elle était responsable performances sur l’altimètre Poséidon 2 - et Saral/AltiKa, une mission menée en coopération avec l’Inde pour laquelle elle était responsable altimètre/radiomètre.

Malgré tout, SWOT reste une mission à part à ses yeux, pour son caractère innovant mais également pour son côté « première fois » : « Je ne connaissais pas le monde des opérations. Je n’avais jamais vécu de répétition générale avant celle de mai dernier. On passe 8 jours non-stop au SCC (Satellite Control Center) et en MCR (Main Control Room) avec environ quatre-vingts personnes impliquées, c’est très intense ! »

Nathalie Steunou ne s’attend d’ailleurs pas à lever le pied dans les mois post-lancement qui arrivent.

Nicolas Picot, poisson pilote du traitement de données SWOT

« La finalité des instruments embarqués, tout ce que cela va pouvoir générer en matière d'applicatifs, c'est cela mon cœur de métier. Je vais donc vraiment me réveiller quand on recevra les premières données réelles, à mettre dans nos tuyaux ! » plaisante Nicolas Picot. Arrivé en 2014 sur la mission SWOT, l’ingénieur est en réalité déjà bien occupé : il veille à la bonne marche des traitements scientifiques et à la qualité des produits des missions altimétriques. D’ailleurs, sa fonction principale est celle de chef de projet Sentinel 3 (programme Copernicus), un poste qu'il occupe après être passé par un nombre important de missions depuis son arrivée au CNES en 1996.

« Sur SWOT, je n’ai pas de fonction précise. Je m’attache à lancer des orientations, résoudre des blocages, fournir les moyens nécessaires aux équipes en charge des chaînes de traitement ou d’analyse et de l'aval, dès que l’on commence à parler télémesures et données scientifiques » précise-t-il. Au quotidien, Nicolas Picot échange et arbitre avec les responsables sur de très nombreuses thématiques (orbitographie, radio, interférométrie, calibration/validation...).

 L’objectif est de coller au plus proche à leurs besoins et leurs attentes en termes de qualité et de disponibilité des données, en rapport avec ce que le satellite pourra faire. 

Il entretient également des liens forts avec les scientifiques, qu’il rencontre lors de visites de laboratoires, de forums ou de workshops. « Ils ont connaissance du concept depuis près de 20 ans, on parlait de ces mesures dès Jason 2. Ils ont pu s’approprier tout ça, notamment avec les données simulées qui leur ont permis de créer des outils ». En revanche, « la volumétrie attendue avec SWOT reste sous-estimée : elle nécessitera des technologies de cloud computing et d'intelligence artificielle pour les calculs, pas des clés USB et de simples tableurs » prévient Nicolas Picot.

Ce dernier est aussi connecté à l’écosystème SWOT aval, en construction. Cette communauté applicative, récente, ne maîtrise pas encore tout à fait le « langage spatial » mais ambitionne de créer des services commerciaux autour de données hybrides. Le cahier des charges de SWOT, financé par le Plan d'Investissements d’Avenir, comprend cette visée « qui est nouvelle pour le CNES » rappelle Nicolas Picot. « La météorologie, et dans une moindre mesure l’océanographie, ont déjà cette facette opérationnelle avec des axes commerciaux mais évidemment un service aux citoyens au quotidien. Sur l’hydrologie continentale, la marche est élevée pour y parvenir. Mais nous travaillons dur, autour de nouveaux portails d’accès à la donnée spatiale et de produits et modèles adaptés. » 

 Mieux prédire les quantités d’eau douce paraît essentiel, face à tout ce que l’on vit déjà, et ce que l’on vivra demain sur le plan climatique. 

Sur les enjeux de volumes comme de qualités des eaux, un intérêt stratégique et régalien émerge, en parallèle du commercial. Nicolas Picot en est persuadé : l’information géolocalisée sur l’eau sera cruciale à l’avenir, à toutes les échelles. Et il travaille pour en tirer le meilleur.

Magali Tello, au coeur du satellite SWOT

La dernière fois que Magali Tello, responsable du satellite SWOT, l’a vu, c’était fin novembre, lors des tests de bonne santé menés aux Etats-Unis sur la base de Vandenberg. Tout s’était bien déroulé. Elle avait accompagné le satellite de 2 tonnes depuis le tarmac de l'aéroport de Nice jusqu’en Californie. Avant son retour en France, elle reconnaît « avoir eu du mal à s’en séparer pour de bon, jusqu’à faire quelques allers-retours entre le satellite et la porte de sortie de la salle blanche ». Simple bout de papier il y a 12 ans, ce satellite d’altimétrie de nouvelle génération était devenu réalité l’an passé, après l’assemblage de la charge utile avec la plateforme chez Thales Alenia Space à Cannes. 

Depuis 2010, Magali Tello assure le bon avancement technique du satellite, brique de base de la mission SWOT. « J’ai assumé cette responsabilité dans le souci du risque technique, de la contrainte financière et de l’attente calendaire, en coordonnant les métiers du satellite en interface avec la PL et avec l’industriel Thalès. Je n’ai évidemment pas agi seule, mais en interface étroite avec le chef de projet, la responsable système et la responsable synthèse technique » précise cette architecte SCAO de métier.

 Grâce au partage de responsabilité décidé au début du projet entre Français et Américains, le CNES a, sur SWOT, obtenu la maîtrise d’œuvre d’ensemble du satellite. 

Au cours de la conception puis du développement de SWOT, son quotidien a été rythmé par les échanges et réunions d’avancement avec les équipes impliquées dans le projet au CNES (experts métiers ou transverses), au Jet Propulsion Laboratory, partenaire américain responsable de la charge utile, et chez le partenaire industriel français (Thalès Alenia Space) responsable de la plateforme. Un travail de coordination subtil, toujours sur un fil, où la responsabilité globale lui incombait.

La responsable satellite, impliquée précédemment au CNES sur les missions PROTEUS, JASON 1, CALIPSO, COROT, JASON 2, SVOM, ou encore ISIS, a pu « s’appuyer sur l’expérience accumulée en matière de coopération pour assumer la vaste responsabilité que le CNES avait réussi à obtenir ». Elle a aussi tiré parti de sa connaissance de l’industrie spatiale : « Thalès, présent dès la phase A, a dû répondre à toutes les exigences satellite qui permettaient de satisfaire la mission. Je connais leurs contraintes d’industriel, pour avoir été détachée chez eux sur PROTEUS/JASON1. Cela a pu à l’évidence faciliter les relations pour la prise de décision. » Elle n’oublie pas non plus « la multitude de supports métiers, tous indispensables, qui ont toujours répondu présent et qui, grâce à leur expertise, font que le CNES est reconnu. »

Magali Tello, « confiante par nature », ne redoute pas la nouvelle phase de SWOT. « Il va bien se débrouiller tout seul. Et puis, au sol, les gens sont prêts à le chouchouter en cas d’anomalie ou de panne. L’équipe technique satellite CNES en début de vie, bien sûr, mais je pense aussi à toutes les autres personnes qui vont le prendre en charge ensuite »

Roger Fjørtoft, aux manettes du traitement HR de SWOT

 « Je coordonne les activités d’algorithmie pour le mode HR (High Rate) de SWOT, dédié à l’hydrologie continentale, où le CNES assure certaines étapes de traitement, ainsi que la définition de certains produits » indique Roger Fjørtoft. Il fait partie des quelques experts présents dès la genèse du projet SWOT, en 2008. Ces travaux se font en lien avec la « Science Team » et les spécialistes du département radar du Jet Propulsion Laboratory

Roger Fjørtoft pilote une équipe qui s’est progressivement élargie. Elle compte maintenant une dizaine de personnes à Toulouse, qui échangent au quotidien avec les collègues américains. « La mise en place de notre "Algorithm Development Team" conjointe, avec des responsabilités pour chacun autour d’un code source partagé, a été un moment déterminant » rappelle-t-il. En pratique, SWOT a « dérogé » à l’approche habituelle du CNES pour développer les chaînes de traitement : « Nous avons fait évoluer les prototypes vers du code opérationnel, avec l’aide régulière d’experts informatiques, mais sans recourir à l’étape de spécification. Nous avons bien fait, cela a été efficace ! » souligne Roger Fjørtoft. Avant SWOT, ce spécialiste en traitement d’images avait aiguisé son expertise sur les missions CALIPSO et IASI – également dédiées à l’Observation de la Terre.

Lorsque Roger Fjørtoft détaille ce que SWOT va changer, le saut technologique est évident. « Quand on compare avec l’altimétrie nadir, le gain en résolution et en couverture est énorme. Si des missions d’interférométrie radar (SRTM, TanDEM-X) ont permis d’établir des modèles numériques de terrain avec une précision verticale de quelques mètres, le mode HR de SWOT vise une précision altimétrique de 10 centimètres sur les surfaces d’eau continentales. La technologie de l’interférométrie radar n’a jamais été à ce point poussée ! » 

 Le changement de paradigme de SWOT est passionnant, car il tient autant à sa performance qu’à la quantité incroyable de données fournies, et leurs futurs usages. 

Après avoir affiné la résolution des images (synthèse SAR), les surfaces d’eau doivent être détectées, puis la hauteur et la géolocalisation de chaque pixel sont calculées, sans oublier les corrections géophysiques. Le traitement se scinde alors en deux branches : rivière ou lac. « Les hydrologues ont voulu disposer de produits dédiés à chaque objet », rappelle Roger Fjørtoft. Avec l’ambition de SWOT de révolutionner les connaissances en hydrologie comme en océanographie, Roger Fjørtoft voit aussi « le défi de l’accès et l’utilisation de la masse de données générées chaque jour (20 téraoctets !) comme central pour préparer la suite »

Les vraies données SWOT, attendues dans quelques semaines, donneront à coup sûr au service traitement radar de nouveaux challenges à relever ! Son équipe prépare depuis des mois les activités de calibration et de validation (Cal/Val), où les produits SWOT vont être confrontés aux mesures in situ. 2023 sera une année chargée !

Philippe Maisongrande, l’eau sous toutes les coutures

Il est l’un des pivots scientifiques du CNES, dès lors que l’on évoque l’observation satellitaire des surfaces continentales. « Depuis plus de 30 ans, je consacre ma vie professionnelle à la valorisation de ce type de données, tant du point de vue de leur qualité que de leur analyse et leur assimilation dans des modèles », rappelle Philippe Maisongrande. Dans l’étude de la biosphère qui lui tient tant à cœur, l’eau revêt évidemment une place particulière. 

Débuté au CESBIO, avec des sujets de recherche dédiés aux cycles du carbone et de l’eau, le parcours de Philippe Maisongrande au CNES s’écrit dans les laboratoires de recherche rattachés.
« J’ai entendu parler de SWOT en arrivant au LEGOS » se rappelle d’ailleurs le chercheur et responsable d’équipe. Nous sommes alors en 2008. « La mission était déjà dans les cartons, et l’on peut dire que j’étais au bon endroit pour prendre part à sa préparation scientifique puisque les 2 PI français de la mission se trouvaient là ! ». Ce laboratoire, qu’il a codirigé, est mondialement réputé en matière de valorisation scientifique des données altimétriques, notamment pour l’étude du niveau des océans. L’hydrologie continentale en bénéficie également, avec le service Hydroweb, précurseur de la distribution des données altimétriques sur les lacs et les rivières. 

 J’ai accompagné, avec mes collègues, la dynamique scientifique autour de SWOT afin qu’elle donne sa pleine mesure. 

Depuis 2018 au sein de la Direction de la Stratégie, Philippe Maisongrande œuvre maintenant depuis le CNES intra-muros. Il reconnaît avoir « "fait le mur" pour contribuer cette fois à la valorisation scientifique du spatial, à l’échelle des tous les laboratoires français utilisant les satellites pour étudier les surfaces continentales ». Il assure cette animation avec notamment le pôle thématique THEIA et l’Appel à Propositions de Recherche TOSCA – Terre solide, Océan, Surfaces continentales, Atmosphère – outils assortis d’une politique de financements doctoraux et postdoctoraux menée avec les Directions techniques du CNES. 

Pour l’eau, la mission SWOT « couvre de façon inédite le strict enjeu de l’eau bleue (niveaux et débits). Avec son programme aval, cette mission rapproche clairement les diverses composantes de l’hydrologie » précise le chercheur. Concrètement, le nouveau portail thématique – Hydroweb.next – agrégera les différentes variables du cycle de l’eau, avec une diversité et une ergonomie d’utilisation jusqu’ici jamais atteinte ! Attendue en 2025, TRISHNA, la mission franco-indienne d'observation de la Terre dans l'infrarouge thermique, apportera à Hydroweb.next son lot d’informations complémentaires. 

 Hydroweb.next renseignera les utilisateurs de façon très large sur le cycle de l’eau, de la cartographie du niveau des lacs et des rivières, jusqu’à celle du besoin en eau des cultures. 

Désormais, les quantités de données réunies (spatiales, in situ, etc.), leur hybridation et leur homogénéité dans le temps, vont fournir une information de référence afin de répondre de façon fiable aux besoins, qu’ils soient scientifiques ou propres à des services régaliens ou commerciaux liés à l’eau.

Claire Pottier explore le secret des lacs

Avec SWOT, l’objet « lac » promet d’être (bien) mieux connu. Si cela se confirme, Claire Pottier en aura été une cheville ouvrière déterminante ! Partie intégrante de l’équipe des traitements sol, Claire est « la responsable du développement des modules lacs. Je pars du nuage de points qui consiste en des hauteurs d’eau géolocalisées ; je supprime ceux rattachés aux rivières, traités par mes homologues du Jet Propulsion Laboratory, et j’en fais des lacs. »

Si la responsable, rattachée à la Direction Technique du CNES, est aujourd’hui plongée dans le développement des chaînes algorithmiques, elle a auparavant accompagné la définition du format et du contenu des données rivières et lacs : « Le langage projet n’est pas le langage scientifique ! En altimétrie pour l’hydrologie, tout est nouveau et c’est justement cela qui est enthousiasmant. A la demande des scientifiques, nous allons utiliser le format shapefile, comme l’IGN, mais c’est un format avec lequel nous n’étions pas familiers, car c’est le format NetCDF qui est utilisé en altimétrie conventionnelle » détaille Claire Pottier, entrée au CNES au service de valorisation de données et d’outils transverses pour les projets. 

 Notre activité de traitement nous place à la charnière entre les contraintes systèmes, évolutives, et la réponse au besoin scientifique. 

Arrivée en 2012 sur la mission, elle a eu à cœur d’entretenir un lien étroit avec les scientifiques, pour l’efficacité de la mission bien-sûr, mais aussi par tropisme personnel. « J’ai vu dans le poste sur SWOT un moyen de refaire davantage de science autour de l’observation de la Terre, quelques années après avoir soutenu ma thèse, en 2007, au LEGOS ». L’anecdote veut que sa thèse ait été en océanographie (couleur de l’eau), elle qui dédie aujourd’hui son temps à l’hydrologie continentale.  

Cette transversalité lui a servi en plusieurs occasions, comme pour aider à redéfinir l’orbite, à une période où océanographes comme hydrologues n’étaient pas satisfaits du choix initial. Elle a ensuite travaillé avec eux sur les campagnes aéroportées AirSwot. C’est aussi cette casquette qui lui permet de définir, au plus près des communautés scientifiques et dans un dialogue permanent avec elles, les spécifications du masque Haute Résolution dont elle a désormais la responsabilité. 

 Avec l’arrivée des données réelles de SWOT, on ne va plus travailler chacun sur sa brique de traitement, mais dans un collectif où les interactions entre domaines seront nombreuses. 

« Est-ce que l’on va pouvoir voir des lacs dans les premières données de SWOT ? J’ai hâte d’y être ! » concède Claire Pottier. Alors qu’elle passe beaucoup de temps à développer des outils pour analyser les premières données et rechercher les anomalies, il lui faudra encore attendre jusqu'en février-mars 2023. 

Dans quelques années, Claire Pottier souhaiterait « accompagner les collectivités territoriales dans l’utilisation des produits satellites, comme le suivi sécheresse par exemple ».

Santiago Peña-Luque, dans l’antre des barrages

En matière d’hydrologie, « on n’utilisera pas les mesures SWOT seules, sans les croiser avec d’autres sources. C’est la condition pour en donner la pleine envergure » prévient Santiago Peña-Luque. L’expert en analyse de signal, embarqué depuis 2017 dans la mission SWOT, a fait de l’hybridation son quotidien : « J’exploite les mesures des satellites Sentinel ou SMOS au travers de cartes, en les combinant avec les données simulées de SWOT pour étudier la dynamique de surface en eau ».

Avant SWOT, Santiago Peña-Luque est notamment passé par le développement de centres de mission génériques, comme ceux utilisés pour les rovers martiens. Il reste, aujourd’hui, à la croisée de ses spécialités en traitement de signal/image, informatique et recherche thématique sur l’eau. Mais cette fois, la valorisation appliquée dans le contexte du changement climatique donne « à mon travail une dimension très concrète, que j’affectionne »

L’ingénieur fait partie de l’équipe « Traitements, Plateforme, Hybridation et Aval » qui accompagne la diffusion de simulateurs et d’applicatifs utilisateurs dans le cadre de SWOT Aval. Plusieurs produits de traitement auxquels il collabore sont déjà diffusés, comme Surfwater (détection de surfaces en eau) ou le seront bientôt tels que GSWAF (fraction de sol inondée). Et leur combinaison avec les données SWOT se retrouvera bientôt sur la plateforme Hydroweb.next !

 Nous préparons la communauté scientifique à pouvoir exploiter la data SWOT, tout en favorisant l’arrivée de nouveaux outils de recherche en hydrologie 

Santiago Peña-Luque porte par ailleurs le projet « Stock Water », labellisé en 2021 par le Space for Climate Observatory (SCO). Il est notamment la suite d’une expérimentation sur les barrages menée pour le Ministère de la transition écologique en France.
Concrètement, l’exploitation de séries de mesures temporelles de la superficie de réservoirs d’eau permet de qualifier des estimations de volumes. En 2020, des prototypes déployés sur 29 réservoirs français avaient donné une incertitude inférieure à 15% sur les taux de volume. En 2022, cette erreur est inférieure à 10% sur les nouveaux algorithmes.

Désormais, « l’ambition est de créer une surveillance élargie de la charge des barrages hydrauliques » détaille l’expert. Déployé sur des zones pilotes en Inde, au Brésil ou au Burkina Faso, « Stock Water suscite une forte attente. »

 Voir l’intérêt des institutionnels et des scientifiques pour Stock Water montre bien l’importance d’un outil de connaissance sur les barrages, basé sur le spatial enrichi de SWOT  

Le CNES a dernièrement financé un nouveau prototype, pour suivre cette fois 500 barrages pour la France. « La nouvelle étape consiste à renforcer l’automatisation pour disposer d’estimations hebdomadaires, alors que jusqu’ici, les autorités ont un bulletin mensuel sur moins d’une centaine de barrages ! »

Dans le cadre de France 2030, le Ministère de la transition écologique pousse à l’arrivée d’un service opérationnel de suivi des stocks des barrages, basé sur le spatial. 

Nicolas Gasnier, dénicheur des « petits objets en eau »

Au sein du service traitements, plateforme et hybridation aval au CNES, Nicolas Gasnier travaille sur les eaux continentales, « pour l’instant à travers des chaînes qualité de l’eau basées sur des données optiques, et bientôt avec les données SWOT ». 

L’ingénieur en traitement d’image satellite est impatient de basculer dans la nouvelle phase de la mission. Depuis des années, il travaille d’arrache-pied sur la « révolution » SWOT pour l’hydrologie, dans le cadre de sa thèse* cofinancée par le CNES et CS Group France et soutenue en janvier 2022. C’est sa directrice de Master 2 puis de thèse – Florence Tupin (Télécom Paris) – qui l’a fait bifurquer vers le traitement d’image de télédétection.

 Ma thèse propose des méthodes alternatives de traitement d’image pour détecter l’eau, qui pourront être utilisées en cas de faible contraste dans les images. 

Face aux limites de l’hydrologie spatiale pour détecter de petites surfaces d’eau, le chercheur diplômé de l’ENS Paris-Saclay et Télécom Paris a exploré l’hybridation de données exogènes, multi-temporelles et multi-capteurs pour mieux guider la détection d’eau. 

En utilisant les informations des bases de données existantes, Nicolas Gasnier « analyse » les images SAR. Objectif : y débusquer les rivières fines et déterminer leurs contours. « J’ai adapté des méthodes de traitement d’image à ces petits objets. Bien que l’on sache approximativement qu’une rivière est présente, le défi a été de déterminer où se trouve cette rivière au pixel près, alors qu’elle évolue avec le temps. Ma méthode s’appuie sur un algorithme de plus court chemin sur une carte issue d’un détecteur de ligne conçu spécialement pour les images SAR. Elle corrige les écarts entre projection des lignes centrales a priori et réalité dans l’image » détaille l’ingénieur. 

 Mes travaux pourraient augmenter l’intérêt qu’auront les hydrologues et les autres acteurs à utiliser le portail de données hydrologiques hydroweb.next 

Ces travaux seront notamment utilisés en cas de contraste des images inférieur à ce qui est attendu, ou dans certains cas particuliers. Nicolas Gasnier, « passionné par la richesse des acteurs rencontrés au quotidien avec la mission SWOT », devrait donner matière à progresser encore sur la détection d’eau :  sa thèse lance aussi une étude préliminaire sur les nouvelles pistes pour optimiser encore le débruitage des images.

*Exploitation de données multi-temporelles et multi-capteurs pour l’extraction de surfaces d’eau continentales dans le contexte de la mission SWOT 

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Tout savoir sur la mission SWOT

SWOT est la première mission spatiale qui étudiera la quasi-totalité de l'eau à la surface de la Terre. Ses instruments mesureront la hauteur de l'eau des lacs, des rivières, des réservoirs et des océans de notre planète avec une définition plus précise que jamais. Cela contribuera à faciliter les décisions en matière de gestion de l'eau et fournira également de nouvelles informations sur le cycle de l'eau sur Terre. Les données du satellite aideront à mieux comprendre la montée du niveau des océans et l'évolution des côtes dans un climat en plein mutation.

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