13 Mars 2017

[PORTRAIT] Nathalie Bertrand - Traitement d’image : exigence technique et sens esthétique

Elle redresse les bâtiments, elle attire les bateaux, elle retouche la couleur du sable, elle chasse les nuages, elle perd le nord, et s’en réjouit. Nathalie Bertrand, infographiste IGN en poste au CNES, jongle entre ses deux grands écrans d’ordinateur et s’applique à fournir des images Pléiades aussi justes que réussies sur le plan esthétique. Elle ne fait pas du prêt-à-porter mais de la haute couture.

En quittant l’Ecole des Gobelins où elle suivait une formation de photographe, Nathalie fut embauchée par l’IGN. Tirage, spatio-triangulation, cartographie, d’étape en étape elle compléta sa formation initiale jusqu’à son arrivée comme prestataire au CNES, il y a sept ans. « Sur ce poste, tu vas pouvoir laisser libre cours à ta créativité » lui indiqua son chef de service IGN. Un large sourire éclaire le visage de Nathalie,

 Que du bonheur… 

Avec  l’arrivée des images Pléiades, l’infographiste s’est créé une compétence et une expertise reconnue qui a intensifié sa charge de travail et démultiplié sa passion.

Au CNES, à quels besoins répondent ces images fascinantes ?  A des besoins de valorisation et de communication. Et les commanditaires sont nombreux. « Tout d’abord, Jean-Yves Le Gall,  Président du CNES, pour des cadeaux institutionnels, les  managers et les chefs de projet pour des présentations, publications, stands, expositions, mais également le site web du CNES, grand consommateur d’images, et enfin le service Education-Jeunesse ».

Comment sélectionner une image ?

« Dès que j’ai un nom de lieu, je vais sur Internet pour recueillir le maximum d’informations. Je vérifie qu’il n’existe pas dans mon archive une image déjà traitée correspond aux besoins. Sinon, je fais une recherche d'image et je commande ce qui me semble être le plus approprié auprès de Geostore, la banque de données d’Airbus ».

Plusieurs critères guident le choix de l’image. « Je vais de préférence sélectionner, soit  l’image la plus récente, soit une image prise au printemps ou en été (entre avril et septembre pour l’hémisphère nord, et entre septembre et mars pour l’hémisphère sud). C’est à cette période de l’année que  les couleurs sont plus belles, plus variées et l’image plus nette. L’angle de prise de vue de l’image ne doit pas altérer l'image, elle doit lui apporter un bénéfice.
L’image doit contenir le plus de valeurs possible, c’est-à-dire une grande amplitude dans la palette de couleur et des noirs et blancs qui mettra les détails en évidence. L’image doit avoir du modelé , c'est-à-dire des ombres, douces mais présentes, des dégradés fins, des couleurs modérément saturées, beaucoup de détails. Et puis, il y a des régions impossibles, comme l’Inde, toujours nimbée d’une brume atmosphérique. C’est une catastrophe ! » explique Nathalie.

L’œil du photographe

L’image sélectionnée, le choix du cadrage requiert l’œil du photographe.  « Si je zoome trop, je peux perdre des éléments graphiques présents dans l’image - ponts, traces dans la mer, stade, côte, rivière - qui apportent une meilleure lecture de l’image. Alors si nécessaire, je force un peu la réalité, je rapproche un navire et son sillage pour ne pas l’exclure du cadrage, je chasse un nuage inopportun pour découvrir  la forêt ou la mer qui se trouve derrière. J’évite de couper un hippodrome, tout élément qui enrichit l’information de l’image. Je tire le meilleur de celle-ci mais je n’invente jamais ». L’une des images de McMurdo, montre la base antarctique agrippée à la roche marron au milieu des neiges. Au pied du bloc rocheux, la trace d’un croiseur fend la banquise laissant derrière lui, là où le croiseur fait demi-tour, des blocs de glace miroitants, flottant sur l’eau sombre. Un cadrage plus serré sur le tourbillon laissé par le croiseur libère l’image de l’âpreté des roches pour ne plus faire apparaître que les blocs de glace, tels un collier de diamants sur un velours noir. Magie du cadrage. (voir ci-contre)

 

L’orientation des images

On peut parfois s’étonner qu’une image de Paris ne soit pas orientée comme sur une carte topographique, le nord en haut, le sud en bas. Une image satellite s’aborde tout autrement. Toutes les images ne sont pas prises au nadir, c’est-à-dire exactement à la verticale. La plupart du temps, le pointage des satellites induit des ombres et des angles qui peuvent donner l’impression, par exemple, que la Tour Eiffel est penchée, de travers. « Dans ce cas, je fais pivoter l’image jusqu’à ce que l’orientation des bâtiments soit la plus lisible. Et il se peut que la Seine ne coule plus dans le sens habituel.» (voir ci-dessous - avant/après traitement de l'image)

Du coup, on perd le nord ! 

s’amuse Nathalie.

« Pour certaines images, comme le volcan Dallol , en Ethiopie (voir ci-contre), je ne me pose pas la question de l’orientation de l’image qui doit être choisie en fonction de critères plutôt esthétiques. Alors je tourne l’image de façon à ce que le volcan trouve le meilleur équilibre dans ce cadre ».

Depuis peu, l’infographiste chasse aussi les images insolites pour le web du CNES. Le lac Lacanga au Brésil, en forme d’homme, le Grand Prismatic Spring, une des merveilles naturelles du parc national de Yellowstone aux Etats-Unis… Ces images étonnent, captivent. Parfois Nathalie s’amuse et pousse l’insolite jusqu’au cocasse, comme cette île en forme de poisson réalisée pour les besoins du 1er avril (voir ci-contre), sortie de l’eau et de sa propre imagination pour l’occasion ! L’infographiste réalise aussi des images ou des montages vidéo 3D qui laissent pantois devant la Lune, étourdi au sommet de l’Himalaya (voir ci-contre) , au bord des crevasses ou des gratte-ciels.

 

Le point d’orgue d’une carrière

« Chaque image exige au minimum deux jours de travail. Je travaille à flux tendu avec une charge de travail très importante. Ma fonction est exigeante, mais je ne viens jamais travailler à reculons. Je prends tellement de plaisir dans ce que je fais. J’essaie de traiter les images non pas comme de la donnée géographique, mais comme un produit esthétique, d’en sortir le meilleur, je travaille les ombres, les contrastes, je fais ressortir certains détails… Ce poste est la somme de toutes les compétences que j’ai acquises depuis des années. Je ne suis pas fière de ce que je fais mais simplement satisfaite, heureuse. Ce sont certainement les plus belles années de ma vie professionnelle » déclare Nathalie, sereine.


Consignes de sécurité

Certaines images, celles des ports militaires par exemple, sont livrées floutées sur les zones sensibles. Celles-ci sont répertoriées dans la Liste des zones interdites à la prise de vue aérienne par appareil photographique, cinématographique ou tout autre capteur. La diffusion de ces images comprenant ces zones doit respecter des règles établies au Journal Officiel. Pour que ce floutage ne soit pas trop apparent, la technique consiste à minorer l’espace de la zone floutée en élargissant le cadre de l’image. « De toute façon, il ne faut pas cadrer trop serré,  une image doit respirer » explique Nathalie.


L’image préférée

Il existe une image dont Nathalie ne se lasse jamais, celle du pont qui traverse la baie d’Oakland. Mais pourquoi cette image en noir et blanc est-elle sa préférée ?
« Graphiquement, la courbe du pont qui sinue discrètement au-dessus de l’eau est superbe. Les piliers dessinent un râteau parfait. Il y a du modelé, les noirs et blancs sont à leur maximum. Je l’ai traitée comme j'aurais traité une image de Salgado ». Et la référence est tout simplement colossale.
Il y a par contre une image qui a toujours laissé un vague goût d’inachevé à la photographe, c’est celle des pyramides d’Egypte. La palette des sables du désert est bien trop incertaine. « On a surtout des zones claires. On bascule vite du jaune au bleu, du magenta au vert … ». Ces considérations finissent par se noyer dans un grand rire : « Je suis une pinailleuse ! ».

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