18 Juin 2015

« Nous avons besoin de Philae pour en apprendre plus sur l’origine du vivant »

Francis Rocard, responsable des programmes d’exploration du Système solaire au CNES, réagit à la reprise de contact avec Philae.

Il faut se hâter lentement

Quelle est votre réaction suite à l’annonce de la reprise de contact avec Philae ?

Francis Rocard : « C’est une excellente nouvelle. Nous étions confiants, mais pas en totalité dans la mesure où l’engin est tout de même resté 7 mois dans un froid abyssal. Donc, même si les ingénieurs nous disaient que Philae devait résister à ces basses températures, on n’est jamais à l’abri d’une mauvaise surprise ! Plus le temps passait, plus, à la fois, les conditions pour un réveil de Philae s’amélioraient, mais avec la crainte que les panneaux solaires pourraient se recouvrir progressivement de poussière. C’est d’ailleurs toujours le cas maintenant et ce problème potentiel va se prolonger jusqu’au périhélie et au-delà. Donc, je dirais qu’il faut se hâter lentement. Lentement, parce qu’il ne faut pas se précipiter et activer inconsidérément des éléments mécaniques au risque de faire bouger Philae et de perdre le contact, mais il ne faut pas non plus trop attendre, parce que nous ne sommes pas à l’abri de pépins. »

Quel est le plus important pour vous d’un point de vue scientifique ?

Francis Rocard : « Mon sentiment, c’est que nous avons a priori 4 mois devant nous, si on prend le symétrique du moment de réveil avec la date du périhélie, et du point de vue de la science il faut évidemment compléter ce qui n’a pas pu être fait en novembre. Des séquences ont déjà été établies en concertation avec les scientifiques en fonction à la fois de la consommation d’énergie et des risques. Au début, cela sera faible consommation, faible risque. Mais après, va se poser la question suivante : dans quel ordre de priorité devons-nous agir pour les manips un peu plus risquées, notamment APXS qui n’a pas fait les mesures que l’on attend de lui, et puis, surtout, le forage. Le forage va être une décision particulièrement délicate. Il semble que cela soit envisageable moyennant une rotation, maintenant que va-t-il se passer dès que la foreuse touchera le matériau en face, est-ce que l’on ne va pas tout perdre ? »

Le forage va être une décision particulièrement délicate

Justement, y a-t-il des capteurs sur Philae qui permettraient de faire un léger test de forage et de voir si l’atterrisseur bouge ?

Francis Rocard : «  Ce n’est pas simple. Il y a des capteurs qui enregistrent les mouvements. CASSE (Comet Acoustic Surface Sounding Experiment) se comporte un peu comme un sismomètre et on le met en route dès que l’on fait bouger un mécanisme pour avoir la vérification que le mécanisme a bien fonctionné, pendant la durée prévue, etc. Par contre, CASSE n’est évidemment pas asservi aux mouvements des instruments comme la foreuse et il ne peut pas faire stopper une opération ; c’est trop compliqué à mettre en œuvre et on n’y arrivera pas. Il va donc falloir évaluer la distance jusqu’au contact, déployer l’outil dans un 1er temps presque jusque-là, vérifier qu’il n’y a pas eu de contact, lancer un forage de quelques millimètres, vérifier, recommencer, etc. Je pense qu’il y a matière à faire des choses et, pour moi, la priorité reste sans conteste le forage. »


Francis Rocard présente la comète 67P sur les Champs-Elysées en mai 2015. Crédits : CNES.
Pourquoi est-ce si important ?

Francis Rocard : « Parce que l’un des principaux objectifs de la mission Rosetta est de déterminer la nature moléculaire de ce matériau organique qui couvre la surface et que l’on ne connaît toujours pas ! Les instruments VIRTIS et COSIMA sur l’orbiteur apportent des éléments de réponse : VIRTIS nous dit qu’il y a des radicaux CH à la surface du noyau, et on voit par ailleurs de nombreuses molécules partout ; COSIMA a un peu de mal à analyser les poussières qu’il récolte et, en plus, on sait que COSIMA casse les molécules parce que c’est du bombardement d’ions, donc on a besoin des résultats de COSAC sur Philae. COSAC utilise une technique complémentaire qui est le dégazage à travers une pyrolyse. Il nous faut évidemment les 2, COSIMA et COSAC, et la somme des 2 devrait permettre de remonter à la nature de ce matériau primordial. Je rappelle que les comètes sont probablement les objets les plus riches en matériaux organiques dans le Système solaire. Plus les molécules que l’on identifiera seront lourdes et grosses, plus la situation sera intéressante. On peut penser que "ce qui est fait n’est plus à faire" et que si on avait déjà de très grosses molécules organiques dans les comètes, quand ces comètes ont ensemencé la Terre il y a des milliards d’années, ces même molécules placées dans un milieu encore plus favorable, comme le bouillon de culture tiédasse qu’étaient les océans, ont permis de passer à des molécules prébiotiques et finalement au vivant ! »


Philae sur la comète 67P. Crédits : CNES/Ill. Mira productions.

Rosetta est une mission de l’ESA avec des contributions de ses États membres et de la NASA. Philae, l’atterrisseur de Rosetta, est fourni par un consortium dirigé par le DLR, le MPS, le CNES et l'ASI. Rosetta est la 1ere mission dans l'histoire à se mettre en orbite autour d’une comète, à l’escorter autour du Soleil, et à déployer un atterrisseur à sa surface.