

En 1982, Jean-Loup Chrétien, s’envolait pour la mission PVH (Premier Vol Habité) : une semaine en orbite à bord de la station soviétique Saliout-7, durant laquelle le premier astronaute français a mené plusieurs expériences fondatrices pour la science spatiale française.
Dans le domaine des sciences de la matière, il réalise alors les expériences DIFFUSION, qui étudie dans un four la fonte d’un alliage en micropesanteur, et IMMISCIBLE, qui analyse la structure d’un alliage de composants non miscible.
«Dans la continuité de cette mission, le CNES a développé plusieurs fours spatiaux avec des laboratoires scientifiques, qui ont volé sur des missions russes et américaines, dans la station MIR puis sur l’ISS, explique Philippe Bioulez, technicien au CADMOS qui travaille depuis 1985 sur ces thématiques. Il y a eu notamment GHF, qui a fonctionné en 1983 et 1986 sur la navette américaine pour étudier la solidification d’alliages et la croissance de cristaux. »
Avec Mephisto, en 1991, également sur la navette, nous avons vraiment réalisé la première expérience de téléscience opérée depuis le sol, qui concernait aussi la solidification des alliages.
Philippe Bioulez

Depuis, le CNES en coopération avec la NASA utilise l’instrument DECLIC qui a fait a fait plusieurs séjours sur l’ISS, le dernier ayant été initié lors de la mission Alpha de Thomas Pesquet, en octobre 2021. « Cet instrument est constitué d’un système de régulation de température ultra précise et d’un banc optique pour étudier les échantillons, détaille Cécile Fiachetti, responsable de l'instrument DECLIC au Cadmos. DECLIC est dédié à l’étude des milieux transparents et notamment des alliages modèles qui simulent les alliages métalliques. »

Un 4eme état de la matière
Mais DECLIC permet d’autres expériences sur la matière. Les scientifiques s'intéressent par exemple à l’étude des fluides au point critique, c’est-à-dire à un nouvel état de la matière qui est à la fois liquide et gazeux, atteint à un certain niveau de température et de pression.
Le CNES s'est intéressé aux fluides supercritiques pour la première fois avec les expériences Alice et Alice 2 sur la station MIR. Et depuis 2009, avec DECLIC, ils traitent des interrogations de physique fondamentale sur l’organisation de la matière à l’approche du point critique. Les scientifiques essaient aussi d’étudier la combustion de la matière organique dans l’eau supercritique : elle a la capacité de dissoudre des composés organiques sans produire de gaz toxique.
S’affranchir des conditions terrestres
Réaliser ces expériences en micropesanteur présente l’intérêt de s’affranchir des conditions rencontrées sur Terre, explique Christophe Delaroche, responsable de la thématique sciences de la matière au CNES : « Sur Terre, les propriétés physiques sont masquées par les phénomènes dus à la gravité, alors qu’en micropesanteur les phénomènes sont très stables et plus simples à analyser. »
Les expériences s'inscrivent pour l’heure dans le domaine de la science fondamentale, très en amont des applications, mais elles ouvrent de nombreuses perspectives.
Sur les alliages par exemple, le fait de pouvoir maîtriser les structures de solidification permet de connaître les propriétés physiques du métal, et cela intéresse les industriels
Christophe Delaroche
De même, les recherches sur les phénomènes supercritiques et la combustion dans l’eau supercritique ouvrent des perspectives sur Terre pour le traitement des déchets et la valorisation de la biomasse, mais aussi pour l’exploration spatiale où la capacité à recycler et à récupérer de l’eau pour le cycle de vie sera l’une des conditions à remplir dans la perspective des voyages lointains.

Un tissu scientifique structuré
Ces recherches s’inscrivent dans une continuité où la communauté scientifique a pu comprendre les phénomènes et aller toujours un peu plus loin.
Sur l’eau supercritique, par exemple, il a d’abord fallu comprendre ce que c’était, et on commence à voir les applications, mais les mettre en œuvre est un travail de longue haleine.
Cécile Fiachetti
Ce sera l’objet de l’expérience SCOW (Super Critical Water Oxydation), qui devrait voler sur l’ISS à l’horizon 2026. En 40 ans, la France est devenue un leader dans ce domaine de la science de la matière en micropesanteur, grâce en particulier à une étroite collaboration entre le CNES et l’écosystème scientifique. Celle-ci se matérialise notamment au sein du Groupement de Recherche Microgravité Fondamentale et Appliquée, qui réunit environ 40 laboratoires et 150 chercheurs utilisateurs de la micropesanteur, et qui a fêté ses 30 ans ce printemps.


le mot de Jean-Loup Chrétien
« En tant qu’astronaute, je n’avais pas vraiment de manipulation à faire pour les expériences DIFFUSION et IMMISCIBLE. Mon rôle était de veiller à la bonne tenue des paramètres du four. Ce qui m’a marqué en revanche, c’est le voyage retour en Soyouz : les cartouches contenant les alliages, que l’on devait ramener sur Terre, étaient largement surdimensionnées par rapport à la place que l’on avait dans la capsule. Ça a été un véritable casse-tête pour les ranger avant le départ ! »