28 Juin 2022

[40 ans PVH] Les radiations, défi majeur de l’exploration

La protection des astronautes contre les radiations est l’un des grands problèmes qui se poseront dans l’optique des missions lointaines. La mission PVH a constitué un jalon important dans la construction d’une expertise française dans ce domaine, qui n’a fait que progresser depuis.
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Thomas Pesquet et le dosimètre de l’expérience Lumina à bord de l’ISS. Crédits : ESA/NASA

Depuis le début des vols habités, la prise en compte des rayonnements cosmiques dans l’espace est un enjeu prioritaire des programmes d’exploration. L’impact des radiations augmente en effet à mesure que l’on s’éloigne de la Terre et que l’on perd la protection de la magnétosphère, entraînant des risques pour la santé des astronautes, mais aussi pour le matériel. C’est pourquoi les scientifiques cherchent à mesurer ces radiations et à comprendre leurs effets sur le vivant. C’était déjà l’objectif de Biobloc III, lors de la mission PVH de Jean-Loup Chrétien sur la station soviétique Saliout-7, en 1982. L’expérience, qui consistait à placer des graines dans des protections hermétiques pour étudier leur réaction aux rayonnements, montre alors que celles-ci sont modifiées par cette exposition aux rayonnements.


Depuis, de nombreuses expériences ont été faites dans le domaines de la radiobiologie et de la radioprotection, afin notamment de comprendre les différences de sensibilité d’une personne à l’autre et de mettre en place des contremesures.

Sur l’ISS, le niveau de rayonnement reste relativement faible, mais dans les vols lointains vers la Lune ou Mars, il sera beaucoup plus élevé. Il faut donc trouver le moyen de protéger le vaisseau et les vêtements des astronautes, et également de réparer rapidement les lésions causées sur l’ADN en cas d’irradiation pour éviter qu’elles ne provoquent des cancers.

Guillemette Gauquelin-Koch, responsable des sciences de la vie au CNES

Le CNES a ainsi réalisé plusieurs campagnes de ballons stratosphériques pour mesurer les niveaux de rayonnement et tester différents blindages en plomb ou en aluminium. 

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Lâcher de ballon stratosphérique. Crédits : CNES/PRODIGIMA/GABORIAUD Romain

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Guillemette Gauquelin-Koch, responsable des Sciences de la vie au CNES. Crédits : CNES.

Lumina, l’apport de la fibre optique

Sur l’ISS, c’est un instrument français né de la collaboration entre le CNES, le laboratoire Hubert Curien, la société iXBlue et le CERN qui mesure les radiations subies par les astronautes. Particularité de ce dosimètre Lumina, qui a rejoint la station lors de la Mission Alpha de Thomas Pesquet, il se base sur une technologie inédite : il fonctionne avec des fibres optiques qui s’assombrisent lorsqu’elles sont soumises à des radiations ionisantes. « Pour Lumina, l’une des difficultés est d’avoir des fibres suffisamment sensibles, car les astronautes sont encore bien protégés par les ceintures de Van Allen et la structure de l’ISS », décrit Florence Clément, responsable de l’expérience Lumina au CADMOS au CNES. 

C’est un bon défi qui nous permettra d’avoir un instrument capable de détecter les prémices des pics de radiations liés à l’activité solaire, dangereux pour leur santé, quand l’exploration poursuivra son chemin hors de ce cocon terrestre.

Florence Clément

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Florence Clément Crédits : © CNES/DE PRADA Thierry, 2021

Ces mesures des radiations en continu ont pour but d’améliorer la protection des astronautes dans le cadre de la préparation des futures missions lointaines, mais ces expériences peuvent aussi avoir des applications sur Terre, notamment dans le nucléaire ou le médical.

 

Préparer la base lunaire

Dans les missions habitées, la prochaine étape sera le retour sur la Lune, dans la perspective d’y installer une base permanente. Pour s’y préparer, Spaceship FR, volet français du programme de l’ESA Spaceship FR, travaille sur différentes thématiques, parmi lesquelles l’habitat lunaire, avec un important volet sur l’impact des radiations sur le vivant, en partenariat avec l’IRSN et des laboratoires de recherche. Les études en cours portent notamment sur des modèles de prédiction de l’impact des radiations en fonction des types de protection.  

Par exemple, nous nous demandons combien de temps un astronaute peut rester à la surface de la Lune sans être exposé à des risques trop élevés, si des parties du corps doivent être davantage protégées. 

Grégory Navarro, responsable du développement de l’habitat lunaire et martien de Spaceship FR au CNES

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Habitat en structure gonflable imaginé pour Spaceship Fr par Spartan Space et JJF Consulting. Crédits : Spartan Space, Peter Weiss.

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Grégory Navarro - Crédits : © CNES/DE PRADA Thierry, 2021

 

Ces travaux permettront d'affiner les conditions d'exploration de la Lune, et également de concevoir les matériaux et les architectures pour élaborer les boucliers les plus radioprotecteurs. Mais ces recherches ne se limitent pas à la santé humaine, et s’intéressent à l’impact des radiations sur l’ensemble du vivant, ce qui concerne les plantes qu’il faudra faire pousser pour l’alimentation des équipages. « Les scientifiques font pousser des légumes et les exposent à des protons et à des neutrons. Cela permet d’observer à quel point leur développement est perturbé, et dans quelle mesure ils risquent d’intoxiquer les astronautes », conclut Guillemette Gauquelin-Koch. Sur tous ces sujets, ce sont 40 ans d’expertise qui se cumulent et s’enrichissent dans ces travaux menés en coopération par le CNES, les laboratoires et les industriels français.



Le mot de Jean-Loup Chrétien

« Les radiations ont toujours été une préoccupation pour les vols habités, pour les équipes au sol comme pour nous les astronautes. A vrai dire, je ne me souviens pas vraiment de l’expérience Biobloc III car je n’avais pas de manipulation à réaliser. En revanche, je me souviens d’une petite éprouvette que nous devions positionner sur nos combinaisons de vol soviétiques. Cette éprouvette contenait un liquide transparent dans lequel des petites bulles blanches devaient se former sous l’effet des radiations. On nous avait demandé de les porter dès l’entraînement, à la Cité des étoiles à Moscou, comme témoin. A la surprise générale, dès les premiers jours d’entraînement au sol, ce ne sont pas des petites mais des grosses bulles qui se sont formées très vite… Nous étions en fait, sans le savoir, à proximité d’une zone d’émission de radiations, avec des doses bien plus importantes que ce à quoi nous avons été confrontés ensuite dans l’espace ! »